La distinction SPA / SPIC

La distinction SPA/SPIC à travers les dimensions organique et matérielle

La distinction entre Services Publics Administratifs (SPA) et Services Publics Industriels et Commerciaux (SPIC), consacrée par la jurisprudence, découle de deux crises majeures qui ont transformé le service public au XXᵉ siècle. Ces crises ont conduit à une séparation entre les éléments organiques (la nature du gestionnaire) et matériels (la nature des activités). Ce clivage permet aujourd’hui aux personnes publiques de gérer indifféremment un SPA ou un SPIC, tandis qu’une entreprise publique industrielle et commerciale peut être responsable des deux types de services. De plus, un établissement public administratif (EPA) peut lui aussi se voir confier la gestion de services de nature industrielle et commerciale, comme illustré par l’exemple des ports : le Conseil d’État considère que l’aménagement, l’entretien et la police d’un port constituent un SPA, alors que son exploitation relève d’un SPIC.

Quelles sont les conséquences juridiques de la qualification en SPA ou SPIC ?

1) SPA géré par une personne publique : le cœur du droit administratif

Lorsqu’un Service Public Administratif (SPA) est géré par une personne publique, on est au sommet de l’échelle de l’administrativité. Cette configuration incarne le « noyau dur » du droit administratif, où à la fois la nature du service (administratif) et le statut du gestionnaire (public) imposent une prépondérance du droit public.

  • Organisation et compétence : La structure organisationnelle des SPA gérés par des entités publiques est intégralement encadrée par le droit administratif. Les décisions concernant l’organisation interne et la gestion de ces services relèvent exclusivement de la compétence du juge administratif.
  • Statut du personnel : Le personnel, qu’il s’agisse de fonctionnaires ou d’agents contractuels de droit public, est soumis aux règles de la fonction publique. Cela signifie que les relations de travail sont régies par le droit public, avec des conditions d’emploi et de statut distinctes de celles du droit privé. Les contrats de travail, les conditions de rémunération, et le statut général des agents sont donc administratifs.
  • Relations avec les usagers : Les usagers d’un SPA géré par une personne publique sont dans une situation légale et réglementaire. Contrairement à un contrat classique, l’usager n’a pas de relation contractuelle avec le service. Les interactions sont déterminées par les règlements administratifs et sont dirigées par des obligations de service public. Toute contestation ou réclamation est tranchée par le juge administratif, confirmant la soumission des usagers aux règles de droit public.
  • Relations avec les cocontractants : Les contrats conclus par une entité publique pour la gestion d’un SPA sont généralement des contrats administratifs. Cette nature administrative est déterminée par la présence de clauses exorbitantes ou par les prérogatives de puissance publique qu’exerce la personne publique. Ces contrats relèvent de la compétence du juge administratif. Toutefois, si aucun aspect administratif n’impose cette qualification, il est possible que le contrat soit exceptionnellement régi par le droit commun et relève donc du juge judiciaire.
  • Relations avec les tiers : Les relations avec les tiers – c’est-à-dire des personnes n’ayant pas de lien usager ou contractuel avec le service – relèvent également du droit public. Par exemple, en cas d’accident impliquant une personne qui n’est pas usager (tel qu’un piéton percuté par un tramway géré par un service public), la responsabilité administrative s’applique. Cependant, des régimes dérogatoires peuvent exister, tels que la responsabilité du fait des enseignants (article L.111-4 du Code de l’Éducation), où l’État peut être poursuivi devant un juge judiciaire, rappelant des régimes historiques de protection.
  • Actes unilatéraux : Les actes unilatéraux pris par une personne publique dans le cadre de la gestion d’un SPA sont classés comme actes administratifs. Cela inclut les décisions réglementaires ainsi que les actes individuels. En tant qu’actes administratifs, ils sont soumis au contrôle de légalité exercé par le juge administratif.

La gestion d’un SPA par une personne publique met en lumière l’essence du droit administratif, appliqué de manière systématique tant dans l’organisation interne que dans les relations avec les usagers, les cocontractants, et les tiers.

