TOUT SUR LA CONSTITUTION
Une constitution est un texte fondamental qui structure la relation entre l’individu et l’État. Sa raison d’être est d’organiser et de limiter le pouvoir étatique en définissant ce qu’il peut faire, ses fonctions et ses limites. Elle constitue le cadre juridique suprême, garantissant l’équilibre entre autorité et liberté. Dans ce cours on s’intéressera au contenu de ce texte, notamment les droits introduits dans le préambule de la Constitution (Section 1) et la forme de la Constitution (Section 2)
Qu’est-ce qu’une Constitution ? La constitution établit :
- Les principes fondamentaux du fonctionnement de l’État.
- La répartition des pouvoirs entre les institutions (exécutif, législatif, judiciaire).
- Les droits et devoirs des citoyens, assurant leur protection et leur participation à la vie publique.
Charles de Gaulle résume la notion de constitution en trois éléments clés :
- Un esprit : Les valeurs et les principes qui inspirent le texte.
- Des institutions : Les structures politiques et administratives établies.
- Une pratique : La manière dont le texte est appliqué et interprété au fil du temps.
Cette formule, prononcée dans une allocution du 31 janvier 1964, souligne que la constitution ne se limite pas à un simple texte, mais s’enrichit des usages et des pratiques institutionnelles.
Les formes des règles constitutionnelles : on distingue :
- Le texte formel : La constitution est souvent un texte écrit, codifié dans un document unique, comme en France (Constitution de 1958). Certaines règles, toutefois, sont non écrites et issues de coutumes (ex. : Grande-Bretagne).
- Les principes annexes : En France, la constitution intègre des textes complémentaires, formant le bloc de constitutionnalité :
-
- Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (1789).
- Préambule de la Constitution de 1946.
- Charte de l’environnement (2005).
Ces éléments élargissent le champ des garanties constitutionnelles, s’adaptant aux nouvelles exigences de la société.
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Section 1 – Les déclarations des droits
Affirmer les droits des citoyens en préambule ou en tête d’une Constitution est une pratique universellement répandue, soulignant leur importance dans l’organisation des sociétés modernes. Ces déclarations, bien que variées dans leurs formes et leur contenu, partagent une fonction fondamentale : reconnaître et protéger les droits des individus face à l’État, tout en définissant les attentes sociales envers celui-ci.
I. Existence générale des déclarations des droits au préambule
Les déclarations des droits, qu’elles soient proclamées dans des préambules ou inscrites dans le corps des Constitutions, incarnent une évolution continue des droits fondamentaux. Si elles reflètent les idéaux de chaque époque, leur mise en œuvre n’est pas aisée. Le passage des libertés barrières aux libertés créances illustre la nécessité croissante d’une intervention de l’État pour répondre aux attentes sociales et collectives. À l’avenir, les droits liés à la solidarité et à l’environnement pourraient dominer les agendas constitutionnels
1. Les déclarations des droits : de la proclamation à la garantie
a) Des origines anciennes et symboliques
- La Magna Carta (1215) en Angleterre est l’un des premiers textes à poser des limites au pouvoir royal, offrant ainsi une première garantie des droits.
- L’Habeas Corpus Act (1679), également en Angleterre, est une avancée majeure pour la sûreté individuelle, affirmant que nul ne peut être détenu sans jugement.
Ces textes incarnent les prémices des libertés barrières, visant à protéger les individus contre l’arbitraire étatique.
b) Les grandes révolutions : une synthèse philosophique et juridique
La modernité des déclarations des droits trouve ses racines dans les révolutions américaine et française :
-
États-Unis (1776-1791) :
- La Déclaration d’indépendance (1776) marque une rupture avec la tutelle britannique, proclamant l’égalité et le droit à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur.
- Le Bill of Rights (1791), une série de dix amendements, garantit des libertés fondamentales telles que la liberté de religion, de la presse et le droit à un procès équitable.
-
France (1789) :
- La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen synthétise les idées des Lumières : tolérance, liberté individuelle, souveraineté nationale et séparation des pouvoirs.
- Elle consacre une égalité formelle entre citoyens et érige des « libertés barrières » pour protéger les individus de l’intrusion étatique.
Ces textes posent les bases d’une société fondée sur la liberté et l’égalité, devenant des références universelles.
