La liberté d’expression, d’information, de communication
La liberté de communication, pilier des démocraties modernes, est indissociable de la liberté d’expression, fondée sur la dignité humaine. Ces deux libertés, consacrées par les textes nationaux et internationaux, évoluent pour répondre aux défis actuels liés à l’évolution technologique, aux enjeux économiques et aux risques de concentration des médias
La liberté d’expression constitue une valeur fondamentale et un socle essentiel des sociétés démocratiques. Elle garantit à chaque individu le droit de s’exprimer, de partager ses idées, de débattre et de s’informer sans crainte de répression. Cette liberté favorise la construction d’une opinion éclairée, permettant ainsi à la démocratie de prospérer dans un cadre pluraliste et ouvert. Voltaire, dans ses écrits, soulignait l’importance de cette liberté en affirmant que « le droit de dire et d’imprimer ce que nous pensons est le droit de tout homme libre dont on ne pourrait le priver sans exercer la tyrannie la plus odieuse ».
On analysera tour à tour la liberté de communication, la liberté d’expression et la liberté d’information
Chapitre 1 – La liberté d’expression
Ainsi, il apparaît essentiel de comprendre les fondements et les contours de cette liberté, tout en analysant les limites qui lui sont imposées pour préserver d’autres valeurs tout aussi fondamentales, telles que la dignité humaine, l’ordre public ou la protection contre les discours de haine.
- Les libertés fondamentales (Grand oral, CRFPA, EFB, IEJ)
- Histoire et source des libertés fondamentales
- L’évolution des droits de l’Homme : crises et critiques
- La Constitution et la loi face aux libertés publiques
- Le droit européen des libertés publiques
- Le droit à la vie
- La liberté de conscience
Section 1 : La notion de liberté d’expression
Historiquement, cette liberté a pris un tournant décisif avec l’apparition de l’imprimerie, qui a révolutionné la communication en rendant possibles les échanges de masse. Ce développement s’est concrétisé juridiquement avec la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, un texte clé toujours en vigueur, qui a posé les bases de la régulation de l’information dans une société démocratique. Cependant, les avancées technologiques des dernières décennies, telles que l’émergence des médias audiovisuels et l’explosion des plateformes numériques, ont bouleversé les moyens de communication et soulèvent aujourd’hui des interrogations sur la pertinence et l’efficacité des cadres juridiques traditionnels.
I. Les textes fondateurs
La liberté d’expression est un principe fondamental reconnu par les grandes juridictions internationales et nationales. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), dans l’affaire Handyside c. Royaume-Uni (1976), a établi une définition clé : elle considère cette liberté comme l’un des droits les plus précieux de l’Homme, indispensable à toute société démocratique. Elle souligne que la liberté d’expression contribue au progrès social et à l’épanouissement individuel.
La particularité de cette liberté réside dans le fait qu’elle s’étend aux idées qui peuvent choquer, heurter ou inquiéter, un point essentiel pour garantir le pluralisme et la tolérance. Ce principe est devenu un pilier des décisions de la CEDH et a été repris par le Conseil constitutionnel français, notamment dans sa décision de 1984, qui reconnaît la liberté d’expression comme une garantie essentielle pour protéger les autres droits et libertés ainsi que la souveraineté nationale.
II. Le contenu de la liberté d’expression
La liberté d’expression ne se limite pas à la simple faculté de s’exprimer ; elle inclut également le droit de recevoir et de diffuser des informations. Ce droit s’applique tant aux relations entre personnes privées qu’aux interactions avec l’État. Dans cette optique, la CEDH a développé la notion d’obligation positive pour les États membres : ils ne doivent pas seulement s’abstenir de restreindre la liberté d’expression, mais doivent également prendre des mesures concrètes pour garantir son effectivité.
