La contrefaçon de brevet

Les atteintes sanctionnées au droit de brevet : l’action en contrefaçon

Le titulaire d’un brevet est protégé dans l’exercice de son droit, et lorsqu’il est victime d’actes de contrefaçon, les atteintes portées à son droit sont sanctionnées. Néanmoins, il doit supporter certaines atteintes lorsqu’elles sont justifiées.

Dans la mesure où l’examen des conditions de brevetabilité n’est qu’un contrôle a priori, rien ne garantit que le droit sera maintenu. Le titulaire du brevet peut en effet être l’objet d’une action en contrefaçon, ou au contraire être victime d’un acte de contrefaçon.

Le plus souvent, lorsque le titulaire du brevet agit en contrefaçon, le présumé contrefacteur répondra à son action par une action en annulation du brevet. Cela lui permettra de faire valoir que l’action qui est menée contre lui est infondée, faute de titre valable pour l’exercer. Donc ici, on est sur un risque qui est loin d’être neutre, et ce risque est lorsque l’on réagit immédiatement à des actes constatés, c’est d’avoir le retour de manivelle, dans ce sens où le présumé contrefacteur peut décider d’examiner en détail le brevet pour le faire tomber, et il n’y aura donc plus de brevet, plus de monopole d’exploitation, et donc plus de contrefaçon. Il faut donc être bien sûr de soi pour agir en contrefaçon, et c’est là une limite bien regrettable du droit des brevets.

L’acte de contrefaçon n’est pas défini par les textes. Deux auteurs proposaient une définition, considérant que la contrefaçon constitue un «acte d’empiètement sur le monopole du breveté, un acte d’emprise sur la propriété d’un tiers au même titre que peut l’être une construction faite sur le terrain d’autrui».

L’article L. 615-1 du Code de la propriété intellectuelle énonce que «Les atteintes portées au droit du propriétaire du brevet constituent une contrefaçon». C’est ce qui explique que les revendications qui définissent l’étendue du droit jouent ici un rôle essentiel.

  • 1 : Les critères de la contrefaçon

La détection de la contrefaçon passe par une comparaison entre l’objet breveté et l’objet argué de contrefaçon. Outre les hypothèses de reproduction serviles, fidèles (évidemment constitutives de contrefaçon), la doctrine a élaboré des règles permettant de caractériser la contrefaçon.

1ère règle : cette 1ère règle conduit à considérer que la contrefaçon s’apprécie par les ressemblances, et non pas par les différences. Il en résulte que la contrefaçon est établie lorsque les éléments essentiels constitutifs de l’invention se retrouvent dans l’objet présumé contrefaisant, ou encore quand l’objet litigieux – bien que différent de l’objet breveté – ne s’en distingue pas suffisamment. En clair, un acte sera contrefaisant quand bien même le présumé contrefacteur aurait modifié, ajouté, ou supprimé un élément de l’objet breveté. Seule la modification d’un élément essentiel permet d’échapper à la qualification de contrefaçon.

Exemple : un changement de matière, un changement de forme ou de dimension peuvent être pris en considération, mais ne permettront pas d’échapper à la qualification de contrefaçon s’ils n’induisent aucune différence substantielle par rapport à l’objet protégé.

2nde règle :il s’agit là de la théorie des équivalents, théorie qui conduit à qualifier de contrefaçon la reproduction qui consiste à remplacer un élément de l’invention par un autre, alors que cet élément assure la même fonction, en vue d’un résultat de même nature.

Enfin, la jurisprudence a dégagé une règle applicable aux inventions de combinaisons. Elle estime qu’il peut y avoir contrefaçon partielle, notamment dans l’hypothèse d’une exploitation par un tiers d’un élément d’une invention protégée, qui consiste à combiner plusieurs moyens ou plusieurs éléments, même si le breveté n’a pas revendiqué ce moyen considéré individuellement. Selon Mme Boizard,cette solution semble un peu excessive, car elle induit que les tiers ne peuvent pas se fier à la rédaction des revendications et doivent se livrer à une interprétation quelque peu hasardeuse de celle-ci.

  • 2 : L’action en contrefaçon
  1. L’administration de la preuve de la contrefaçon

L’issue d’une action en contrefaçon dépend de la possibilité pour le plaignant de fournir la preuve matérielle de l’acte incriminé.Quel que soit l’objet de l’invention, sa contrefaçon est rarement flagrante, et sa preuve toujours difficile à rapporter. C’est la raison pour laquelle – ici comme en d’autres domaines – le législateur offre, dans certaines circonstances, la possibilité d’opérer un renversement de la charge de la preuve par le biais de présomptions simples.

