Le 4 septembre 1870, la capitulation de Napoléon III à Sedan face aux troupes prussiennes provoque une onde de choc à Paris, marquée par l’agitation populaire. La République est proclamée, mettant fin au Second Empire, et un gouvernement provisoire de la défense nationale est constitué. Ce gouvernement, dirigé par le général Trochu, a pour mission de gérer la crise militaire et politique. Cependant, sa position est fragile : Paris est assiégé par les troupes prussiennes, et le gouvernement peine à exercer un contrôle effectif sur l’ensemble du territoire.
Le 12 février 1871, des élections législatives sont organisées sous l’œil des autorités allemandes, qui souhaitent une stabilisation politique rapide en France pour négocier la paix. Les résultats donnent une large majorité aux monarchistes, favorables à la cessation des hostilités, tandis que les républicains, partisans de la guerre à outrance, subissent un sérieux revers.
Adolphe Thiers et la répression des troubles intérieurs
Le 17 février 1871, l’Assemblée nationale élit Adolphe Thiers comme chef du pouvoir exécutif de la République française. Républicain modéré et conservateur, Thiers joue un rôle clé dans la stabilisation du pays. Sa double mission est :
L’opposition des monarchistes et l’adoption des lois constitutionnelles de 1875
Malgré ses efforts pour réconcilier les différentes forces politiques, Thiers se heurte à une opposition grandissante des monarchistes. Ces derniers, majoritaires à l’Assemblée, sont eux-mêmes divisés entre :
Cette division empêche le retour à la monarchie. Thiers, favorable à une République conservatrice, déclare en novembre 1872 que celle-ci est désormais « le régime qui nous divise le moins ». Cette déclaration brise le pacte de Bordeaux, par lequel il s’était engagé à ne pas trancher la question du régime, et provoque sa destitution le 24 mai 1873.
Le maréchal Mac-Mahon, monarchiste convaincu, lui succède comme chef de l’État. Cependant, face à l’impossibilité de restaurer la monarchie en l’absence de compromis dynastique, les monarchistes se résignent à adopter un compromis républicain. Ce compromis aboutit à l’adoption des lois constitutionnelles de 1875, qui instaurent une République teintée de conservatisme, pour plaire aux différentes factions.
En janvier 1875, après plusieurs années de tension entre monarchistes et républicains, les monarchistes se résignent à instaurer des institutions républicaines, poussés par les événements et les divisions internes. L’amendement Wallon, adopté le 30 janvier 1875 à une voix près, joue un rôle décisif dans cette transition.
Cet amendement précise que le président de la République sera élu pour sept ans par le Sénat et la Chambre des Députés réunis en Assemblée nationale, marquant une rupture avec la personnalisation du pouvoir exercé par Mac-Mahon. Désormais, la fonction présidentielle devient une institution républicaine indépendante de son titulaire.
Les lois constitutionnelles de 1875, votées entre février et juillet, n’établissent pas une Constitution complète, mais un cadre institutionnel minimal, réparti en trois textes :
Ces lois définissent trois institutions principales :
Le président de la République : un exécutif puissant
Élu pour sept ans, il dispose de pouvoirs importants, le rapprochant d’un monarque constitutionnel :
Le président est rééligible, mais l’absence de transmission héréditaire distingue ce régime d’une monarchie classique.
Le Sénat : le garant conservateur
Élu pour neuf ans au suffrage universel indirect, il est renouvelé par tiers tous les trois ans. Les électeurs sont des conseillers généraux et municipaux. Ce système en fait un bastion conservateur, conçu pour modérer les ardeurs républicaines de la Chambre des Députés. Le Sénat partage le pouvoir législatif avec la Chambre et joue un rôle clé dans la dissolution.
La Chambre des Députés : l’assemblée populaire
Élue pour quatre ans au suffrage universel masculin, elle représente le peuple. La Chambre détient l’initiative législative et contrôle le gouvernement par le mécanisme de la responsabilité politique.