Cependant, cette liberté n’est pas absolue et peut être limitée dans certaines conditions définies par la jurisprudence internationale. Selon l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, une ingérence dans la liberté d’expression est permise si elle répond à trois critères :
- Elle est prévue par la loi : toute restriction doit être clairement énoncée dans un texte juridique accessible et prévisible.
- Elle poursuit un but légitime : la défense de l’ordre public, la protection des droits d’autrui ou encore la garantie de l’impartialité de la justice.
- Elle est nécessaire dans une société démocratique : l’ingérence doit être proportionnée à l’objectif poursuivi.
III. Les limites de la liberté d’expression : application des restrictions
La liberté d’expression, bien qu’essentielle, doit être conciliée avec d’autres intérêts fondamentaux, comme l’ordre public, la moralité ou la protection des droits d’autrui. Ces limites sont examinées à travers des cas spécifiques.
A. Liberté d’expression et symboles de l’État
La critique des symboles de l’État est un sujet sensible. Par exemple, l’infraction de délit d’offense au chef de l’État, abrogée en 2013, illustre la tension entre la critique politique et le respect des institutions. La CEDH a notamment jugé, dans une affaire impliquant Nicolas Sarkozy, que la reprise de l’expression « casse-toi pauvre con » dans un contexte de protestation relevait d’une critique politique légitime et d’une forme d’impertinence satirique, justifiant une protection renforcée de la liberté d’expression.
B. Liberté d’expression et moralité publique
Certaines publications destinées à un public sensible, comme les mineurs, sont soumises à des restrictions strictes. Dans l’affaire Vejdeland c. Suède (2012), la distribution de tracts homophobes a été jugée contraire à la liberté d’expression en raison de leur contenu haineux et du public visé (des élèves). La CEDH a considéré que cette restriction était proportionnée au regard de la protection de l’ordre public.
C. Liberté d’expression et religion
La liberté d’expression inclut le droit à la critique religieuse, comme l’ont illustré les affaires relatives aux caricatures de Mahomet. En France, le blasphème n’est pas reconnu juridiquement, car il repose sur des croyances et non sur des faits objectifs. Dans l’affaire des caricatures, les juges ont souligné que les publications visaient les fondamentalismes religieux et non une communauté spécifique, renforçant ainsi leur compatibilité avec les principes démocratiques.
D. Liberté d’expression et dignité humaine
La lutte contre les propos haineux et le racisme justifie parfois des restrictions. Dans l’affaire Dieudonné Mbala Mbala c. France (2015), la CEDH a validé l’interdiction d’un spectacle jugé contraire à la dignité humaine. Elle a estimé que des propos haineux et discriminatoires constituaient un abus de droit, excluant leur protection au titre de la liberté d’expression.
E. Liberté d’expression et création artistique
La liberté d’expression protège également les œuvres artistiques, y compris lorsqu’elles suscitent la controverse. Dans une affaire impliquant un rappeur accusé d’incitation à la haine, le juge a conclu que ses paroles, bien que provocantes, relevaient de la fiction artistique. L’interdiction de son œuvre aurait constitué une atteinte disproportionnée à la liberté de création.
Résumé : La liberté d’expression repose sur des fondements solides garantis par des textes nationaux et internationaux, mais son exercice est encadré par des limites légales destinées à préserver d’autres valeurs fondamentales. Ces restrictions, qu’elles concernent les symboles de l’État, la moralité publique, la religion, ou la dignité humaine, visent à concilier cette liberté essentielle avec les exigences d’une société démocratique.
Section 2 : Liberté d’expression et nouveaux supports de communication
I. Liberté d’expression et presse écrite
La presse écrite a longtemps été le principal vecteur de la liberté d’expression. La loi du 29 juillet 1881, toujours en vigueur, constitue la pierre angulaire du droit de la presse en France. Ce texte garantit le libre accès à l’information tout en encadrant la responsabilité des auteurs et éditeurs pour éviter les abus, tels que la diffamation ou l’incitation à la haine.
