La frontière : définition, caractère, fixation, contestation

La délimitation du territoire de l’État par la frontière

Le territoire d’un état est l’espace dans lequel est établie la population ou comme le lieu sur lequel l’état exerce son autorité de manière exclusive. Il doit être stable (sans pourtant être d’un seul tenant, il peut comprendre des “ enclaves” situées dans le territoire d’un autre état). Le territoire peut faire l’objet de contestation.

On pourrait parler de délimitation des espaces d’un Etat de manière générale, puisqu’il y a des logiques communes à la délimitation. 2 types de délimitation, en matière maritime particulièrement :

Délimitation unilatérale: ne joue que pour les espaces maritimes et à condition que l’espace maritime en cause ne vienne pas heurter des revendications de la part d’un autre Etat.

Délimitation concertée

La délimitation est un processus. C’est aussi un résultat : la frontière: c’est la ligne qui sépare deux territoires, le droit intervenant à la fois dans le processus et dans le résultat. Le droit de la délimitation territoriale est un droit quasiment vide, où il n’y a pas véritablement de règles. La Cour l’avait souligné dans un arrêt de 1984, arrêt Golfe du Maine (Etats-Unis c. Canada): une délimitation, qu’elle soit terrestre ou maritime, est politique. Les enjeux derrière la délimitation sont en effet énormes.

Il en découle que le droit de la délimitation va être assez flou, va donner des directives générales, guidées par le statut de la frontière. C’est en fonction des caractéristiques du résultat à obtenir que l’on va encadrer plus ou moins les modalités.

1- La délimitation de résultat : la frontière territoriale

  1. Définition

La frontière, selon la Cour dans son arrêt Plateau continental en Mer Egée, est la ligne exacte de rencontre des espaces où s’exercent respectivement les pouvoirs et droits souverains.

La Cour a affiné cette notion de délimitation par la suite, en prenant en compte le fait que la délimitation puisse être unilatérale–> Ligne formée par la succession des points extrêmes du domaine de validité des normes juridiques d’un Etat.

Plusieurs remarques :

  • La frontière est une ligne, ce qui laisse définitivement dans le passé la notion d’espaces frontaliers. Paradoxalement, la frontière est un endroit où le pouvoir s’affirme. C’est à cette limite que l’Etat va se protéger et protéger son espace.
  • Sur le processus, succession des points extrêmes
  • La définition adoptée par la CIJ et par le Droit International de manière générale est fonctionnelle par rapport au domaine de validité des normes juridiques. Un Etat peut avoir plusieurs frontières selon la fonction envisagée. Ex : frontière douanière, notamment lorsque des Etats créent entre eux une union douanière (se réunissent, décident de libérer les échanges commerciaux entre eux, en outre un tarif douanier extérieur commun – cas de l’UE. Sa création fait que tout produit entrant dans la zone circule par la suite à l’intérieur de la zone libre de tout droit douanier). La frontière douanière ≠ frontière territoriale (les frontières douanières de la France sont celles de l’UE). Cas des zones internationales dans les aéroports montrent le caractère fictif de la frontière car on passe une frontière douanière, qui est pourtant sur le territoire.

La frontière est multiforme, va nécessairement par la suite avoir des conséquences sur le statut juridique de certains espaces. Ne doit pour autant laisser de côté le symbolisme de la frontière territoriale. Beaucoup de différends, conduisant parfois à des conflits armés, tournent autour des frontières. La Cour a toujours tenu à distinguer les contentieux de frontières des contentieux territoriaux. Il peut y avoir des incertitudes sur la ligne (conflit de frontière) ; cette ligne est le contenant et une contestation de la frontière reflète nécessairement une contestation sur le titre territorial : si un Etat conteste une frontière, c’est qu’il a des prétentions sur la portion de territoire qui intervient. La Cour l’admet tout de même dans une affaire différends frontaliers : Burkina Faso c. Mali, 22 décembre 1986: « toute délimitation a pour conséquence de répartir des parcelles limitrophes de part et d’autre de ce tracé »; c’est le processus de délimitation qui est visé et qui influe sur la méthode. La Cour examine les titres que possède chaque Etat et en déduit la frontière, alors que les Etats délimitent une frontière, tracent d’abord la ligne dont résultera une répartition des parcelles.

Cette interaction entre les deux est illustrée par le principe uti possidetis juris: ce principe, à l’origine, avait été proclamé par les Etats décolonisés d’Amérique latine (années 1820) pour opposer à toutes les anciennes puissances colonisatrices toute revendication territoriale. Elles ne peuvent plus revendiquer l’acquisition de territoires. Ce principe a par la suite été utilisé comme un procédé naturel et commode de délimitation pour être maintenant compris comme étant le fondement de la règle de l’héritage des frontières issues de la décolonisation.