En vertu de l’article L. 615-5, 1° du Code de la propriété intellectuelle, si le brevet a pour objet un procédé d’obtention d’un produit, le tribunal pourra ordonner au défendeur de prouver que le procédé pour obtenir un produit identique est différent du procédé breveté.

Faute pour le défendeur d’apporter cette preuve, tout produit identique fabriqué sans le consentement du titulaire du brevet sera présumé avoir été obtenu par le procédé breveté dans les deux cas suivants :

  • Le produit obtenu par le procédé breveté est nouveau;
  • La probabilité est grande que le produit identique a été obtenu par le procédé breveté, alors que le titulaire du brevet n’a pas pu, en dépit d’efforts raisonnables, déterminer quel procédé a été en fait utilisé pour obtenir le produit.

Il faut donc comprendre de ce texte qu’un produit nouveau est supposé avoir été fabriqué selon un procédé de contrefaçon (et c’est là la présomption), et la charge de la preuve est renversée sur le défendeur. Donc, quand le procédé est protégé, le droit de la propriété intellectuelle étend la protection au produit qui en découle. Pour donner de la cohérence à la protection, on l’étend au produit. Si le défendeur n’a rien à se reprocher, tout va bien, il a juste à démontrer qu’il n’utilise pas le procédé breveté mais un autre procédé.

Donc, la présomption s’applique finalement dans les hypothèses où, malgré ses efforts, le breveté ne peut pas identifier autre que le sien dans la production du produit. Donc, si au vu des connaissances scientifiques, il apparaît que le produit incriminé ne peut être obtenu qu’à partir du procédé breveté, alors la présomption s’appliquera. Il appartient donc – puisqu’il s’agit d’une présomption simple – au défendeur de démontrer qu’il a obtenu le produit en cause par un procédé différent du procédé protégé par le brevet d’un tiers.

On peut considérer que finalement, c’est une présomption qui ne semble pas si lourde que cela pour le défendeur, puisque s’il est véritablement de bonne foi, il n’aura aucune difficulté à le prouver, ce qui rétablit l’ordre des choses. C’est une présomption qui ne jouera que dans l’hypothèse où le procédé d’obtention est revendiqué dans la demande de brevet.

Ne reste-t-il pas une difficulté, qui découle du fait que l’on demande au défendeur de prouver sa technique, de prouver qu’il n’est pas contrefacteur ?

Il y a un inconvénient, car par le jeu de ces présomptions, on oblige le présumé contrefacteur à dévoiler ses secrets de fabrication. Le législateur tient compte de cette difficulté, de cet inconvénient, en indiquant qu’il conviendra, dans cette situation, de tenir compte des intérêts légitimes du présumé contrefacteur. Cela inclut la protection de ses secrets de fabrication.

  1. Les effets de l’action en contrefaction

L’action en contrefaçon engage tant la responsabilité civile (1) que la responsabilité pénale (2) de son auteur.

  1. La responsabilité civile

En ce qui concerne la responsabilité civile, la loi établit une distinction en fonction de la qualité de l’auteur de la contrefaçon. Ainsi, l’importateur et le fabricant d’un produit contrefaisant engagent leur responsabilité civile indépendamment du point de savoir s’ils ont eu conscience ou non de mal agir. La solution ne semble pas excessive pour le fabricant, parce qu’en pratique, celui qui reproduit un bien protégé par un brevet le fait rarement par hasard. Il en va différemment d’un distributeur qui n’a pas nécessairement connaissance de l’origine frauduleuse du bien qu’il fait circuler. Donc, cette distinction peut se comprendre, car l’on présume que le fabricant savait ce qu’il faisait, à la différence du distributeur qui ne connaît pas forcément l’origine des produits qu’il distribue.

La solution est sans doute plus contestable de l’importateur, qui finalement ne se distingue du distributeur qu’en ce qu’il se situe au-delà des frontières nationales. L’importateur est un distributeur qui passe les frontières, et il est donc, de ce point de vue-là, plus proche du distributeur que du fabricant. Il est vrai que l’on peut trouver une certaine légitimité à cette solution au regard du principe de territorialité de la protection[1][7], mais l’on peut tout de même se demander si, à l’heure de l’espace économique européen et du principe de libre-circulation des marchandises, cette spécificité de l’importateur a encore un sens.

Quels sont les effets de cette responsabilité ?

L’auteur d’un acte de contrefaçon peut être condamné au paiement de dommages-intérêts, et c’est toujours ce que l’on veut lorsqu’on met en œuvre la responsabilité civile. Pendant longtemps, l’indemnisation du préjudice a été déterminée selon le schéma classique de la responsabilité civile, tel qu’il résulte de l’article 1382 du Code civil: «Tout fait quelconque de l’homme qui cause un dommage à autrui, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer». On en déduit que sera réparé le préjudice, tout le préjudice, mais rien que le préjudice. C’est la règle en matière de responsabilité civile.

