Le principe de la légalité criminelle

Le principe e la légalité criminelle prend corps au XVIIIe siècle, dans le cadre de l’effervescence intellectuelle des Lumières. Cette théorisation, amorcée par Montesquieu va être approfondi par Beccaria. La loi va être considérée comme seule compétente pour définir les comportements interdits, et cette écriture de l’interdit accompagne l’écriture de la sanction. Très rapidement ce principe de légalité criminelle va avoir vocation à s’appliquer à l’ensemble du droit pénal, pour s’intéresser aussi au droit pénal de forme, à la procédure pénale. Ce principe va irriguer l’ensemble de la matière pénale, que l’on soit du côté de droit pénal de fond, que d côté de droit pénal de forme. Ce principe cardinal est aussi la marque de l’Etat de droit, de l’Etat démocratique, essentiel, à la garantie des libertés et droits individuels, et c’est à travers cette garantie que peut se construire un droit pénal.

Conseil de lecture : « Le principe de la légalité en droit pénal français, aspects logistiques et jurisprudentiels » André Giudicelli, RSC2007, p. 509.

&1. L’existence du principe

« Nullum crimen, nulla poena sine lege »

Cet adage sanctifie la primauté de la loi. C’est la manifestation immédiate de l’origine de la reconnaissance du principe. En évoquant la suprématie de la loi, c’est tout de suite pour signifier que seul le représentant de la loi est compétent pour définir un interdit. Ce principe de la légalité criminelle a émergé non seulement dans ce contexte de rénovation politique. Aujourd’hui ce principe de légalité criminelle s’inscrit dans tous les grands textes concernant les droits humains.

A) La reconnaissance du principe

C’est au 18e siècle que l’on va voir une formulation explicite et une théorisation explicite de légalité criminelle. Le droit pénal général va s’inscrire dans cette réflexion avec une dimension abstraite. Un droit pénal général qui veut fonder les principes directeurs de ce corpus, il y a donc ce souci de théorisation que l’on retrouve. Les droits pénaux antérieurs ne méconnaissaient pas un minimum de légalité.

Il y avait déjà antérieurement des propositions, bien qu’elles ne théorisaient pas, elles avaient construit un droit pénal qui pouvait être le support à l’intervention des juges. Par exemple, le code d’Hammourabi (1720 av. JC), le droit romain (la nature des peines, les taux des peines étaient visés), l’Ancien droit et ordonnances royales, ce droit de l’Ancien Régime est un droit construit, il ne se résume pas à l’arbitraire du juge.

Montesquieu et Beccaria vont insister sur le fait que la loi, et seulement la loi ne peut être compétente pour qualifier une infraction. Ce qui vient à signifier que la loi est la norme supérieure ce qui va entrainer des contraintes. L’objectif au 18e siècle c’est limiter les pouvoirs du juge, et cela en donnant les pleins pouvoirs à la loi. Le juge sera lié à la loi, aux textes, il ne pourra que les appliquer sans y déroger, sans les modifier. « Le juge ne peut être que la bouche de la loi » Montesquieu. Ce principe va être repris par différents textes pour affirmer, au moment de la Révolution Française, notamment par la DDHC de 1789. Ce texte est un texte d’abord pénal, notamment l’article 7 qui exprime cette référence au principe de légalité, et l’article 8 fait référence très explicitement à la nécessité d’une loi pour punir las individus, une loi qui doit être préétablie, écrite pour que l’individu soit puni. Ces principes vont être réaffirmés dans des textes de cette période de droit intermédiaire, par exemple la Constitution de 1791. Par ailleurs, ces principes auront une place privilégiée dans l’expérience de codification de Napoléon, notamment à l’article 4 du Code pénal napoléonien. On a tout un ensemble de textes qui dans un temps limité (entre 1789 et 1810) qui va répéter la nécessité de ce principe de légalité criminelle.

Ce principe de légalité criminelle c’est de voir dans la référence à la légalité criminelle un rempart à l’arbitraire. Il y a une association entre écriture dans la loi et protection de l’arbitraire du juge. Ce principe va avoir un retentissement assez important sur la scène internationale, puisqu’il va y avoir plusieurs codes pénaux dans plusieurs autres pays d’Europe. Face à cette écriture qui se multiplie on aurait pu estimer que le progrès en matière de lutte contre l’arbitraire et de protection des libertés individuelles, mais l’Histoire nous a démontré que l’on était loin en matière de libertés individuelles d’une ascension pure.

Le XXe siècle source de contrastes va aussi estimer qu’il est nécessaire de réitérer le principe de légalité criminelle. Tous les grands textes concernant la protection des droits humains vont comprendre au moins un principe renvoyant au principe de légalité criminelle. Des textes internationaux ont encore ressenti ce besoin, comme la Charte européenne des droits fondamentaux signée en 2000, qui énonce dans son article 49 la nécessité de la légalité criminelle. Notre code pénal va aux articles 111-1 et 111-2 exprimer également ce principe.

