La délégation imparfaite ou délégation simple

La délégation imparfaite ou délégation simple

 La délégation est dite imparfaite lorsque le délégataire ne déclare pas expressément décharger le délégant, celui-ci reste tenu de la dette. Il y a alors non pas substitution, mais adjonction d’un débiteur à un autre : le créancier peut alors poursuivre à son choix le délégué ou le délégant. C’est le cas le plus courant.

§1.Les conditions

La délégation imparfaite nécessité une convention, un accord des parties, voire tripartite : le délégué, délégant, délégataire, doivent consentir à la délégation.

1) Une convention

La délégation est soumise au droit commun des contrats (consentement non vicié, objet, cause…).

Les spécificités de la délégation.

S’agissant du délégant, il prend l’initiative de la délégation. Il demande au délégué de payer le délégataire. Donc il consent, puisqu’il l’initie.

  • Le délégué : il prend un engagement nouveau donc consent.
  • Le délégataire : il accepte un nouveau débiteur donc doit consentir.

C’était du point de vue du negotium. Du point de vue de l’instrumentum, ça peut se fiare en un ou deux temps. D’abord le délégant et le délégué, puis le délégué et le délégataire. Mais c’est purement formel ça change rien quant à la substance.

Ce consentement : pour le délégant et pour le délégué, ces deux intervenants ont expressément donné leur consentement à l’obligation. S’agissant du délégataire, et de la délégation imparfaite, alors un consentement tacite est suffisant.

C’est donc une opération qui ne présente que des avantages. Comme les deux créances subsistent, pour le délégataire, cela présente tous les avantages. On considère, s’agissant du délégataire, qu’un simple accord tacite suffit.

Com. 7 déc. 2004, Defrénois 2005, p627, note M. Sabban. C’était un bailleur, propriétaire de bien immobilier, et il résilie le contrat de location. Ce faisant, il cause un préjudice à son locataire car il avait résilié le contrat de bail, pour des raisons illégitimes. Sur ce fondement le bailleur est condamné à payer une provision à valoir sur les DI qui seront dus au locataire.


A la suite de cela le bailleur vend l’immeuble à un acquéreur. L’acquéreur s’engage à supporter l’indemnité due au locataire. A la suite de cette vente survient la faillite à la fois du locataire initial et du bailleur initial. Lorsqu’une société est mise en liquidation judiciaire, on met à sa tête un liquidateur qui va administrer la société et va être chargé de payer les dettes et récupérer les créances.

Il demande à l’acquéreur l’indemnité qui avait été promise. Cet acquéreur s’oppose au paiement en invoquant l’extinction de la créance d’indemnité du fait du défaut de déclaration par le locataire au passif du redressement judiciaire du bailleur initial.

Le bailleur initial rompt le contrat pour de mauvaises raisons, donc préjudice au locataire, donc cela veut dire que le locataire est devenu son créancier. Le locataire vend le bien à un acquéreur. Dans le cadre de cette vente, l’acquéreur accepte de reprendre la dette du bailleur. Cela crée donc une délégation.

  • Le délégant : le bailleur
  • Le délégataire :l’ancien locataire
  • Le délégué : l’acquéreur

Le délégué s’engage vis-à-vis du délégataire.

Cependant le bailleur et le locataire sont mis en liquidation judiciaire.

Quand on a une créance sur une société en liquidation judiciaire : il y a un délai pour déclarer la créance, sinon la créance disparait. Or le locataire n’ont pas fait de déclaration dans le cadre de la liquidation du bailleur. Donc la créance disparait.

Donc le locataire (son liquidateur) dit que certes la créance vis-à-vis du bailleur a disparu, mais la créance nouvelle issue de la délégation existe toujours. Sauf qu’ici (argument de l’acquéreur) il n’y a pas eu délégation car le locataire (délégataire) n’a pas donné consentement à la délégation car elle est issue du contrat de vente.

La reprise de l’indemnité figure dans le contrat de vente conclu entre le bailleur et l’acquéreur, et qu’à ce contrat de vente le locataire n’est pas partie.

