La cause illicite ou immorale du contrat

La cause  illicite ou immorale du contrat. 

Il s’agit ici de la cause du contrat dont on va scruter la conformité à l’ordre public et aux bonnes mœurs. La cause joue un rôle de protection de l’intérêt général, de défense de la société. Le contrôle de licéité permet de vérifier la rectitude des mobiles des contractants, dans le but de pouvoir annuler des contrats qui, objectivement réguliers, sont en fait des contrats déterminés par la recherche de fin illicite ou immorale. On ne contrôle que les mobiles déterminants dans l’affirmation des volontés des parties, des mobiles qui constituent pour chaque contractant une cause impulsive et déterminante. 

Seule cette conception de la cause est prise en considération par la jurisprudence  lorsqu’il s’agit de vérifier avec l’article 1131 du Code civil la licéité de la cause : pourquoi le locataire s’oblige à payer un loyer. Si on s’en tient à la causa proxima (jouissance paisible), on ne pourra pas contrôler la licéité de l’opération, il faut aller chercher les mobiles des parties. 

En matière de donation, ce n’est pas l’intention libérale en elle-même qui peut être condamnée, c’est au-delà le dessein poursuivi par le donateur. 

A) Domaine et mise en œuvre de la cause illicite et immorale.

« La cause est illicite quand elle est prohibée par la loi, contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public » (article 1133 du Code civil). La notion d’ordre public et de bonnes mœurs s’applique à la cause ou à l’objet. 

 1°/ La cause illicite. 

Les hypothèses sont assez rares, le plus souvent c’est par son objet qu’une convention est regardée comme illicite.  

  

A la cause illicite correspond essentiellement des cas dans lesquels les parties ont entendu enfreindre une règle légale dans l’organisation de leurs rapports : nullité de la convention passée en vue de frauder le fisc, des ventes au marché noir, des conventions tendant à la corruption de fonctionnaires (Req., 15 mars 1911). 

  

2°/ La cause immorale. 

De très nombreuses décisions ont fait application de la cause immorale à cet aspect de l’ordre public que constitue l’atteinte aux bonnes mœurs. 

a) Pour les contrats synallagmatiques.

Une des principales applications a concerné les maisons de tolérance. Dans un contrat de cession portant sur un « fonds » de cette nature, dans la théorie classique, ce contrat sera annulé car l’obligation du vendeur sera nulle pour cause illicite. Dans un contrat de vente d’immeuble en vue de l’installation d’une maison de tolérance, dans la théorie classique ce contrat ne peut être annulé car l’obligation du vendeur a pour objet le transfert de propriété, la circonstance que l’immeuble est destiné à un commerce interdit n’est qu’un mobile de la part de celui qui achète. 

L’immoralité est flagrante ; les conceptions modernes, la jurisprudence ont souligné ces insuffisances de la théorie classique, et pour faire annuler un contrat il fallait faire résider la cause dans les mobiles : annulation des baux d’immeubles (Civ., 27 décembre 1945 ; Gaz. Pal. 1946 I p88), de contrats de travail avec le personnel domestique (CA Nîmes, 26 nov. 1966 ; JCP 1967 II 15298), du contrat d’achat de matériel de boisson (Trib. Civ. Seine, 1928). 

La stipulation, en matière d’assurance, attribuant à la maîtresse d’un homme marié le bénéfice de l’assurance, est nulle (Civ. 1, 8 octobre 1957 ; D. 1958 p317). 

b) Pour les contrats réels.

La théorie moderne permet d’annuler le prêt en vue de l’acquisition d’une maison de tolérance (CA Poitiers, 8 février 1922 ; Dp. 1922 II p33 note Sabatier), le prêt consenti à un joueur pour continuer la partie (Civ. 1, 31 janvier 1984 ; D. 1985 p40), le prêt consenti à une femme mariée pour lui permettre de fuir avec son amant (Req., 17 avril 1923). 

c) En matière de donation.

Selon la théorie classique, la cause, l’intention libérale, ne peut jamais faire défaut.  

La théorie moderne permet d’annuler le contrat lorsque les motifs, les mobiles sont illicites : nullité de la donation consentie par un homme pour ramener à lui sa maîtresse qui avait rompu (Civ. 1, 6 janvier 1964, B. n°12). 

L’exigence d’un motif déterminant mais encore commun aux deux parties appelle quelques observations : sur l’exigence d’un motif déterminant, les mobiles conduisant les parties à contracter sont multiples, il serait économiquement dangereux de tenir compte de tous ces motifs : seuls les motifs illicites ou immoraux qui ont été déterminants, sans lesquels le contrat n’aurait pas été conclu, entraînent la nullité ; on ne tient pas compte des motifs secondaires ; sur l’exigence d’un motif commun aux deux parties, pour pouvoir emporter l’annulation du contrat, le motif illicite doit-il avoir été connu du cocontractant ? 

Pour un acte à titre onéreux, la doctrine pendant longtemps a considéré qu’il ne devait pas y avoir nullité lorsqu’un contractant a poursuivi un dessein illicite à l’insu de l’autre, il est difficile d’imposer à un contractant de bonne foi une nullité sur une cause qu’il ignorait. La jurisprudence a exige pendant très longtemps que le motif illicite ou immoral devait être connu de l’autre partie : le bailleur qui ignorait que le preneur entendait exploiter une maison de tolérance (Civ. 1, 4 déc. 1956 ; JCP 1957 II 10008 note Mazeaud). Cette solution était choquante pour l’intérêt général car elle limitait les possibilités d’annulation. 

La Cour de cassation vient de revenir sur cette solution (Civ. 1, 7 oct. 1998 ; D. 1998 563 ; D. 1999 Somm. 110 obs. Delebecque ; JCP 1999 I 114 §1 obs. Jamain ; Defrénois 1998). « Un contrat peut être annulé pour cause illicite ou immorale même lorsqu’une partie n’a pas eu connaissance du caractère illicite ou immoral du motif déterminant de la conclusion du contrat » (Civ. 1, 1er mars 2005 ; Contrat Concurrence Consommation juillet 2005 p15). 

Pour les contrats à titre gratuit, la tendance générale est de prononcer la nullité même si le donataire ignorait le mobile qui a poussé le donateur à consentir la donation, la protection du donataire est moins importante que celle de celui qui a contracté à titre onéreux. La solution n’est guère satisfaisante car seul le donateur peut agir en nullité et invoquer sa propre immoralité. 

  

B) La preuve de l’illicéité ou de l’immoralité.

De la même manière que la cause contrepartie est présumée exister, la cause motif déterminant est présumée être licite ; par conséquent, il appartient à celui qui invoque une cause illicite ou immorale de la prouver : c’est sur le débiteur qui refuse d’exécuter que pèse la charge de la preuve car c’est lui qui a intérêt à l’annulation du contrat. Le principe est le système de preuve extrinsèque, on peut rechercher cette preuve dans les circonstances extérieures à l’acte attaqué. 

  

Le caractère illicite ou immoral peut être rapporté par tout moyen (Civ. 1, 2 janvier 1907 ; D. 1907 I p137 note Colin ; Sirey 1911 I p585 note Val). L’exception est le système de la preuve intrinsèque (contre le principe admis en 1907), elle est conservée dans l’hypothèse des libéralités consenties à des enfants adultérins.

 

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