LA DÉFINITION DE LA CONSTITUTION

Les définitions possibles de la constitution

  1. Au sens formel
    La constitution désigne l’ensemble des règles écrites adoptées selon une procédure juridique supérieure, spécifique et solennelle. Elle se distingue par son mode d’élaboration, souvent complexe, qui lui confère une valeur supérieure aux autres normes juridiques.

  2. Au sens matériel
    La constitution regroupe les règles fondamentales de l’État relatives à l’organisation des pouvoirs, à leur exercice et aux droits des individus. Ici, l’accent est mis sur le contenu de ces règles, qu’elles soient écrites ou non.

Une coexistence parfois partielle des définitions

  • Ces deux définitions coïncident généralement dans les États où le texte constitutionnel est à la fois formel et matériel, comme la Constitution américaine de 1787 ou la Constitution française de 1958.
  • Toutefois, elles peuvent diverger :
    • En Grande-Bretagne, la constitution est avant tout matérielle, reposant sur des coutumes et des textes comme la Magna Carta ou l’Habeas Corpus, sans compilation formelle unique.
    • En Suisse, certains aspects non directement liés à la matière constitutionnelle, comme les dispositions sur l’abattement du bétail, figurent dans la constitution écrite, ce qui reflète une incongruité avec la définition matérielle.

I) Généralité sur l’État de la Constitution

La constitution comme statut de l’État

  • L’État est une personne morale, une entité abstraite distincte des individus qui la composent, exerçant le pouvoir politique à travers des organes.
  • Pour exister, une personne morale a besoin d’un statut juridique, et c’est ce rôle que joue la constitution. Elle organise et légitime les institutions qui exercent les fonctions dévolues à l’État.
  • Par conséquent, tous les États ont une constitution, même dans les monarchies dites absolues, car c’est par ce statut qu’un pouvoir cesse d’être personnel (appartenant à une personne physique) pour devenir institutionnel (relevant d’une personne morale).

Institutionnalisation et limitation du pouvoir

  • La constitution marque le passage d’un pouvoir détenu par une personne physique (le souverain) à un pouvoir confié à des institutions.
  • Ce transfert implique une limitation du pouvoir, désormais encadré par des règles juridiques. La constitution devient donc une garantie contre l’arbitraire, en soumettant l’exercice du pouvoir normatif (édiction des lois) à des procédures spécifiques.

 

II) L’origine philosophique des constitutions

Les théories du contrat social et la révolution

  • La constitution trouve ses racines dans les théories du contrat social (Hobbes, Locke, Rousseau). Elle est perçue comme une formalisation ou un renouvellement de ce contrat, organisant la vie en société et limitant le pouvoir des gouvernants.
  • L’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 illustre ce lien :

    « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution. »

  • Cette vision du constitutionnalisme a émergé au 18e siècle, portée par la volonté de protéger les individus contre l’arbitraire.

La soumission au texte constitutionnel

  • Accepter une constitution revient à limiter volontairement son pouvoir, qu’il s’agisse du peuple souverain ou des gouvernants. Cette autolimitation est essentielle pour garantir une démocratie.
  • Cependant, la constitution ne suffit pas toujours à assurer un fonctionnement démocratique. Elle reste une barrière formelle et peut être contournée si les gouvernants s’émancipent de ses prescriptions.
  • Dans les démocraties modernes, cette soumission à la constitution est devenue une pratique spontanée, renforçant son rôle central dans la préservation des libertés et la séparation des pouvoirs.

III) L’origine historique des constitutions

Le caractère formel de la constitution, qu’elle soit écrite ou coutumière, reflète l’évolution des besoins politiques et juridiques des sociétés. Si les constitutions écrites dominent aujourd’hui, les coutumes restent une source importante pour pallier les lacunes des textes ou préciser leur interprétation.

