La religion et l’État : entre séparation et cohabitation
La séparation des Églises et de l’État, consacrée par la loi de 1905, constitue l’un des fondements de la République française et illustre l’attachement de la France à la laïcité. Ce principe, garantissant la liberté de conscience et la neutralité de l’État face aux religions, a été le fruit d’un long processus historique marqué par des tensions entre les institutions religieuses et républicaines. Depuis les années 1880, les républicains, porteurs d’un projet anticlérical, ont progressivement mené des réformes visant à affirmer la primauté de l’État sur les questions religieuses. La promulgation de la loi de 1905 a cependant généré des oppositions vives, notamment de l’Église catholique, nécessitant des ajustements pour parvenir à un compromis. Bien que la loi ait établi une séparation juridique, les interactions entre les Églises et l’État perdurent, reflétant une forme de coexistence pragmatique.
Les leçons tirées de cette période continuent de résonner dans les débats contemporains sur la laïcité. Par exemple, les polémiques récentes sur le port des signes religieux dans l’espace public ou sur le financement des cultes soulignent que les tensions entre croyances religieuses et valeurs républicaines demeurent d’actualité. Des situations comme celles des écoles hors contrat ou les revendications autour de lieux de culte dans des contextes de diversité religieuse rappellent les débats historiques, tout en réactualisant les défis posés par la cohabitation entre sphère publique et privée.
I. La séparation des Églises et de l’État en France
En France, la laïcité est consacrée au niveau constitutionnel (article 1er de la Constitution de 1958). L’État garantit la liberté de conscience et la neutralité religieuse, interdisant toute subvention publique aux cultes (loi de 1905).
Loi du 15 mars 2004 : Elle interdit le port de signes religieux ostensibles dans les écoles publiques. Ce cadre, confirmé par la jurisprudence, incarne une laïcité stricte et une séparation claire entre les institutions publiques et religieuses.
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A. La route vers la séparation : un long cheminement historique et idéologique
La séparation des Églises et de l’État en France résulte d’un processus complexe, enraciné dans une histoire marquée par des tensions croissantes entre le pouvoir religieux et le pouvoir républicain. Dès les années 1880, la construction d’une République laïque devient une priorité pour les Républicains, résolus à éroder l’influence des institutions religieuses sur la vie publique. Ce tournant découle de plusieurs facteurs historiques, sociaux et politiques.
Le contexte politique de la fin du XIXᵉ siècle : la montée des Républicains
Avec l’arrivée des Républicains au pouvoir en 1879, un conflit ouvert s’installe entre l’État et l’Église catholique, jusque-là soutenue par le maréchal de Mac Mahon, président de la République et fervent catholique. Ce dernier, confronté à une majorité républicaine et des tensions croissantes sur la place des congrégations religieuses, est contraint de démissionner. Cet événement marque le début d’une période où la politique anticléricale se renforce.
Les Républicains, majoritairement favorables à une séparation stricte entre l’Église et l’État, trouvent également des alliés inattendus parmi une frange minoritaire de catholiques, notamment ceux favorables à une émancipation de l’Église par rapport au pouvoir temporel. Cependant, cette alliance demeure marginale, la majorité des catholiques s’opposant à toute mesure visant à restreindre l’influence religieuse.
Les premières mesures anticléricales : vers une désinstitutionnalisation progressive
Dans les années 1880, plusieurs décisions marquent le début du désengagement de l’État vis-à-vis des institutions religieuses :
- Les décrets de 1880 : Ces textes emblématiques ordonnent l’expulsion de nombreuses congrégations religieuses, notamment enseignantes. Ces expulsions entraînent la fermeture d’écoles catholiques, forçant des élèves à poursuivre leur scolarité à l’étranger. Par exemple, les frères du général de Gaulle furent contraints de passer leur baccalauréat en Belgique en raison de ces fermetures.
- La loi de 1901 sur la liberté d’association : Bien qu’instaurant un cadre général pour les associations, cette loi interdit les confédérations religieuses, renforçant ainsi la marginalisation des institutions religieuses dans l’espace public.