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  1. Les étapes de la fixation de la frontière

Deux étapes (parfois trois) :

  • Opération purement abstraite, intellectuelle: « on » (Etats, juges) dit la ligne par laquelle passe la frontière. C‘est l’opération principale d’un point de vue juridique, et qui engage les Etats.
  • La démarcation: consiste à matérialiser la frontière sur le terrain (barbelés pour séparer l’Allemagne de l’Est/Ouest).
  • Retour à la délimitation intellectuelle : au moment où on concrétise le trait tracé sur une carte, apparition des difficultés concrètes. Plus grande marge de manœuvre pour rectifier la délimitation abstraite. Cette marge de manœuvre est plus ou moins grande car elle reprend l’opération juridique de délimitation.

  1. Les caractères de la frontière

Affaire du Temple de Préah-Vihéar, Cambodge c. Thailande (1962): « de manière générale, lorsque 2 pays définissent entre eux une frontière (processus), un de leurs principaux objectifs est d’arrêter une solution stable et définitive ».

Concernant la stabilité, il faut l’entendre dans les relations entre les Etats fixant la frontière. L’objectif de la stabilité est qu’un Etat ne peut pas remettre en cause unilatéralement une frontière. Plus la délimitation est sûre, moins il y a des risques de conflits. Idéalement, la frontière doit être complète. Mais la frontière de certains endroits peut être imprécise, non stabilisée, mais reste un territoire (cas d’Israël).

L’objectif fixé peut être contrarié en fonction de la méthode utilisée pour fixer la frontière intellectuellement. Les Etats vont fixer un repère géographique (caractéristique pas du tout précis dans l’affaire du Temple de Préah Vihéar, ligne de partage des eaux mais on ne savait pas où elle passait). Affaire Etats-Unis c. Mexique: le fleuve Orio Grande les sépare. Or, l’Orio Grande, à la suite de crues en 1850, a changé de cours. En résultait une modification de 242 Ha. Les deux Etats étaient en désaccord pour savoir si au moment où on avait fixé la frontière sur le fleuve, on avait fixé la ligne qui était celle de son cours au moment de la fixation, ou si l’on acceptait d’éventuelles variations. Les conséquences ont été tirées par une sentence arbitrale de 1911, qui n’a été appliquée qu’en 1970. Cet exemple illustre la nécessaire attention lors des fixations de frontières, mais démontre le caractère très délicat, politiquement, de la frontière.

  1. Le droit de la délimitation territoriale

Le droit se réduit à presque rien. La délimitation unilatérale est réglée par le droit, lorsqu’elle ne se heurte pas à d’autres revendications. En revanche, dès lors qu’il y a des revendications qui s’opposent, qui se rencontrent, le droit va avoir une place mineure, tout dépend de la procédure de délimitation.

  • Délimitation concertée : le droit n’a aucun rôle
  • Délimitation juridictionnelle : rôle ambigu
  1. La délimitation territoriale concertée

La seule exigence du Droit International est la concertation: les Etats doivent négocier pour arriver à un résultat (exigence minimale). La seule exception concerne la délimitation de la mer territoriale : la Convention de Montego Bay défend le système de l’équidistance, mais « en l’absence d’accord contraire entre eux » –> Peuvent faire ce qu’ils souhaitent, même lorsqu’il y a une règle qui est posée. Il n’y a donc pas de droit de la délimitation territoriale dans ce sens, il n’y a que des illustrations de ce que peuvent faire les Etats. Ce sont plutôt des tendances qui reposent sur un principe négatif (il n’existe pas de frontière naturelle).

Une frontière peut être fixée en cas d’obstacle naturel, l’Etat n’ira pas au-delà (circonstance de fait – fleuve, chaîne de montage). Le problème est que ces obstacles naturels ne sont pas des lignes: même si l’on peut constater une pratique fixant l’obstacle naturel, on va essayer de préciser où pourrait passer une ligne dans un obstacle naturel. Là encore, on retrouve de grandes variations :

  • Si l’obstacle naturel est un cours d’eau :

Fixation de la ligne frontalière sur une des deux côtes (rare, car signifie que le cours d’eau, dans son ensemble, va être totalement dans le territoire d’un des deux Etats – Affaire Costa Rica c. Nicaragua, droits de navigation et droits connexes, fleuve appartenait au Nicaragua mais droit d’usage en faveur du Costa Rica).

Le fleuve est considéré comme une ressource naturelle: la frontière sera fixée à équidistance des deux rives (là encore, c’est un choix étatique).

Le fleuve est considéré comme une voie de navigation: méthode Thalweg, la ligne qui est au milieu du chenal navigable.