Les origines : des coutumes aux constitutions écrites

  • Avant le 18e siècle, en Occident, les règles constitutionnelles émergeaient de manière spontanée, à travers la pratique répétée. Ces pratiques s’institutionnalisaient sous forme de coutumes et s’imposaient même au souverain, créant une constitution coutumière.

    • Exemple : les lois fondamentales du royaume de France, qui limitaient certains pouvoirs du monarque, comme l’indisponibilité de la Couronne ou la règle de la primogéniture masculine.
  • Peu à peu, à ces coutumes s’ajoutent des textes écrits, comme en Grande-Bretagne, où des documents tels que la Magna Carta (1215) ont structuré la protection des droits des individus face au pouvoir arbitraire. Ces textes ne constituaient pas encore une constitution au sens moderne, mais posaient des bases importantes.

Les premières constitutions écrites : une innovation

  • Cités grecques (7e-6e siècles avant J.-C.)
    Les premières constitutions écrites ont vu le jour dans les cités grecques, où elles organisaient l’ensemble des règles de gouvernement et des institutions. Ces textes témoignent de la volonté d’encadrer le pouvoir de manière claire et globale.

  • Rome antique
    Bien que Rome n’ait pas eu de constitution au sens moderne, des textes juridiques comme les Lois des Douze Tables (451-449 avant J.-C.) témoignent d’un souci similaire d’organiser les règles fondamentales de la société.

Une longue interruption jusqu’au 18e siècle

Entre l’Antiquité et la fin du 18e siècle, on observe une longue période où la coutume domine dans l’organisation politique des États occidentaux. Cette absence de textes formels correspond à une période où la pratique et la tradition suffisaient à structurer le pouvoir. Les lois fondamentales des royaumes européens, par exemple, étaient essentiellement coutumières.

La modernité : l’émergence des constitutions écrites modernes

  • Fin du 18e siècle : le tournant des constitutions modernes
    Avec l’essor des idées des Lumières et les révolutions américaine et française, la nécessité d’un texte écrit pour organiser le pouvoir devient évidente.

    • États-Unis

      • Constitution de Virginie (1776) : première constitution d’un État moderne, contenant une Déclaration des droits.
      • Constitution fédérale (1787) : premier texte à organiser intégralement les institutions d’un État fédéral.
    • Europe

      • Constitution polonaise du 3 mai 1791 : première constitution écrite en Europe continentale.
      • Constitution française du 3 septembre 1791 : première tentative en France de formaliser l’organisation des pouvoirs et les droits des citoyens.

Une idée qui s’impose au 20e siècle

Au cours du 20e siècle, l’idée selon laquelle chaque État doit se doter d’une constitution écrite se généralise à travers le monde.

  • Raisons principales :
    • Rompre avec le passé : Après des crises politiques ou des révolutions, une constitution écrite permet de marquer une rupture et de poser de nouvelles bases juridiques.
    • Marquer l’indépendance : Pour de nombreux pays décolonisés, une constitution écrite symbolise la souveraineté et l’entrée dans la modernité.

Constitution écrite ou coutumière : un choix formel

Bien que la majorité des États aient aujourd’hui une constitution écrite, certains continuent de fonctionner selon des règles coutumières, souvent combinées à des textes écrits.

  • Exemple : Grande-Bretagne. Sa constitution est principalement coutumière, mais repose aussi sur des lois fondamentales comme le Human Rights Act (1998).

 

III) Le caractère formel de la Constitution

La distinction entre constitution écrite et constitution coutumière n’est pas absolue. En effet :

  • Une constitution écrite peut être complétée ou précisée par des coutumes.
  • Inversement, une constitution coutumière peut être partiellement codifiée par des textes écrits.

Dans la forme moderne, presque tous les États se sont dotés de constitutions écrites, permettant aux citoyens de consulter directement leurs droits et les règles fondamentales qui régissent l’État.

Malgré leur caractère écrit, les constitutions ne peuvent pas tout prévoir. Elles laissent souvent place à des :

  • Lacunes : certains domaines ou situations ne sont pas explicitement réglementés.
  • Obscurités d’interprétation : même les textes les plus clairs peuvent susciter des divergences dans leur compréhension.