2. L’évolution des droits au fil des siècles
a) Le XIXe siècle : construction des libertés
Le XIXe siècle se concentre sur la mise en œuvre des droits proclamés lors des révolutions. En France, la Troisième République (1870-1940) adopte des lois emblématiques :
- Liberté de la presse (1881).
- Liberté d’association (1901).
- Égalité devant le suffrage.
Cependant, ces libertés sont critiquées pour leur formalisme et leur incapacité à répondre aux inégalités sociales.
b) Le XXe siècle : l’émergence des droits sociaux et collectifs
Avec l’essor du marxisme et les bouleversements de la Seconde Guerre mondiale, les droits sociaux et économiques deviennent incontournables.
-
Constitution de 1946 (France) :
- Reconnaissance du droit au travail, du droit à la santé et du droit à la solidarité.
- Mise en avant des libertés créances, où l’État a l’obligation d’agir pour garantir ces droits.
-
Constitutions italienne (1947), grecque (1975), portugaise (1976) et espagnole (1978) :
- Ces textes consacrent des droits sociaux étendus, en réponse aux totalitarismes précédents.
- Exemples : droit à un logement décent, droit à l’éducation gratuite, droit à une retraite équitable.
c) Le XXIe siècle : droits de la troisième génération
Les préoccupations contemporaines élargissent encore la notion de droits fondamentaux :
- Droits environnementaux : Intégration de la Charte de l’environnement (2005) dans le bloc de constitutionnalité français, avec le principe de précaution.
- Droits universels : Lutte contre l’exclusion, devoir d’ingérence humanitaire, accès à l’information et aux technologies numériques.
Ces droits, dits de « troisième génération », reposent sur l’idée de solidarité mondiale et de responsabilité collective.
3. Défis et questions autour des déclarations des droits
a) La tension entre idéal et effectivité
Les déclarations des droits oscillent entre proclamations philosophiques et instruments juridiques :
- Philosophiques : Elles fixent un idéal de société, mais leur application dépend de la volonté politique et des ressources disponibles.
- Juridiques : En France, le Conseil constitutionnel a renforcé leur portée normative depuis sa décision de 1971, intégrant les textes historiques dans le bloc de constitutionnalité.
b) Le passage des libertés barrières aux libertés créances
La transition entre un État gendarme (qui se limite à garantir la sécurité) et un État providence (qui fournit des prestations) soulève plusieurs enjeux :
- L’équilibre entre droits individuels et devoirs collectifs.
- La difficulté de rendre effectifs des droits ambitieux comme le droit au bonheur ou à un logement décent.
c) La portée internationale
Les déclarations modernes s’inscrivent dans un cadre global, notamment via :
- La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000).
- La Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948).
Cependant, des pays continuent de violer ces droits malgré des Constitutions modernes (ex. : Chine).
II. L’évolution du système français de déclaration des droits
Le système français de déclaration des droits repose sur une structure emboîtée, où des textes fondamentaux s’articulent pour constituer un ensemble cohérent, à la manière des poupées russes. Cette architecture reflète l’évolution historique et juridique des droits fondamentaux en France.
1. Une continuité historique
Le préambule de la Constitution de 1958 joue un rôle pivot en affirmant l’attachement du peuple français :
- À la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789, qui incarne les principes libéraux issus de la Révolution française.
- Au préambule de la Constitution de 1946, héritage de la Libération et des apports de la Troisième République.
Cette continuité n’ajoute pas de droits nouveaux dans le texte de 1958 mais assume un patrimoine juridique et philosophique, ancré dans :
- 1789 : Une synthèse des idées du XVIIIe siècle, posant des principes comme la liberté, l’égalité et la propriété.
- 1946 : L’incorporation de droits sociaux et économiques adaptés aux nécessités de l’après-guerre.
2. Les apports spécifiques de 1946
Le préambule de 1946 marque une rupture avec le statut purement négatif des droits (ce que l’État ne doit pas faire) pour proposer un statut positif (ce que l’État doit garantir).
a. Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR)
Ces principes, issus des grandes conquêtes républicaines du XIXe siècle, sont reconnus comme fondamentaux par le Conseil constitutionnel :
- Liberté d’association.
- Liberté de la presse.
- Liberté de réunion et syndicale.
- Liberté de conscience et de culte.
b. Les droits proclamés nécessaires à notre époque
Le préambule de 1946 introduit de nouveaux droits reflétant les besoins de l’époque :
- Égalité des sexes, renforcée par une révision constitutionnelle du 8 juillet 1999.