La CA et la Cour de cassation n’ont pas retenu cet argument. La CA a considéré que le consentement à l’opération de délégation est intervenu en dedans : d’abord il y a eu accord entre délégant et délégué. Ensuite il y a eu accord du délégataire (le locataire initial), cette manifestation de l’accord est intervenue lorsque le locataire délégataire a assigné en paiement le délégué.

C’était l’illustration du fait que l’accord de volonté qui doit être révélé par chacun des trois acteurs peut se manifester d’abord par à-coup, par plusieurs étapes, et l’accord du délégataire peut être lointaine dans la chaîne, c’est ce que dit cet arrêt de 2004.

2) L’objet de la délégation

L’objet de la délégation est relativement simple à circonscrire, il s’agit de l’obligation du délégué. Mais cette obligation du délégué peut être de deux natures selon que la délégation est dite certaine ou incertaine. Cela signifie que dans tous les cas, l’objet de la délégation est une obligation nouvelle, toutefois cette obligation nouvelle peut se référer à l’obligation ancienne qui existait entre le délégataire et le délégant. Lorsque la délégation est certaine, c’est lorsque l’obligation nouvelle ne fait aucune mention au rapport fondamental qui existait entre délégataire et délégant.

Lorsque la délégation est incertaine, l’objet de l’obligation du délégué reste une créance nouvelle, simplement cette obligation nouvelle dans l’accord des parties fait référence au rapport fondamental entre délégataire et délégant. A ce moment là l’obligation du délégué emprunte tous les caractères de l’obligation fondamentale à laquelle elle se réfère.

Elle peut se référer à la créance d’origine qui existait d’abord.

C’est l’hypothèse où l’obligation nouvelle créée par la délégation ne fait aucune mention au rapport fondamental qui existait entre le délégataire et le délégué. Finalement la délégation porte sur le paiement d’une somme d’argent sans qu’on se rapporte sur le rapport entre délégué et délégataire. Dans ce sens elle n’a pas de lien avec le rapport fondamental, elle en est détachée.

Si la délégation est dite incertaine, alors l’objet de l’obligation du délégué, reste une créance nouvelle, mais cette obligation nouvelle fait référence au rapport fondamental.

Autrement dit la créance, que bénéficie le délégataire, à l’encontre du délégataire.

Il y a cette référence à ce rapport fondamental. A ce moment l’obligation du délégué reste nouvelle mais emprunte tous les caractères de l’obligation fondamentale à laquelle elle se réfère.

3) La cause de l’obligation du délégué

Si illicite ou inexistante : cela pourra entrainer la nullité de la délégation. Il y a eu un débat en doctrine et en jurisprudence sur la cause de l’obligation du délégué. Aujourd’hui on peut dire que ce débat est atteint : la cause de l’obligation du délégué se situe, est logée dans les relations du délégué avec le délégant. S’il y a une créance fondamentale entre délégué et délégant, alors la cause se situe dans la créance. Si cette créance s’avère nulle, la délégation est privée de cause, alors elle tombe.

S’il n’y a pas de rapport fondamental entre délégant et délégué, cela signifie que le délégué a voulu faire une libéralité indirecte au délégant.

S’il n’y a pas eu d’intention libérale alors cela veut dire qu’il n’y a pas eu de cause à la délégation donc elle est nulle.

Par ailleurs la délégation est opposable aux tiers de plein droit.

§2. Les effets

Il faut prendre en considération les trois types de relation qui en naissent. Ces trois types de rapport.

A) Les effets dans les rapports délégués-délégataires

S’agissant de ces rapports, les effets de la délégation s’expliquent par l’absence d’effet translatif. Ce n’est pas la créance qui existait dans le rapport fondamental qui est transmise mais une nouvelle créance qui est créée.

Deux conséquences :

1er effet : le principal effet est celui de l’inopposabilité des exceptions.