B) La justification du principe

  1. Au niveau collectif : justification politique, justification institutionnelle

La justification est ici en premier lieu d’ordre politique. Le droit d’interdire, de punir. Ces violences sont légitimes. Comment admettre une violence légitime exercée par l’Etat qui interdit et qui puni ?

Dans l’Etat de droit cette légitimité se retrouve à travers la souveraineté nationale, à travers la volonté générale, et c’est le législateur le représentant de la souveraineté nationale. Il y a un consensus général, on est tous d’accord à travers l’élection de nos représentants. Seule la loi peut venir limiter les libertés individuelles.

On peut souligner que la justification du principe de légalité est d’ordre institutionnel, en effet la prérogative de définir les comportements les peines est dévolu au législateur, et ce principe de légalité criminelle est une justification au principe de séparation des pouvoirs. C’est pour éviter l’arbitraire du juge pénal.

  1. Au niveau individuel : justification psychologique, pédagogique

Le recours à la loi a une vertu pédagogique, didactique, dans la mesure où la loi, texte général, texte préexistant au moment où la personne agi. Donc texte connu de tous, donc le recours à la loi renvoie à la pédagogie du texte qui va définir le droit chemin, qui va définir ce chacun d’entre nous doit faire pour bien vivre ensemble, pour maintenir un minimum de cohésion. La loi pénale c’est ce qui permet d’affirmer les règles du jeu social. La loi c’est le texte qui doit être connu de tous et être accessible à tous.

On peut aussi souligner que la loi, et notamment la criminologie, exerce une contrainte psychologique sur les individus, au sens où l’individu qui a connaissance des interdits et des sanctions doit être intimidé, la loi pénale doit faire en sorte que l’individu se détourne de la voie du crime. On a une forme de prévention à la commission des actes, parce qu’il y a cette fonction d’intimidation.

&2. Le sens du principe

L’importance du principe de légalité criminelle va donner une signification particulière, notamment pour le législateur, et pour le juge.

A) Pour le législateur

Le principe de légalité préexiste à la construction par le législateur de la loi pénale. C’est un cadre qui va guider le législateur à l’écriture même de ce droit pénal. Il va lui être imposé plusieurs devoirs, pour un respect le plus scrupuleux possible.

Le législateur doit préserver son monopole, il lui incombe de préserver son monopole, il ne doit pas déléguer cette compétence de définitions des incriminations et des sanctions.

Le législateur doit rédiger des textes clairs et précis pour éviter tout arbitraire, tous dérapages. C’est une exigence rappelée très régulièrement par le Conseil constitutionnel, « termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire ». L’objectif c’est la prévisibilité du texte. C’est-à-dire, que l’on doit connaitre les règles du jeu social afin de prévoir son comportement. Ces exigences s’appliquent d’autant plus quand il y a risque de délinquance. Elles sont particulièrement importantes.

La loi pénale n’est pas rétroactive, il ne peut y avoir poursuite et condamnation d’un individu que pour des faits qui étaient écrits antérieurement à son action.

En principe le législateur doit s’efforcer de d’inscrire l’infraction et la sanction dans le même texte.

B) Pour le Juge

  1. Les incriminations

Le juge va être amené à prendre connaissance de faits, et il va devoir procéder à la qualification de ces faits. Il va devoir transcrire ces faits sur le plan pénal. Il y a une transcription du factuel sur le droit. Pour le juge pénal l’acte de qualification est la transcription du factuel vers le droit. A ce moment, le juge doit procéder à la plus exacte qualification possible, pour savoir si les faits entrent dans le champ d’application de la peine. Dans le cas contraire, il ne peut y avoir sanction.

  1. Les peines

Le juge ne peut prononcer qu’une peine prévue par la loi:

– La nature de la peine doit être prescrite par la loi

– le taux de la peine prononcée doit être conforme au taux défini par la loi,

– Les modalités d’exécution de la peine prévues par la loi, doivent être respectées par le juge (ex. Conditions du sursis, du sursis avec mise à l’épreuve…).

Si le juge se trouve face à une loi dite imparfaite c’est à dire que la loi prévoit l’infraction sans l’assortir d’une sanction, il ne pourra, malgré la lacune du texte, déterminer à son initiative, une peine applicable. Ces atteintes ont été reprises par des régimes politiques autoritaires, que l’on retrouve dans le Code pénal de 1933 de l’Allemagne nazie, et en URSS, c’était des comportements qu’il fallait neutraliser et qui conduisaient à intervenir ante delictum, ce qui va permettre des attitudes de l’autorité contraires aux libertés individuelles. On a un principe qui apparait comme essentiel, il demeure tout de même quelques difficultés à un respect scrupuleux.