- Les lois épuratoires : Une série de lois adoptées durant cette période cible également les magistrats jugés insuffisamment républicains, les écartant des fonctions sensibles.
Un contexte social et culturel marqué par l’affaire Dreyfus
L’affaire Dreyfus (1894-1906) agit comme un catalyseur de l’anticléricalisme en France. La proximité affichée entre une partie du clergé catholique et les milieux nationalistes et antidreyfusards exacerbe les tensions. Cette situation renforce la méfiance des Républicains à l’égard des institutions religieuses, perçues comme un obstacle à la modernisation et à la sécularisation de la République.
Les résistances et la consolidation d’un mouvement anticlérical
Malgré la montée de l’anticléricalisme, les résistances à la séparation restent nombreuses. Une partie de l’élite politique, des classes populaires profondément attachées aux traditions religieuses, et une Église encore influente dans l’éducation et les œuvres sociales freinent le processus. Toutefois, l’impulsion des Républicains et le contexte socio-politique de la fin du XIXᵉ siècle créent les conditions favorables à l’adoption de réformes radicales.
B. L’adoption de la loi de séparation : un tournant décisif dans la construction de la laïcité
La loi de 1905, portant séparation des Églises et de l’État, constitue une étape fondatrice dans l’histoire de la République française. Ce texte, à la fois emblématique et controversé, a été le fruit d’un débat intense, nourri par des oppositions idéologiques et des enjeux politiques. Les débats et tensions qui ont entouré son adoption illustrent la complexité de ce processus, mais aussi la volonté républicaine de construire une société fondée sur la neutralité de l’État en matière religieuse.
Le projet avorté d’Émile Combes : une vision anticléricale radicale
Avant l’adoption de la loi de 1905, un premier projet de séparation, porté par Émile Combes, s’est distingué par son caractère extrêmement anticlérical. Ce projet, élaboré dans un contexte de tensions croissantes entre les institutions religieuses et l’État, prévoyait :
- L’interdiction totale des religions dans l’espace public : Les associations cultuelles ne pouvaient se fédérer qu’au niveau départemental, excluant toute organisation nationale. Cette disposition visait directement l’Église catholique, dont la structure hiérarchique internationale reposait sur un lien étroit avec le Vatican.
- La gestion des édifices religieux par l’État : Les bâtiments religieux devaient être loués pour une durée de 10 ans, renouvelable à la discrétion de l’État. En l’absence de renouvellement, ces édifices pouvaient être affectés à d’autres usages, y compris à des activités profanes ou à des fêtes civiques.
- La suppression des processions religieuses : Cette mesure visait à limiter la visibilité des cultes dans l’espace public et à renforcer la neutralité de l’État.
Le projet d’Émile Combes, adopté par le Conseil des ministres le 28 octobre 1904, échoue cependant à être validé par l’Assemblée nationale. Ce revers s’explique par le scandale des « fiches », un système de surveillance de l’armée visant à ralentir l’avancement des officiers catholiques. La divulgation de ce système au sein de l’Assemblée a discrédité Émile Combes, l’empêchant de rassembler une majorité en faveur de son projet. Ce scandale marque la fin de la carrière politique de Combes et ouvre la voie à une approche plus modérée.
Le projet de loi d’Aristide Briand : un compromis pacifique
En mars 1905, Aristide Briand propose un nouveau projet de loi, bien moins radical que celui d’Émile Combes. Ce texte, composé de 44 articles, adopte une approche pragmatique et pacifiste, permettant d’organiser la séparation des Églises et de l’État tout en garantissant les libertés religieuses. Ce projet devient la loi du 9 décembre 1905, après de longs débats parlementaires, et est souvent considéré comme un modèle de compromis.
Les principaux points de cette loi incluent :
- La garantie de la liberté de conscience : L’article 1 de la loi stipule que « la République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes ». Cette disposition fondamentale inscrit la liberté religieuse dans le cadre d’une République laïque.
- La suppression des subventions aux cultes : L’article 2 précise que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Les ministres des cultes ne sont plus rémunérés par l’État, consacrant ainsi l’indépendance financière des Églises.
