Tout sur la preuve : charge, objet, moyens de la preuve

 Qui doit prouver? quoi prouver? comment prouver? la preuve des droits subjectifs.

Pour invoquer un droit subjectif, il est essentiel de pouvoir en prouver l’existence et d’en démontrer sa qualité de titulaire. En effet, posséder un droit sans en apporter la preuve revient à se trouver dans une situation semblable à celle où l’on n’a pas ce droit. En l’absence de contestation, la preuve est généralement inutile, mais dès lors que quelqu’un en conteste l’existence, le titulaire présumé devra justifier en justice qu’il détient bien ce droit.

Pour étudier la question de la preuve, il est utile de se pencher sur trois grands axes :

  1. L’objet de la preuve : Ce qu’il faut prouver et ce qui relève ou non de la preuve.
  2. La charge de la preuve : Sur qui repose l’obligation de prouver un droit ?
  3. Les moyens de preuve et leur admissibilité : Les différents types de preuves reconnues en droit français et les règles d’admissibilité.

1. L’objet de la preuve

La preuve porte sur des faits ou actes juridiques essentiels pour établir un droit subjectif, comme un contrat ou un dommage. Ces éléments doivent être prouvés si le litige en dépend. En principe, les parties n’ont pas à prouver les lois que le juge connaît (jura novit curia). Cependant, si une partie invoque une loi étrangère, elle doit en prouver le contenu.

2. La charge de la preuve

La charge de la preuve incombe au demandeur (art. 1353 C. civ.). Celui qui revendique un droit doit prouver son existence. Ce principe stipule donc que la charge de la preuve incombe au demandeur, selon le principe « Actori incumbit probatio ». En pratique, cela signifie que la personne formulant une nouvelle prétention doit en apporter la preuve.

Exemple : Si une personne réclame une somme d’argent, elle doit prouver l’existence de la dette. Si le débiteur affirme avoir remboursé, il lui incombe de prouver le paiement.

Exceptions  au principe de la charge de la preuve :

  • Présomptions légales : Certains faits sont présumés par la loi, comme la bonne foi (art. 2274), ce qui dispense de preuve.
  • Clauses de preuve : Un contrat peut modifier la charge de la preuve, sous conditions.
  • Renversement jurisprudentiel : En matière médicale, le médecin doit prouver avoir informé le patient des risques liés à un acte médical, inversant la charge de la preuve.

3. Moyens de preuve et admissibilité

Depuis la réforme de 2000, les écrits électroniques sont reconnus comme preuves, à égalité avec le papier.

Principaux moyens de preuve :

  • Actes authentiques et sous seing privé : Les actes notariés ont une grande force probante ; les actes sous seing privé sont valables mais contestables.
  • Témoignages : Les témoignages directs sont acceptés, mais la rumeur publique est rarement considérée fiable.
  • Aveu : L’aveu devant le juge a une grande force probante, tandis que l’aveu fait hors audience est soumis à l’appréciation du juge.
  • Preuves électroniques : Admissibles sous réserve d’assurer leur intégrité et l’identification de l’auteur.

Admissibilité selon les domaines :

  • Droit pénal : Preuve libre, sauf illégalité.
  • Droit civil : Preuve encadrée pour les actes juridiques ; un écrit est nécessaire pour les litiges > 1 500 €.
  • Droit commercial : Liberté de preuve, sans restriction.

 

 

SECTION 1 – OBJET DE LA PREUVE

Que doit-on prouver? L’objet de la preuve est constitué des faits ou actes juridiques ayant une portée juridique. Il s’agit de tout élément susceptible de fonder un droit subjectif, tel qu’un acte (un contrat par exemple) ou un fait juridique (un dommage subi). Ces éléments doivent être prouvés, en particulier lorsque la solution du litige dépend de leur véracité.

Par ailleurs, selon le principe de jura novit curia, le juge est censé connaître la loi, ce qui signifie que les parties n’ont généralement pas à prouver les règles de droit en vigueur. Cependant, une exception existe pour les lois étrangères. Si une partie invoque une loi étrangère dans le cadre d’un litige, il lui incombe d’en prouver le contenu.

L’objet de la preuve dans un litige se limite principalement aux questions de fait, c’est-à-dire aux événements, actions, ou omissions qui ont des conséquences juridiques. En principe, les parties n’ont pas à prouver la loi, puisque le juge est réputé connaître le droit applicable, y compris les règles juridiques de base. Cependant, si une partie invoque une loi étrangère, elle doit alors en établir le contenu et en prouver la portée pour que le juge puisse l’appliquer.