&3. Le respect du principe

A) Les atteintes au principe de légalité

1) Législatives

Un monopole législatif, pour autant l’énoncé de la norme ne relève pas toujours du pouvoir législatif et celui parfois a eu l’occasion de déléguer sa compétence. Cette atteinte existe lorsque le législateur délègue sa compétence normative au profit de l’exécutif. C’est également une atteinte au principe de séparation des pouvoirs. Si le législateur délègue au pouvoir exécutif il va y avoir une confusion et donc une prise de position de l’exécutif. Cette délégation de compétence va s’accentuer après la Première Guerre mondiale avec cette procédure dite des décrets lois, avec le gouvernement qui au nom du pouvoir règlementaire va édicter la norme. La 3e et la 4e république n’ont pas été le seul théâtre de cette délégation, puisque la 5e république a prévu un cas de délégation, ce sont les articles 35 et 92 de la Constitution. On a à travers la procédure de l’ordonnance on à bien cette possibilité de transférer l’édiction de la norme vers le pouvoir exécutif.

Il existe dans la Constitution de 1958 une délégation beaucoup plus importante, notamment par l’articulation des articles 34 et 37 qui vont confier au pouvoir réglementaire la matière des contraventions. Cela est confirmé par les articles 111-1 et 111-2 du Code pénal. La matière contraventionnelle est la matière la plus importante. Ce sont certes des actes peu graves, ils n’entrainent pas de privations de libertés, mais ils sont nombreux et affectent un grand nombre de personnes. Sur le terrain quantitatif la délégation est loin d’être négligeable.

On va reprocher au législateur d’être trop occupé à produire du texte et d’en oublier la qualité. Ces insuffisances rédactionnelles sont lourdes de conséquences puisque le principe de légalité exige clarté et précision.

Pratique du texte ouvert qui conduit à des définitions approximatives qui conduisent donc à l’imprévisibilité, on ne sait pas se positionner face à ce qui est interdit et ce qui ne l’est pas. Exemple ; décret-loi du 29 juillet 1939 relatif aux infractions à la sûreté de l’Etat.

Textes contemporains imprécis ; exemple le harcèlement, le terme est trop vague, qu’est-ce que le harcèlement concrètement ?

Pratique du texte balais, il est sans délimitation claire du comportement interdit et laisse la voie suffisamment large à l’interprétation, ex : Article 410 du Code des douanes.

Technique du renvoie qui va conduire le législateur à incriminer un comportement mais à prévoir la peine dans un autre texte, cette technique va limiter l’accessibilité et l’intelligibilité puisqu’elle va scinder l’interdit et la sanction. Cette technique est encore plus attentatoire au principe de la légalité criminelle, ex ; article L-133-6 du Code de l’action sociale et des familles.

L’inflation législative cause la dispersion des lois pénales dans des législations techniques, qui vont rendre de plus en plus inaccessibles les textes. Cette inflation est directement liée à des réactions législatives dans l’urgence, ils ne sont pas toujours cohérents avec ce qui existe déjà, « un fait divers, une nouvelle loi », il arrive aussi que l’on arrive à des textes surabondants puisqu’ils n’apportaient rien de plus au texte déjà existants. On a alors une forme de banalisation du droit pénal totalement contraire à la notion de droit d’exception et donc au respect le plus scrupuleux possible à la légalité criminelle. Ce droit pénal ne doit pas avoir une fonction déclarative, il n’est pas là pour donner une ambiance générale, ou un effet d’annonce. Avis de la Commission européenne, il faut que le droit pénal reste un dernier recours, il ne doit pas être sollicité à tout bout de champ pour tente de résoudre des difficultés que d’autres modes de règlements doivent pouvoir régler.

L’inflation législative a pour cause aussi d’empêcher de connaître la loi, l’article 1 du Code civil est une fiction d’autant plus impossible avec cette inflation, on a donc un risque majeur « de ne plus voir correspondre la présomption de connaissance de la loi et la réalité sociale » comme l’a dit Marc Hansel.

2) Judiciaires

Le raisonnement par analogie auquel le juge pénal procède parfois, le juge se trouve face à des faits qui lui sont soumis, il recherche dans le code pénal des textes qui prévoient ces faits mais il s ‘aperçoit qu’il existe un texte assez proche. Il va donc raisonner par analogie en se déportant vers le texte qui ne prévoit pas les faits qui lui sont présentés. Ce raisonnement est totalement proscrit et son des atteintes à la légalité criminelle.

La technique de correctionnalisation, le juge ne va pas procéder à la qualification la plus adéquate, et c’est une atteinte claire et simple au principe de légalité criminelle

B) L’affirmation du principe

Il faut souligner la permanence de l’affirmation, elle conduit à l’expression de la valeur de ce principe, cette place centrale du principe s’apprécie d’abord au regard de la valeur législative, le Code pénal prévoit expressément dans ces articles 111-2 et 111-3. Le principe de légalité est présent dans de nombreux textes ratifiés par la France, il a une valeur supranationale, il a aussi une valeur constitutionnelle car on le retrouve à l’article 8 de la DDHC.

Aujourd’hui c’est un principe qui fait de la résistance malgré les atteintes, les formes de résistances sont textuelles, l’énoncé même du principe la référence dans les textes existe bien et ce depuis 1789. On a un principe de textualisation textes qui vont faire respecter ce principe de légalité criminelle.

Isa Germain

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