- L’attribution des édifices religieux : Les bâtiments appartenant à l’État ou aux collectivités territoriales restent à la disposition des associations cultuelles, garantissant leur usage dans un cadre défini par la loi.
Les réactions initiales et les tensions post-adoption
Si cette loi est aujourd’hui perçue comme un texte fondateur de la laïcité française, elle a été accueillie avec hostilité par une grande partie du clergé catholique et certains fidèles. Le Vatican a menacé d’excommunication les parlementaires ayant soutenu cette loi, estimant qu’elle portait atteinte à l’organisation interne de l’Église catholique. Ce refus catégorique d’adhérer au modèle proposé par la loi de 1905 a conduit à une période de crise et de négociations.
Les associations cultuelles, vues comme un outil de contrôle des cultes par l’État, étaient particulièrement mal perçues par l’Église catholique. Ce rejet a abouti à une impasse jusqu’en 1924, année où un compromis a été trouvé grâce à l’introduction des associations diocésaines, un statut qui respectait la hiérarchie ecclésiastique tout en s’intégrant dans le cadre républicain.
Le centenaire de la loi de 1905, célébré en 2005, a été l’occasion de réaffirmer l’importance de ce texte dans le cadre des débats actuels sur la laïcité. Les enjeux contemporains, tels que la gestion des lieux de culte musulmans ou les débats sur le financement public des écoles confessionnelles, montrent que la laïcité reste un sujet de controverses et de réinterprétations. En 2021, la loi sur le « séparatisme » a relancé le débat sur la régulation des associations cultuelles, rappelant l’héritage complexe et toujours vivant de la loi de 1905.
Ainsi, le projet d’Aristide Briand, adopté après des décennies de tensions et de débats, incarne un équilibre entre la neutralité de l’État et la garantie des libertés religieuses. Ce modèle, bien que remis en question par des évolutions sociales et culturelles, demeure un pilier de la République française.
II. La cohabitation entre Église et État en France
A. L’existence de la cohabitation
La loi de 1905 proclame une séparation entre les Églises et l’État, mais dans la pratique, cette séparation s’avère relative. Loin d’être une rupture totale, elle a permis l’instauration d’un cadre de cohabitation, parfois qualifié de coexistence, entre les sphères religieuse et étatique. Cette frontière, loin d’être étanche, illustre l’adaptation constante du modèle républicain à la diversité des pratiques cultuelles et aux exigences sociétales contemporaines.
La coexistence prévue par la loi de 1905
La loi du 9 décembre 1905 a établi des principes de neutralité tout en prévoyant des dispositifs d’intervention de l’État dans certaines activités religieuses. Ces dispositions reflètent une volonté de concilier liberté de conscience et gestion pragmatique des cultes dans une République laïque :
- Les aumôneries : Certaines situations, comme les prisons, les hôpitaux ou l’armée, justifient la mise en place d’aumôneries subventionnées par l’État. Par exemple, les détenus, en vertu de la loi pénitentiaire de 2009, disposent du droit à un accompagnement spirituel dans leur confession. Les aumôniers sont rémunérés, tout en respectant le principe de neutralité.
- Le financement d’établissements religieux à caractère culturel : Si la loi interdit de subventionner directement les cultes, elle autorise le financement d’activités culturelles associées. Ainsi, des événements organisés par des associations religieuses peuvent bénéficier de subventions, dès lors qu’ils sont ouverts à tous et dépourvus de tout prosélytisme. Ce principe a été confirmé par la jurisprudence, comme dans une décision du Conseil d’État en 2016 concernant une crèche installée dans un bâtiment public.
Une frontière juridiquement posée mais perméable dans les faits
Le terme de « séparation » utilisé pour qualifier les relations entre les Églises et l’État mérite d’être nuancé. En réalité, cette séparation est davantage une frontière perméable qu’une division stricte. L’État reste impliqué dans la gestion des affaires religieuses, que ce soit par la protection des libertés de culte, la régulation des associations cultuelles ou la gestion des édifices religieux :
- La gestion des bâtiments religieux : Les édifices religieux construits avant 1905 appartiennent souvent aux collectivités locales. Ces dernières sont responsables de leur entretien, ce qui constitue une forme de lien persistant entre l’État et les cultes. Par exemple, la rénovation de Notre-Dame de Paris après l’incendie de 2019 a impliqué des financements publics, soulignant l’imbrication des responsabilités.