Les faits à prouver dans un procès sont ceux qui peuvent fonder un acte juridique (comme un contrat) ou un fait juridique (comme un accident). Ces faits doivent être directement liés au litige, en d’autres termes, ils doivent être pertinents pour la décision à rendre.

I. Le droit n’est pas à prouver

En matière de droit, les parties n’ont pas à fournir de preuve sur les règles juridiques françaises applicables.

  • Connaissance de la loi par le juge : Le juge est censé connaître les lois nationales, mais cette présomption n’est qu’une fiction. La complexité croissante du droit rend difficile la connaissance exhaustive de toutes les lois.

  • Exceptions pour les coutumes et les usages : Le juge n’est pas supposé connaître les coutumes locales ou les usages commerciaux, qui varient en fonction des pratiques professionnelles et des régions. Dans ces cas, il incombe aux parties de fournir la preuve des usages en question, par exemple à l’aide de témoignages d’experts ou de documents commerciaux.

  • Application d’une loi étrangère : Dans les litiges internationaux, une loi étrangère peut être invoquée, auquel cas la partie qui s’en prévaut doit en prouver l’existence et le contenu. Cela peut se faire à l’aide de traducteurs-jurés, dont les traductions officielles font foi.

II. La preuve des faits

Les faits doivent être prouvés par celui qui en fait l’allégation, sauf si une présomption légale décharge l’une des parties de cette preuve.

1. Principe : chacun doit prouver ce qu’il allègue

Lorsque des faits sont affirmés en justice :

  • Absence de contestation : Si l’adversaire ne conteste pas le fait allégué, ce dernier peut être considéré comme avéré.
  • Contestations : En cas de contestation, l’allégation doit être prouvée par des éléments de preuve solides et vérifiables.

Ce principe général du fardeau de la preuve (ou charge de la preuve) est la base du procès civil et implique que chaque partie doit apporter la preuve des faits qu’elle avance pour soutenir sa demande.

2. Exclusion de la preuve de certains faits

Certains faits ne peuvent pas être prouvés en raison de restrictions légales ou pratiques.

  • Preuves interdites : Dans certaines situations, la loi interdit la preuve pour préserver des valeurs sociales ou familiales importantes. Par exemple, la preuve est strictement encadrée en matière de filiation, où il est interdit de remettre en cause certains liens familiaux pour préserver la stabilité des relations familiales et la « paix des ménages ».

  • Preuves inopérantes : Certaines preuves, bien qu’existantes, sont considérées comme inopérantes. Ainsi, une personne ne peut pas prouver le paiement d’une dette par un simple talon de chèque, car cela n’établit pas la réalité de l’opération. Les preuves doivent être objectives et indépendantes pour être recevables en justice.

3. Difficultés de preuve : la preuve impossible

Certaines situations peuvent poser des problèmes pratiques ou techniques pour la preuve des faits, notamment lorsqu’il s’agit de prouver des faits complexes, inaccessibles ou de nature négative.

  • Faits positifs : Dans certains cas, il est impossible de prouver un fait positif de manière directe. Par exemple, la loi permet de présumer la période de conception d’un enfant entre 180 et 300 jours avant la naissance, car il est difficile d’identifier précisément le moment de la fécondation. La loi intervient en appliquant un régime de présomptions pour suppléer à cette difficulté.

  • Faits négatifs : Prouver l’absence d’un événement ou d’une action est souvent complexe. Cependant, dans certaines situations, il est possible de prouver un fait négatif en éliminant toutes les autres hypothèses. Par exemple, si une partie doit prouver qu’elle n’a pas reçu un paiement, elle peut démontrer que toutes les autres causes possibles de réception ont été écartées, établissant ainsi la réalité de l’absence de paiement.

 

Section 2 :  LA CHARGE DE LA PREUVE.

La question de la charge de la preuve est très importante dans tout litige. En effet, lorsqu’il est impossible d’établir la vérité de manière probante, la partie chargée de prouver ses affirmations en subit les conséquences. Autrement dit, le risque de l’absence de preuve pèse sur elle, et le bénéfice du doute revient à la partie adverse.

A) Principe de la charge de la preuve

qui doit prouver? Le Code civil prévoit des principes relatifs à la charge de la preuve dans ses articles 1353 à 1369 . En principe, la charge de la preuve incombe au demandeur, selon l’adage actori incumbit probatio : c’est-à-dire que celui qui avance une prétention doit prouver ce qu’il allègue.

