L’autonomie de la responsabilité administrative

La formation historique du droit autonome de la responsabilité administrative 

Cette formation historique est passée par trois étapes qui se sont déroulées concomitamment : 

  • ·         L’affirmation de la compétence de la juridiction administrative 
  • ·         L’affirmation du principe de la responsabilité de la personne publique pour les dommages qu’elle cause dans l’exercice des Service Public. D’où le lien indissoluble entre la responsabilité administrative et Service Public. 
  • ·         La consécration de la spécialité des règles de la responsabilité administrative par rapport aux règles du code civil.
  • I – L’affirmation de la compétence de la juridiction administrative

Il y a eu historiquement deux fondements de la compétence du juge administratif pour connaitre des actions en responsabilité contre l’Etat. Les premières actions en responsabilité qui ont été formées contre les collectivités territoriales se sont produites au début du 20ème siècle. La consécration du principe de responsabilité a été étalé de paire avec la consécration de la personnalité morale de droit public des collectivités territoriales. 

Il y avait au départ deux justifications à la compétence de la juridiction administrative :  

Premièrement celle qui tenait à une vieille règle posée dans des textes de 1790 et en vertu de laquelle les juridictions judiciaires ne pouvaient pas déclarer l’Etat débiteur, ne pouvaient pas déclarer que l’Etat devait des indemnités à des particuliers. 

Deuxièmement, le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires. Ces lois de séparation interdisaient aux juridictions judiciaires de connaître des actes administratifs. Mais pour considérer que les actions sont dommageables on doit les examiner au fond, leur bien fondé ou pas. Donc au départ la compétence de la juridiction administrative a été justifiée par ce principe de séparation. C’est le Tribunal des Conflits qui en 1850 lors de la proclamation de la 2ème République en 1848, le Tribunal des Conflits avait déjà invoqué ce principe pour connaitre et pour donner à la juridiction administrative les actions en réparation contre l’Etat. Vote de la loi du 24 mai 1872 qui rétablie de façon définitive le Tribunal des Conflits et qui donne la justice déléguée au CE. A partir de cette loi on a l’indépendance de la juridiction administrative et l’exclusivité de compétence du juge administratif de l’annulation et réformation des actes administratif. Le Tribunal des Conflits rend l’arrêt Blanco qui justifie la compétence de la juridiction administrative pour connaitre des actions en réparation contre l’Etat du fait des dommages causés dans ses Service Public.  

Le Tribunal des Conflits dans l’arrêt Blanco commence par expliquer que la responsabilité de l‘Etat ne peut pas être régie par les règles du code civil. Ensuit il explique que la responsabilité de l’Etat ne peut pas être générale et absolue et qu’elle varie en fonction de la conciliation qu’il y a à faire entre les intérêts privés et ceux de l’administration. Après avoir posé ces règles de fond il en déduit que l’autorité administrative est seule compétente pour connaitre des actions en responsabilité contre l’Etat. D’où la naissance de l’adage : la compétence suit le fond. La compétence administrative est déterminée par la spécialité des règles applicables à la responsabilité, cette spécialité des règles s’expliquant par le Service Public. Dès l’origine du Tribunal des Conflits la juridiction judiciaire a consentie à ce que les problèmes de responsabilité des personnes publiques soient connus par la juridiction administrative et soit régie par des règles spéciales. C’est une juridiction paritaire. La cour de cassation après l’arrêt Blanco a accepté la compétence de la juridiction administrative.  

Ce sont les impératifs du Service Public qui justifient la responsabilité des règles administrative. Et c’est aussi à partir de l’arrêt Blanco que le Service Public a pris son essor dans la jurisprudence et dans l’explication de l’existence d’un droit administratif. G. Jèse : le Service Public devient la pierre angulaire du droit administratif : le Service Public devient le fondement de toutes les règles du droit administratif dérogatoire au droit commun. 

Il y a des limites à la compétence administrative. Il ya deux hypothèses : 

Premièrement les juridictions administratives ne sont pas compétentes lorsque les personnes morales de droit public se comportent comme des particuliers. C’est-à-dire lorsqu’elles gèrent leur domaine privé comme des particuliers le feraient. La gestion du domaine privé obéit au droit privé. Les personnes publiques se placent volontairement sur le terrain du droit privé pour gérer leur domaine privé.  