- Droits des travailleurs : droit à l’emploi, droit syndical, droit de grève (dans le cadre des lois qui le réglementent).
- Droits sociaux : droit à la protection sociale, à la santé, à l’instruction, à la culture, et à la solidarité. Ces droits impliquent une action active de l’État pour leur mise en œuvre.
c. Dispositions économiques spécifiques
Le préambule inclut des dispositions marquées par l’esprit de l’après-guerre, comme l’alinéa 9 :
- Toute entreprise ou bien ayant un caractère de service public national ou de monopole de fait doit devenir propriété de la collectivité, suggérant une obligation de nationalisation.
3. Les ajouts modernes : la charte de l’environnement
Bien que la Constitution de 1958 n’ait pas ajouté de nouveaux droits fondamentaux dans son texte initial, elle a été enrichie par la loi constitutionnelle de 2005, qui intègre la charte de l’environnement au bloc de constitutionnalité.
Cette charte introduit :
- Le principe de précaution, qui impose une vigilance particulière dans les décisions publiques face aux risques environnementaux.
- Des droits liés à la protection de l’environnement, alignés sur les préoccupations du XXIe siècle.
4. La portée des déclarations des droits : simple philosophie ou valeur normative ?
La grande question reste de savoir si ces textes ont une valeur juridique contraignante ou s’ils relèvent simplement de la philosophie politique.
- Nature philosophique : Ces textes reflètent des idéaux sur l’organisation de la société, mais pourraient manquer de moyens concrets pour leur mise en œuvre.
- Valeur normative : Depuis la décision historique du Conseil constitutionnel de 1971 (liberté d’association), le bloc de constitutionnalité confère une force juridique à ces déclarations. Cela signifie que les juges peuvent s’appuyer sur elles pour censurer une loi contraire.
Conclusion : Le système français de déclaration des droits repose sur une accumulation d’héritages philosophiques et juridiques, intégrés dans un cadre constitutionnel évolutif. Si les ajouts récents, comme la charte de l’environnement, répondent aux préoccupations modernes, le rôle des juges est important pour garantir leur effectivité. La question de leur pleine application reste toutefois une difficulté, notamment pour les droits sociaux, dont l’effectivité dépend fortement des moyens mis en œuvre par l’État.
Section 2 – Quelles sont les formes de cette constitution ? Les formes des règles constitutionnelles
Les constitutions écrites en forme solennelle sont des textes juridiques fondamentaux qui, par leur nature, remplissent deux fonctions essentielles :
- Caractère matériel : Elles fixent les règles relatives à l’exercice du pouvoir, l’organisation des institutions, et la répartition des compétences.
- Caractère formel : Elles résultent d’une procédure spécifique, faisant appel à un pouvoir constituant, souvent dans un cadre de légitimation démocratique.
Ces constitutions varient selon les contextes historiques, politiques et idéologiques, offrant un large éventail de styles, allant du texte technique (manuel d’exercice du pouvoir) au document doctrinal et idéologique (affirmant les valeurs et l’identité d’un État).
Napoléon : « Une constitution doit être courte et obscure » – cette vision illustre l’idée d’une constitution flexible à l’interprétation, mais contraste avec des approches modernes privilégiant la clarté et l’accessibilité.
Si on veut que la Constitution soit respectée, il faut qu’elle ait une force supérieure aux autres actes juridiques, et notamment à l’acte longtemps considéré comme normal : la loi.
- C’était la question de la supra légalité de la loi.
- Pour manifester cela, généralement on établi des constitutions écrites dans une forme solennelle.
- Il y a aussi à côté d’autres possibilités, la constitution peut être contenue dans une loi ordinaire.
- Il peut aussi y avoir la coutume comme source constitutionnelle
I. Le critère de supra-légalité et la distinction souple/rigide
La définition de la constitution
La constitution peut être définie sous deux angles principaux :
- Au sens matériel : c’est un texte qui rassemble les règles essentielles relatives à l’organisation et à l’exercice du pouvoir politique.
- Au sens formel : c’est un texte fondamental qui émane directement de la volonté nationale et qui se situe au sommet de la hiérarchie juridique. Ce statut supérieur oblige toutes les institutions, y compris le Parlement, à respecter ses dispositions.