  • Exemple : Si une personne affirme qu’une autre lui doit une somme d’argent, c’est au demandeur de prouver l’existence de cette dette. En revanche, si le débiteur prétend avoir déjà remboursé cette somme, il devra prouver le remboursement.
  • Exemple : Si je soutiens que Mme Dupont me doit 5 000 €, c’est à moi de prouver cette créance. En revanche, si Mme Dupont prétend qu’elle m’a déjà remboursé, elle introduit une nouvelle prétention, dont elle doit également rapporter la preuve.

B) Exceptions au principe de la charge de la preuve

Des exceptions au principe énoncé à l’article 1353 existent. Dans certains cas, la loi, les conventions des parties, ou la jurisprudence peuvent déplacer la charge de la preuve.

1. Exceptions légales

Certains textes législatifs instaurent des présomptions en faveur de l’une des parties, allégeant sa charge de la preuve. Par exemple, l’article 2274 du Code civil (anciennement 2268) établit une présomption de bonne foi : celui qui se prétend de bonne foi n’a pas à prouver cette qualité, et c’est à son adversaire d’apporter la preuve de sa mauvaise foi.

2. Conventions des parties

Les parties peuvent, par une clause contractuelle, convenir d’une répartition différente de la charge de la preuve. Cette liberté contractuelle permet aux cocontractants de définir à l’avance qui devra prouver certains faits en cas de litige, bien que cette répartition ne doive pas créer de déséquilibre manifeste au détriment de l’une des parties, sous peine d’annulation pour clause abusive.

3. Exceptions jurisprudentielles

La jurisprudence peut également intervenir pour renverser la charge de la preuve dans certaines circonstances spécifiques, notamment lorsque la nature de la relation entre les parties ou le type d’obligation l’exige. Un exemple illustratif se trouve en matière médicale.

En effet, la Cour de cassation a instauré un renversement de la charge de la preuve concernant l’obligation d’information du médecin. Le Code de la santé publique impose en effet aux médecins d’informer leur patient des risques de l’acte médical envisagé. Si un risque se réalise et entraîne un dommage, le patient peut réclamer réparation au titre du défaut d’information. En principe, le patient, en tant que demandeur, devrait prouver que le médecin n’a pas respecté cette obligation d’information. Cependant, la Cour de cassation a jugé qu’il appartient désormais au médecin de prouver qu’il a bien informé le patient, facilitant ainsi pour le patient la démonstration du manquement.

C) Distinction entre le rôle du juge et celui des parties :

Les rôles inquisitoires varient donc selon le type de procédure :

  • En procédure pénale, le juge d’instruction mène une enquête approfondie à charge et à décharge, pour préserver les droits du mis en cause.
  • En procédure administrative, le juge administratif dirige activement la recherche des preuves pour éclairer sa décision.
  • En procédure civile, le juge adopte un rôle neutre et ne mène pas d’investigations, laissant aux avocats le soin de prouver leurs allégations.

 1 : Le rôle des parties

I. Principe général : la charge de la preuve incombe au demandeur

Article 1353 du Code civil (anciennement 1315) stipule que « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. » Ce principe général de la charge de la preuve repose sur le fait que la personne qui agit en justice, le demandeur, doit prouver le bien-fondé de sa demande.

1. Sens de la règle

La règle signifie que le demandeur, en introduisant une action en justice, doit fournir les preuves de ses affirmations. Par exemple, si une personne demande le remboursement d’une dette, elle doit prouver l’existence de cette dette. Inversement, le défendeur (la personne assignée) devra apporter la preuve des faits qu’il allègue en défense.

2. Fondement de la règle

Ce principe est fondé sur la logique que, dans le cadre d’un procès, c’est le demandeur qui remet en question l’ordre établi et qui, par conséquent, doit démontrer la légitimité de sa réclamation. Cela vise également à éviter que des actions injustifiées viennent troubler inutilement l’ordre juridique.

3. Portée de la règle

La charge de la preuve est nuancée : elle varie en fonction des rôles des parties dans le procès. En principe, le demandeur doit prouver les faits sur lesquels il fonde sa demande, tandis que le défendeur doit prouver les faits qu’il invoque pour sa défense. Dans un procès, il est fréquent que chaque partie allègue des faits, et que chacune porte la charge de prouver les faits qu’elle avance. En outre, chaque demande formulée dans une assignation peut nécessiter une preuve spécifique, comme dans le cas de réclamations de dommages et intérêts.

II. Les présomptions légales

Les présomptions légales sont des mécanismes par lesquels la loi attribue la charge de la preuve à partir d’un fait connu et prouvé, pour en déduire l’existence d’un fait inconnu sans avoir à le prouver directement. La présomption dispense donc une partie de prouver un élément essentiel, souvent dans un souci de justice ou d’équité.

