La légalité de l’impôt
Il détermine les sources du droit fiscal. Celui qui a le droit de créer les règles a le pouvoir fiscal.
A) La signification de ce principe
1) Les sources de ce principe
Le principe de la légalité de l’impôt en matière fiscale, est énoncé dans deux sources juridiques. Dans la Constitution de 1958, le principe est énoncé à l’article 34 du texte constitutionnel qui réserve la création des normes fiscales au seul législateur : « la loi fixe les règles relatives à l’assiette, aux taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature ».
Dans la DDHC de 1789, le principe de la légalité de l’impôt n’est pas directement énoncé, l’idée en est formulée à travers l’article 14 : « tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes, ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ». La lecture de l’article 14 montre que c’est le principe du consentement de l’impôt par les citoyens ou par leurs représentants qui est énoncé. Ce principe de consentement de l’impôt est un principe politique : le droit pour les citoyens d’accepter l’impôt, de le consentir librement d’eux-mêmes ou par leurs représentants. Il y a un lien étroit entre le principe de l’article 14 et le principe de la légalité de l’impôt énoncé à l’article 34 Constitution de 1958. Le principe de la légalité de l’impôt est la traduction juridique du principe politique du consentement de l’impôt par les citoyens/ou leurs représentants.
A partir du moment où les citoyens consentent à l’impôt, leur consentement va s’exprimer à travers la loi. Ce lien vient d’être officiellement rappelé par le Conseil constitutionnel dans une décision du 28 juin 2010. Le Conseil expliquait qu’il y avait un lien entre l’article 14 DDHC de 1789 et le principe de légalité de l’impôt.
2) La portée du principe de légalité de l’impôt
Le principe de légalité de l’impôt présente les grandes caractéristiques suivantes :
– Il existe une compétence exclusive du législateur dans la création des normes fiscales :il n’y a que la loi qui peut créer les normes fiscales. Cette compétence exclusive est très étendue, l’article 34C énumère le périmètre du domaine de la loi : l’assiette, le taux, les modalités de recouvrement. Dans tous ces domaines, il y a exclusivité de la loi sans qu’aucune autre autorité ne puisse valablement s’y substituer.
– La compétence exclusive du législateur demeure même s’il peut exister par ailleurs,des démembrements du pouvoir fiscal. En France, il existe un certain découpage dans l’organisation du pouvoir fiscal en vertu du principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales (CT). Elles ont le droit de fixer elles-mêmes les taux d’imposition de certains de leurs impôts (cela est vrai pour les 4 grandes taxes locales depuis 1981). Ce démembrement du pouvoir fiscal entre l’Etat et les CL est organisé par le législateur lui-même. Il n’y a pas d’atteinte à la compétence exclusive du législateur en matière fiscale. Le législateur fixe les cadres et les limites dans lesquelles peuvent intervenir la fixation des taux de certains impôts locaux. La loi reste exclusivement compétente pour déterminer les règles relatives à l’assiette et aux modalités de recouvrement de tous les impôts (y compris les impôts locaux). Le pouvoir fiscal des CL est un pouvoir partiel et limité, il reste subordonné aux limites données par la loi.
– La compétence exclusive crée des obligations au législateur. Il doit exercer à plein cette obligation. Au cas où le législateur ne l’exercerait pas conformément à ce que prescrit l’article 34C, il encourt le risque d’une censure de la part du Conseil constitutionnel au motif tiré de l’incompétence négative. A travers cette obligation, le législateur a une compétence exclusive étendue qui lui interdit de déléguer cette compétence aux autorités détentrices du pouvoir règlementaire. La loi ne peut pas confier aux décrets le soin de fixer le taux d’un impôt. La loi ne peut pas déléguer le pouvoir de création des normes fiscales. En revanche, la loi peut parfaitement confier au pouvoir règlementaire une compétence subordonnée d’exécution pour l’application des lois fiscales. On rencontre en matière fiscale, une technique qui permet au législateur de préciser que les mesures nécessaires à l’application de la loi seront précisées par voie règlementaire (par décret) : c’est une compétence subordonnée du décret pour l’application des lois fiscales. Cette compétence subordonnée est compatible avec le principe de légalité en matière fiscale, parce qu’elle ne lui porte pas atteinte.
