La discussion des preuves et la loyauté des preuves

Le droit de présenter ses preuves, une condition du procès équitable

Le droit à un procès équitable comprend également le droit d’exposer ses preuves. En vérité le droit d’exposer ses preuves implique dans n’importe quel procès que chaque partie puisse discuter librement les preuves qui lui sont opposées par l’adversaire, mais le droit de présenter ses preuves suppose également que seules les preuves obtenues loyalement puissent être présentées au juge.

  • .1 : La discussion des preuves :

Dans un procès toute partie doit pouvoir discuter les preuves rapporter par l’adversaire donc en apprécier la valeur dans un débat contradictoire. Il en résulte principalement deux conséquences: chaque partie doit pouvoir apporter des preuves contraires (preuves qui contredisent celles invoquées par l’adversaire), à cet égard il n’est donc pas certain que le fait que le droit national pose des présomptions irréfragables soit parfaitement compatible avec le droit processuel à un procès équitable. Exemple de présomptions irréfragables: article 1351 du code civil: la présomption d’autorité de la chose jugée. Deuxième conséquence: chaque partie doit pouvoir interroger les témoins, la CEDH dit la chose suivante VATURI contre France 13 avril 2006: « Dans un procès équitable le droit de présenter ses preuves suppose qu’à tout moment tous les témoins puissent être interrogés par chacune des parties » Solution confirmée en 2009 et en 2010. Ce droit n’est cependant pas absolu, deux limites: d’une part ce droit de la partie d’interroger les témoins ne supposent pas obligatoirement que ça soit la partie elle-même qui puisse interroger le témoin. La CEDH dit que ce droit est respecté lorsque la partie sans pouvoir interroger elle-même le témoin a cependant pu faire interroger le témoin par une tierce personne qu’elle aura désignée. Article 312 du code de procédure pénale: concerne le procès d’assise: devant la cour d’assise en France l’accusé et la partie civile ne sont en droit d’interroger les témoins que par l’intermédiaire du président de la Cour d’Assise. En revanche le ministère public ainsi que les avocats des parties peuvent quant à eux poser directement des questions aux témoins (toujours article 372). Dans l’arrêt Vatari c’était cette disposition qui était en cause: conforme. Deuxième limite à ce droit de discuter les preuves: la CEDH estime également qu’il incombe au juge national de décider de la nécessité et de l’opportunité de faire interroger un témoin, ce qui veut dire que le droit d’interroger un témoin peut être refusé par le juge national lorsqu’il considère que l’interrogatoire n’est pas opportun ou n’est pas nécessaire. Le refus pour qu’il soit conforme aux exigences processuelle doit être motivé par un intérêt légitime, notion interprétée très restrictivement par la CEDH.

Exemple qui au sens de la cour peut justifier le refus opposé par un juge à une partie:

  • impossibilité d’interroger le témoin.
  • volonté de préserver les intérêts du témoin mineur.
  • Témoignage déjà confirmé par d’autres preuves.

Question: Qu’en est-il des témoins anonymes?

Le droit français en matière pénale accepte le témoignage anonyme selon l’article 706-58 du code de procédure pénale : le juge d’instruction peut anonymiser un témoignage lorsque le témoin risque des représailles de la part de ceux qu’il met en cause concrètement cette anonymisation sera indiquer par l’anonymat du témoin. La CEDH a estimé que l’utilisation du témoignage anonyme n’était pas nécessairement contraire au droit à un procès équitable dès lors que certaines conditions sont réunies:

  • un tel témoignage ne doit jamais constituer la preuve principale et déterminante fondant la culpabilité. Les témoignages anonymes ne peuvent être prises en compte que comme des éléments de preuve subsidiaires ou accessoires.
  • La défense doit être autorisée à discuter ce témoignage (arrêt DELTA contre France 19 décembre 1990)
  • il est indispensable que l’interrogatoire du témoin anonyme soit réalisé par un juge et non pas par un agent public tel un policier… De même précise la Cour lorsque la défense souhaite interroger ce témoin seul un juge peut être l’intermédiaire et jamais un agent public.