La presse écrite bénéficie d’un cadre juridique permettant le droit de réponse, qui offre aux individus ou organisations visés par une publication la possibilité de rectifier ou d’expliquer des faits les concernant. Ce droit est strictement encadré :
- La réponse doit être publiée dans les mêmes conditions (emplacement, format) que l’article initial.
- Les abus de ce droit sont limités par la jurisprudence.
➔ Exemple : En 1998, la Cour de cassation a restreint le droit de réponse dans des affaires concernant le Front national, rappelant qu’il ne peut servir de tribune pour développer des arguments politiques sans lien direct avec l’accusation initiale.
La presse écrite reste un support central, mais l’essor des médias numériques a complexifié les régulations, notamment en matière de responsabilité des publications et de protection des droits des individus.
II. Liberté d’expression et audiovisuel
L’audiovisuel a introduit une nouvelle dimension à la liberté d’expression, en raison de sa capacité à toucher un large public en temps réel. Cette spécificité justifie un encadrement juridique plus strict que celui de la presse écrite, notamment par le biais du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) (aujourd’hui remplacé par l’ARCOM, Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique).
Les règles concernant le droit de réponse audiovisuel diffèrent de celles applicables à la presse :
- Les réponses doivent être brefs et directement liées à des imputations portant atteinte à l’honneur ou à la réputation.
- Les délais pour formuler une réponse sont courts.
- La réponse est lue par un présentateur, sans intervention directe de la personne mise en cause.
➔ Exemple récent : En 2019, un politicien a demandé un droit de réponse à une chaîne de télévision pour contester des accusations de corruption. L’ARCOM a encadré ce droit, en veillant à ce que la réponse soit proportionnée et limitée au sujet initial.
La puissance des médias audiovisuels rend leur impact potentiellement plus préjudiciable que celui de la presse écrite. Cela justifie des délais raccourcis et des modalités spécifiques pour garantir une réparation rapide des atteintes.
III. Liberté d’expression à l’ère numérique
L’émergence d’Internet et des réseaux sociaux a bouleversé les cadres traditionnels de la liberté d’expression. Les plateformes numériques offrent des espaces de communication instantanés, accessibles à tous, mais posent des défis inédits en matière de responsabilité et de régulation.
A. Les défis des réseaux sociaux
Les réseaux sociaux permettent une diffusion massive de contenus, souvent anonymes, ce qui favorise la propagation de discours haineux, de fausses informations ou de contenus illicites.
➔ Exemple récent : L’affaire Mila en France (2020), où une adolescente a été la cible d’une vague de haine en ligne pour avoir critiqué la religion, a mis en lumière l’insuffisance des protections face au cyberharcèlement.
B. Encadrement juridique
Face à ces défis, la France et l’Europe ont adopté des mesures spécifiques :
- La loi Avia (2020) oblige les plateformes à retirer en 24 heures les contenus manifestement haineux, sous peine de sanctions.
- Le Digital Services Act (DSA) de l’Union européenne, entré en vigueur en 2022, impose une responsabilité accrue aux grandes plateformes pour modérer les contenus et protéger les utilisateurs.
C. Responsabilité des hébergeurs
Les plateformes, comme Facebook ou Twitter, sont désormais considérées comme des intermédiaires techniques soumis à des obligations renforcées. Cependant, elles ne sont pas responsables des contenus publiés par leurs utilisateurs, sauf si elles ne les retirent pas dans les délais impartis après notification.
Résumé : La liberté d’expression évolue avec les supports de communication, des journaux papier aux médias audiovisuels et numériques. Si la presse écrite reste régulée par des lois historiques, les médias audiovisuels et les réseaux sociaux imposent de nouveaux cadres juridiques pour concilier liberté, responsabilité et protection contre les abus. L’essor des technologies numériques, en particulier, appelle à une vigilance accrue pour préserver un équilibre entre l’ouverture des espaces d’expression et la lutte contre les dérives.
