La charge de la preuve
La charge de la preuve est un élément fondamental de tout litige, qui détermine qui, des parties en présence, doit apporter les éléments nécessaires pour convaincre le juge de la véracité de ses prétentions. Ce concept varie en fonction du type de procédure, entre deux modèles principaux :
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La procédure inquisitoire : le juge prend un rôle actif, mène les investigations, pose les questions, et les parties répondent. Cette méthode est principalement adoptée en matière pénale en France.
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La procédure accusatoire : ici, les parties elles-mêmes initient les preuves et présentent leurs arguments, tandis que le juge intervient en qualité d’arbitre, sans s’immiscer directement dans le débat. C’est le modèle commun en droit civil français.
En matière civile, le juge suit des principes d’impartialité et de neutralité. Il ne doit pas baser sa décision sur des éléments étrangers au débat, sauf s’ils sont régulièrement introduits par les parties, comme le rappelle l’article 7 du Code de procédure civile. Cependant, le juge conserve le pouvoir d’ordonner des mesures d’instruction (articles 10 et 143 du Code de procédure civile), telles que des expertises ou des descentes sur les lieux, si cela lui semble nécessaire pour éclaircir certains faits.
&1 : principe de la mobilité de la charge de la preuve
Le principe de la charge de la preuve repose sur l’idée que chacun doit prouver ce qu’il avance. Conformément aux articles 1353 et suivants du Code civil, il incombe à la partie qui réclame l’exécution d’une obligation de prouver les faits qui fondent cette demande. Ce principe est souvent désigné comme le principe de la mobilité de la charge de la preuve :
- Le demandeur doit d’abord apporter la preuve de l’obligation qu’il invoque.
- Ensuite, la charge se déplace vers le défendeur, qui doit prouver le contraire pour contester cette obligation.
Ainsi, le fardeau de la preuve n’est pas fixe, mais peut se transférer au fur et à mesure du litige, selon les éléments de preuve apportés par les parties.
- Introduction au droit (L1)
- Histoire du droit français
- Les sources juridiques (loi, jurisprudence, coutume…)
- La séparation entre droit privé et droit public
- Quelles sont les différentes branches du droit ?
- Quelle est l’organisation des juridictions civiles en France?
- Quels sont les caractères et sources du droit objectif ?
I- la démarche probatoire
Henri Motulsky, dans une étude dirigée par Paul Roubier en 1948, s’est appuyé sur l’article 6 du Code de procédure civile qui établit que « les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à fonder leurs prétentions. » Selon lui, chaque partie à un procès a une double charge probatoire :
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La Charge de l’Allégation : Cette étape consiste pour chaque partie à invoquer les faits qui constituent la base de sa prétention. Par exemple, dans le cas d’une personne glissant sur un trottoir et poursuivant le propriétaire pour dommages, elle doit alléguer le fait de la glissade, du mauvais état du trottoir, etc.
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La Charge de la Preuve : Une fois les allégations posées, la partie doit prouver ce qu’elle avance, c’est-à-dire que le dommage est lié au défaut d’entretien imputable au propriétaire.
Si l’une des parties échoue dans sa charge d’allégation (en omettant, par exemple, d’invoquer un élément fondamental du fait litigieux), le juge n’a pas matière à délibérer, et le procès s’arrête. En revanche, une fois l’allégation posée, le juge dispose d’un certain pouvoir en matière probatoire, puisqu’il peut ordonner des mesures d’instruction pour compléter les éléments fournis par les parties. En somme, si l’allégation appartient aux parties, la preuve peut être orientée par le juge, qui s’assure que les preuves soient suffisantes pour fonder la décision.
II- la mobilité de la charge de la preuve
La charge de la preuve en matière civile est souple et non figée, et elle peut basculer entre les parties selon la situation procédurale. Cette mobilité de la charge de la preuve est encadrée principalement par :
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L’article 1353 du Code civil : Celui-ci impose que toute personne qui réclame l’exécution d’une obligation doit en apporter la preuve. Autrement dit, le demandeur doit d’abord prouver le fondement de sa demande.
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L’article 9 du Code de procédure civile : Ce texte complète le premier en imposant aux parties de prouver leurs prétentions respectives.
A) L’alternance de la charge de la preuve
En droit civil, le principe veut que la charge de la preuve incombe à celui qui allègue un fait pour en tirer une prétention. Toutefois, lorsque le demandeur a apporté la preuve de sa prétention, cette charge bascule au défendeur qui doit alors apporter la preuve de ses propres allégations.
Exemple : Si A vend un bien à B, mais B refuse de payer en alléguant que le bien est défectueux, la charge de prouver ce défaut incombe d’abord à B. Si B prouve l’existence d’un défaut, A devra, à son tour, prouver qu’il a respecté les conditions du contrat, que le bien vendu correspondait à ce qui avait été promis, etc.