- L’organisation d’événements religieux officiels : Certaines cérémonies religieuses, bien que non financées directement par l’État, peuvent avoir un écho institutionnel. Ainsi, lors des attentats de 2015, des représentants religieux ont participé à des hommages nationaux, reflétant une coopération entre sphères religieuse et publique dans des moments de crise.
Des tensions persistantes et des adaptations récentes
Les dernières années ont vu émerger de nouveaux défis liés à la cohabitation entre les cultes et l’État, nécessitant une actualisation des pratiques et des régulations :
- La loi contre le séparatisme de 2021 : Ce texte, officiellement intitulé « Loi confortant le respect des principes de la République », a renforcé les règles encadrant les associations cultuelles. Désormais, celles-ci doivent respecter des critères stricts de transparence financière et d’engagement républicain. Cette loi vise notamment à prévenir les dérives communautaristes, tout en affirmant le rôle de l’État comme garant des principes républicains.
- Les débats autour du financement des lieux de culte musulmans : La construction de mosquées en France a souvent suscité des controverses. Bien que la loi de 1905 interdise le financement public des cultes, certains projets ont bénéficié de financements indirects via des baux emphytéotiques ou des subventions pour des infrastructures culturelles. Ce sujet reste une pierre d’achoppement dans les discussions sur l’application stricte de la laïcité.
Les cas spécifiques de l’Alsace-Moselle et des territoires ultramarins
Malgré la portée universelle de la loi de 1905, certaines exceptions témoignent de la persistance de modèles spécifiques :
- Le régime concordataire en Alsace-Moselle : Ce territoire, resté sous le régime du concordat napoléonien après son retour à la France en 1918, n’est pas soumis à la loi de 1905. Les ministres des cultes catholique, protestant et juif y sont toujours rémunérés par l’État. Cette exception soulève régulièrement des débats, mais elle demeure inchangée en raison de son ancrage historique et de son acceptation locale.
- Les territoires ultramarins : Dans certains départements et collectivités d’outre-mer, des adaptations spécifiques existent, comme le financement public des cérémonies religieuses ou la prise en charge d’édifices cultuels. Ces pratiques, souvent justifiées par des contextes culturels ou géographiques particuliers, montrent que la séparation des Églises et de l’État n’est jamais totalement homogène.
La coexistence comme réalité pratique
Ainsi, la cohabitation entre les Églises et l’État est loin d’être une simple survivance historique. Elle s’inscrit dans une réalité complexe, où les nécessités pratiques, les attentes sociales et les héritages culturels façonnent une relation hybride. Le terme de « séparation » doit être compris dans un sens juridique, mais dans la pratique, il s’agit bien davantage d’une coexistence dynamique, qui s’adapte aux évolutions de la société française et aux défis contemporains.
B. 2 illustrations de la cohabitation entre les Églises et l’État en France
La relation entre les Églises et l’État en France, bien qu’encadrée par le principe de laïcité issu de la loi de 1905, continue de donner lieu à des interactions et des manifestations symboliques. Ces situations, parfois marquées par des tensions ou des rapprochements, illustrent la coexistence pratique entre ces deux sphères.
Les fêtes nationales à dimension religieuse : un héritage mêlant République et spiritualité
Certaines fêtes nationales incarnent une forme de dialogue implicite entre l’État laïc et les symboles religieux, témoignant des racines historiques et culturelles du pays. Deux exemples marquants en France mettent en lumière cette imbrication :
- La fête de Jeanne d’Arc : Jeanne d’Arc, figure historique canonisée par l’Église catholique en 1920, incarne un symbole complexe mêlant foi religieuse et patriotisme républicain. En 1920, sur proposition de Maurice Barrès, la République a institué une fête nationale en son honneur, célébrée chaque deuxième dimanche de mai. Cette commémoration, à la fois laïque et religieuse, reflète une tentative de réconciliation entre la République et le Vatican après des décennies d’anticléricalisme. Aujourd’hui encore, cet hommage suscite des interprétations variées : pour certains, il incarne l’unité nationale ; pour d’autres, il soulève des débats sur la place du religieux dans les symboles républicains.
