Souveraineté et autorité royale : définition, formation…

La définition moderne de la souveraineté

C’est au XVIe siècle que la notion de souveraineté reçoit une véritable consécration théorique en partie pour répondre aux attaques de publicistes très hostiles à la toute puissance du roi, les monarchomaques. Les légistes royaux vont au XVIe avoir pour mission de placer le roi au dessus des querelles religieuses et vont de ce fait être obligées de repenser les fondements de l’autorité royale.



A. La formation de la souveraineté moderne

Contre les monarchomaques des catholiques et des protestants modérés, défenseurs de l’autorité royale, vont participer à la formation moderne du concept de souveraineté. Parmi ces hommes on trouve le théoricien de la souveraineté moderne, Jean Bodin.

1. Jean Bodin et le contexte historique

Il va avoir de l’influence en matière politique. Il sera élu aux états généraux en 1576. L’œuvre principale de Jean Bodin Les six livres de la république a pour but d’apporter une justification doctrinale à la souveraineté du roi pour essayer d’affirmer cette souveraineté dans un contexte de conflits religieux extrêmement tendu. Entre la mort d’Henri II en 1559 et la signature de l’Edit de Nantes en 1598, la France connaît une des périodes les plus dure et dramatique de son histoire : opposition violente entre catholiques et protestants. Cette guerre est d’autant plus grave qu’on assiste à une succession de minorités royales : il n’y a pas un pouvoir royal fort incarné par un roi dont la légitimité est assurée.
Catherine de Médicis va jouer sur ces conflits pour tenter d’affermir la royauté mais elle va en fait se contenter de renforcer les deux factions catholique et protestante. > Massacre de la St Barthélémy en 1562
C’est dans ce contexte extrêmement troublé que Jean Bodin va tenter de raffermir la royauté en apportant sa connaissance extrêmement étendue des événements du passé. Originalité : approche historique qui permet à Jean Bodin de définir la souveraineté comme étant le principe fondateur de la république puis de préciser la nature publique et surtout absolue et perpétuelle de la souveraineté.

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2. Les caractéristiques de la souveraineté moderne

Jean Bodin commence par affirmer que la souveraineté est le fondement de l’Etat.

a) La souveraineté, fondement de l’Etat

« Res publica » : la chose publique, l’Etat. Cette définition donnée par Jean Bodin va connaître un très grand succès. La république est selon lui le droit gouvernement de plusieurs ménages et de ce qui leur est commun avec puissance souveraine. Il apparaît que la puissance souveraine est la garante de la communauté politique et la souveraineté est le lien qui cimente les familles entre elles pour former la république. C’est même la souveraineté qui caractérise la république selon Jean Bodin.
Un autre juriste, Charles Loyseau (1566-1627) sous le règne de Henri IV va aller un peu plus loin que Jean Bodin en comparant différentes formes de supériorité : la sieurerie (droit que chacun a sur sa chose – droit privé) et la seigneurie (« droit intellectuel et autorité que l’on a sur les personnes libres et sur les choses possédées par autrui – droit public – elle peut prendre deux formes : la suzeraineté qui appartient au seigneur particulier ou la souveraineté qui est le propre de l’Etat). Selon Loyseau, la souveraineté est la forme qui donne l’être à l’Etat.
L’Etat souverain est inaltérable, il ne peut pas disparaître.

b) La souveraineté, puissance de commandement perpétuelle, absolue et indivisible