Les juges doivent appliquer ce principe sans y déroger. Ainsi, selon la jurisprudence (3e Civ., 3 juillet 1996), ce principe est fondamental et ne peut être ignoré.
Dans le cas où l’une des parties est réticente à apporter des preuves ou se montre passive, le juge a le pouvoir d’ordonner des mesures d’instruction, telles que prévues par les articles 10 et 11 du Code de procédure civile. Toutefois, il n’a pas le droit de se substituer aux parties en leur absence de diligence, sauf pour tirer des conclusions de leur comportement (art. 146 al. 2 du Code de procédure civile).
B) Le risque de la preuve
La charge de la preuve comporte un risque pour celui qui ne parvient pas à convaincre le juge de ses prétentions. En droit civil, le principe « le doute profite au défendeur » est implicite : la partie qui échoue à fournir des preuves suffisantes, laissant le juge dans le doute, perd son procès. Ce risque constitue un des fondements de la démarche probatoire et s’applique aux deux parties.
&2 : les exceptions : les présomptions
Certaines situations juridiques bénéficient d’une présomption légale. Ces présomptions permettent de dispenser l’une des parties de prouver certains faits lorsque la loi estime qu’il existe une probabilité suffisante de leur véracité. Ces présomptions sont régies par les articles 1349 à 1353 du Code civil et se déclinent en deux types principaux :
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Les présomptions simples : elles peuvent être renversées si la partie adverse parvient à prouver le contraire. Par exemple, les parents sont présumés responsables des dommages causés par leurs enfants mineurs, mais ils peuvent s’exonérer en démontrant qu’ils n’ont commis aucune faute de surveillance.
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Les présomptions irréfragables : elles ne peuvent pas être contredites par la preuve contraire. Par exemple, l’article 909 du Code civil interdit aux professionnels de santé de recevoir des donations de la part de leurs patients ; une présomption irréfragable empêche donc de prouver qu’une telle donation serait licite.
I- Catégories de présomptions
L’article 1349 du Code civil distingue deux principales catégories de présomptions : les présomptions légales et les présomptions judiciaires (ou présomptions du fait de l’homme). Ces mécanismes permettent d’alléger la charge de la preuve pour le demandeur, en présumant la véracité de ses allégations.
A) Les présomptions légales
Les présomptions légales sont directement établies par la loi. En vertu de l’article 1352, alinéa 1 du Code civil, elles constituent une « dispense de preuve », transférant ainsi la charge de démontrer le contraire à la partie adverse.
L’article 1354 du Code civil distingue trois types de présomptions en fonction de leur force et de leur réversibilité :
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Présomption simple (ou réfragable) :
- Définition : Elle permet à une personne de se prévaloir d’un fait sans apporter de preuve, mais la partie adverse peut renverser cette présomption en prouvant le contraire.
- Exemple : En droit de la consommation, il existe une présomption que certains défauts sur un produit sont d’origine lorsque le consommateur les constate dans un délai spécifique. Le vendeur peut toutefois prouver que le défaut est dû à une mauvaise utilisation pour renverser cette présomption.
- Effet : La présomption simple dispense celui qui en bénéficie de prouver le fait présumé, mais elle peut être contredite par tout moyen de preuve.
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Présomption mixte :
- Définition : La loi fixe ici des limites quant aux moyens de preuve que l’on peut utiliser pour renverser la présomption, ou encore quant aux éléments sur lesquels cette présomption peut être remise en cause.
- Exemple : En droit de la filiation, certaines présomptions de paternité sont mixtes, car la loi détermine les conditions et moyens pour contester cette filiation (par exemple, par expertise génétique).
- Effet : La présomption mixte est ainsi plus difficile à renverser que la présomption simple, car elle restreint les moyens ou les circonstances dans lesquelles on peut la contester.
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Présomption irréfragable :
- Définition : Cette présomption ne peut pas être contestée, même si une preuve du contraire est disponible.
- Exemple : En droit de la famille, la présomption d’absence pour une personne disparue après un certain délai devient irréfragable après une décision judiciaire. La personne est alors légalement considérée comme décédée.
- Effet : Avec une présomption irréfragable, le fait présumé est tenu pour absolument certain, et aucune preuve contraire ne sera admise par le juge. Cela apporte une sécurité juridique en rendant la situation irréversible.
Exemples de présomptions légales :
- Présomption de responsabilité parentale (article 1242 du Code civil) : Les parents sont présumés responsables des actes dommageables causés par leur enfant mineur habitant chez eux. Ils peuvent cependant se libérer de cette responsabilité en démontrant qu’ils n’ont commis aucune faute de surveillance ou d’éducation.
- Interdiction pour les médecins de recevoir des dons de leurs patients (article 909 du Code civil) : La loi pose une présomption irréfragable pour prévenir les abus de faiblesse, interdisant ainsi aux médecins de recevoir des donations de leurs patients. Cette règle vise à protéger l’intérêt public et ne peut pas être contournée par des preuves contraires.