- La fête de l’Assomption : Bien que l’Assomption soit une fête religieuse catholique, elle reste un jour férié en France, un héritage du concordat et des traditions culturelles. Ce maintien soulève régulièrement des interrogations sur l’équité entre les différentes confessions religieuses. Cependant, les autorités publiques justifient souvent cette pratique par sa dimension patrimoniale et sociale.
Ces exemples montrent que certaines célébrations, bien qu’héritées de la tradition chrétienne, ont été intégrées dans le calendrier civil pour refléter l’histoire et la culture de la France.
Les événements religieux officiels : entre symbolisme et nécessité sociale
Dans certaines circonstances, la République, bien que laïque, est amenée à collaborer avec des institutions religieuses pour des raisons symboliques ou pratiques. Cette interaction, loin de remettre en cause la laïcité, illustre un pragmatisme nécessaire dans une société pluraliste :
- Les commémorations nationales en lien avec les cultes : Les attentats de 2015 ont donné lieu à des cérémonies où les représentants des grandes confessions religieuses ont été invités à participer. Ces moments d’unité nationale, mêlant valeurs républicaines et solidarités spirituelles, ont permis de rassembler une société meurtrie, tout en rappelant l’attachement de la France à la liberté de culte et au vivre-ensemble.
- La gestion des édifices religieux après des catastrophes : L’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris en 2019 a mis en lumière l’importance symbolique et culturelle des lieux de culte, même dans une République laïque. La mobilisation massive de fonds publics et privés pour sa restauration, ainsi que l’implication des pouvoirs publics, démontre que les édifices religieux, au-delà de leur fonction spirituelle, sont perçus comme des éléments du patrimoine national.
Les nouvelles problématiques de coexistence au XXIe siècle
Les interactions entre l’État et les Églises ne se limitent pas à des commémorations ou à la gestion du patrimoine. Elles se manifestent aussi dans des problématiques contemporaines, souvent liées à des évolutions sociétales ou à des défis spécifiques :
- Le financement des cultes musulmans : Avec la montée en puissance de l’islam en France, de nouvelles questions se posent quant à l’équité des traitements entre confessions. Bien que la loi de 1905 interdise le financement public des cultes, des dispositifs comme les baux emphytéotiques ou les subventions pour des infrastructures culturelles liées à des mosquées montrent une adaptation des pratiques pour répondre aux besoins. Ces questions restent néanmoins source de débats publics récurrents, certains y voyant une remise en cause de la stricte application de la laïcité.
- Les controverses autour des crèches dans les espaces publics : Ces dernières années, les décisions judiciaires concernant l’installation de crèches de Noël dans les mairies ont illustré les tensions entre tradition culturelle et neutralité religieuse. Le Conseil d’État, dans des décisions comme celle de 2016, a affirmé que ces installations pouvaient être tolérées si elles avaient une valeur culturelle ou festive, mais pas si elles portaient un caractère religieux manifeste.
Un cadre juridique en constante évolution
Pour encadrer cette coexistence, le législateur a dû intervenir pour adapter le cadre juridique aux réalités du XXIe siècle. La loi contre le séparatisme de 2021 constitue une réponse directe aux tensions liées à certaines revendications communautaristes. Elle renforce le contrôle sur les associations cultuelles, impose des obligations accrues de transparence et vise à garantir que les pratiques religieuses ne remettent pas en cause les principes républicains. Ce texte reflète l’effort constant d’équilibre entre respect des libertés religieuses et défense des valeurs laïques.
III) Les rapports entre l’église et l’État en Europe et à travers le monde
1. Une souplesse européenne garantie par la CEDH
La liberté de religion est protégée par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), qui garantit la liberté de pensée, de conscience, et de religion. Cela inclut :
- La liberté de manifester sa religion ou ses convictions en privé ou en public.