La compétence exclusive de la loi dans la création des normes fiscales ne signifie que toutes les dispositions présentes dans le Code général des impôts ont une nature législative. Dans le Code général des impôts, on trouve deux types de dispositions : les dispositions législatives qui seules peuvent déterminer les règles relatives à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement. Il y a des dispositions règlementaires qui sont des précisions apportées par décret aux lois fiscales.
B) Les limites
1) Les limites externes
Ce sont des limites issues du développement d’un droit externe en matière fiscale. Ce droit tient au développement des conventions fiscales internationales et l’existence d’un droit communautaire en matière fiscale.
Les conventions fiscales internationales
Ce sont des accords/traités passés en matière fiscale. Ces conventions se présentent comme des accords bilatéraux entre Etats. L’objectif de ces accords est d’éliminerles phénomènes de double-imposition : c’est lorsqu’une personne physique ou morale a deux installations, deux résidences dans des Etats différents. Chacun des Etats sur lequel est installé la personne physique ou morale, va exiger que la personne soit contribuable. Principe de souveraineté territoriale des Etats : l’Etat a un droit de créance vis-à-vis de toute personne sur le territoire.
Ce phénomène de double-installation des personnes physiques/morales s’est développé, les Etats vont chercher à se mettre d’accord pour éviter qu’une personne soit taxée deux fois sur un même revenu dans les deux pays. L’accord conclu va consister à déterminer à l’un des deux Etats contractants va recevoir le droit d’imposer les personnes physiques ou morales sur son territoire. Les deux cocontractants vont se mettre d’accord de manière à donner à l’un le pouvoir de souveraineté fiscale, en exclusivité alors que l’autre Etat acceptera de renoncer à ce pouvoir. Partage entre les Etats entre les contribuables soumis à cette double-installation. Abandon partiel de droits de créance en matière fiscale.
Ces conventions restreignent le rôle de la loi en matière fiscale d’un double point de vue :
– C’est d’abord le pouvoir politique du législateur qui se trouve limité. C’est le pouvoir d’appréciation du Parlement qui se trouve limité. Le Parlement reste compétent à l’égard de ces conventions dans la mesure où un traité international ne peut pas avoir d’effet juridique au plan interne s’il n’a pas été ratifié par le législateur. Son pouvoir d’appréciation se trouve politiquement limité parce qu’il lui sera difficile de remettre en cause ou de modifier un accord conclu entre les deux pouvoirs exécutifs des Etats.
– Les limites hiérarchiques tiennent à la hiérarchie des normes et notamment au principe de la supériorité des dispositions conventionnelles internationales sur le droit interne. La loi interne doit s’effacer devant les dispositions conventionnelles issues d’un traité international à condition que ce traité ait été ratifié par le Parlement. S’il a été ratifié, le traité a une valeur supérieure aux dispositions internes et en cas de conflit/divergence entre les dispositions du droit interne et le traité : ce sera le traité qui s’appliquera en raison de sa valeur supérieure.
Le développement du droit communautaire en matière fiscale
Les pouvoirs de la loi interne en matière fiscale se trouvent limités par le développement du droit communautaire en matière fiscale. La raison d’être de ce droit fiscal communautaire est une volonté d’harmoniser les systèmes fiscaux au sein de l’UE (harmonisation fiscale communautaire). Cet objectif d’harmonisation ne doit pas être confondu l’uniformisation. L’objectif d’harmoniser consiste à rapprocher les législations fiscales nationales autour de critères proches. On ne peut pas uniformiser dans le contexte de l’UE parce que la fiscalité est restée un domaine de la compétence des Etats. La législation fiscale dépend de la souveraineté des Etats. On a recherché à ce qu’elle soit coordonnée pour que la fiscalité ne soit pas un obstacle à la libre-concurrence (grand principe de la construction de l’UE). L’harmonisation est recherchée par des directives que les Etats auront l’obligation de transposer dans leur droit interne.