Définition de Jean Bodin.
La souveraineté est une puissance de commandement. Jean Bodin explique que contrairement à la puissance du mari sur sa famille ou du seigneur sur son entourage, la souveraineté est une puissance de commandement public, c’est la puissance de la chose publique. En cela, la souveraineté est supérieure à toute autre puissance et elle s’impose à tous.
La souveraineté est une puissance perpétuelle. Celui dont la puissance est temporaire ne peut en aucun cas être souverain. Cela confirme la distinction entre corps mystique et physique du roi. Il ne peut pas y avoir de rupture dans la continuité de l’Etat (instantanéité de la couronne), il faut donc envisager que c’est le corps mystique du roi qui détient la souveraineté.
Les régences illustrent bien ce principe. Louis XV âgé de 5 ans doit prononcer devant le Parlement un discours dans lequel il organise sa propre régence. Le roi est donc considéré comme toujours majeur ce qui enlève toute valeur juridique à la régence. Le roi conserve malgré sa minorité, du fait de sa personne mystique, la plénitude de l’autorité c’est à dire la souveraineté.
Le roi mineur est souverain alors même qu’il ne gouverne pas. Le régent lui n’est pas souverain alors même qu’il gouverne.
Autre illustration : les actes passés par un roi engagent ses successeurs au moment où ils montent sur le trône. Le nouveau roi peut modifier ou abroger ces actes durant son règne.
Bodin s’est inspiré des théories monarchistes concernant la couronne mais en les modifiant.
La souveraineté est une puissance absolue. C’est une puissance qui exclut naturellement toute limitation provenant d’une puissance supérieure ou extérieure quelle qu’elle soit. Le souverain est donc indépendant de toute autorité extérieure, il n’est soumis à aucune puissance. Dans la théorie de Bodin le souverain peut profiter des conseils de son entourage mais sa souveraineté reste absolue en ce sens que la décision finale revient au roi seul alors même qu’une mesure a été élaborée à plusieurs. Durant son règne, le roi peut abroger ou modifier une loi. Cette faculté peut laisser penser que le roi peut agir selon son caprice ; ce n’est pas le cas. Le souverain est tenu par la nécessité de gouverner droitement, c’est à dire conformément aux prescriptions divines et aux lois naturelles. Pour Bodin, lorsque le roi exerce un gouvernement juste, la volonté même du roi suffit à la perfection de la loi. Une illustration de cette idée figure dans la formule « tel est notre plaisir » présente à la fin des actes royaux. C’est la manifestation d’une puissance absolue.
Le roi ne peut en aucun cas s’engager dans un contrat, une relation synallagmatique. La volonté du roi souverain ne peut s’exprimer que dans des actes de commandement unilatéraux.
Il existe une limite au caractère absolu de la souveraineté royale, c’est l’impossibilité pour le roi d’abdiquer cette souveraineté.
La souveraineté est une puissance indivisible. Corollaire du caractère absolu. Le roi ne pouvant être empêché par aucune instance la décision revient au roi seul. La souveraineté est donc indivisible. Le souverain rend seul la décision qui fera autorité.

A la fin du XVIe un certain nombre d’organes comme le Parlement pensent pouvoir limiter la puissance royale de manière valide et une partie de la doctrine de l’époque affirmait le rôle du Parlement ou des Etats comme étant un rôle de limitation de l’absolutisme royal. En fait cette doctrine était relativement fidèle à la réalité car le roi demandait très souvent le consentement d’un certain nombre d’assemblées. Le consentement de ces assemblées avait une valeur importante aux yeux du roi.
Claude de Seyssel écrit en 1519 que la religion, la justice et la police constituent autant de freins à la puissance royale. Il explique que dans ces domaines un certain nombre d’individus empêchent le roi de modifier une loi sans le conseil du Parlement.
Il faut ajouter que le roi peut opposer au Parlement sa puissance absolue au moyen de quelques procédés comme l’évocation qui est la possibilité pour le roi d’appeler à lui n’importe quel litige pour que celui ci soit réglé devant lui ou ses délégués, ou encore les lettres de jussion qui imposent au Parlement l’enregistrement des lois alors même que le Parlement s’y était opposé.
En dernier ressort la souveraineté royale transparait grâce à ces procédés qui lui permettent d’avoir en quelque sorte le dernier mot.
La royauté ne partage pas sa souveraineté avec le Parlement.
Bernard du Haillan (1576) estime lui que les états généraux jouent un rôle fondamental en matière législative car leur consentement confère à la loi une autorité plus grande.
Pour ces deux auteurs, c’est le roi qui décide in fine, en dernier ressort. Cela sauve le caractère indivisible de la souveraineté royale. Cependant, ces auteurs ouvrent la porte à une sorte de contrôle d’autres organismes notamment dans l’élaboration de la loi.
Cette caractéristique de la souveraineté qu’est l’indivisibilité va pousser les juristes à opérer une très grande mutation dans la conception philosophique de la loi. Contrairement à l’époque médiévale, désormais la loi se définit comme résultant du commandement du roi puissance souveraine. La collaboration à l’époque moderne est perçue de manière négative. Les organes qui pourraient intervenir dans le processus législatif sont perçus comme des contre pouvoirs.
Affirmation de la part des parlements de leur droit de remontrances au XVIIe. Ils ne remettent pas en cause l’idée de souveraineté royale mais essaient de revenir à l’idée selon laquelle une loi n’est pas bonne si elle n’est pas conforme à la justice, l’équité, le bien commun. Dans cette perception de la loi, l’activité des parlements est extrêmement importante ; ils se donnent pour mission de contrôler la conformité de la loi au bien commun.