B) Les présomptions du fait de l’homme (Présomptions judiciaires)
Les présomptions du fait de l’homme, appelées aussi présomptions judiciaires, sont basées sur l’interprétation du juge. Conformément à l’article 1353 du Code civil, le juge peut déduire des faits connus l’existence de faits inconnus, en s’appuyant sur des indices graves et précis pour former une conviction raisonnable.
Conditions de validité des présomptions du fait de l’homme :
- Certitude et concordance des faits : Les faits servant de base à la présomption doivent être certains et ne pas se contredire ; ils doivent former un ensemble cohérent pour être pris en compte.
- Gravité et précision des indices : Les indices doivent être suffisamment probants et précis pour démontrer de manière sérieuse le fait allégué, évitant ainsi les jugements fondés sur des suppositions incertaines.
Exemple de présomption judiciaire : Dans le cas d’un accident de la route, des traces de freinage et un compteur bloqué à une vitesse élevée peuvent amener le juge à conclure à un excès de vitesse. Cette présomption repose alors sur l’ensemble des indices cohérents et concordants.
II- Les types de présomptions
La présomption en droit est une conséquence que la loi ou le juge tire de faits connus pour en déduire des faits inconnus. La force probante des présomptions varie selon leur nature, qui peut être simple (ou relative) ou irréfragable (ou absolue). Cette distinction, qui impacte directement les possibilités de contestation de la présomption, est régie par l’article 1354 du Code civil, issu de la réforme des obligations de 2016.
1. La présomption simple ou relative
La présomption simple (ou relative) est une présomption que la loi établit au bénéfice de l’une des parties, en supposant la véracité d’un fait ou d’une situation. Cependant, la loi autorise la partie adverse (le défendeur) à apporter la preuve du contraire. Si le défendeur parvient à contester cette présomption avec des preuves solides, il peut faire échec à la présomption et remporter le litige. Dans le cas contraire, le demandeur triomphe, sans avoir eu besoin d’apporter d’autres preuves que la présomption elle-même.
Exemples courants de présomptions simples incluent la présomption de paternité (article 312 du Code civil), où le mari de la mère est présumé être le père de l’enfant. Bien que cette présomption soit automatique, elle reste simple, permettant à la partie qui conteste d’apporter la preuve contraire si nécessaire.
Toutes les présomptions du fait de l’homme (celles établies par le juge, et non par la loi) relèvent également de la présomption simple, ce qui laisse la place à une évaluation et à une remise en cause selon les circonstances du cas.
2. La présomption irréfragable ou absolue
Contrairement à la présomption simple, la présomption irréfragable (ou absolue) est une présomption établie par la loi qui ne peut pas être renversée par la preuve du contraire. Lorsqu’une présomption est qualifiée d’irréfragable, cela signifie que le défendeur n’a pas la possibilité de prouver que l’allégation présumée est fausse. Cette présomption est alors incontestable, renforçant la sécurité juridique mais supprimant la possibilité de réfutation.
Par exemple, l’article 909 du Code civil interdit aux professionnels de santé de recevoir des donations ou des legs de la part de patients. Cette règle de déontologie impose une présomption irréfragable de captation d’influence en interdisant tout don direct. Elle s’étend même, selon l’article 911, aux personnes interposées, comme les proches du professionnel de santé. Le caractère irréfragable de cette présomption empêche toute tentative de démontrer que le don ou le legs était en fait libre et sans influence.
Conclusion
Objectif des présomptions
Les présomptions permettent de simplifier le processus de preuve en droit civil. Elles offrent des avantages pratiques, notamment :
- Faciliter les preuves dans certaines situations où les éléments concrets sont difficiles à obtenir (ex. : présomption de bonne foi en matière de propriété).
- Assurer la protection de certaines catégories de personnes (comme les consommateurs ou les enfants dans des litiges familiaux).
- Stabiliser les relations juridiques en fournissant des solutions prédéfinies dans les situations courantes.
Récapitulatif : principe et force probante des présomptions
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Présomption simple (relative) : Permet de présumer un fait, mais reste contestable par la preuve contraire. Elle s’applique largement dans des situations de preuve souple, où la possibilité de réfutation est offerte au défendeur.
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Présomption irréfragable (absolue) : Établit une vérité juridique sans possibilité de preuve contraire. Ces présomptions sont rares, réservées à des situations où la loi impose des règles strictes pour des raisons d’ordre public ou de protection des personnes.
En conclusion, les présomptions simples visent à alléger la charge de la preuve pour une partie, tout en permettant à l’autre partie de contester. En revanche, les présomptions irréfragables verrouillent le débat juridique, imposant une vérité sans possibilité de réfutation pour des motifs généralement liés à des impératifs de protection juridique.
Le cours Introduction au droit français est divisé en plusieurs fiches (notion de droit, patrimoine, organisation judiciaire, sources du droit, preuves…)
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