La licéité du signe en droit des marques

La licéité du signe

La marque peut se définir comme étant un titre de propriété industrielle délivré, sur dépôt auprès des instituts nationaux des marques de chaque pays, afin de distinguer les produits et les services offerts par une personne physique ou morale. Il peut être revêtir différentes formes (une dénominations, un signe figuratif ou bien même un signe sonore !), et doit absolument être distinctif par rapport aux produits ou services désignés. Trois conditions existent concernant la validité du signe : la licéité du signe (il doit bien sur être licite), la distinctivité (ce signe doit pouvoir se distinguer des autres signes, afin d’éviter la confusion), et la disponibilité.

C’est l’article L. 711-3 du Code de la propriété intellectuelle qui définit les signes qui sont considérés comme illicites. Il n’existe pas de critère général qui permettrait de considérer un signe comme illicite. Certains signes sont exclus par des conventions spécifiques (A), d’autres sont exclus car contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs (B), et d’autres enfin sont exclus car considérés comme trompeurs (C).

  1. Les signes exclus par des conventions

Aux termes de l’article L. 711-3 du Code de la propriété intellectuelle, ne peuvent être adoptés des marques ou éléments de marque des signes exclus par l’article 6 ter de la Convention de l’Union de Paris du 20 mars 1883. Seront exclus les signes qui représentent des drapeaux, des emblèmes officiels, des poinçons officiels.

De la même manière, ne peuvent être adoptés comme marque les signes exclus par l’article 23, § 2 de l’annexe 1C de l’Accord instituant l’OMC. Cet article 23 dispose que les partis membres de la Convention doivent avoir les moyens juridiques d’empêcher l’utilisation d’une indication géographique identifiant des vins pour des vins qui ne sont pas originaires du lieu indiqué par l’indication géographique en question. Cette disposition est importante, car elle s’applique même lorsque le public n’est pas induit en erreur, lorsqu’il n’y a pas de concurrence déloyale, et lorsque la véritable origine du produit est indiquée, ou encore lorsque l’indication géographique est accompagnée d’expressions telle que genre, titre, style, imitation ou autre appellation du même type.

Cette protection doit être accordée pour des indications géographiques servant à identifier des spiritueux, et il y a là une volonté d’assurer une meilleure protection aux appellations d’origine et aux indications de provenance qui, en France et en Europe, ont pris une importance considérable.

  1. Les signes contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs

L’article L. 711-3 du Code de la propriété intellectuelle exclut de la protection des marques tous les signes contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Il y a des positions jurisprudentielles assez variables, car les bonnes mœurs et l’ordre public peuvent être très différents d’un pays à l’autre.

La Cour d’appel de Paris a été sollicitée pour savoir si la marque Désir Sexe© pour désigner un site à caractère érotique était ou non contraire à l’ordre public. Les juges de la Cour d’appel ont considéré qu’il n’y avait pas de contrariété à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, dans un arrêt de la Cour d’appel du 19 octobre 2005.

En revanche, les juges ont considéré que constituait un signe contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs la marque en forme de slogan politique Non à l’adhésion de la Turquie à l’Europe©. La motivation des juges n’est pas celle que l’on croit. La marque est un monopole, et si l’on se réserve le droit d’écrire ce slogan, plus personne ne peut le faire. Ce serait donc une atteinte à la liberté d’expression, et c’est ce qui ressort d’un arrêt de la Cour d’appel du 9 juin 2004.

Sont également exclus de la protection tous les signes dont l’utilisation est légalement interdite. Il s’agit notamment des signes dont l’utilisation est interdite par la Loi du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre l’alcoolisme et le tabagisme (Loi Evin).

L’on peut également penser à la Loi du 4 août 1994 relative à la langue française. De plus, on peut faire référence à tous les signes qui contreviennent à la prohibition de déposer des appellations d’origine contrôlée à titre de marque.

Il a été jugé à ce titre que l’existence d’une marque déposée consistant en un flacon de verre représentant la forme d’un cigare destiné à contenir du parfum n’est pas en tant que tel contraire aux dispositions de la Loi Evin, qui ne prohibe que la propagande et la publicité pour les marques de tabac, et non l’existence des marques elles-mêmes.

La dénomination de produits sans rapport avec les stupéfiants sous la dénomination d’un stupéfiant ne peut être tenue pour une marque illicite, dans le sens où l’on ne peut pas considérer qu’elle incite à l’usage du stupéfiant (Cour d’appel de Paris, 1979 s’agissant de la marque Opium© par Yves Saint-Laurent).

L’utilisation du signe «Canabia» à titre de marque pour désigner de la bière a été considérée comme contraire à l’ordre public, parce qu’elle peut véhiculer auprès du public l’idée selon laquelle elle levait l’interdit qui s’attache à une substance légalement qualifiée de stupéfiant, et peut également avoir pour effet de la présenter sous un jour favorable (Cour d’appel de Paris, 18 octobre 2000).

  1. Les signes trompeurs

Conformément à l’article L. 711-3 du Code de la propriété industrielle, les signes de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité, la provenance géographique du produit ou du service, ne peuvent être adoptés à titre de marque.

La marque Glenn Derby’s© pour du whisky français est considérée comme une marque trompeuse, car le titulaire cherche à créer une confusion avec un whisky écossais connu (Glenn Fiddish©).

Par ailleurs, la marque Premier sur le matin© pour une radio est trompeuse, car elle laisse à penser que la station de radio est la radio numéro 1 dans l’audimat le matin.

Autre exemple, la marque Capillosérum© entraîne une tromperie sur la nature du produit, dès lors que ce produit n’est pas un sérum pharmaceutique.

Un signe désignant un vin sous le nom d’une exploitation viticole ne peut, sans tromper le public, être déposée en tant que marque par une personne qui garantit que la récolte et la vinification sont faites sur ce lieu. Une marque qui désigne du vin composé d’un nom géographique est de nature à tromper le public sur l’origine du produit si les parcelles situées sur ce lieu représentent un faible pourcentage du vignoble exploité, et s’il n’est pas établi que la production de cette parcelle fait l’objet d’une vinification séparée (Cour de cassation, 12 février 2013).

Il y a également la saga Laguiole©, une commune qui a pour particularité de proposer des couteaux fabriqués artisanalement par des gens de la ville. Le Maire de la commune a fait valoir des dispositions de l’article L. 711-3 du Code de la propriété industrielle pour obtenir l’annulation de plusieurs marques introduisant le terme « Laguiole » détenu par un tiers. Il n’a toutefois pas obtenu gain de cause, puisque la Cour d’appel de Paris a rappelé que le risque de confusion doit être apprécié en considération du consommateur moyen, et à condition que l’on puisse retenir l’existence d’une tromperie effective ou d’un risque suffisamment grave de tromperie du consommateur.

La Cour d’appel de Paris a par ailleurs rappelé que les différentes marques verbales Laguiole© ne pouvaient être annulées, alors que la commune ne rapporte pas la preuve qu’il existe un risque grave que le consommateur moyen pour qui le nom de la commune pourra évoquer le couteau ou le fromage sur lesquels s’est fondée la réputation de la commune, mais dont il n’est pas vraisemblable qu’il puisse envisager que les multiples services et produits proviennent de cette commune, se trompera sur l’origine et qu’il se déterminera lors de son acte d’achat dans la croyance erronée qu’ils proviennent de la commune de Laguiole (Cour d’appel de Paris, 4 avril 2014).