3. Les différentes formes de l’Etat et du gouvernement

Il convient de déterminer qui est le détenteur de cette souveraineté. Elle revient à une personne publique habilitée à agir au nom de l’État.
La puissance souveraine peut être attribuée au peuple (démocratie) ou à une partie du peuple (oligarchie), ou encore à un seul individu (monarchie).
La grande originalité de Bodin est de dire que la forme de l’Etat n’implique pas la forme du gouvernement. Le gouvernement peut très bien être confié à un individu, plusieurs, ou à tous. Dans la France de l’Ancien Régime, la souveraineté et le gouvernement se confondent dans la personne même du roi. Au XVIe les juristes débattent sur les différentes formes d’Etats et mettent en avant les avantages des formes mixtes de l’Etat regroupant à la fois des éléments monarchiques, oligarchiques et démocratiques. Bodin va faire voler en éclat cette conception mixte de la forme de l’État au nom de l’indivisibilité de la souveraineté. Pour lui il doit toujours y avoir un souverain unique capable de statuer en dernier ressort. Selon Jean Bodin la souveraineté se trouve uniquement dans la capacité de faire la loi. Il réduit à néant les démonstrations de ceux qui optent pour un régime mixte. Si le peuple est habilité à qualifier le roi de tyran, c’est que le pouvoir souverain appartient au peuple.



B. L’évolution du concept de souveraineté

Loyseau en 1608 : « La couronne ne peut être si son cercle n’est point entier, aussi la souveraineté n’est rien si quelque chose y défaut. »
Le XVII voit l’essor des sciences qui sont présentées comme indiscutables et finalement elles vont aider à fonder la souveraineté. Désormais la souveraineté est ou n’est pas, existe ou n’existe pas, et un Etat sans souveraineté serait un Etat mort ou du moins en très grand péril. Cardin le Bret affirme que la souveraineté est par nature « non plus divisible que le point en géométrie ».
Les auteurs sont influencés par les sciences et d’une manière générale ils rejettent l’irrationnel, l’historique comme appartenant à un passé. La nouvelle doctrine juridique qui s’affirme au XVIIe va discréditer profondément les anciens fondements de la monarchie et de la dynastie royale. Elle met à mal le caractère irrationnel de l’attachement du peuple au roi. Les symboles de la royauté et les théories sacrales sont désormais dévoilés et perdent une partie de leur sacralité et sont présentés comme totalement dépassés par les juristes et politistes du XVIIe.
Désormais les méthodes scientifiques sont utilisées par les théoriciens du droit. Bossuet utilise la Bible pour bâtir sa théorie politique en présentant les textes des testaments comme autant d’éléments rationnels. Il conclut ses démonstrations en affirmant que Dieu prend en sa protection tous les gouvernements en quelque forme qu’ils soient établis. D’autres formes d’Etats que la monarchie sont envisageables mais la monarchie reste le meilleur des régimes pour Bossuet.
Le rationalisme du XVIIe est encore extrêmement ancré dans le métaphysique et à la fin du XVIIIe c’est la raison qui finira par être divinisée.



C. Les conséquences de la souveraineté : le roi législateur


Le rôle de législateur du roi a mis beaucoup plus de temps que celui de justicier à s’affirmer.
Jusqu’au milieu du XIII le roi ne légifère que très rarement. Ce n’est qu’à la fin du XIIIe que Beaumanoir fait du pouvoir législatif un attribut de la souveraineté. Au début du XIVe sous le règne de Philippe le Bel apparaît la véritable puissance législative du roi : par son autorité le roi préside aux lois et aux coutumes, et la législation royale s’intéresse à l’ordre public.
Les théories de Bodin sur la souveraineté apportent une nouvelle dimension à la prérogative législative du roi. Dans Les six livres de la république il fait la somme des prérogatives royales qu’il nomme marques de la souveraineté. Il va substituer à la multitude des droits régaliens la souveraineté et ses marques. Dans l’esprit de Bodin les marques sont les prérogatives qui incombent au roi du fait de sa souveraineté.
Bodin va dégager l’une d’entre elles et la désigne sous l’appellation « la puissance de donner et de casser la loi ». Cette puissance apparaît comme l’expression naturelle de la puissance souveraine et elle permet de distinguer la puissance souveraine des autres puissances à tel point que pour Bodin toutes les autres marques de souveraineté découlent toutes de cette puissance de donner et de casser la loi.
Désormais c’est le détenteur de la puissance législative qui est également le souverain et c’est le cas jusqu’au milieu du XXe.
Le roi exerce le pouvoir de légiférer sans partage. Aucun individu ou organe ne donne son accord ou son consentement à la loi.
Le roi souverain est donc seul dans l’élaboration de la loi, il est legibus solutus.