  • Exemple : la présomption de paternité. Dans le cadre d’un mariage, la loi présume que le mari est le père de l’enfant de son épouse. Cela évite d’avoir à prouver la filiation pour chaque naissance.

1. Rôle des présomptions légales

Les présomptions légales facilitent le procès en simplifiant le régime de la preuve et en favorisant la sécurité juridique. Elles évitent au demandeur de prouver certains faits évidents ou socialement acceptés. Le juge, même s’il connaît la fausseté d’une présomption, doit la respecter lorsque la loi l’impose.

2. Fondement des présomptions légales

Les présomptions légales reposent sur deux principaux fondements :

  • La probabilité : Certaines présomptions reposent sur des situations de fait hautement probables, comme la présomption de paternité dans le mariage, qui correspond à une réalité sociale.

  • La sécurité et la protection des victimes : La loi instaure parfois des présomptions dans un souci de sécurité ou de protection des victimes, comme la présomption de causalité en cas d’accident. Par exemple, en cas d’accident causé par une chute de ski, la responsabilité du propriétaire est présumée, sauf preuve contraire.

3. Régime des présomptions légales

Les présomptions légales peuvent être simples (ou relatives) ou irréfragables (ou absolues), selon qu’elles peuvent ou non être renversées par une preuve contraire.

a) Présomption simple (ou relative)

Une présomption est dite simple lorsque la chose présumée peut être contestée et renversée par une preuve contraire. Par exemple, la présomption de paternité peut être renversée par un désaveu de paternité, qui prouve que le mari n’est pas le père de l’enfant.

b) Présomption irréfragable (ou absolue)

La présomption irréfragable ne peut, quant à elle, pas être contestée. Elle est considérée comme une certitude juridique, et aucune preuve ne peut la renverser. Par exemple, lorsqu’un créancier remet son titre de créance à son débiteur, il est présumé de manière irréfragable que le paiement a été effectué, même s’il n’a en réalité pas eu lieu.

Les présomptions légales permettent donc d’établir certains faits de manière indirecte et de faciliter la résolution des litiges en allégeant la charge de la preuve pour les parties.

2 : Le rôle du juge

I. Neutralité du juge

1. Principe : impartialité du juge

La neutralité du juge est un élément fondamental du procès équitable. Ce principe garantit que le juge examine les faits et les preuves sans parti pris. Le juge ne peut en aucun cas utiliser ses connaissances personnelles sur les faits en question et doit se contenter des éléments fournis par les parties.

2. Portée de la neutralité

a) Principe dispositif

Le principe dispositif impose au juge de laisser aux parties le soin d’exprimer leurs demandes et de formuler leurs prétentions. Il signifie que le juge ne peut ni orienter les parties sur les points qu’elles doivent soulever ni statuer sur des éléments non mentionnés dans leurs demandes. Cette règle préserve les droits des parties et encadre l’office du juge, qui est limité aux questions soulevées dans le cadre du litige.

Cela interdit au juge de statuer ultra petita, c’est-à-dire d’aller au-delà des demandes exprimées par les parties, et ainsi de prononcer des décisions qui déborderaient du cadre du litige.

b) Principe du contradictoire

Le principe du contradictoire constitue un droit fondamental dans tout procès. Chaque partie doit avoir l’opportunité d’être entendue, de présenter des preuves, et de réagir aux preuves et arguments avancés par l’autre partie. Cela signifie que toutes les preuves doivent être soumises à l’appréciation des deux parties avant d’être considérées par le juge.

Le juge doit fonder sa décision uniquement sur les preuves et arguments qui ont été discutés contradictoirement. Ce principe est la garantie d’un procès équitable, car il assure la transparence des débats et le respect des droits de chaque partie.

II. Initiatives du juge

Bien que la neutralité et l’impartialité du juge limitent ses interventions, celui-ci dispose néanmoins de certains pouvoirs d’initiative pour conduire et éclairer le procès.

1. Mesures d’instruction

Dans les cas où les preuves fournies par les parties ne suffisent pas à trancher le litige, le juge peut ordonner des mesures d’instruction pour obtenir des informations supplémentaires. Il peut ainsi décider de :

  • nommer un expert pour évaluer un point technique (par exemple, des dommages dans un litige de construction),
  • procéder à une descente sur les lieux pour mieux apprécier les faits,
  • convoquer des témoins pour obtenir des témoignages pertinents.

Bien que le juge ait la possibilité de commander ces mesures, il conserve une liberté d’appréciation sur les résultats. En effet, il n’est pas obligé de suivre les conclusions de l’expert et peut, en fonction de l’ensemble des preuves, accorder une importance variable aux éléments recueillis.