Chapitre 2 – La liberté de communication
I. Une liberté fondamentale à multiples dimensions
A. Une vision élargie de la liberté de communication
À l’origine, les constituants de 1789 ont conçu la liberté d’expression comme un droit individuel reposant sur une relation entre un émetteur et un récepteur. Aujourd’hui, cette vision a évolué :
- La communication ne se limite plus aux échanges individuels mais s’étend à des systèmes complexes impliquant des moyens techniques (ondes, domaine public) et des médias puissants.
- Ces médias, dotés de moyens financiers considérables, soulèvent des inquiétudes quant à l’usage potentiel de leur influence sur l’opinion publique et les débats démocratiques.
B. Une tension entre économie et culture
La liberté de communication repose sur des enjeux économiques et culturels contradictoires :
- L’évolution économique :
- La télévision et les médias, initialement sous contrôle politique, ont évolué vers des logiques de marché où la recherche du profit domine souvent.
- L’importation massive de programmes étrangers illustre une dépendance économique croissante, au détriment d’une production nationale.
- Les défis culturels :
- La médiocrité de certains contenus est souvent attribuée à une priorité donnée à la technique et aux aspects économiques, sans réflexion suffisante sur la qualité éditoriale.
II. Les principes fondamentaux du droit de la communication
A. Le principe de liberté
La liberté d’expression et de communication, garantie par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, s’exerce dans un cadre où :
- Les abus sont réprimés à posteriori (régime répressif).
- Il n’existe pas de contrôle préventif, sauf exceptions légales.
Cette liberté s’applique à tous, y compris aux journalistes, bien que leur statut reste flou en droit français. Le Code du travail définit le journaliste comme une personne exerçant cette activité de manière principale et régulière, mais cette définition est critiquée pour son approche restrictive.
B. Le pluralisme comme objectif constitutionnel
Le pluralisme des médias est essentiel pour garantir une liberté effective de communication :
- Reconnaissance constitutionnelle :
- Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 10-11 octobre 1984, a affirmé que le pluralisme est un objectif de valeur constitutionnelle.
- Le pluralisme suppose que le public puisse accéder à une diversité de publications et de contenus reflétant différentes tendances.
- Régulation des médias :
- La loi de 1984 a introduit des mesures anti-concentration pour limiter la domination des grands groupes sur les médias.
- Ces dispositifs, révisés en 1986, visent à préserver la transparence dans la propriété des médias, bien qu’ils restent partiellement efficaces face aux groupes de presse étrangers.
C. La transparence des médias
La transparence est une condition essentielle pour garantir la liberté de choix des citoyens :
- Les entreprises de presse et les agences de communication doivent rendre publiques les informations sur leur direction et leurs sources de financement.
- Cette transparence permet d’éviter que les intérêts privés ou publics ne s’imposent au détriment du pluralisme et de l’indépendance éditoriale.
Chapitre 3 – Le droit à l’information : un droit double et évolutif
A. Le droit d’informer et le droit d’être informé
La liberté de communication englobe deux aspects complémentaires :
- Le droit d’informer : Les journalistes disposent d’une liberté pour rechercher, collecter et diffuser des informations.
- Le droit d’être informé : Les citoyens ont le droit de recevoir une information libre, pluraliste et objective.
B. L’information comme bien public
L’information est aujourd’hui une ressource stratégique, mais elle reste sujette à des déformations :
- La diversité des sources et des angles d’approche reflète des biais liés aux intérêts des journalistes, des auditeurs ou des agences de presse.
- Les agences de presse, comme l’AFP en France, jouent un rôle essentiel dans la collecte et la diffusion d’informations objectives.
- Créée en 1957, l’AFP bénéficie d’un statut spécifique pour garantir son indépendance, malgré des subventions publiques.
- Gérée par un conseil où la presse écrite est majoritaire, l’AFP est soumise à une obligation d’objectivité, desservant clients français et étrangers.