Ces deux aspects sont souvent liés, mais la dimension formelle est centrale, car elle garantit la primauté de la constitution et impose des procédures spéciales pour sa modification. Ce caractère supérieur est désigné comme supra-légalité, c’est-à-dire que la constitution s’élève au-dessus des lois ordinaires.
La supra-légalité et ses implications
La notion de supra-légalité se traduit par plusieurs conséquences importantes :
- Primauté de la constitution : Les lois, règlements et autres actes doivent être conformes à la constitution.
- Contrôle de constitutionnalité : Un mécanisme est mis en place pour vérifier la conformité des lois à la constitution.
- Procédures de révision spécifiques : Contrairement aux lois ordinaires, la constitution ne peut être modifiée qu’à travers une procédure stricte et exceptionnelle.
Distinction entre constitution souple et constitution rigide
-
Constitution souple :
- Les règles constitutionnelles ont la même valeur juridique que les lois ordinaires.
- Une loi postérieure contraire à la constitution modifie implicitement cette dernière.
- Exemple : Sous le Statuto Albertino (Italie, 1848-1946), la constitution pouvait être modifiée par une loi ordinaire.
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Constitution rigide :
- Une loi ordinaire ne peut ni contredire ni modifier la constitution.
- Les violations de la constitution sont annulées grâce à un contrôle juridictionnel, souvent exercé par une cour constitutionnelle ou une cour suprême.
- Exemple : La Constitution française de 1958, qui prévoit une procédure rigoureuse de révision (article 89).
Aujourd’hui, la majorité des États dans le monde adoptent des constitutions rigides, considérées comme une garantie de stabilité et de protection des droits fondamentaux.
II. Les constitutions écrites en forme solennelle
Les constitutions écrites en forme solennelle sont des textes juridiques fondamentaux qui, par leur nature, remplissent deux fonctions essentielles :
- Caractère matériel : Elles fixent les règles relatives à l’exercice du pouvoir, l’organisation des institutions, et la répartition des compétences.
- Caractère formel : Elles résultent d’une procédure spécifique, faisant appel à un pouvoir constituant, souvent dans un cadre de légitimation démocratique.
Ces constitutions varient selon les contextes historiques, politiques et idéologiques, offrant un large éventail de styles, allant du texte technique (manuel d’exercice du pouvoir) au document doctrinal et idéologique (affirmant les valeurs et l’identité d’un État).
Napoléon : « Une constitution doit être courte et obscure » – cette vision illustre l’idée d’une constitution flexible à l’interprétation, mais contraste avec des approches modernes privilégiant la clarté et l’accessibilité.
A) Les grandes vagues de constitutionnalisation
Historiquement, six périodes majeures marquent l’émergence et l’évolution des constitutions solennelles.
1. L’indépendance américaine et la Révolution française (1787-1793)
Ces premières constitutions modernes, comme celle des États-Unis (1787) ou la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), ont établi deux principes fondamentaux :
- Les libertés individuelles : Droits garantis face aux abus de pouvoir.
- La séparation des pouvoirs : Instrument pour modérer l’autorité de l’État.
Ce modèle inspirera largement l’Europe jusqu’aux années 1825, influençant notamment les premières expériences constitutionnelles en Espagne, en Italie, ou encore en Pologne.
2. Les révolutions libérales de 1830 et 1848
Ces révolutions étendent les principes de 1789, en mettant l’accent sur :
- L’architecture constitutionnelle : Émergence du régime parlementaire comme modèle de gouvernance équilibrée.
- La souveraineté populaire : Affirmation du suffrage universel en 1848 en France.
Exemples :
- 1830 : L’équilibre entre monarchie et nation, incarné par la Charte de 1830 (orléanisme).
- 1848 : Reconnaissance explicite du suffrage universel masculin en France, symbolisant le triomphe du principe démocratique.
3. L’après-Première Guerre mondiale (1918)
La Première Guerre mondiale redessine la carte politique de l’Europe, marquée par l’effondrement des empires centraux (Autriche-Hongrie, Allemagne). Plusieurs pays adoptent de nouvelles constitutions :
- République de Weimar (1919) : Tentative d’établir une démocratie parlementaire en Allemagne.
- Constitutionnalisme en Europe centrale : Des régimes parlementaires naissent en Pologne, en Tchécoslovaquie, et en Autriche.