Conditions parfaitement réunies en droit français dans la législation pénale:

  • culpabilité ne peut jamais être fondée principalement sur un témoignage anonyme
  • peut être discuté
  • seul un juge peut être l’intermédiaire
  • .2 : La loyauté des preuves :

Seules des preuves loyales doivent pouvoir être produites en justice. A contrario toute preuve obtenue de façon déloyale doit être écarté des débats au nom du droit à un procès équitable. CEDH arrêt de principe PARVERA contre Espagne 6 décembre 1988: confirmé plusieurs fois par la suite. Question: Qu’est ce qu’une preuve loyale? Preuve obtenue par loyauté qui est un principe d’essence philosophique et moral. On dira souvent que la loyauté correspond à la droiture d’une personne, ou encore de la probité d’une personne, ou encore de l’honnêteté d’une personne. Poser l’exigence de loyauté dans le procès signifie que la recherche de la preuve résulte de parties qui sont irréprochables dans leur comportement: comportement doit être intègre lorsque la partie collecte les éléments qui seront utilisés comme éléments de preuve. A cet égard n’est pas une preuve loyale:

  • la preuve qui a été constituée par la partie qui l’invoque.
  • La preuve qui a été obtenue par violence, fraude ou ruse.
  • La preuve qui a été obtenue de manière illégale.
  1. La preuve qui a été constituée par la partie qui l’invoque :

Preuve fabriquée par la partie qui l’invoque. Cette preuve doit être écartée des débats car par essence elle est déloyale. Cette règle se trouve par l’adage suivant: « Nul ne peut se constituer une preuve à soi-même. ». Cour de Cassation considère qu’il s’agit d’un principe général du droit.

  1. La preuve qui a été constituée par violence, fraude ou ruse :

CEDH à de très nombreuses reprises à estimer que telle preuve était déloyale: c’est principalement au sujet des preuves obtenues à la suite de provocation policière que cette règle a été posée. La Cour a décidé que l’utilisation d’élément de preuve recueillie à la suite de provocations policières était contraire à l’article 6 paragraphe 1er plus précisément au droit à un procès équitable, dans un arrêt de principe rendu par la Grande Chambre : arrêt RAMANAUSKAS contre Lituanie rendu le 5 février 2008. Dans cet arrêt elle a déclaré que les preuves obtenues par les policiers par des stratagèmes destinés à provoquer la commission d’infraction, ces preuves là doivent être déclarées déloyales et ne peuvent jamais être prises en compte par le juge. Dans cet arrêt la Cour opère en vérité une distinction qui s’avère assez subtile entre les provocations policières et les infiltrations policières, elle considère que les provocations sont contraires au droit à un procès équitable à l’inverse des infiltrations policières qui sont admise car ces preuves n’ont pas été obtenues par fraude, violence ou ruse. Différence entre provocation ou infiltration?

  •  En cas de provocations policières: les agents ne se limitent pas à surveiller d’une manière purement passive l’activité délictuelle mais exercent sur la personne qui en fait l’objet une influence de nature à l’inciter à commettre l’infraction qu’autrement elle n’aurait jamais commise.
  • En cas d’infiltrations policières: les agents infiltrés se contentent de surveiller d’une manière passive l’activité délictuelle sans jamais exercer sur la personne la moindre influence

Le droit pénal français est conforme: puisqu’à intervalles réguliers la Cour de Cassation rappelle elle aussi que la provocation à la commission d’une infraction par un agent d’autorité publique porte atteinte au droit de loyauté des preuves. Ex: chambre criminelle Cour de Cassation 11 mai 2006 ou encore Chambre criminelle 7 février 2007. La Cour de Cassation condamne les seules provocations policières, à l’inverse comme la CEDH elle avalise pratiquement toujours les preuves obtenues à la suite d’une simple infiltration policière. Ex de preuves d’une infiltration policière: arrêt rendu le 22 avril 1992 : chambre criminelle n’a pas considéré que le fait pour des policiers de se cacher dans un placard pour constater des faits de corruption s’analysaient dans une simple infiltration dans la mesure où ils observaient de manière passive. Chambre criminelle 11 juin 2002: valide la pratique du « testing » qui consiste pour des policiers à se présenter à l’entrée notamment d’une discothèque, ou encore à postuler à un emploi, ou solliciter un logement pour vérifier si la sélection n’est pas discriminatoire.