C’est dans ces cas que la coutume intervient pour combler les lacunes et offrir une interprétation partagée des dispositions constitutionnelles.

A) La coutume constitutionnelle

Définition

La coutume constitutionnelle regroupe les pratiques et usages qui naissent de l’application répétée du texte constitutionnel et qui acquièrent une force juridique. Elle s’impose progressivement comme une règle contraignante et reconnue.

Conditions de reconnaissance

Pour être reconnue, une coutume constitutionnelle doit remplir deux critères principaux :

  1. Répétition de précédents
    La coutume doit résulter de l’application répétée, sur une période suffisamment longue, d’une même interprétation du texte constitutionnel.

  2. Consensus et opinio juris
    Elle doit être acceptée par les acteurs politiques et l’opinion publique comme ayant une force contraignante équivalente à celle des règles écrites.

Distinction entre coutume et pratique politique

Il est important de différencier :

  • La coutume, qui est une véritable règle de droit non écrite, ayant une force juridique.
  • La pratique politique, qui reste un simple fait, sans valeur juridique contraignante.

B) La place des coutumes dans les États dotés d’une constitution écrite

Coutumes supplétives et interprétatives

La majorité des juristes contemporains reconnaissent l’existence de coutumes supplétives (ou interprétatives), appelées praeter legem (« à côté du droit »).
Elles viennent :

  • Pallier les lacunes du texte constitutionnel.
  • Préciser ou interpréter ses dispositions.

Exemple : Les règles relatives à la démission du Premier ministre en France sous la Cinquième République, qui ne sont pas explicitement prévues par la Constitution, mais sont établies par une coutume.

Coutumes contraires au texte écrit (contra legem)

La question des coutumes contraires au texte écrit divise les juristes.

  • Position majoritaire : Une coutume ne peut pas contredire un texte clair et précis de la constitution (par exemple, la durée du mandat présidentiel). Une telle coutume serait considérée comme une violation de la Constitution, et non une règle juridique.
  • Exception en pratique : Certaines coutumes ont cependant modifié l’équilibre des pouvoirs sans être formellement prévues par le texte, notamment dans les régimes où la pratique politique joue un rôle important.

C) L’impact de la coutume sur l’équilibre constitutionnel

Modification de l’équilibre des pouvoirs

Dans la pratique, la coutume peut influencer l’interprétation ou l’application des textes constitutionnels, parfois jusqu’à en modifier l’équilibre initialement prévu. Cela peut créer un décalage entre la constitution écrite et sa mise en œuvre.

Exemples pratiques

  1. Grande-Bretagne : Constitution essentiellement coutumière, complétée par des lois fondamentales. Les usages, comme la responsabilité collective du Cabinet, ont acquis une force juridique.

  2. France sous la Cinquième République : La relation entre le Président et le Premier ministre en période de cohabitation repose sur des pratiques non écrites mais largement acceptées.

D) Constitution coutumière : une rareté

Dans certains cas, une constitution est essentiellement coutumière.

  • Exemple : Grande-Bretagne. Les règles essentielles du fonctionnement politique résultent d’usages établis au fil des siècles, avec un mélange de coutumes et de textes écrits (comme le Human Rights Act de 1998).

Ces constitutions reposent sur une forte tradition juridique et politique, où la coutume joue un rôle central dans l’établissement des règles fondamentales.

Conclusion : La constitution formelle est enrichie par des éléments coutumiers, qu’il s’agisse de compléter les lacunes, d’interpréter le texte ou de préciser les pratiques institutionnelles. Toutefois, ces coutumes doivent rester compatibles avec les dispositions écrites pour éviter de devenir des « monstres juridiques ». Ce subtil équilibre entre écrit et non écrit est une caractéristique clé des régimes constitutionnels modernes.

 

 

 Le Cours complet de droit constitutionnel est divisé en plusieurs fiches :

Isa Germain

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