La liquidation des droits du conjoint survivant
Elle soulève des difficultés particulières liées à la nature différente des droits que le conjoint peut être amené à recueillir dans la succession. On a vu, en effet, que le conjoint pouvait recueillir soit des droits en pleine propriété soit des droits en usufruit dans le cadre de sa vocation successorale de droit commun mais aussi un droit viager d’habitation sur le logement qui n’est pas gratuit et s’impute sur le montant de ses droits successoraux. Se pose donc la question de la méthode de liquidation de ses droits selon qu’il s’agisse de droits en propriété ou de droit en usufruit et se pose aussi la question de l’interférence et de l’articulation à la fois de son droit viager d’habitation mais aussi l’interférence de libéralité dont a pu profiter le conjoint de la part du défunt. Le conjoint n’empile pas des droits, tout va s’imputer sur le montant des droits successoraux.
A. La liquidation des droits en propriété
Le conjoint recueille ce droit en propriété dans 2 cas :
- en concours avec des ascendants privilégiés, des enfants pas issus des 2 époux ou des enfants issus des 2 époux
- et qu’il décide d’opter pour des droits en pleine propriété.
Le conjoint recueille une quote part de droit, la liquidation des droits en propriété du conjoint est réglée par l’article 758-5 du Code civil : le calcul des droits en pleine propriété du conjoint prévu aux articles 757 et 757-1 sera opéré sur une masse faite sur tous les biens existant au décès de son époux auxquels seront réunis fictivement ceux dont il aurait disposé soit par acte entre vifs soit par acte testamentaire au profit de successible sans dispense de rapport. Le conjoint ne pourra exercer son droit que sur les biens dont le défunt n’aura disposé ni par acte entre vifs ni par acte testamentaire et sans préjudicier au droit de réserve et de retour.
Cela permet de constater que la liquidation des droits du conjoint en pleine propriété va se faire sur la base de la distinction entre la masse de calcul (= alinéa 1er) de ses droits sur laquelle vont être calculés ses droits théoriques et la masse d’exercice de ces droits (= alinéa 2) qui sera celle sur laquelle il pourra effectivement exercer ses droits.
Cette distinction permet grâce à la masse de calcul de donner une assiette relativement importante pour le calcul des droits théoriques. Et la masse d’exercice, elle montre la limite qui est donnée aux droits du conjoint à qui on ne veut pas permettre que ces droits en propriété puissent s’exercer à l’encontre des droits acquis c’est-à-dire des libéralités entre vifs ou testamentaire faite par le défunt ni à l’encontre des droits familiaux protégés par la réserve héréditaire et des droits de retour reconnus à certaines catégories d’héritiers.
Il va donc falloir distinguer quels sont les biens qui entrent dans la masse de calcul et ceux qui rentrent dans la masse d’exercice.
1. La détermination de la masse de calcul
D’après la lettre du texte la masse de calcul va se composer de 2 catégories de biens :
– biens existants au décès de l’époux
– auxquels on réuni fictivement ceux qu’il aurait disposés par acte entre vifs ou testamentaire au profit de successibles sans dispense de rapport
Concernant la première catégorie de biens (= biens existants au décès de l’époux), elle vise les biens présents dans le patrimoine du défunt à son décès dont seront exclus :
– les biens légués (= legs présumé non rapportable)
– les biens objet d’un droit de retour légal ou conventionnel
– les biens donnés à des non successibles
– les biens objet de donations non rapportables
Concernant des biens qui font l’objet d’une réunion fictive à la masse de calcul, seront réunis :
– les donations faites sans dispense de rapport
– les libéralités faites au conjoint (= article 758-6)
– les legs quand ils sont expressément soumis au rapportable
l les legs fait au conjoint
De cette masse de calcul, on déduira les dettes car les droits du conjoint ne s’exercent que sur l’actif net successoral.
Une fois la masse de calcul établie cela va permettre de calculer les droits théoriques du conjoint en retenant pour la valeur du bien, sa valeur au jour du partage. Le montant des droits théoriques du conjoint étant quantifié, il faut alors dans un deuxième temps établir la masse d’exercice de ces droits.
2. La détermination de la masse d’exercice
La masse d’exercice est différente de la masse de calcul pour éviter que les droits du conjoint ne puissent nuire aux droits acquis par des tiers. Ces droits ne pouvant s’exercer que sur des biens libres.
Concrètement la masse d’exercice au terme de l’article 750-5 va comprendre les biens existants, les libéralités faites au conjoint (= qui figurent à la fois dans la masse de calcul et d’exercice).
Sont, en revanche, exclus de la masse d’exercice, les biens qui constituent la réserve héréditaire parce que le principe même de la réserve, c’est que les biens doivent passer aux héritiers réservataires libres de toutes charges.
La deuxième catégorie de biens exclue de la masse d’exercice est toutes les libéralités rapportables qui sont aussi exclus étant précisé, ici, que lorsque l’on vise les libéralités rapportables, on retranchera uniquement la fraction de la libéralité rapportable qui s’impute sur le disponible et non sur la réserve car sinon mathématiquement on retrancherait 2 fois la réserve.
