La loi applicable à la constitution et au fonctionnement des sociétés

Le domaine de la loi applicable aux sociétés.

La règle de conflit ne s’applique pas de manière uniforme à toutes les matières litigieuses à l’occasion de l’application d’un contrat. Il en est de même en matière de sociétés. La loi applicable à la société, tout comme la loi applicable aux contrats, a pour objectif d’assurer la permanence et l’unité du statut juridique de la société (éviter qu’elle soit soumise à plusieurs lois). Il y a une loi unique : la loi du lieu du siège social mais il y a des exceptions dues à la nécessité de tenir compte des autres ordres juridiques (lois de police, ordre public…).

droit international économique

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A) la loi applicable à la constitution des sociétés.

La lex societatis c’est à dire la loi du lieu du siège social à vocation à gouverner toutes les règles de constitution de la société. Il y a plusieurs questions :

1) les conflits de lois relatifs à l’émission de titres.

Cela concerne principalement et exclusivement les sociétés qui font appel public à l’épargne. On peut envisager deux séries de rapports :

a) les rapports de la société émettrice avec les souscripteurs

Pour l’émission d’actions de SA, normalement c’est la lex societatis qui s’applique car le contrat de souscription (société-souscripteurs futurs associés) se confond avec le contrat de société (qui est soumis à cette même loi).

Si les titres émis ne sont pas des actions mais des obligations (revient à un prêt accordé à la société) c’est à dire des emprunts obligataires (droit de créance à l’égard de la société), c’est un contrat de prêt entre la société et les obligataires, il sera donc soumis à la loi d’autonomie.

Le problème c’est que l’emprunt obligataire constitue en réalité un contrat d’adhésion (aucune possibilité de négocier les conditions du contrat fixées par la société), c’est donc la société qui va déterminer les conditions de cet emprunt. Or, la société détermine ces conditions en fonction de sa propre loi c’est à dire lex societatis sauf si elle émet ces obligations sur un marché étranger (elle devra se soumettre aux conditions de la loi étrangère).


On peut regarder le problème dans l’autre sens, une société étrangère qui émet des valeurs mobilières sur le marché français. Les conditions de la décision d’émission (ex : nécessité de réunir AGE, modalités de réunion de cette assemblée…) sont soumises à la lex societatis mais la société étrangère sera soumise à des publicités impératives en vertu de la loi française (lois de police du lieu d’émission).

b) les relations du banquier chargé de l’émission

La loi applicable aux rapports du banquier avec les parties (société ou souscripteur) dépend du type d’intervention du banquier.

Dans les rapports banquier-société :

  • soit la banque se contente de prêter ses guichets

Dans les rapports banquier-société, s’il y a placement avec seulement une commission au bénéfice de la banque qui prête ses guichets : loi du lieu du placement sauf lex societatis désignée expressément (sauf dispositions d’ordre public du lieu du siège de la banque).

  • en cas de prise ferme

La banque intervient de manière plus directe puisqu’elle souscrit elle-même aux valeurs mobilières C’est la lex societatis qui va s’appliquer dans les rapports banquier-société étant entendu que les conditions de décision d’émission sont toujours soumises à la lex societatis.

  • soit la banque garantie la souscription

Elle prête ses guichets mais au terme de l’opération de placement si tous les titres n’ont pas été placés, la banque accepte de souscrire à tous les titres non placés. Il y a contrat de garantie et donc en principe c’est la loi d’autonomie qui devrait prévaloir ou à titre supplétif la lex societatis.

Dans les rapports banquier-souscripteurs :

C’est la loi de l’offrant réel qui s’applique. Or, cet offrant est la société : la lex societatis s’applique sous réserve de lois de police qui auraient pour objet une réglementation bancaire particulière.

2) la loi applicable aux apports en nature.

Problème d’évaluation de ces apports. S’il s’agit d’immeubles apportés il y a un conflit entre deux règles de conflit :

lex societatis (conditions de l’apport)

loi du lieu de situation (règlementation du transfert de propriété, ex : publicité foncière)

Ex : apport de fonds de commerce disséminé dans plusieurs pays. Chaque élément du fonds va relever de la loi du lieu de son implantation. En revanche, pour la vérification et l’évaluation des apports en nature, seule la lex societatis est compétente (nomination d’un commissaire aux apports par exemple) car cela relève des conditions de constitution de la société et donc il est logique que ce soit la lex societatis qui s’applique.

3) la loi applicable aux règles de publicité.

Normalement, la lex societatis est applicable car pour une société qui se constitue, on présume que son activité principale se déroule dans le pays de son siège social (ce n’est pas évident quand la société a fait le choix d’installer son siège dans un paradis fiscal mais en France on tiendra alors compte du lieu du siège social réel c’est à dire le lieu où l’activité est réellement exercée).