En parallèle, la Révolution russe (1917) introduit une idéologie constitutionnelle communiste, cherchant à dépasser les modèles démocratiques occidentaux qu’elle considère bourgeois.
4. L’après-Seconde Guerre mondiale (1945)
Cette période voit l’effondrement des régimes fascistes en Italie, en Allemagne, et au Japon, ainsi que l’apparition de nouvelles constitutions :
- Italie (1948) et Allemagne (1949) : Retour à des systèmes parlementaires classiques.
- France : La Quatrième République (1946) reprend l’esprit de la Troisième République tout en intégrant des éléments sociaux.
- Pays communistes : Extension du modèle soviétique dans l’Est européen.
5. Le mouvement de décolonisation (années 1960)
Les indépendances des colonies, principalement en Afrique et en Asie, conduisent à l’adoption de constitutions souvent calquées sur celles des anciennes métropoles. Cependant, ces modèles importés montrent rapidement leurs limites, entraînant des révisions ou des réinventions pour mieux s’adapter aux réalités locales.
6. La sortie des dictatures (années 1970-1990)
Cette phase marque la transition démocratique des régimes autoritaires, particulièrement en Europe du Sud et de l’Est.
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Fin des dictatures d’extrême droite :
- Portugal (1976), Espagne (1978) et Grèce (1975) adoptent des constitutions libérales inspirées des modèles occidentaux.
- L’Espagne restaure sa monarchie parlementaire.
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Effondrement du bloc soviétique :
- La fin de l’URSS en 1991 s’accompagne de la démocratisation des pays d’Europe de l’Est.
- Ces nouvelles constitutions, comme en Pologne (1997) ou en Hongrie (2011), favorisent un pluralisme politique et des modèles présidentiels ou parlementaires inspirés de l’Ouest.
B) Le rôle de la constitution dans les périodes de transition
Lors de bouleversements majeurs (révolutions, guerres, effondrements de régimes), l’établissement d’une nouvelle constitution est souvent une priorité :
- Fonction symbolique : Ancrer une nouvelle légitimité politique.
- Fonction pratique : Organiser les institutions et garantir les droits fondamentaux.
Ces six grandes vagues de constitutionnalisation montrent que les constitutions ne se contentent pas d’être des documents juridiques : elles incarnent les idéaux et les évolutions politiques des sociétés qu’elles gouvernent.
III. Les lois ordinaires
A) Cas exceptionnels : lois ordinaires à valeur constitutionnelle
Dans certains systèmes, les règles constitutionnelles peuvent être contenues dans des lois ordinaires. Cela se produit principalement dans les systèmes où la distinction entre constitution et loi ordinaire est floue, notamment dans les constitutions souples.
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Exemple historique : le Statuto Albertino (1848) :
- Adopté en tant que loi ordinaire sous le Royaume de Piémont-Sardaigne, il est devenu la constitution italienne.
- Ce statut est resté formellement en vigueur jusqu’en 1946, malgré son origine non constitutionnelle.
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Constitutions souples :
- Les lois ordinaires jouent un rôle clé dans les systèmes où la distinction formelle entre constitution et loi ordinaire est absente.
- Ces lois peuvent modifier ou compléter les dispositions constitutionnelles sans nécessiter de procédure particulière.
B) Les lois ordinaires comme textes d’application
Dans les systèmes rigides, les lois ordinaires ne contiennent pas de règles constitutionnelles, mais elles peuvent jouer un rôle d’accompagnement en mettant en œuvre les dispositions de la constitution.
Exemples :
- Sous la Troisième et la Quatrième République françaises, de nombreuses lois régissaient l’organisation des pouvoirs publics.
- Aujourd’hui, sous la Cinquième République, les lois ordinaires complètent des lois organiques pour préciser les modalités d’application des dispositions constitutionnelles.
C) Les lois organiques : un statut intermédiaire
Les lois organiques, prévues par l’article 46 de la Constitution française, occupent une position spécifique entre constitution et lois ordinaires :
- Adoption plus exigeante : Elles nécessitent une majorité particulière ou une procédure renforcée.
- Rôle spécifique : Elles précisent ou complètent les dispositions de la constitution sans en faire formellement partie.
Exemples de champs d’application des lois organiques :
- Fixation du nombre de parlementaires.
- Définition des critères d’éligibilité.
- Réglementation du financement des campagnes électorales.