2) SPA géré par une personne privée : une application hybride de droit privé et de droit public

Lorsqu’un Service Public Administratif (SPA) est géré par une personne privée, il se situe au milieu de l’échelle de l’administrativité. Dans ce cas, la prédominance du droit privé est notable en raison de la nature du gestionnaire, bien que certaines spécificités du service public administratives demeurent. Voici les caractéristiques de cette configuration :

  • Statut juridique et encadrement : Bien que ces organismes exercent une mission de service public administratif, leur gestion étant assurée par une entité privée, leur fonctionnement global est régulé par le droit privé. En outre, ces entités peuvent être soumises à un contrôle ou une tutelle exercée par des autorités publiques, comme les caisses de sécurité sociale sous la tutelle du ministère du Travail.
  • Relations avec le personnel : Les relations contractuelles entre l’organisme privé et son personnel relèvent principalement du droit du travail, donc du droit privé. Cependant, des personnels de droit public peuvent être détachés temporairement pour des missions spécifiques. Dans ce cas, ces agents demeurent soumis au droit public, même au sein d’un organisme privé.
  • Relations avec les usagers : Bien que le SPA soit géré par une personne privée, les usagers conservent une situation légale et réglementaire caractéristique du droit public. Cela signifie que, juridiquement, les interactions sont régies par des normes de droit public. Cependant, la nature privée du gestionnaire implique que les contrats associés aux prestations et à la gestion du service sont principalement de droit privé, donc soumis au juge judiciaire.
  • Contrats et actes unilatéraux : Les contrats conclus par l’organisme de droit privé pour la gestion du SPA, que ce soit avec les usagers, le personnel, ou des tiers, sont majoritairement de droit privé, ce qui confère la compétence au juge judiciaire. De même, les actes unilatéraux pris par la personne privée ne sont pas considérés comme des actes administratifs et ne relèvent donc pas du contrôle du juge administratif.
  • Responsabilité envers les tiers : En cas de préjudice causé à des tiers, la responsabilité de l’entité gestionnaire est en général régie par le droit privé. Cependant, dans certaines situations, le droit public peut s’appliquer, notamment si la personne privée détient des prérogatives de puissance publique. Dans ce cas, le régime de responsabilité peut relever de la compétence administrative, surtout si l’action en cause implique l’usage de ces prérogatives.
  • Responsabilité extracontractuelle : Si l’organisme privé exerce des prérogatives de puissance publique déléguées dans le cadre de sa mission de service public administratif, il est possible que le droit public s’applique à certains aspects de sa responsabilité extracontractuelle. Par exemple, si une action découle de l’exercice de prérogatives administratives, la compétence pourrait revenir au juge administratif, même si le gestionnaire est une personne privée.

La gestion d’un SPA par une personne privée reflète une dynamique hybride où le droit privé domine en raison du statut du gestionnaire, mais le droit public intervient dans les relations avec les usagers et dans certains aspects de la responsabilité liés à la mission de service public.

3) SPIC géré par une personne publique : la prédominance du droit privé avec certaines exceptions administratives

Lorsqu’un SPIC est géré par une personne publique, il se trouve proche de la base de l’échelle de l’administrativité, principalement soumis au droit privé en raison de sa nature industrielle et commerciale. Cependant, certains aspects relèvent encore du droit public, notamment en lien avec le statut du gestionnaire. Voici les caractéristiques de cette configuration :

  • Organisation et actes unilatéraux : Les règles d’organisation générale de ce type de SPIC sont encadrées par le droit administratif et les actes unilatéraux concernant cette organisation sont également administratifs. La personne publique n’a pas besoin de démontrer des prérogatives de puissance publique pour que ses décisions organisationnelles relèvent de ce régime, puisqu’elle possède déjà un statut public. Toutefois, les actes individuels directement liés à la gestion du SPIC (par exemple, des décisions opérationnelles) sont de droit privé.
  • Relations avec le personnel : En général, les agents du SPIC sont soumis au droit privé et relèvent donc du droit du travail. Deux exceptions existent, néanmoins, pour les postes qui impliquent des responsabilités administratives importantes :
    • Le directeur du service,
    • Le chef du service de comptabilité (si celui-ci est comptable public).

    Ces deux catégories de personnel sont alors régies par le droit public. En parallèle, les règles administratives fixant le statut général des employés peuvent relever du droit administratif.