Ce système protège insuffisamment les créanciers étrangers car ils auront des difficultés à prendre connaissance de la publicité effectuée dans le pays du siège social. On s’est interrogé sur l’opportunité d’une publicité internationale. La seule solution aujourd’hui retenue c’est lorsqu’il s’agit de la constitution d’une société à statut européen (en vertu du règlement de 2001) pour laquelle il est prévu un avis publié au JO des communautés européennes (en plus de la publicité dans le pays de l’implantation). C’est une hypothèse marginale.

En France a été instituée une publicité pour les sociétés étrangères qui exercent de façon permanente une activité en France (ex. succursale en France : publicité dans le tribunal du ressort où est exercée l’activité).

B) la loi applicable au fonctionnement de la société.

Réaffirmation de la lex societatis sauf quelques exemples. Plusieurs questions.

  1. les droits des associés.

Ces droits sont définis par la lex societatis car on présume, qu’en entrant dans la société, les associés acceptent cette loi. Tous les droits y seront soumis notamment les droits de ces associés au sein des assemblées générales sauf si la loi étrangère (loi du lieu du siège social) porte atteinte à un droit fondamental (ex : loi portant atteinte au droit de vote de l’associé et l’empêche de voter au sein de l’associé. La loi française considère ce droit comme fondamental).

La loi étrangère pourrait donc faire l’objet d’une éviction en faisant jouer l’ordre public (substitution de la lex fori). Ceci nous montre l’importance de la détermination du juge compétent.

Il faut ajouter que si la décision a été prise par le tribunal du lieu du siège social et que cette décision veut être appliquée en France, s’il était demandé un exequatur en France, on peut supposer que celui-ci serait refusé car l’application de cette loi contreviendrait à l’ordre public français.

En cas d’obligations, pour définir les droits des obligataires, la loi applicable ne peut être que la loi d’autonomie (car contrat) ou la lex societatis si on considère qu’il s’agit d’un contrat d’adhésion.

  1. les organes dirigeants.

a) le statut des dirigeants.

Les questions relèvent de la lex societatis sous réserve de lois de police d’application territoriale.

Ex : société dont le siège social est situé à l’étranger mais avec une succursale en France. Cet établissement devrait être soumis à la loi sur les comités d’entreprise (dont les membres peuvent siéger au sein du conseil d’administration des sociétés) qui est une loi de police d’application territoriale.

La seule possibilité qui permettrait d’écarter la lex societatis c’est quand un dirigeant conclu un acte en France au mépris des limitations statutaires de ses pouvoirs car la Cour de Cassation considère que la société est engagée au regard de la loi français à l’égard des tiers de bonne foi.

b) la responsabilité des dirigeants.

Cette responsabilité peut être mise en œuvre par la société elle-même, par les associés ou par les créanciers de celle-ci. Cette responsabilité peut être pénale ou civile.

  • la loi applicable à la responsabilité pénale des dirigeants

Ex : abus de biens sociaux, distribution de dividendes fictifs. En vertu de quelle loi pénale raisonne-t-on ? Les lois pénales sont des lois de police et elles sont donc d’application territoriale c’est à dire que si l’infraction a été commise sur le territoire français, c’est en vertu de la loi pénale française que le dirigeant sera poursuivi. Remarque : souvent répression plus sévère en France de l’abus de biens sociaux. A contrario les infractions commises à l’étranger relèveront de la loi étrangère.

  • la loi applicable à la responsabilité civile des dirigeants

Deux hypothèses :

  • la société est in bonis:

On peut hésiter entre la lex fori et la loi du lieu de l’acte dommageable (lex delicto). Il se peut aussi que la responsabilité du dirigeant soit une responsabilité de nature contractuelle fondée sur l’inexécution d’un contrat par exemple. Si on considère que le lien qui unit les dirigeants à la société, est un lien de nature contractuelle (pas en droit français), le dirigeant aurait alors failli à son mandat social et la lex societatis serait compétente. S’il s’agit d’une responsabilité délictuelle, la loi applicable sera la lex delicto.

Le juge devra qualifier ce lien entre les dirigeants et la société afin d’appliquer une des deux règles de conflit.

  • la société est en cessation des paiements(redressement ou liquidation):

On considère que la responsabilité du dirigeant relève de la loi du lieu d’ouverture de la procédure (c’est à dire le tribunal qui a ouvert la procédure collective qui pourra par exemple décider que le passif de la société sera supporté par les dirigeants sociaux en cas d’action en comblement du passif).

C) la loi applicable à la dissolution des sociétés.