Le Code de la propriété intellectuelle propose aujourd’hui une grille d’évaluation, s’appuyant sur deux modes distincts d’évaluation du préjudice, qui s’appliquent d’ailleurs quel que soit le droit de propriété industrielle considéré.

D’une part, le Code de la propriété intellectuelle propose un mode d’évaluation classique, consistant à déterminer l’indemnisation en fonction des conséquences économiques négatives provoquées par l’acte de contrefaçon. Il en résulte que la réparation doit être estimée en fonction du gain manqué et de la perte totale subie par le titulaire du droit, du fait de l’impact de la contrefaçon sur le volume des ventes. La réparation doit donc indemniser la perte totale subie par le breveté, autrement dit, le bénéfice qu’il aurait réalisé par la vente des objets protégés en l’absence des objets contrefaisants, généralement offerts à un prix moindre.

Depuis 2007, le juge est également invité à évaluer le préjudice en intégrant les bénéfices réalisés par le contrefacteur, ce qui est une « petite révolution » dans le droit à l’indemnisation. Cela revient à un système de dommages-intérêts confiscatoires ou punitifs que mettent en œuvre, notamment, les juridictions américaines : on confisque les bénéfices réalisés par l’auteur de la contrefaçon, et donc on le punit au-delà des pertes subies par la victime.

Enfin, la partie lésée peut être indemnisée pour le préjudice moral résultant de la contrefaçon. Ici, on serait sur le préjudice moral, l’atteinte morale dont a pu être victime le titulaire du brevet.

En quoi est-ce que la contrefaçon pourrait générer un préjudice moral ?

Ce serait, par exemple, l’atteinte portée à l’image d’une société, du fait de la commercialisation de produits de contrefaçon de mauvaise qualité. L’image et la confiance qu’on peut avoir en une entreprise peut être ternie du fait de la contrefaçon, et cela pose parfois des problèmes de sécurité (sanitaire, corporelle, etc.).

Exemple : il y a une société qui fabrique des systèmes de plaques qui sont posées sur le plafond, et entre les plaques et la construction elle-même, il y a un vide permettant de faire passer les gaines électriques, les grilles de ventilation, etc. Pour faire tenir ces plaques, il existe plusieurs systèmes d’accroche, et une entreprise a posé un brevet pour ce système. Il s’agit d’un câble en acier qui passe à l’intérieur d’une petite pièce, c’est comme un système de poulie, mais avec un auto-blocage. C’est un système qui s’est beaucoup développé car il est très solide et très simple. Il y a donc des entreprises qui ont fait des contrefaçons, ce qui a généré des problèmes, car les produits de contrefaçon n’étaient pas de bonne qualité et des plaques ont entraîné des accidents en se détachant. Cela a donc entaché l’image de la société initiale titulaire du brevet, avec le risque par la suite qu’elle doive fermer.

Comment, concrètement, le juge va-t-il faire ?

Concrètement, l’indemnité de contrefaçon sera évaluée en tenant compte de la valeur patrimoniale du droit considéré, et donc de l’exploitation qui est faite du brevet, de la notoriété qu’elle dégage, etc.

Exemple :Nespresso©.

Le juge tient également compte de l’atteinte portée au droit privatif, comme par exemple le volume de la contrefaçon, ou l’importance de l’exploitation. C’est au demandeur d’apporter des éléments concrets d’appréciation et de fournir une évaluation chiffrée.

D’autre part, les juges peuvent également procéder à une évaluation forfaitaire du préjudice, qui sera au minimum égale au montant des redevances auxquelles le titulaire du droit aurait pu prétendre s’il avait autorisé l’exploitation de son droit par le biais, notamment, d’une licence d’exploitation. Ce serait donc le montant des royalties, qui représentent la somme versée pour une licence l’exploitation.

Dans ce cadre, la loi ne fixe aucun maximum, ce qui signifie que le juge est libre d’aller au-delà, et de prévoir des dommages-intérêts d’un montant supérieur. On entrerait alors sans doute, si le juge procédait de la sorte, un modèle de dommages-intérêts punitifs, et il y a donc encore des changements possibles sur la question de l’évaluation des dommages-intérêts.