Les droits du conjoint en propriété ne pourront s’exercer que sur le disponible et donc uniquement s’il reste du disponible.
B. La liquidation des droits en usufruit
Au terme de l’article 757, le conjoint peut opter pour l’usufruit de la totalité des biens existants. Dans cette hypothèse, à l’inverse de ce qui est prévu pour la liquidation des droits en propriété, le texte ne fait aucune différence entre masse d’exercice et masse de calcul et ne procède à aucune exclusion qu’il s’agisse de la réserve, des libéralités ou des biens objet d’un droit de retour.
Ce défaut de précision du texte amène à s’interroger sur les droits du conjoint en présence des différents biens.
Différentes solutions sont admises :
— s’agissant des biens donnés dans le cadre de libéralités : ces biens sont exclus de l’exercice de l’usufruit qui ne porte que sur les biens existants c’est-à-dire les biens que le défunt laisse à sa mort à l’exclusion des biens donnés même si ces biens doivent faire l’objet d’un rapport à la succession. L’usufruit ne porte que sur des biens libres et ne porte pas sur les biens donnés.
— concernant la réserve : depuis la réforme de 2001, la loi ne vise la réserve héréditaire que pour l’exclure des droits en propriété. La Doctrine majoritaire admet donc en conséquence que l’usufruit peut s’exercer sur la réserve et que les héritiers ne bénéficient alors que d’une réserve en nue propriété.
— concernant les biens légués : la Doctrine admet aussi que l’usufruit pourra s’exercer sur la fraction des legs rapportables imputables sur la réserve et non sur les autres legs.
— concernant les biens objet d’un droit de retour : l’article 757 déterminant les droits du conjoint en présence de descendants, hypothèse où il peut être amené à recueillir des droits en usufruit, et dans ce cas là, il n’y a pas d’hypothèse de retour légal. Et la seule hypothèse envisageable concerne des droits de retour conventionnels et dans ce cas le conjoint ne pourra pas exercer ses droits en usufruit sur ces biens car les donations assorties d’un droit de retour conventionnel sont rétroactivement anéantis lorsque ce droit de retour est amené à jouer et les biens qui en sont l’objet sont donc exclus des biens existants.
Ces règles de liquidation (=A et B) sont des règles générales qui constituent le principe mais elles vont devoir se combiner avec l’hypothèse où le conjoint aurait bénéficié de libéralité de la part du défunt et avec l’hypothèse que ce conjoint aurait recueilli le droit viager d’habitation sur le logement.
C. Le cas particulier des libéralités faites au conjoint et de l’imputation du droit viager sur le logement
Indépendamment de ses droits successoraux légaux en usufruit ou en propriété, le conjoint peut avoir reçu des libéralités du défunt, ce qui posera le problème de la combinaison des droits tirés de sa qualité d’héritier légal et de sa qualité de gratifié. D’autre part, la reconnaissance au profit du conjoint d’un droit viager sur le logement posera elle aussi un problème de combinaison et plus précisément d’imputation sur ses droits légaux.
1. Les libéralités faites au conjoint
Lorsque le conjoint a reçu des libéralités : est-ce que ces libéralité se cumulent avec ses droits légaux (= ab intestat) ou non? La solution qui est retenue, aujourd’hui, exclut le cumul et prévoit au contraire de combiner ces libéralités avec ses droits successoraux en retenant le principe de leur imputation sur le montant de ses droits. Dès lors que le défunt a fait des libéralités à son conjoint, ces libéralités vont s’imputer sur ses droits successoraux. Ce principe d’imputation est expressément prévu à l’article 758-6 du Code civil qui déclare que les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s’imputent sur les droits de celui-ci dans la succession.
Par cette disposition, le législateur n’a donc pas voulu ajouter des droits légaux aux libéralités mais uniquement attribuer un droit successoral en quelque sorte minimal au conjoint survivant pour le cas où l’époux pré décédé n’aurait pas pensé à prendre de son vivant des dispositions en sa faveur.
L’article 758-6 prévoit que lorsque les libéralités reçues sont inférieures aux droits définis aux articles 757 et 757-1, le conjoint peut en réclamer le complément sans jamais néanmoins recevoir une portion de biens supérieure à la quotité définie par l’article 1094-1. Ce dernier texte vise la quotité disponible spéciale entre époux qui est un peu plus large que la quotité disponible ordinaire.
Ce texte signifie de manière symétrique que si les droits excèdent la quotité disponible spéciale, ils seront réduits.
2. L’imputation du droit viager sur le logement
Au terme de l’article 765 du Code civil, les droits d’habitation et d’usage viager s’imputent sur la valeur des droits successoraux recueillie par le conjoint. Dans ce cas, si la valeur de ces droits est inférieure à ses droits successoraux, le conjoint pourra prendre le complément sur les biens existants.
En revanche, si la valeur des droits d’habitation et d’usage est supérieure à celle de ses droits successoraux, le conjoint n’est pas tenu de récompenser la succession en raison de l’excédant.
C’est une règle protectrice qui aura un intérêt certain lorsque les droits successoraux du conjoint survivant seront faibles en raison des libéralités faites par le défunt.