  • Si l’obstacle naturel en cause est une chaîne de montagnes :

Parfois, on peut voir la ligne de base des Etats (ligne des hautes crêtes)

Le plus souvent (cas du Temple Préah-Vihéar), récif montagneux considéré comme ressource naturelle : on prend la ligne de partage des eaux. Les cours d’eau coulent d’un côté ou d’un autre. La frontière entre Cambodge et Thaïlande passait par la ligne de partage des eaux. Suppose le recours à des experts : une fois que l’on a recours à eux, disant où passe la ligne de partage des eaux, le tracé peut être différent de ce qui avait été pensé par les Etats (cas dans l’arrêt du Temple, attribué à un Etat alors que l’autre pensait qu’il était sur son territoire).

Face à ces incertitudes, la pratique découle du caractère de la frontière (précise, stable et définitive), les traités sont une suite de points géodésiques (longitude et latitude). C’est la méthode la plus utilisée, les Etats ne se contentent plus de repères instables, pouvant aboutir à des différends.

  1. b) Preuve contentieuse de délimitation juridictionnelle

Il faut expliquer le rôle du juge dans un contentieux territorial. Il y a eu très souvent recours au juge, à un tiers impartial, pour délimiter la frontière. Le juge ne délimite pas, il détermine, découvre la frontière. Le rôle du juge ne va pas être d’appliquer une règle de délimitation (hormis l’hypothèse de la mer territoriale), car il n’y a pas de règles. Il constate uniquement cette frontière, l’identifie, mais ne la crée pas.

Ce rôle très limité du juge explique, d’une part, l’embarras du juge : si les Etats en viennent à remettre leurs différends sur un tiers impartial, c’est parce que les limites du territoire sont floues. D’autre part, il s’agit pour le juge d’identifier une frontière préexistante, a une jurisprudence très conservatrice : il tire les leçons du passé, et fait application de principes dont l’objectif est de prouver le passage exacte de la frontière. Il existe des principes de délimitations territoriales, qui ont deux caractéristiques :

  • Le seul destinataire de ces principes est le juge
  • Ces principes sont exclusivement probatoires.

Ces principes reviennent sur le statut territorial des espaces. Cela étant, même si le destinataire de ces principes est le juge, leur rôle n’est pas non plus négligeable. Lorsque des Etats négocient une frontière, s’ils ne parviennent pas à se mettre d’accord auront recours au juge, qui appliquera tel principe, donnant raison à tel Etat –> Influence de ces principes dans le cadre des négociations.

Ces modes de preuve, dit la Cour, sont « un titre frontalier », mais « aussi bien tout moyen de preuve susceptible d’établir l’existence d’un droit ». Le titre est «un document auquel le Droit International confère une valeur juridique intrinsèque aux fins de l’établissement des droits territoriaux » –> Une carte peut être un titre frontalier, à condition que cette carte soit intégrée à l’acte juridique (affaire du Temple Préah-Vihéar, pas de carte, qui avaient été dressées par chacun des Etats).

L’acte juridique peut aussi être celui d’une ancienne métropole par rapport à des Etats décolonisés. Principe d’Uti possedetis juris, qui traduit l’héritage des frontières issues de la décolonisation : les actes juridiques internes de la métropole, de délimitation administrative des colonies, sont des actes à valeur juridique intrinsèque (par le DI) –> seront la preuve du titre frontalier.

Ce principe a été consacré par l’Organisation de l’unité africaine en 1964 : adoption d’une résolution proclamant le principe de l’uti possedetis juris, dans l’objectif de stabiliser les frontières et ainsi le continent africain.

Burkina Faso c. Mali : principe général logiquement lié au principe de l’accession à l’indépendance. Ce principe d’uti possedetis juris sera appliqué en Afrique, en Ex-Yougoslavie et en ex-URSS. Ce principe a longtemps été préservé malgré des tentatives d’indépendance mises en échec au nom de ce principe. Depuis quelques temps, on se rend compte, grâce à une stabilisation du continent africain, qu’il peut être fait droit à certaines revendications d’indépendance. Un nouvel Etat africain est né l’année dernière (République du Sud-Soudan), qui a porté atteinte au principe uti possedetis juris.

Le problème énoncé par la Cour dans un arrêt du 11 septembre 1992, est que « les frontières sur lesquelles la Cour est amenée à statuer sont presque immanquablement des frontières dont l’uti possedetis juris, pour une fois, ne parle que d’une voix mal assurée » –> Si l’on avait un acte juridique interne, pas de problème, mais concrètement on ne sait pas où passe la frontière, l’uti possedetis juris n’amène quasiment rien (le principe est clair, l’application ne l’est pas). Malgré la distinction opérée entre contentieux territorial/frontière, le juge, et ce de manière constante, examine les effectivités territoriales : le juge examine quelles autorités ont manifesté des actes d’autorité publique sur les parcelles contestées (droit du statut territorial et non du droit de la délimitation).

Les Etats vont fixer une ligne qui va départager des territoires d’une parcelle, le juge examine sur quelle parcelle s’exerce l’autorité pour en déduire la ligne de démarcation.