La nouveauté de l’engagement du délégué vis-à-vis du délégataire a pour effet que le délégué (débiteur de cet engagement) ne peut opposer au délégataire (créancier du nouvel engagement) des exceptions issues d’un quelconque rapport fondamental.

En revanche, rien ne lui interdit une fois que le délégué a payé le délégataire, à ce qu’il exerce d’éventuels recours contre le délégant sur le fondement du rapport de droit fondamental et exerce une action contre le délégant. Ce principe d’inopposabilité des exceptions souffre de dérogation.

La 1ère dérogation correspond à l’hypothèse où le délégataire est de mauvaise foi. Le délégataire a accepté l’engagement du délégué à son égard tout en ayant connaissance de la fraude du délégant vis-à-vis du délégué ou même plus largement du vice éventuel qui affectait le rapport fondamental entre délégant et délégué. Lorsque tel est le cas, le délégué alors peut opposer les exceptions tirées de l’un des rapports fondamentaux è Com. 22 avril 1997, JCP 1998, 2ème partie, 10050, note M. Laquière.

La 2ème dérogation est plus contestée, elle repose sur une jurisprudence ancienne, arrêt rendu par la Ch. comm. du 17 mars 1992, D. 1992, P481, note Aynès. Dans cette décision de la Cour de cassation, elle admet une 2nde exception à l’inopposabilité des exceptions, si il s’agit d’une :

délégation incertaine

et que c’est une exception de prescription

La Cour de cassation admet que le délégué puisse opposer à la demande en paiement du délégataire une exception de prescription tirée du lien de droit préexistant entre le délégant et le délégataire. Autrement dit, dans le rapport de droit fondamental délégant délégataire, il y avait une prescription. Elle a accepté que la prescription puisse s’étendre à l’obligation nouvelle du délégué.

Cette décision a été assez fortement critiquée, notamment par M. Aubert, alors que M. Aynès la saluait. En tout état de cause, elle n’a pas été reprise par une autre formation de la Cour de cassation. Elle n’a pas été entérinée par la 1ère chambre civile, puisque dans un arrêt notamment du Civ. 1ère 7 déc. 2004, répertoire Defrénois 2005 p627, arrêt entre le bailleur et l’acquéreur. Dans cet arrêt la Cour de cassation a semblé dire qu’aucune exception ne pouvait être invoquée par le délégué vis-à-vis du délégataire, tirée du rapport fondamental entre délégant et délégataire. Dans cette décision, il s’agissait aussi d’une délégation incertaine, car c’est la clause qui figure dans le contrat de vente.

Il y a sur cette question une incertitude. La décision de 1992 n’a jamais été remise en cause cependant de manière frontale.

Il y a une seconde exception, qui est que toutes les garanties ou sûretés qui ont eu pour effet de garantir la créance existante entre le délégataire et le délégant, ne sont pas reconduites, n’ont pas d’effet à l’égard de la créance nouvelle issue de la délégation, qui unit le délégué au délégataire.

B) Les effets dans les rapports délégants délégataires

La question de ces effets n’a d’importance que dans l’hypothèse où il existe un rapport préexistant entre délégant et délégataire. Il faut un rapport de droit entre eux avant la délégation. Lorsque la délégation est imparfaite, cette opération de délégation est dépourvue d’effet sur ce lien de droit préexistant entre délégant et délégataire, notamment ce lien de droit subsiste, n’est pas éteint du fait de la délégation.

Du coup notre délégataire se retrouve avec deux débiteurs : son débiteur d’origine et un nouveau débiteur contre lequel il dispose d’une nouvelle créance, à savoir le délégué. Finalement, pas d’effet véritable de la délégation.

C) Les effets dans les rapports délégants délégués

Là encore, la question d’importante que s’il y avait un rapport préexistant entre délégant et délégué. Si ce rapport préexistant existait (si avant la délégation le délégué était le débiteur du délégant), la délégation n’a aucun effet sur ce lien de droit qui subsiste.

Là aussi c’est qu’il n’y a pas d’effet. La création de la délégation n’emporte aucune conséquence sur ce lien de droit qui subsiste.