La gestion de l’indivision
L’indivision est une situation juridique dans laquelle plusieurs personnes exercent des droits de même nature sur un même bien ou sur une masse de biens. Ce régime est souvent transitoire, notamment en matière successorale, matrimoniale ou patrimoniale.
Avant la loi de 1976, la jurisprudence réglait les conflits relatifs à l’indivision en appliquant strictement le principe de l’unanimité. La loi de 1976 a introduit des aménagements, notamment :
- Le recours au mandat, permettant à un indivisaire d’agir pour les autres.
- La possibilité pour un indivisaire d’accomplir seul des actes conservatoires.
La loi de 2006 a poursuivi cette évolution en assouplissant encore le régime :
- Certains actes d’administration peuvent désormais être réalisés à la majorité des 2/3 des droits indivis.
- L’intervention judiciaire peut être sollicitée en cas de blocage, notamment si un indivisaire refuse abusivement son consentement à un acte d’intérêt commun.
Ainsi, la gestion de l’indivision repose désormais sur une hiérarchisation des actes en fonction de leur importance et de leurs conséquences sur le bien indivis.
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A)Le régime des biens indivis
L’indivision est soumise à un régime juridique précis, qui encadre la gestion des biens indivis en fonction de la nature des actes accomplis. Les règles applicables varient selon l’importance de l’acte, ce qui justifie une classification en trois catégories :
- Les actes nécessitant l’unanimité.
- Les actes pouvant être réalisés à la majorité des 2/3 des droits indivis.
- Les actes pouvant être réalisés par un seul indivisaire.
1) Les actes nécessitant l’unanimité des indivisaires
Le principe du consentement unanime demeure en droit commun et s’applique à défaut d’un texte spécial permettant une prise de décision à la majorité (article 815-3 du Code civil).
L’unanimité est requise pour tout acte qui dépasse l’exploitation normale des biens indivis et pour tout acte de disposition (sauf exceptions).
a) Les actes nécessitant l’unanimité
📌 Exemples d’actes soumis à l’unanimité :
- Tous les actes de disposition, à l’exception de ceux expressément prévus par la loi.
- La vente d’un immeuble indivis.
- L’hypothèque d’un bien indivis.
- Les baux d’immeuble à usage agricole, commercial ou artisanal, y compris leur renouvellement et reconduction tacite (Civ. 3e, 29 mars 1995).
- Les actions en justice concernant un bien indivis, notamment pour sa vente ou sa revendication (Civ. 3e, 4 novembre 1976).
⚠ Un indivisaire peut bloquer un acte en refusant son consentement.
b) Les exceptions au principe de l’unanimité
L’unanimité n’est pas requise dans certains cas :
- Mandat donné à un indivisaire pour agir au nom de tous (article 815-3, alinéa 3 du Code civil).
- Autorisation judiciaire en cas de refus abusif d’un indivisaire, mettant en péril l’intérêt commun (article 815-5 du Code civil).
- Les actions conservatoires ou d’administration peuvent être réalisées sans unanimité.
- Action d’un indivisaire pour faire reconnaître son droit dans l’indivision (Civ. 3e, 19 juin 2002).
c) Le recours au mandat
Les indivisaires peuvent mandater une personne (un indivisaire ou un tiers) pour passer un acte de disposition à leur place.
📌 Exemple : Tous les indivisaires peuvent donner mandat spécial à l’un d’eux pour vendre un bien indivis (Civ. 1re, 9 novembre 2004).
⚠ Le mandat doit être spécial : il ne peut pas être général pour des actes de disposition.
2) Les actes nécessitant la majorité des 2/3 des droits indivis
L’article 815-3 du Code civil permet d’accomplir certains actes d’administration à la majorité des 2/3 des droits indivis.
📌 Exemples d’actes nécessitant la majorité des 2/3 :
- Mandat général d’administration confié à un indivisaire ou à un tiers.
- Travaux importants de conservation ou d’amélioration (Civ. 1re, 10 octobre 1995).
- Emprunt contracté pour les besoins de l’indivision (Civ. 1re, 12 novembre 1986).
- Vente de meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision.
- Conclusion ou renouvellement de certains baux, sauf ceux nécessitant l’unanimité.
a) Obligation d’information des indivisaires minoritaires
Tout indivisaire ayant accompli un acte à la majorité des 2/3 doit en informer les co-indivisaires minoritaires (article 815-3, alinéa 2 du Code civil).
⚠ Sanction en cas de défaut d’information : L’acte peut être inopposable aux indivisaires minoritaires.