- Une dimension individuelle et collective.
Jurisprudence notable de la CEDH
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Arrêt Kokkinakis c. Grèce (25 mai 1993) : La Cour a jugé disproportionnée la condamnation pénale infligée à un membre des Témoins de Jéhovah pour prosélytisme abusif, considérant qu’il cherchait simplement à convaincre sa voisine.
→ Cette décision illustre que l’exercice de la liberté religieuse peut inclure des activités comme le prosélytisme, sauf en cas d’abus. -
Arrêt du 13 décembre 2001 : La Cour rappelle que les États doivent être neutres et impartiaux en matière religieuse. Elle souligne que l’autonomie des Églises et cultes est essentielle dans une démocratie. Les établissements publics peuvent inclure un enseignement religieux, mais nul ne peut y être contraint.
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Port des insignes religieux :
- Arrêt du 15 février 2001 : La Suisse peut interdire à une institutrice de porter le voile pour respecter la neutralité des enseignants et garantir la liberté de conscience des élèves.
- Arrêt du 29 juin 2004 : La Turquie peut interdire à une élève de porter le voile dans une université publique pour préserver le principe de laïcité.
2. Diversité des approches étatiques face à la religion
Les systèmes d’articulation entre religion et État varient largement, allant de la séparation stricte à la collaboration plus marquée. Cette diversité reflète les spécificités historiques, culturelles, et juridiques de chaque pays.
A. La séparation entre l’Église et l’État : un modèle minoritaire
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Les États-Unis
- Le 1er amendement de la Constitution des États-Unis établit une séparation stricte entre le politique et la religion, interdisant toute loi « respectant un établissement de religion ».
- Malgré cette séparation juridique, la religion joue un rôle social et politique important, et les discours publics incluent fréquemment des références religieuses.
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La Turquie
- Bien que la Turquie se déclare république laïque, son modèle diffère de celui de la France. La laïcité turque implique une subordination de la religion à l’État, avec une forte intervention politique dans les affaires religieuses.
- Arrêt de la Cour constitutionnelle (7 mars 1989) : L’interdiction du voile à l’université a été jugée conforme au principe de laïcité.
- CEDH, Refah Partisi c. Turquie (13 février 2003) : La Cour valide la dissolution d’un parti prônant l’instauration de la charia, estimant qu’il représentait une menace pour la démocratie.
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Le Japon
- Suite à la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont imposé un modèle de séparation entre l’État et la religion, sur leur propre modèle. Bien que ce système favorise une grande liberté religieuse, il a conduit à une prolifération de sectes, dont certaines ont été associées à des activités criminelles, comme l’attentat au gaz sarin commis par la secte Aum en 1995.
B. Une collaboration entre l’État et les cultes : une tendance majoritaire
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Royaume-Uni
- Le Royaume-Uni conserve une Église d’État (l’Église anglicane), avec un monarque qui en est le chef suprême. Toutefois, la liberté religieuse est garantie pour tous, et l’Église anglicane joue un rôle essentiellement symbolique.
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Pays nordiques (Suède, Finlande)
- Bien que la Suède ait aboli le statut officiel de l’Église luthérienne en 2000, des liens historiques subsistent entre les cultes dominants et l’État. La Finlande et la Norvège conservent des Églises nationales, tout en respectant la liberté religieuse.
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Espagne et Italie
- Espagne : L’Église catholique a cessé d’être une Église d’État en 1978, mais elle entretient des relations privilégiées avec l’État, notamment par le biais de financements publics pour ses activités d’intérêt général.
- Italie : Les accords du Latran (1929), révisés en 1984, ont supprimé la reconnaissance du catholicisme comme religion officielle, tout en permettant la conclusion de conventions avec divers cultes.
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Allemagne
- L’Allemagne applique un régime de séparation, mais il inclut une collaboration organisée avec certains cultes reconnus. Par exemple, l’État collecte une « taxe religieuse » pour le compte des Églises catholiques et protestantes.