Si une partie refuse de coopérer avec les mesures d’instruction, le juge ne peut pas la contraindre physiquement à s’y soumettre. Cependant, cette attitude peut jouer en défaveur de la partie récalcitrante, car le juge est libre d’interpréter ce refus de manière défavorable.

2. Production des éléments de preuve

Le juge a également le pouvoir d’ordonner aux parties de produire les pièces nécessaires au bon déroulement du procès. Ce pouvoir est essentiel pour garantir l’accès à l’ensemble des éléments pertinents et éviter que l’une des parties ne dissimule des informations importantes pour l’affaire.

Ce pouvoir d’initiative du juge est un atout pour l’administration de la justice : il lui permet d’instruire le dossier de manière complète et d’éviter une dissimulation des preuves qui pourrait nuire à l’équité du jugement

 

SECTION 3 – LES MODES DE PREUVE

Dans le droit de la preuve, il existe une différence marquée entre les preuves parfaites, qui lient le juge, et les preuves imparfaites, que le juge est libre d’accepter ou de rejeter en fonction de leur crédibilité.

  • Les preuves parfaites : Elles lient le juge, qui doit les considérer comme décisives. Parmi elles, on trouve :

    • Les écrits parfaits (actes authentiques et actes sous seing privé)
    • L’aveu judiciaire
    • Le serment décisoire
  • Les preuves imparfaites : Elles n’ont pas de caractère obligatoire pour le juge, qui en évalue la force probante. Elles incluent :

    • Les écrits imparfaits qui ne remplissent pas toutes les conditions de formalité
    • Les témoignages
    • Les présomptions et indices de toutes sortes
    • L’aveu extrajudiciaire
    • Le serment supplétoire

Cette distinction repose sur la force contraignante des preuves ; les preuves parfaites constituent des éléments de preuve solides auxquels le juge ne peut pas se soustraire, tandis que les preuves imparfaites nécessitent une appréciation critique de sa part, sans valeur probante absolue.

 

 Paragraphe 1 –  Diversité des modes de preuve

 I.   La preuve par écrit

1. Définition de l’écrit et conditions de validité

En vertu de l’article 1365 du Code civil (nouvelle numérotation depuis la réforme de 2016), un écrit est défini comme une suite de lettres, caractères, chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible. Cette définition inclut les écrits sur support papier et électronique.

Papier et support électronique : Égalité de valeur

La loi reconnaît que l’écrit peut prendre deux formes principales :

  • Support papier : L’écrit traditionnel sur papier, qu’il s’agisse de contrats, de lettres, ou d’autres documents écrits.
  • Support électronique : Depuis 2000, et consolidé par la réforme de 2016, l’écrit électronique est considéré comme ayant la même valeur probante que l’écrit papier, à condition qu’il respecte certaines exigences légales.

Les écrits papier et électronique sont ainsi placés sur un pied d’égalité dans la hiérarchie des preuves. Ce principe reflète l’évolution technologique et l’acceptation de la dématérialisation des échanges contractuels.

Conditions de validité de l’écrit électronique

Pour qu’un écrit électronique ait la même force probante que le papier, plusieurs conditions doivent être réunies :

  • Intégrité de l’écrit : L’écrit électronique doit être conservé de manière à en garantir l’intégrité, c’est-à-dire qu’il ne doit pas être modifiable une fois signé et enregistré. Cette exigence garantit la stabilité et la sécurité du document.

  • Identification de l’auteur : Il doit être possible d’identifier de manière fiable l’auteur de l’écrit. Pour cela, des procédés de signature électronique, comme les certificats électroniques qualifiés, sont utilisés pour garantir l’authenticité du document et identifier l’auteur avec précision.

2. Catégories d’écrits et leur force probante

Les écrits se divisent en plusieurs catégories, chacune ayant une force probante différente selon son mode de rédaction et les garanties qui l’entourent.

a) Actes authentiques

Un acte authentique est un écrit établi par un officier public (tel qu’un notaire) selon des formes strictes imposées par la loi. Ce type d’acte présente des garanties très élevées en matière de preuve :

  • Conditions : L’acte authentique doit être dressé par un officier public compétent et dans le respect des formes légales.
  • Force probante : L’acte fait foi jusqu’à inscription de faux, ce qui signifie qu’il est difficile de contester son contenu. Il a une valeur probante élevée en raison de l’intervention de l’officier public qui atteste de l’authenticité des informations.