📌 Exemple : Si un indivisaire représentant 2/3 des droits décide seul la location d’un bien sans informer les autres, ces derniers peuvent contester l’acte et le faire déclarer inopposable.
b) Vers une organisation proche d’une société ?
Certains auteurs considèrent que cette organisation fait glisser l’indivision vers un mode de gestion collective similaire à celui d’une société.
📌 Exemple : Réunions régulières entre indivisaires, votes de résolutions à l’ordre du jour…
Toutefois, l’indivision n’est pas une personne morale et reste une situation précaire, car chaque indivisaire peut exiger le partage à tout moment.
3) Les actes pouvant être réalisés par un seul indivisaire
Certains actes peuvent être réalisés sans autorisation, afin d’éviter la dégradation du bien ou la perte d’un droit.
📌 Exemples d’actes pouvant être réalisés par un seul indivisaire :
- Travaux urgents pour éviter la détérioration du bien.
- Paiement des taxes foncières ou des assurances du bien indivis.
- Action en justice pour interrompre une prescription.
⚠ Ces actes doivent être nécessaires à la conservation du bien, sinon ils risquent d’être contestés.
a) Financement des actes conservatoires
L’article 815-2 du Code civil prévoit plusieurs solutions pour le financement de ces actes :
-
Utilisation des fonds indivis :
- Un indivisaire peut employer les fonds indivis dont il dispose.
- Il est réputé avoir la libre disposition de ces fonds à l’égard des tiers.
-
Contraindre les autres indivisaires à participer aux dépenses nécessaires (article 815-2, alinéa 3 du Code civil).
📌 Exemple : Un indivisaire finance seul la réfection du toit d’une maison indivise. Il peut exiger des autres le remboursement de leur part proportionnelle.
b) Action en justice conservatoire
Un indivisaire peut agir en justice seul pour protéger un droit indivis.
📌 Exemples :
- Saisie d’un bien indivis pour empêcher un tiers de s’en emparer.
- Action en justice pour conserver un droit immobilier (ex. interruption d’une prescription).
⚠ La jurisprudence est stricte sur la notion d’action conservatoire et ne l’étend pas à toutes les procédures (Civ. 1re, 1976).
Résumé : Le régime des biens indivis repose sur une hiérarchisation des actes en fonction de leur importance :
- Les actes de disposition nécessitent l’unanimité sauf exception.
- Les actes d’administration peuvent être réalisés à la majorité des 2/3 des droits indivis.
- Les actes conservatoires peuvent être effectués par un seul indivisaire pour protéger le bien.
Ce système permet d’assurer une gestion efficace des biens indivis tout en protégeant les droits de chaque indivisaire contre les décisions unilatérales.
B)Le contrôle par le juge de la gestion des biens indivis
La gestion d’un bien indivis est soumise au contrôle du juge, qui joue un rôle fondamental dans la préservation des droits des indivisaires. Ce contrôle s’exerce de deux manières principales :
- La sanction des actes irréguliers, notamment par l’inopposabilité aux indivisaires non consentants.
- La modification de la répartition des pouvoirs entre indivisaires, afin de débloquer des situations conflictuelles.
1) Les sanctions des actes irréguliers
Les actes accomplis en violation des règles de l’indivision ne sont pas systématiquement nuls, mais ils peuvent être inopposables aux indivisaires qui n’ont pas donné leur consentement.
a) L’inopposabilité des actes irréguliers
L’inopposabilité est la sanction principale des actes irréguliers en indivision. Elle signifie que les indivisaires non consentants ne sont pas liés par l’acte irrégulier, qui reste sans effet à leur égard tant que l’indivision perdure (Civ. 1re, 7 juillet 1987).
📌 Conséquence pratique :
- Un indivisaire qui vend un bien indivis sans l’accord des autres ne peut pas imposer la vente aux indivisaires non consentants.
- Tant que l’indivision existe, l’acheteur ne peut pas revendiquer de droit sur le bien.
⚠ L’inopposabilité n’est pas définitive : elle dépend de l’issue du partage.
- Si l’indivisaire auteur de l’acte irrégulier reçoit le bien lors du partage, l’acte est validé rétroactivement.
- Si le bien est attribué à un autre indivisaire, l’acte devient irrévocablement inefficace et peut être annulé.
📌 Exemple concret :
Un indivisaire consent un bail de 9 ans sur un immeuble indivis sans l’accord des autres.
- Si l’immeuble lui est attribué lors du partage, le bail est rétroactivement validé.