Outre les dommages-intérêts, le tribunal peut bien entendu condamner – et c’est ce qu’il fera en tout premier lieu – à cesser ses agissements illicites, éventuellement sous astreinte. Il peut également ordonner la saisie des marchandises de contrefaçon, leur destruction, et il pourra également condamner le contrefacteur a la publication de la décision dans un journal – ou plusieurs journaux – choisi(s) par la victime.

Parallèlement, le titulaire du brevet peut intenter une action en concurrence déloyale, dès lors qu’il apparaît que la reproduction de l’invention est susceptible de créer un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle, confusion qui peut entraîner une perte de la clientèle (ou d’une partie de la clientèle) et une diminution des parts du marché du breveté.

Il faut être extrêmement prudent sur ces actions, car ce sont deux choses différentes. Il y a un débat sur cette question, à savoir si l’on peut agir à la fois sur le fondement de la contrefaçon et sur le fondement de la concurrence déloyale. La logique voudrait que, en cas de violation d’un droit de propriété industrielle, on agisse exclusivement sur le fondement de la contrefaçon. En pratique, les avocats doublent toujours cette action d’une action en concurrence déloyale, et pas seulement à titre subsidiaire, ce qui signifie qu’ils demandent des indemnités sur les deux chefs de préjudice. Le pire, c’est qu’il arrive qu’ils obtiennent satisfaction. C’est ici un gros dysfonctionnement, car lorsque l’on voit l’évaluation du préjudice en matière de contrefaçon, on ne voit pas bien la distinction qu’il y a entre la perte subie sur le fondement de la contrefaçon, et la perte subie sur le fondement de la concurrence déloyale : c’est l’un ou l’autre. Mais il est intéressant de pouvoir se retourner sur la concurrence déloyale, lorsque la demande est faite à titre subsidiaire.

  1. La responsabilité pénale

Le législateur n’a pas toujours considéré que la responsabilité pénale constituait la bonne réponse aux actes de contrefaçon. D’ailleurs, en droit des brevets, la Loi du 6 juillet 1978 sur les brevets avait suspendu toute idée de responsabilité pénale en matière de contrefaçon. Celle-ci a été réintégrée en droit des brevets par la Loi du 26 novembre 1990. En pratique, cette voie est peu choisie par les personnes agissant en contrefaçon de brevet, alors qu’elle l’est davantage en matière de marque. En principe, des sanctions pénales pourront donc être retenues contre l’auteur d’actes de contrefaçon, dès lors qu’il aura sciemment porté atteinte aux droits du titulaire. Il convient alors de rapporter la preuve de l’élément intentionnel de la contrefaçon, c’est-à-dire le fait que le présumé contrefacteur a agi en connaissance de cause.

Comment prouver l’élément intentionnel en la matière ?

On peut imaginer que la contrefaçon émane par exemple de personnes qui sont entrées en négociations avec le titulaire du brevet pour, par exemple, obtenir une licence. Imaginons que les négociations n’ont pas abouti, et donc l’intention de l’interlocuteur était de connaître le maximum d’informations. On peut ainsi imaginer que le but est de créer des contrefaçons, et l’on peut donc soupçonner l’élément intentionnel : le contrefacteur savait que le produit faisait l’objet d’un brevet.

L’heure est à la répression de la contrefaçon, et l’évolution législative marque un très net renforcement de la sanction pénale de la contrefaçon. L’amende est de 300 000€, et la peine de prison est de 3 ans. Sont apparues progressivement des circonstances aggravantes. Ainsi, par exemple, la Loi du 9 mars 2004 a porté les peines à 5 ans d’emprisonnement et 500 000€ d’amende, lorsque le délit a été commis en bande organisée. La Commission Européenne de la contrefaçon parle d’ailleurs, dans son rapport, de «cartel de la contrefaçon».

Il y a également la Loi du 29 octobre 2007 qui prévoit la même sanction aggravée pour les faits qui portent sur des marchandises dangereuses pour la santé et pour la sécurité de l’Homme ou de l’animal. Donc, ici, on fait référence à tout ce qui concerne les produits alimentaires, les produits pharmaceutiques, etc. Il faut ajouter également que la Loi du 14 mars 2011 ajoute quant à elle une nouvelle circonstance aggravante de la responsabilité pénale en ce qui concerne les contrefaçons commises sur les réseaux de communication au public en ligne (500 000€ d’amende et 5 ans d’emprisonnement).En cas de récidive, les peines encourues sont portées au double.

Il s’agit ici de marquer un coup assez fort avec des sanctions assez significatives. C’est dissuasif, et c’est le but d’une sanction pénale, mais le titulaire du brevet préfère généralement se tourner vers la responsabilité civile (d’autant que l’amende ne lui est pas versée), sachant que l’élément intentionnel est toujours dur à prouver en matière de responsabilité pénale.