IV. Le problème de la coutume
La coutume, en tant que source complémentaire du droit constitutionnel, joue un rôle essentiel pour combler les lacunes, interpréter les dispositions ou même, dans certains cas, constituer le cadre juridique. Cependant, sa légitimité et ses limites suscitent des débats, notamment lorsqu’elle entre en tension avec un texte écrit.
A) La coutume comble les lacunes constitutionnelles
La coutume, en tant que source de droit, joue un rôle essentiel pour compléter, interpréter ou même constituer le cadre juridique en l’absence ou en présence d’une constitution écrite. Elle repose sur deux éléments fondamentaux : une pratique répétée et acceptée (usus) et une conviction de sa valeur juridique (opinio juris).
1) En l’absence de constitution écrite
a) Les constitutions intégralement coutumières
Lorsqu’aucun texte écrit ne formalise l’organisation des pouvoirs, la coutume peut constituer la base du fonctionnement politique et institutionnel.
Exemple classique : la Grande-Bretagne
- La constitution britannique repose en grande partie sur des usages constitutionnels développés depuis le XVIIe siècle.
- Ces usages régissent des domaines clés comme le rôle de la Couronne, les responsabilités ministérielles, ou les relations entre les pouvoirs exécutif et législatif.
- Montesquieu, dans sa théorie de la séparation des pouvoirs, s’est inspiré de cette pratique coutumière, bien qu’elle ne reposât pas sur un texte écrit.
b) L’évolution vers des textes écrits
Avec le temps, certains aspects fondamentaux de la constitution britannique ont été codifiés :
- Adoption de lois majeures comme le Human Rights Act (1998) ou les réformes du Labour Party sous Tony Blair.
- Exemple récent : la réforme de la Chambre des Lords (1999), supprimant la majorité des sièges héréditaires.
Ainsi, la constitution britannique, autrefois presque entièrement coutumière, devient un mélange de coutume et de lois écrites.
c) Une rareté mondiale
En dehors du Royaume-Uni, les constitutions intégralement coutumières sont rares. Elles nécessitent une tradition juridique bien ancrée et une stabilité politique suffisante pour compenser l’absence de texte écrit.
2) En présence d’une constitution écrite
a) Compléter les lacunes
Même lorsqu’une constitution écrite est en vigueur, elle peut laisser certains aspects imprécis ou non abordés. La coutume intervient alors pour :
- Compléter les vides laissés par le texte.
- Offrir une interprétation durable face aux ambiguïtés constitutionnelles.
Exemple : Israël
- Israël ne possède pas de constitution complète, mais des lois fondamentales adoptées progressivement depuis 1948.
- Certaines règles coutumières, comme le nombre fixe de 120 membres de la Knesset, relèvent d’une tradition biblique ancienne.
b) Création de coutumes par la pratique
Lorsqu’un texte constitutionnel rencontre des situations imprévues, des solutions pratiques émergent. Avec le temps, ces pratiques se stabilisent et acquièrent une valeur coutumière.
Exemple : France, 1961
- Lors de l’application de l’article 16 de la Constitution de 1958 (conférant des pleins pouvoirs au Président), une question est soulevée : le Parlement, réuni de plein droit, peut-il exercer son pouvoir de censure ?
- La réponse, apportée par le président de l’Assemblée nationale, distingue deux situations :
- En session parlementaire normale, le Parlement conserve toutes ses prérogatives.
- En session exceptionnelle due à l’article 16, la motion de censure n’est pas recevable.
- Cette interprétation a été acceptée et est devenue une coutume constitutionnelle complémentaire.
c) La coutume comme interprétation
La coutume joue également un rôle d’interprétation lorsqu’un texte est ambigu. Cela permet une flexibilité dans l’application des dispositions constitutionnelles tout en maintenant la cohérence institutionnelle.
Conclusion : La coutume est une ressource précieuse pour pallier les lacunes des cadres juridiques, qu’il s’agisse d’un système sans constitution écrite ou d’un texte incomplet. Si son rôle tend à diminuer avec la montée en puissance des lois écrites et des révisions constitutionnelles,
B) La coutume interprète
1) L’évolution de l’interprétation constitutionnelle
Une constitution, conçue pour durer, peut voir ses dispositions appliquées et comprises différemment au fil du temps. Cette évolution interprétative, ou ce qu’on appelle parfois des « conventions de la constitution », repose sur des pratiques qui, en rencontrant l’adhésion générale des acteurs politiques, modifient de facto la manière dont la constitution est lue et appliquée.