- Si un autre indivisaire obtient l’immeuble, le bail est annulé et le locataire peut être expulsé.
b) La situation des baux irréguliers
Les baux consentis sans l’accord unanime des indivisaires sont valables entre le bailleur et le locataire (valables inter partes) mais inopposables aux autres indivisaires.
- Les indivisaires non consentants peuvent demander l’expulsion du locataire (Civ. 1re, 30 juin 2004).
- Le bail sera annulé si l’indivisaire qui l’a consenti n’obtient pas le bien au partage.
📌 Exemple :
Un indivisaire met en location un appartement indivis sans accord des autres.
- Les autres indivisaires peuvent demander en justice l’expulsion du locataire.
- Si l’indivisaire bailleur ne reçoit pas l’appartement lors du partage, le bail est annulé.
c) Irrecevabilité des actions intentées en violation des règles de l’indivision
Tout acte ou action judiciaire entrepris sans respecter les règles de l’indivision peut être déclaré irrecevable (Civ. 3e, 25 avril 2001).
📌 Exemple :
Un indivisaire agit en justice seul pour vendre un bien indivis sans l’accord des autres.
- Le juge peut déclarer l’action irrecevable, car elle aurait dû être engagée avec l’accord des co-indivisaires.
2) La modification de la répartition des pouvoirs entre indivisaires
Le juge peut intervenir pour éviter la paralysie de l’indivision et rééquilibrer les pouvoirs des indivisaires.
a) Représentation d’un indivisaire hors d’état d’exprimer sa volonté
Lorsqu’un indivisaire est incapable de manifester sa volonté (absence prolongée, maladie mentale), la justice peut désigner un représentant (article 815-4 du Code civil).
📌 Exemples :
- Un indivisaire est hospitalisé à l’étranger et ne peut pas participer aux décisions.
- Un indivisaire souffre d’une altération des facultés mentales.
Procédure :
- Un autre indivisaire peut demander au juge de désigner un représentant.
- La représentation peut être générale ou limitée à certains actes.
b) Autorisation judiciaire pour passer un acte en cas de refus d’un indivisaire
Si un indivisaire s’oppose à un acte nécessaire et que son refus compromet l’intérêt commun, le juge peut autoriser un autre indivisaire à agir seul (article 815-5 du Code civil).
📌 Exemple : Un indivisaire refuse de signer la vente d’un bien pourtant nécessaire pour régler une dette de l’indivision.
- Le juge peut autoriser la vente sans son accord (Civ. 1re, 6 novembre 1990).
⚠ L’acte ainsi autorisé est opposable à l’indivisaire récalcitrant.
c) Mesures urgentes en cas de danger pour l’indivision
Le président du tribunal judiciaire peut prescrire ou autoriser des mesures urgentes si l’intérêt commun est menacé (article 815-6 du Code civil).
📌 Exemples de mesures d’urgence :
- Autoriser un indivisaire à percevoir une provision pour faire face à un besoin urgent (article 815-6, alinéa 2).
- Nommer un administrateur judiciaire pour gérer l’indivision en cas de conflit grave.
- Désigner un séquestre pour protéger un bien indivis en litige.
📌 Exemple concret : Un indivisaire souffrant de difficultés financières demande une avance sur ses droits pour payer ses dettes.
- Le juge peut autoriser une provision prélevée sur les fonds indivis.
d) La nomination d’un administrateur judiciaire
Si l’indivision est mal gérée ou bloquée, un administrateur judiciaire peut être nommé par le juge.
- Il peut s’agir d’un co-indivisaire ou d’un tiers (Civ. 1re, 6 février 2001).
- Si aucun indivisaire ne peut assumer ce rôle, un tiers peut être désigné (Civ. 1re, 19 octobre 2004).
📌 Exemple : Un indivisaire empêche toute prise de décision et met en péril la gestion du bien.
- Le juge peut nommer un administrateur pour assurer la gestion de l’indivision.
⚠ L’administrateur doit rendre compte de sa gestion aux indivisaires et au juge.
Résumé : Le juge joue un rôle central dans le contrôle de l’indivision en sanctionnant les actes irréguliers et en modifiant la répartition des pouvoirs pour éviter la paralysie.
- L’inopposabilité protège les indivisaires non consentants contre les décisions irrégulières.
- Les indivisaires peuvent obtenir une autorisation judiciaire pour accomplir un acte en cas de refus abusif d’un autre.
- Le juge peut imposer des mesures urgentes, désigner un administrateur ou un séquestre pour assurer une gestion équitable.
Ces mécanismes garantissent un équilibre entre la liberté des indivisaires et la nécessité d’assurer une gestion efficace du bien indivis.