  1. La preuve qui a été obtenue de façon illégale

Preuve obtenue en violation des normes en vigueur. A partir du moment ou une norme a été violée lors de la collecte de la preuve elle est déloyale. « L’illégalité chasse la loyauté » Sur ce fondement ce sont essentiellement deux preuves déclarées comme illégale: preuve obtenue à travers la commission d’une infraction pénale. Ainsi exemple de la cour de cassation: aucune partie ne peut présenter en justice une preuve obtenue suite à un vol, chantage, une escroquerie, des menaces ou encore un abus de confiance. De même sont également des preuves illégales celles obtenues en violation de la vie privée : doit être écartés des débats des enregistrements vidéo réalisés par un employeur à l’insu des salariés grâce à des caméras de surveillance placées dans son entreprise (20 novembre 1991 cassation). Doivent être déclarées illégales des correspondances du salarié produite par l’employeur: courriels reçus sur son lieu de travail.(chambre sociale 2 octobre 2001). Ou encore des comptes- rendus de filature organisé par l’employeur à l’insu de son salarié : preuve illégale violation vie privée (chambre sociale 2002) , photographies faites par des enquêteurs à l’insu des personnes qui se trouvaient à l’intérieur d’une propriétaire privée: illégal violation vie privée (chambre criminelle 21 mars 2007). Les enregistrements d’une conversation téléphonique privée effectués par un particulier à l’insu de l’auteur des propos: preuve déloyale (2ème chambre civile 7 octobre 2004). mini message électronique: arrêt 23 mai 2007 a estimé la chose suivante : « Si l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée effectuée à l’insu de l’auteur des propos invoqués est un procédé déloyal, irrecevable, il n’en est pas de même de l’utilisation par le destinataire de minimessages électroniques dits SMS dont l’auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur. »

Exceptions dans lesquelles une preuve obtenue par violation de la vie privée exceptionnellement n’est pas jugée déloyale: CEDH: elles sont possibles lorsqu’elles sont posées par des raisons impérieuses tenant notamment à la sauvegarde de l’ordre public. Exemples:

  • Enregistrements téléphoniques autorisés par le juge, recevables malgré la violation de la vie privée. En France le code de procédure pénale permet au juge d’avoir recours aux écoutes téléphoniques. Une telle interception en droit pénal français est prévue par le code de procédure pénale français mais doit être autorisée soit par le juge de la sauvegarde des libertés et détentions soit par le juge d’instruction lorsque l’interception est souhaitée pendant l’instruction.
  • Garanties: les écoutes ne peuvent être ordonnées qu’en matière criminelle ou matière correctionnelle lorsque la peine encourue est égale ou supérieure à 2ans. La décision d’interception est limitée dans le temps, à savoir 4 mois renouvelable 1 fois: 8 mois total.
  • Il doit être dressé procès verbal de chacune des opérations d’interception et d’enregistrement.
  • Aucune écoute ou interception ne peut avoir lieu sur une ligne téléphonique d’un avocat sans que le bâtonnier en soit informé par le juge.

C’est l’arrêt MATHERON contre France 29 Mars 2005 qui a expressément constaté la conformité de ce droit pénal français avec le droit processuel européen.

Dernière exception:

  • enregistrements vidéo réalisés sur la voie publique. Loi du 21 janvier 1995 : disposition qui prévoit que les enregistrements vidéo ou photographiques réalisés sur la voie publique sont autorisés soit à des fins administratives soit à des fins de constatations de certaines infractions. Cette exception est possible car il y a des raisons impérieuses qui la commande: volonté de sécuriser (fins administratives) ou réprimer (constations d’infractions).