Les mécanismes du régime parlementaire
Les élections de 1877 : la montée des républicains
Les élections législatives de mars 1877 donnent une majorité républicaine à la Chambre des Députés, tandis que le Sénat reste monarchiste, mais de justesse. Face à ce paysage politique, le président Mac-Mahon doit nommer un gouvernement acceptable par les républicains tout en restant fidèle à ses convictions conservatrices.
Conflit entre Mac-Mahon et Jules Simon
Mac-Mahon nomme Jules Simon, un républicain modéré, à la tête du gouvernement. Cependant, des désaccords émergent rapidement, notamment sur la question de la place de l’Église dans la société. Le 16 mai 1877, Mac-Mahon adresse une lettre de blâme à Jules Simon et le démet de ses fonctions, remplacé par un gouvernement conservateur dirigé par le duc de Broglie.
La dissolution de la Chambre des Députés
Face à l’opposition de la Chambre, Mac-Mahon décide de la dissoudre le 21 juin 1877, avec l’aval du Sénat. Cette décision provoque une campagne électorale tendue, marquée par des échanges virulents. Gambetta, figure des républicains, déclare :
« Quand le pays aura parlé, il faudra se soumettre ou se démettre. »
Le rejet de Mac-Mahon par le corps électoral
Les élections d’octobre 1877 confirment la majorité républicaine à la Chambre des Députés. Affaibli politiquement, Mac-Mahon tente de continuer avec un gouvernement intérimaire, mais il se heurte à une opposition parlementaire persistante.
Démission de Mac-Mahon et élection de Grévy
En janvier 1879, les élections sénatoriales donnent également une majorité républicaine. Isolé politiquement, Mac-Mahon démissionne le 30 janvier 1879. Jules Grévy, alors président de la Chambre des Députés, lui succède immédiatement.
La Constitution Grévy : vers un parlementarisme absolu
Dans son discours d’investiture, Grévy proclame qu’il n’entrera « jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses organes constitutionnels. » Cette déclaration marque :
Les lois de 1875, conçues pour instaurer un équilibre entre les pouvoirs, sont rapidement dévoyées par la pratique politique :
Ce déséquilibre institutionnel, initié par la crise de 1877 et renforcé par la Constitution Grévy, transforme la IIIe République en un régime d’assemblée, marqué par une instabilité gouvernementale chronique.
En janvier 1879, Jules Grévy, nouvellement élu président de la République, marque une rupture avec la pratique institutionnelle prévue par les lois constitutionnelles de 1875. Opposé à l’idée d’un exécutif fort et à une présidence interventionniste, Grévy déclare :
« Je n’entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses organes constituants. »
Cette déclaration constitue un renoncement à l’utilisation du droit de dissolution, prévu par l’article 5 de la loi du 25 février 1875. Dès lors, le président abandonne l’un des principaux leviers permettant de contrebalancer le pouvoir du Parlement. Ce choix transforme la fonction présidentielle en un rôle largement symbolique, dépourvu de véritable influence politique.
Avec ce renoncement, le régime parlementaire évolue d’un parlementarisme dualiste, dans lequel le gouvernement est responsable à la fois devant le chef de l’État et devant le Parlement, vers un parlementarisme moniste, où le gouvernement dépend exclusivement de la Chambre des députés.
Le président de la République n’a plus de moyens pour s’imposer face à la majorité parlementaire :
La « Constitution Grévy » transforme la IIIe République en un régime d’assemblée, caractérisé par une prédominance excessive du pouvoir législatif. Ce basculement entraîne plusieurs conséquences majeures :
Hypertrophie de la souveraineté parlementaire et légicentrisme
Effacement du chef de l’État
Immobilisme gouvernemental
Instabilité ministérielle
Cette forme de régime, où le Parlement domine l’ensemble des institutions, est souvent qualifiée de « parlementarisme absolu » ou de « parlementarisme à la française ». Si cette pratique permet une affirmation durable des institutions républicaines, elle montre rapidement ses limites :
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