Les copies de l’acte authentique, appelées expéditions, sont remises aux parties concernées. Le document original, ou minute, est conservé par l’officier public qui l’a établi.

b) Actes sous seing privé (ou sous signature privée)

Les actes sous seing privé sont des documents rédigés et signés par les parties sans intervention d’un officier public. Ils sont fréquemment utilisés dans la vie courante, notamment pour les contrats simples.

  • Contrats : Dans un contrat bilatéral (entre plusieurs parties), chaque partie doit signer chaque exemplaire du document, et il doit y avoir autant d’exemplaires que de parties contractantes.
  • Actes unilatéraux : Un acte unilatéral, comme un testament, ne nécessite qu’un seul exemplaire signé par l’auteur de l’acte.
  • Force probante : Bien qu’un acte sous seing privé soit moins difficile à contester qu’un acte authentique, il conserve une force probante importante entre les parties. Si une partie ne conteste pas la signature, l’acte fait foi du contenu et de la date. En cas de contestation, un expert peut être nommé pour vérifier l’authenticité de la signature.

c) Autres écrits (écrits imparfaits)

Certains documents, bien qu’ils n’aient ni le statut d’acte authentique ni d’acte sous seing privé, peuvent quand même être admis comme preuves en justice. Ils ont toutefois une force probante plus limitée :

  • Lettres missives : Correspondances privées, dont les lettres échangées entre les parties, peuvent servir de preuve.
  • Livres de commerce : Les écrits issus des registres comptables d’une entreprise peuvent être utilisés contre elle, même s’ils n’ont pas été établis comme preuves.
  • Registres et papiers domestiques : Il s’agit des documents personnels utilisés pour organiser la vie quotidienne, sans caractère formel.

Ces écrits imparfaits peuvent être acceptés comme preuve s’ils émanent de l’adversaire ou de son représentant, mais une personne ne peut pas fabriquer ses propres preuves.

3. Le régime de preuve applicable aux écrits

En droit civil, le régime de preuve varie selon l’objet et le montant du litige :

  1. Preuve parfaite exigée pour les actes juridiques : Un acte juridique (comme un contrat) doit être prouvé par un écrit parfait, tel qu’un acte authentique ou un acte sous seing privé, surtout si l’enjeu financier dépasse un certain montant, fixé actuellement à 1 500 €.

  2. Preuve libre pour les faits juridiques : La preuve d’un fait juridique (un événement non contractuel qui a des effets de droit, comme un accident) est soumise au principe de liberté de la preuve, et tous moyens sont admissibles (témoignages, indices, etc.).

  3. Exceptions :

    • Commencement de preuve par écrit : Si une partie possède un écrit imparfait qui a un lien direct avec le litige, le juge peut accepter tous moyens de preuve, même si le montant dépasse 1 500 €.
    • Impossibilité matérielle ou morale de fournir un écrit : En cas de force majeure (exemple : destruction de documents lors d’une catastrophe), ou dans des situations où un écrit est impossible à obtenir, les preuves imparfaites sont acceptées.

 II.    Témoins

Le témoignage direct correspond aux déclarations qu’une personne fait au tribunal sur ce qu’elle a personnellement perçu (vu, entendu, ressenti). Il s’agit d’une preuve importante dans les systèmes juridiques démocratiques, car elle repose sur une perception directe.

Preuve par commune renommée : cette forme de témoignage se fonde sur la notoriété publique d’un fait. Par exemple, « tout le monde sait » qu’une personne a une réputation spécifique, même si personne n’a directement observé ce comportement. Il peut s’agir d’une réputation ou de ce que l’on pourrait appeler une rumeur. Cette forme de preuve est plus délicate, car elle repose davantage sur la perception collective que sur une observation personnelle et précise.

1. Conditions requises pour être admis à témoigner

En général, toute personne majeure et capable de discernement peut être entendue comme témoin. Cependant, des exceptions existent. Par exemple, une personne ayant subi une lourde peine de condamnation ou ayant un lien familial direct avec l’accusé (ascendant, descendant, conjoint) est exclue du rôle de témoin dans certains cas, afin de préserver l’impartialité.

2. Forme du témoignage

La forme écrite du témoignage est courante en droit civil. Le témoin rédige une déclaration (attestation) sur l’honneur, détaillant ce qu’il a observé. Cette attestation doit être signée et peut inclure des informations permettant de vérifier l’identité du témoin (adresse, date de naissance). Au pénal, les témoins peuvent également être convoqués en personne pour témoigner oralement, ce qui permet un échange direct et l’évaluation de la crédibilité du témoin.

3. Force probante du témoignage

Le témoignage, bien que précieux, est considéré comme faible sur le plan probatoire. Le juge est libre de retenir ou de rejeter un témoignage en fonction de sa fiabilité perçue. Les témoignages peuvent être biaisés par des facteurs personnels ou subjectifs, et leur crédibilité est donc toujours évaluée avec prudence par le juge.