La lex societatis est d’application large sauf en cas de dissolution d’une société étrangère ou de contradiction à l’ordre public français (rare). La difficulté est de faire appliquer une décision française à l’étranger.

Causes de la dissolution :

dissolution amiable : lex societatis

dissolution judiciaire : loi du lieu du tribunal saisi c’est à dire lieu du siège social car le juge saisi est celui du lieu du siège social.

Correctif possible avec l’ordre public.

  1. la loi applicable à la liquidation de la société.

Il s’agit d’une liquidation différente de celle ouverte en cas de procédure collective car la société est in bonis. Plusieurs questions :

  • la continuation de la personnalité morale pour les besoins de la liquidation

Quelle loi va décider de cette continuation ? Ce ne peut être que la lex societatis mais l’ordre public étranger peut intervenir.

Si on considère que cette continuation est impossible, les créanciers de la société se trouveraient en concours avec les créanciers personnels des associés (puisque la société n’existe plus). C’est pourquoi le droit français a opté pour la continuation de la personnalité morale. Encore faut-il que les biens de la société soient situés dans le pays du tribunal saisi car les droits des créanciers de la société ne pourront s’exercer que sur ces biens là (et non sur ceux situés dans un pays qui n’admet pas la continuation). Problème rare.

  • en cas de nationalisation de la société à l’étranger

La Cour de Cassation dans un arrêt du 23.04.1969 a pu dire que la nationalisation n’avait d’effet sur les biens de la société situés en France que si l’indemnité versée préalablement aux actionnaires par l’Etat nationalisant est considérée comme équitable (en fonction de son montant et des délais de paiement). Dans le cas contraire, la nationalisation n’a pas d’effet sur les biens situés en France c’est à dire que la liquidation des biens ne peut avoir lieu qu’en vertu de la nationalité française et les associés français ou étrangers auront le droit au partage des produits de ces biens.

L’inconvénient de ce système est que la nationalisation n’ayant pas d’effet en France (sur les actifs situés en France du fait d’une insuffisante indemnité), le passif accumulé par les biens situés en France ne peut pas être transféré sur l’Etat qui nationalise (on ne peut pas dire à cet Etat qu’il n’y a aucun effet sur l’actif mais qu’il doit tout de même prendre en compte le passif). Dès lors, seul le débiteur initial peut être poursuivi sur les biens situés en France (sur le passif initial).

  • question du liquidateur

Il est nommé en principe selon les règles de la lex societatis (règle de quorum et majorité) car en principe il est nommé par la société mais si celui-ci est nommé par le tribunal, c’est la loi du tribunal saisi qui s’applique (souvent ce tribunal saisi sera celui du lieu du siège social). Même solution retenue en matière de pouvoirs du liquidateur (pouvoirs de la lex societatis). Il a les mêmes pouvoirs que les dirigeants en place lorsque la société était in bonis. Il n’est jamais qu’un dirigeant d’une société en liquidation.

  • les opérations de liquidation (cession du patrimoine, du passif)

La cession de dettes est soumise à la lex societatis puisque les problèmes de cession sont réglés dans le pays du siège social. Si ces problèmes sont réglés par un tribunal étranger, la lex fori serait applicable.

  1. la loi applicable au partage.

Le partage est en réalité une convention c’est donc en principe la loi d’autonomie qui s’applique sauf que si les biens partagés contiennent des immeubles, la loi du lieu de situation de ceux-ci est susceptible d’avoir une influence sur les opérations de partage.

En pratique le partage est la dernière opération qui fait suite à la dissolution et la liquidation de la société et donc le plus souvent c’est la lex societatis qui s’applique car l’opération de partage n’est pas sans analogie avec l’opération annuelle de partage des bénéfices elle-même soumise à la lex societatis (sous réserve d’immeubles à l’étranger). Plusieurs lois ont vocation à s’appliquer. Pour qualifier l’opération de partage, c’est la lex fori c’est à dire lex societatis car tribunal du lieu du siège social. En présence d’un mineur, il faudra regarder le contenu de la loi nationale de celui-ci. Le mieux ce sera de mettre en œuvre un partage par voie judiciaire.

Pour les conditions de fond, la lex societatis s’applique sauf pour ce qui est de l’effet déclaratif du partage qui a pour fonction de déterminer la date du partage Ici ce sera application de la loi de situation du bien car c’est à cette date que va être décidé le transfert de propriété du bien vers le copartageant. Seule la loi de situation du bien est apte à trancher la question.

Pour les conditions de forme, si le partage est amiable, lex societatis, si le partage est judiciaire, lex fori (souvent celle du lieu du siège sociale c’est à dire lex societatis). Sauf si à l’occasion du partage on protège à une vente aux enchères publiques d’un immeuble, la loi sera celle du lieu de vente aux enchères (ordre public).

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