Deuxièmement, lorsque les personnes publiques gèrent un SPIC. La responsabilité des SPIC relève des tribunaux judiciaire. Le dommage va être subit par un usager du SPIC.  

Arrêt du Conseil d’Etat du 21 décembre 2007 Lipietz : affaire où le Conseil d’Etat s’est reconnu incompétent pour statuer sur l’action des consorts Lipietz qui voulait faire engager la responsabilité de la SNCF dans le transport des personnes d’origine juive dans les camps de déportation. le Conseil d’Etat parce qu’il n’a pas voulu examiner le fonds de l’affaire a considéré que cela relevait de la compétence des tribunaux judiciaire, le transport est toujours du SPIC, bien qu’aujourd’hui la SNCF soit aujourd’hui un établissement public. A l’époque des faits, en 1940, la SNCF n’était pas un établissement public, c’est une société d’économie mixte, société de droit privé. le Conseil d’Etat s’est focalisé sur un SPIC pour déclarer que les tribunaux judiciaires étaient compétents pour connaitre de la demande. 

Il y a les hypothèses où les personnes publiques sont sorties de leurs fonctions et ont perdus leur privilège de juridiction administrative. Cette hypothèse trouve trois cas : 

  • Le cas de voie de fait ou d’emprise irrégulière sur la propriété privé. La voie de fait est une action grossièrement illégale qui n’est susceptible de se rattacher à aucun pouvoir de l’administration et qui porte une atteinte grave aux droits et libertés. L’emprise irrégulière c’est pareil mais pour l’atteinte à la propriété privée. La personne public ne bénéficie plus du privilège de la juridiction administrative et tombe sous la compétence des juridictions judiciaires de droit commun. 
  • Le cas où une faute pénale a été commise et où la victime se constitue partie civile en réparation des dommages causés. Le juge pénal en raison de sa plénitude de sa juridiction va être compétent pour statuer sur l’action pénale et civile.
  • Le cas de la commission d’une faute personne par un agent public. la faute personnelle relevant de la juridiction judiciaire et entrainant la responsabilité exclusive de l’agent et pas de l’administration.
  • II – L’affirmation du principe de la responsabilité de la personne publique pour les dommages qu’elle cause dans l’exercice des SP

Pendant longtemps le principe a été celui de l’irresponsabilité avec la souveraineté de l’Etat. a partir de 1873 l’irresponsabilité est tombée faisant place au principe de la responsabilité même pour les Service Public de la souveraineté. à la fin du 19ème siècle il y avait encore des auteurs qui justifiaient l’irresponsabilité en disant que la souveraineté doit s’imposer à tous sans compensation. 

Il y a eu trois facteurs qui ont favorisés l’émergence du principe de responsabilité et qui ont donc contribués à renverser le principe d’irresponsabilité : 

Premièrement, le développement de la personnalité morale qui  faisait accepter l’idée que les personnes morales comme les personnes physique avaient un patrimoine sur lequel elles pouvaient répondre des dommages qu’elles causaient. 

Deuxièmement, parallèlement au Recours en  Excès de Pouvoir s’est développé le RPC tendant non pas à l’annulation d’un acte administratif mais à la réparation des dommages causés par un acte administratif ou par une action administrative. Le RPC s’est développé à partir de l’arrêt Cadot du 13 décembre 1889 qui concerne la demande de réparation des préjudices subits par des fonctionnaires illégalement évincés après un changement de majorité dans une commune. A partir de l’arrêt Cadot qui met fin à la théorie du ministre juge et qui reconnait la compétence du Conseil d’Etat en premier et dernier ressort, le RPC s’est développé.  

Troisièmement, le développement des Service Public. Plus les Service Public ont été nombreux et plus les occasions de dommage ont été nombreuses. Et les dommages se multipliant, les actions en responsabilité contre les personnes publiques gérant les Service Public se sont multipliées. A cet égard il y a un Service Public qui a été déterminant dans le droit de la responsabilité : le Service Public chargé des travaux publics.  

Le service public des travaux publics a fait l’objet de la loi du 28 pluviose de l’an VIII qui prévoir la compétence administrative pour tous les contentieux relatifs aux travaux publics. Ce contentieux s’est développé à partir de 1800. C’est le premier secteur ou le Juge administratif a posé les règles régissant les différents régimes de responsabilité. 