- Définition de la « convention de la constitution »
Selon Pierre Avril, une convention constitutionnelle désigne une pratique établie et acceptée, qui précise ou adapte la manière d’appliquer le texte constitutionnel. Elle s’inscrit dans un consensus, permettant au texte d’être lu différemment selon les époques, tout en conservant une apparence de continuité.
2) Exemples historiques de conventions constitutionnelles
Belgique : « le roi signe »
- Contexte initial : La Constitution belge de 1831 confère au roi des pouvoirs importants, dans l’esprit des monarchies constitutionnelles comme la Charte de 1830 en France.
- Évolution : Avec le temps, la montée en puissance du parlement rend le rôle du roi de plus en plus formel. Par exemple, l’expression « le roi signe » devient interprétée comme une obligation de signature.
- Cas pratique en 1990 : Lorsqu’une loi sur l’avortement est votée, le roi Baudouin refuse de la signer pour des raisons personnelles (catholicisme). La solution trouvée est l’abdication temporaire : le gouvernement signe la loi à titre intérimaire, puis le roi reprend ses fonctions. La convention « le roi signe » est ainsi renforcée, imposant une obligation, même si le texte initial laissait entendre une possibilité.
France : la constitution Grévy (1879)
- Origine : Jules Grévy, en 1879, déclare qu’il « n’entrera jamais en lutte contre la volonté nationale », renonçant ainsi à utiliser le droit de dissolution prévu par la Constitution de 1875.
- Conséquences : Cette pratique devient une convention constitutionnelle, limitant le pouvoir présidentiel au profit des chambres parlementaires. Lorsqu’un président (Millerand, 1924) tente de revenir à une application stricte du texte, il est contraint de démissionner.
France : double investiture sous la IVe République
- Contexte : La Constitution prévoyait une seule investiture pour le président du Conseil par l’Assemblée nationale.
- Pratique : Une double investiture s’impose : une première pour le chef du gouvernement seul, et une seconde après la formation complète de l’équipe gouvernementale. Cette pratique sera appliquée jusqu’à la suppression de l’investiture initiale.
France : la démission du Premier ministre sous la Ve République
- Pratique : Bien que non prévue par la Constitution de 1958, il est admis que le Premier ministre démissionne à la demande du Président de la République, en dehors des périodes de cohabitation. Cette convention reflète une lecture présidentialiste de la Ve République, qui coexiste avec une lecture plus parlementariste en cas de cohabitation.
3) Les limites de la coutume en matière constitutionnelle
Peut-elle contredire le texte ?
En principe, la coutume ne peut être contraire à la Constitution. Une pratique qui viole explicitement le texte ne peut être qualifiée de coutume, car cela reviendrait à permettre à une violation de se substituer à la règle constitutionnelle.
Exemple problématique : l’article 11 en lieu et place de l’article 89
- En 1962, Charles de Gaulle décide de réviser la Constitution pour instaurer l’élection du Président au suffrage universel. Plutôt que de suivre l’article 89 (révision par le Parlement), il utilise l’article 11 (référendum). Bien que juridiquement contestable, la pratique est acceptée en raison du vote positif des citoyens.
- En 1969, De Gaulle tente de nouveau cette approche pour réformer le Sénat, mais cette fois, le vote populaire est négatif. Cela montre que l’acceptabilité d’une telle pratique dépend largement du résultat du référendum, créant une incertitude juridique.
Une coutume contraire est-elle légitime ?
Admettre qu’une pratique contraire au texte devienne une coutume reviendrait à accorder à ceux qui la transgressent un pouvoir constituant, ce qui est problématique.
- Exemple hypothétique : Si un président refusait systématiquement de convoquer le Parlement en session extraordinaire (contrairement à l’article 29), cela ne pourrait devenir une coutume car cela violerait directement le texte.
4) La coutume et le pouvoir constituant
En matière de révision constitutionnelle, la coutume a peu de rôle à jouer, car la souveraineté du pouvoir constituant prévaut. Le Conseil constitutionnel s’est déclaré incompétent pour contrôler une révision constitutionnelle (décision du 26 mars 2003), affirmant que le pouvoir constituant échappe à son contrôle.