4. Sanction en cas de faux témoignage

Le faux témoignage est une infraction pénale grave qui compromet la vérité judiciaire. Un témoin reconnu coupable de mensonge encourt une peine de cinq ans de prison et une amende pouvant aller jusqu’à 75 000 €. Cette sévérité vise à dissuader tout abus de témoignage.

 

III.  La preuve par présomptions =

1. Notion de présomption

La présomption en droit désigne un raisonnement qui permet, à partir de faits établis, de déduire d’autres faits non prouvés directement. Elle repose sur un ensemble d’indices et de circonstances observées, et elle diffère des présomptions légales, qui sont des vérités établies par la loi (comme la présomption de paternité).

Dans la présomption dite du fait de l’homme, le juge s’appuie sur des éléments concrets pour interpréter et tirer des conclusions. Ce raisonnement par déduction est courant et constitue un moyen de preuve, même si ces conclusions restent soumises à l’interprétation du juge.

2. Conditions de recevabilité

Les présomptions de fait sont libres et laissées à l’interprétation du juge, qui est souverain pour déterminer leur valeur probante. Le juge peut les retenir s’il les juge cohérentes avec le reste du dossier, ou les rejeter si elles lui semblent insuffisantes. Il apprécie donc chaque indice selon sa propre interprétation, en tenant compte des circonstances et de la logique qui les sous-tend.

 IV.   Aveu

1. Notion de l’aveu

L’aveu désigne la reconnaissance par une personne d’un fait ou d’un acte ayant des conséquences juridiques à son propre détriment. Cette reconnaissance est volontaire et constitue une preuve puissante lorsqu’elle est réalisée de manière formelle. En droit, l’aveu ne peut porter que sur des faits précis et établis ; il ne peut pas concerner des interprétations juridiques ou des appréciations subjectives.

2. Régime de l’aveu

  • Aveu judiciaire : Il s’agit d’un aveu fait directement devant le juge, au cours d’une instance. Cet aveu possède une force probante très élevée et lie le juge, ce qui signifie qu’il est retenu comme preuve indiscutable. Il représente une preuve parfaite, car il est émis en présence du juge, ce qui assure sa crédibilité et le rend difficile à contester.

  • Aveu extrajudiciaire : Dans ce cas, l’aveu a été fait hors du cadre d’un procès, comme lors d’une discussion privée ou par le biais d’un document écrit en dehors de l’instance. Le juge dispose ici d’une certaine liberté pour apprécier la valeur probante de cet aveu. Il peut en tenir compte comme preuve, mais il n’y est pas contraint de la même manière qu’un aveu judiciaire.

 V.   Le serment

Le serment est une déclaration par laquelle une partie, en présence du juge, affirme solennellement et de manière formelle que ses dires correspondent à la vérité. Ce moyen de preuve, déjà en usage dans l’Antiquité, reste fortement dissuasif face au risque de parjure. Les études montrent que la prise de serment limite les fausses déclarations, car elle engage moralement celui qui jure.

1. Serment décisoire

Le serment décisoire est utilisé lorsqu’une partie au procès demande à l’autre partie de prêter serment sur un point décisif. Cela représente un moyen de dernier recours, employé lorsque les preuves manquent et que l’une des parties souhaite soumettre son adversaire à un engagement solennel. La partie qui reçoit la demande de serment a trois options :

  • Prêter serment : Si elle jure que ses dires sont véridiques, elle remporte le procès.

  • Refuser de prêter serment : Dans ce cas, elle perd le procès.

  • Référer le serment : Elle peut renvoyer l’obligation de jurer à la première partie, ce qui peut alors peser sur la décision.

Le juge est lié par cette déclaration ou par son refus, et ne peut ignorer les conséquences de la réaction de la partie à la demande de serment décisoire.

2. Serment « déféré d’office » ou serment supplétoire

Le serment supplétoire est un serment que le juge peut demander de sa propre initiative. Il ne s’agit pas d’un serment décisoire, car il n’entraîne pas de décision automatique. Le serment supplétoire vise à éclairer le juge sur la sincérité des parties, en les engageant solennellement à la véracité de leurs dires. Cependant, ce type de serment ne peut jamais suffire à lui seul pour fonder une décision judiciaire ; il doit être accompagné d’autres preuves ou éléments.