Dans le contentieux des dommages des travaux publics est arrivé pour la première fois le régime de responsabilité sans faute. Ce régime de protection est donc apparu très tôt, dans les années 1850. On a un régime de présomption de faute. Tous les régimes ont été consacrés par le juge dans le régime spécifique.  

C’est l’arrêt Blanco de 1873 qui pose le principe général de la responsabilité pour faute. L’accident qui adonné lieu à l’arrêt Blanco s’est produit dans le service de la manufacture de tabac. A partir de 1921 ce service a été considéré comme SPIC. Il n’aurait donc pas relevé du Juge Administratif mais du juge judiciaire parce que les dommages causés par les SPICS doivent être indemnisé par les juges civils. Aujourd’hui il n’aurait donc pas été rendu dans les mêmes termes comme il n’y avait pas de distinction SPA/ SPIC. Dans l’arrêt Blanco, l’accident est imputable au Service Public dans son ensemble. A partir de cette affaire importante la faute commise par les agents dans les Service Public dans l’exercice de leur service va être considéré comme imputable à l’ensemble du service.  On va donc parler de faute du Service Public.  

C’est cette faute qui est la marque de l’autonomie de la responsabilité en administratif. Dans les années qui ont suivi l’arrêt Blanco, le principe de la responsabilité de l’Etat pour les fautes commises dans les Service Public, va progressivement être étendu aux services de souveraineté, notamment à la police par l’arrêt de 1905 Tomaso Greco. D’autres services ont vu engager leur responsabilité comme le fisc et le Service Public de la justice même s’ils relèvent de la souveraineté. Aujourd’hui tous les services sont soumis au principe de responsabilité. Les îlots d’irresponsabilité sont très rares. Il n’y a que els actes de gouvernement. Et on a un arrêt récent qui refuse d’engager la responsabilité pour les opérations militaires. Ces opérations par nature ne peuvent pas engager la responsabilité. C’est l’arrêt Sté Touax de 2010. Cette irresponsabilité n’existe que s’il n’y a pas de législation spéciale qui prévoit la responsabilité de l’Etat pour dommage de guerre. Pour les deux guerres mondiales il y a eu des législations spéciales pour prévoir les conditions d’indemnisation des dommages de guerre. Cet arrêt envisage bien cette exception. 

  • III – La consécration des règles spéciales applicables à la responsabilité des personnes publiques

L’arrêt Blanco explique en effet que le Code civil ne peut pas s’appliquer à la responsabilité de personnes publiques du fait des fautes commises par les agents dans l’exercice du Service Public. Le CC prévoit les règles applicables dans les rapports entre particuliers. La responsabilité de l’Etat est spéciale, elle n’est ni générale, ni absolue. Elle doit concilier les droits privés et les intérêts publics.  

La spécialité comporte donc deux aspects. Un aspect externe qui est le rejet du CC et un aspect interne qui est la variabilité des règles de la responsabilité en fonction des services. Cette spécialité externe et interne sont les deux faces de l’autonomie de la responsabilité administrative. Le rejet du CC a été justifié par la doctrine.  

Il y a trois justifications : 

1) La ferrière explique que l’article 1382 fait référence à l’homme.  

2) L’administration ne choisit par ses fonctionnaires contrairement à une entreprise. L’Etat les recrute sur concours et l’administration n’a pas le choix sur les meilleurs. 

3) Il y a une troisième justification qui tient à l’inégalité des rapports entre administration et administrés, alors que le CC établit des règles qui s’appliquent à des rapports égalitaires entre personnes. 

Si on se penche sur le caractère interne de la spécialité, ce caractère fait référence à la variabilité de la responsabilité en fonction des services. Il y a deux règles autonomes qui illustrent cette variabilité :  

1) La première consiste à dire que les difficultés des Service Public doivent être pris en compte pour moduler la responsabilité. Les Service Public d’exercice difficile vont seulement engager leur responsabilité pour une faute lourde, mais la jurisprudence a évolué sur ce point. 

2) La deuxième consiste à prendre en compte l’anormalité soit de l’origine du dommage, soit des conséquences du dommage. L’anormalité est un concept important qui va expliquer la spécialité et l’autonomie des règles de droit administratif. C’est par l’anormalité que certains auteurs ont expliqué l’apparition de la responsabilité sans faute notamment l’apparition de la responsabilité pour risque. 