  • Relations avec les usagers : Les usagers d’un SPIC, qu’il soit géré par une personne publique ou privée, sont placés dans une relation contractuelle de droit privé. Les rapports avec les usagers ne sont pas régis par le droit public, et les éventuels litiges relèvent du juge judiciaire. Cette relation contractuelle est maintenue même lorsque des dommages résultent de travaux publics effectués par le SPIC.
  • Contrats avec les usagers : Les contrats passés entre le SPIC et ses usagers sont toujours de droit privé, et la compétence revient au juge judiciaire, même si les contrats incluent des clauses atypiques ou exorbitantes. Cela signifie que les droits et devoirs de chaque partie découlent de l’accord contractuel et non de dispositions administratives.
  • Relations avec les tiers : Les relations avec les tiers, comme les fournisseurs, relèvent généralement du droit privé. Cependant, si un dommage est causé par un acte administratif adopté par la personne publique gérant le SPIC, la responsabilité du SPIC vis-à-vis du tiers peut relever du droit public. Ainsi, dans les cas où l’acte dommageable est de nature administrative, la compétence revient au juge administratif.
  • Responsabilité en cas de dommage : La responsabilité extracontractuelle pour les dommages causés aux tiers est principalement de droit privé. En revanche, si le dommage découle d’un acte administratif pris dans l’exercice des fonctions de la personne publique, c’est le droit public qui s’applique, et la compétence est alors confiée au juge administratif. Ce cas peut se produire notamment lorsque la personne publique utilise son statut et ses prérogatives dans un acte lié au SPIC.
  • Contrats passés avec des tiers : Dans le cas des contrats passés avec des tiers (par exemple, des contrats avec des fournisseurs), le droit administratif peut s’appliquer, en particulier si l’élément organique est satisfait (le gestionnaire étant une personne publique). Par conséquent, les contrats conclus avec des tiers peuvent être administratifs et relèvent ainsi de la compétence du juge administratif.

La gestion d’un SPIC par une personne publique montre une prépondérance du droit privé dans les relations directes avec les usagers, le personnel et les tiers, et en ce qui concerne la responsabilité extracontractuelle. Cependant, la présence d’un gestionnaire public entraîne certaines exceptions administratives, notamment dans les décisions organisationnelles et certains actes contractuels.

4) Un SPIC géré par une personne privée – prédominance du droit privé

Un SPIC géré par une personne privée se situe à la base de l’échelle de l’administrativité, représentant le cadre le plus imprégné de droit privé. La nature industrielle et commerciale du service, combinée au statut privé de son gestionnaire, confère à cette situation une approche essentiellement contractuelle et de droit commun. Les caractéristiques spécifiques d’un SPIC géré par une personne privée sont les suivantes :

  • Régime de droit commun : L’élément organique (gestionnaire privé) et la nature industrielle du SPIC amènent à appliquer largement le droit privé, faisant de cette situation une configuration « doublement privée ». Ainsi, la majorité des litiges sont de la compétence du juge judiciaire.
  • Mission de service public et prérogatives de puissance publique (PPP) : Bien que relevant majoritairement du droit privé, une personne privée gérant un SPIC peut se voir confier une mission de service public. Cela peut lui accorder certaines prérogatives de puissance publique. Dans de tels cas, le droit public peut intervenir, et les actes adoptés pour la gestion du service peuvent être soumis à un régime administratif spécifique.
  • Qualification des actes : En principe, les actes pris par une personne privée gérant un SPIC sont de droit privé, particulièrement ceux liés à la gestion du service. Cependant, des exceptions existent :
    • Les actes administratifs peuvent être adoptés dans certaines circonstances, comme en matière d’organisation du service public. Par exemple, les décisions réglementaires touchant à l’organisation d’un SPIC peuvent être considérées comme des actes administratifs, conformément à l’arrêt Compagnie Air-France contre Époux Barbier (15 janvier 1968).
    • Dans ce contexte, le juge administratif est compétent pour examiner ces décisions spécifiques, mais cela reste l’exception.
  • Relations avec les usagers : Les usagers d’un SPIC géré par une personne privée sont liés par des contrats de droit privé. Ils ne se trouvent donc pas dans une relation réglementaire ou légale, mais contractuelle, ce qui entraîne une compétence du juge judiciaire pour régler les éventuels contentieux.
  • Responsabilité vis-à-vis des tiers : La responsabilité extracontractuelle est en général de droit privé. Ainsi, en cas de dommage causé à un tiers, le gestionnaire du SPIC relève de la compétence du juge judiciaire, sauf lorsque le dommage est lié à l’exercice de prérogatives de puissance publique, auquel cas le droit public peut trouver à s’appliquer.
  • Contrats avec les tiers : La conclusion de contrats entre un SPIC géré par une personne privée et des tiers, tels que des fournisseurs, est soumise au droit privé. La compétence judiciaire repose donc sur le juge judiciaire, le critère organique (présence d’une personne publique) faisant défaut.
  • Statut du personnel : Les employés d’un SPIC géré par une personne privée sont soumis aux règles du droit du travail et du droit privé, sans disposition spécifique pour le droit public. Il existe cependant des exceptions rares où du personnel public peut être détaché auprès de gestionnaires privés, comme ce fut le cas lors de la transformation de France Télécom, où certains agents ont conservé leur statut de fonctionnaire.

Le SPIC géré par une personne privée est donc caractérisé par une application prédominante du droit privé, tant pour la gestion interne que pour les relations externes. Les rares intrusions du droit public sont essentiellement liées à l’exercice de prérogatives de puissance publique