 Paragraphe 2 : Admissibilité des modes de preuve

La question de l’admissibilité des preuves en droit français est régie par deux grands principes : la liberté de la preuve et la légalité de la preuve. Ces règles varient selon le domaine de droit concerné (pénal, administratif, civil), et s’appliquent différemment en fonction de la nature de ce qui est à prouver (faits juridiques ou actes juridiques). La législation et la jurisprudence permettent ainsi d’adapter les exigences de preuve à la matière du litige.

Principes retenus en fonction des branches du droit

  • Droit pénal et droit administratif : Principe de liberté de la preuve. Dans ces branches, tous les moyens de preuve sont admis, ce qui permet aux juges de recevoir et d’examiner toute forme de preuve apportée. Cela vise à établir la vérité avec la plus grande souplesse possible, notamment en matière pénale, où la recherche de la culpabilité doit être complète.

  • Droit civil : Le droit civil impose généralement une plus grande rigueur en matière de preuve, distinguant les faits juridiques et les actes juridiques. Les faits juridiques peuvent être prouvés librement, tandis que les actes juridiques sont souvent soumis à un formalisme strict, où la preuve doit être légale et encadrée.

I. Preuve des faits juridiques

Les faits juridiques correspondent à des événements ou actions qui produisent des effets de droit sans nécessiter la volonté spécifique des personnes impliquées (accidents, naissance, décès, etc.).

1. Principe de la liberté de la preuve

Pour les faits juridiques, le principe de liberté de la preuve s’applique. Cela signifie que le juge peut admettre tous les moyens de preuve (témoignages, présomptions, documents divers) pour établir l’existence du fait. Cette souplesse permet d’adapter les preuves aux circonstances souvent imprévisibles et multiples de ce type d’événements.

2. Exceptions : faits relatifs à l’état des personnes

Certains faits juridiques, en particulier ceux relatifs à l’état civil des personnes (comme la naissance et le décès), exigent des preuves spécifiques sous la forme d’actes authentiques (acte de naissance, acte de décès). Cette exigence permet de garantir l’exactitude et la sécurité des informations relatives à l’état civil.

II. Preuve des actes juridiques

Les actes juridiques sont des manifestations de volonté ayant pour but de produire des effets de droit, comme les contrats, les testaments ou les reconnaissances de dette. Leur preuve est soumise au principe de légalité de la preuve.

1. Principe : légalité de la preuve et nécessité d’un écrit

La légalité de la preuve impose, pour les actes juridiques d’une valeur supérieure à 1 500 €, un écrit parfait. Ce peut être un acte authentique (signé par un notaire ou un officier public) ou un acte sous seing privé (signé par les parties elles-mêmes). En droit civil, l’écrit est le moyen de preuve privilégié pour garantir la fiabilité des engagements pris par les parties. En plus de l’écrit, l’aveu judiciaire (aveu fait devant le juge) et le serment décisoire (serment sur une affirmation précise dans le procès) sont également des preuves parfaites.

2. Exceptions : liberté de la preuve

Montant du litige : Lorsque le montant en jeu est inférieur à 1 500 €, la preuve est libre, ce qui signifie que les parties peuvent utiliser n’importe quel moyen pour prouver un acte juridique, qu’il s’agisse d’un simple écrit, d’un témoignage ou de présomptions. En revanche, au-delà de 1 500 €, un écrit parfait est en principe nécessaire.

Régime civil et régime commercial : En matière commerciale, la preuve est libre, quelle que soit la valeur de l’acte. Entre commerçants, tous les moyens de preuve sont admissibles, car la rapidité et la flexibilité sont privilégiées pour fluidifier les relations commerciales. En cas de litige entre un civil et un commerçant, le régime de preuve applicable dépend de la personne contre laquelle la preuve est apportée : si l’on cherche à prouver un acte contre un commerçant, la preuve est libre ; si c’est contre une personne civile, la preuve est encadrée par la légalité civile.

Règles particulières en matière civile

Commencement de preuve par écrit : Le commencement de preuve par écrit est un document qui, bien qu’imparfait (écrit incomplet, non signé, etc.), peut constituer le point de départ d’une preuve. Si un commencement de preuve par écrit existe, le juge peut admettre d’autres moyens de preuve, même pour des litiges d’un montant supérieur à 1 500 €. Cet écrit doit toutefois provenir de la partie adverse et être suffisamment lié au litige pour être accepté.

Impossibilité de produire un écrit : Dans des situations particulières, il est parfois impossible de fournir un écrit pour prouver un acte juridique (par exemple, en cas de catastrophe naturelle ou dans certaines relations personnelles où l’écrit n’a pas été possible). Si cette impossibilité matérielle ou morale est démontrée, le juge peut admettre la liberté de la preuve, même pour des litiges normalement soumis à une preuve légale écrite.

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