Pour conclure sur l’autonomie de règles administratives il ne faut pas dissimuler le fait que beaucoup de règles sont des règles communes qui s’inspirent des règles privés. On a notamment des règles qui concernent le préjudice et le lien de causalité qui sont inspirés des règles de responsabilité civile.  

Le Juge Administratif a transposé les règles concernant la réparation du préjudice moral tardivement. Ce n’est qu’à partir de 1961 avec l’affaire Le tisserand que le Conseil d’Etat a accepté de réparer la douleur morale. La douleur morale c’est le préjudice d’affectation. Ce sont les larmes qu’on verse à la vue du préjudice subi par un être cher.  

Quelques questions contemporaines sur la responsabilité administrative : 

La responsabilité administrative assure trois fonctions.  

Une fonction sanctionnatrice, il faut sanctionner les fautes commise, une fonction réparatrice, il faut réparer les dommages subis notamment par la responsabilité sans faute qui a comme avantage de ne pas sanctionner l’administration et une fonction de régulation sociale qui tend à apaiser les conflits et donc à assurer l’équilibre entre les intérêts des administrés et de l’administration. 

L’évolution de la RA a relevé que la fonction sanctionnatrice a été minimisée par le juge. Au fil de l’évolution le Juge administratif a fait prévaloir la fonction réparatrice. Il a de plus en plus réparé des dommages à tel point que l’élément essentiel de la RA n’est plus l’évènement dommageable mais l’élément essentiel devient le dommage qu’il convient de réparer que le droit à réparation devient progressivement un droit subjectifs des administrés voire un droit de l’homme. 

On peut identifier trois raisons de la fonction réparatrice : 

-La première qui est commune avec la responsabilité civile est le développement des assurances. Tous les dommages doivent être réparés. L’assurance a favorisé le déclin de la responsabilité personnelle et déclenché l’idée que la responsabilité doit être collective.  

-La deuxième raison c’est le besoin de sécurité et la prise en compte de la solidarité par de très nombreux textes qui ont imposé l’indemnisation de certains dommages, des dommages résultant de risques sociaux (guerres, émeutes, …). Il y aussi des lois qui ont décidé de la réparation des risques consécutifs à des catastrophes naturelles et des risques naturels sériels (Ex. SIDA). Toutes ces lois ont accrédités l’idée que tous les dommages devaient être indemnisés éventuellement par la solidarité de l’ensemble de tous. C’est le phénomène de victimologie. Cela exprime l’idée que les victimes n’acceptent plus le sort, le hasard et cherchent dans tous les cas un responsable solvable et donc une personne morale de droit public. C’est ce mouvement qui abouti d’abord dans la jurisprudence ensuite dans la législation de l’indemnisation des aléas thérapeutiques.  

-Une des questions récentes que pose la question de l’évolution de la RA vient de l’avènement d’un nouveau principe qui est le principe de précaution. Il a un champ d’application limité au droit de l’environnement et au droit de la santé. Ce principe conduit d’imposer à l’administration de prendre des mesures de prévention alors même que les risques de dommage ne sont pas certains et pas démontrés scientifiquement. La prévention c’est avant la précaution. Il ne faut même pas que le risque soit avéré. Depuis la consécration de ce principe par la loi Varier sur la protection de l’environnement l’administration a l’obligation de prendre des mesures de précaution. Cela entraîne la possibilité de manquement à cette obligation. Cela peut constituer une nouvelle faute. Beaucoup d’auteurs ont donc prévu le renouveau de la faute comme régime de RA. La RA a donc gagné énormément de terrain.  

En réalité il n’en a rien été parce qu’il est très difficile de prouver une faute consistant dans le manque de précaution. Cela reviendrait à prouver un fait négatif. Mais on arrêt récent ou le Conseil d’Etat engage la responsabilité d’une commune du fait de la faute de son maire en prenant un excès de précaution. C’est l’arrêt 2009 Commune de Crégols. le Conseil d’Etat a donc engagé la responsabilité de l’Etat pour un excès de précaution parce que le maire avait ordonné la fermeture d’un sillo à grain alors que les experts avaient prouvé qu’il n’avait pas de risque.

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