Le processus d’harmonisation fiscale communautaire n’est pas généralisé à toute la fiscalité. Champ d’application limité à certains domaines de la fiscalité. Les secteurs de la fiscalité essentiellement concernés sont la TVA (principal domaine du processus d’harmonisation fiscale communautaire), les droits d’accise (droits sur les alcools et le tabac) et la fiscalité de l’épargne (fiscalité qui taxe les placements en valeur mobilière et les revenus tirés de ces placements).
On est en présence d’un processus limité à certains secteurs de la fiscalité. Par conséquent, l’impact sur la souveraineté fiscale de la loi interne est limité. Les dispositions fiscales au niveau de l’UE ne peuvent être adoptées qu’à la règle de l’unanimité (règle de protection des Etats membres).
Impact important du droit fiscal communautaire au regard du principe de légalité. Le droit fiscal communautaire vient limiter le principe de légalité interne. Ce principe fiscal communautaire n’émane pas de la loi interne. La loi interne doit s’incliner puisque les Etats ont l’obligation de transposer. Le principe de la supériorité juridique du droit communautaire sur la loi interne est consacré. La supériorité du droit fiscal communautaire s’étend aux mesures règlementaires internes puisqu’il a été jugé par le Conseil d’Etat que les autorités au plan interne ne pouvaient laisser subsister des dispositions règlementaires incompatibles avec une directive.
2) Les limites internes
Au plan interne, le principe de légalité fiscal connait un certain nombre de limites qui tiennent à l’érosion de la fonction législative elle-même :
– La place restreinte de la loi et par conséquent, du principe de légalité en matière de ressources publiques. Le principe de la légalité fiscale ne concerne que l’impôt (tautologie). A l’origine, le principe de consentement de l’impôt par les citoyens et leurs représentants avait pour objectif de limiter d’une manière générale, le pouvoir financier de l’exécutif. L’idée était d’encadrer le droit de l’exécutif à lever les ressources. Ce droit ne peut être écarté que sur consentement préalable des citoyens ou de leurs représentants. Il y a un retour : le pouvoir de lever des ressources publiques n’est encadré qu’à l’égard de l’impôt. Le principe de légalité n’a qu’un champ limité : il ne concerne pas l’ensemble des ressources publiques.
– Même lorsque la loi intervient en matière fiscale, ce principe ne s’exprime souvent que de manière formelle. Les lois fiscales se présentent souvent comme des textes très généraux.
– La renonciation par le législateur lui-même à la primauté de la loi en matière fiscale. En droit fiscal, il y a une disposition particulière qui s’appelle la protection contre les changements de doctrine par l’administration. Ce dispositif se trouve codifié à l’article L 80A et L 80B du livre des procédures fiscales. Le législateur a voulu donner au contribuable une protection encore plus forte, les garanties d’une sécurité juridique maximum à travers l’article L 80A. Le législateur a pris conscience très tôt que le droit fiscal a un caractère général. Le droit fiscal demande une interprétation permanente. L’administration est conduite à faire une interprétation, elle peut faire une interprétation qui contrevient à l’interprétation du législateur. Chacun des agents administratifs peut avoir une interprétation différente. Le législateur a voulu protéger les contribuables contre les risques inhérents à l’interprétation des textes par l’administration. Il a voulu garantir aux contribuables que les prises de position de l’administration, l’engageait et que le contribuable pourrait le cas échéant lui opposer cette prise de position. Un contribuable pourra opposer une interprétation à l’adm. selon l’article L 80A, le contribuable pourra opposer à l’administration la doctrine qu’elle lui avait indiquée, même si cette doctrine est illégale : le législateur a renoncé à la primauté de la loi, la doctrine dans ce cas-là supplante la loi.