La La méthode classique de résolution des conflits de loi : la méthode bilatérale
Méthode de résolution des conflits de lois qui cherche à désigner la règle substantielle qui permettra de résoudre au fond le litige. Pour ce faire, elle va opérer un choix en fonction de la nature de la question de droit posée au juge. La méthode bilatérale repose sur l’enchaînement d’une qualification et d’un rattachement. Qualification de la question posée au juge pour en déterminer la nature. Ensuite, on va rattacher cette question, on va la localiser. On va rattacher la catégorie à laquelle appartient la question posée à l’Etat dont la loi est la plus appropriée pour régler les questions de cette nature. On qualifie, ce qui permet de ranger la question dans une catégorie : la catégorie des questions de même nature. Pour opérer ce rattachement, on va utiliser un critère de rattachement (pour rattacher la catégorie à un Etat). Méthode critiquée dans la période moderne, ce qui a contribué à un renouvellement de l’analyse.
- 1. L’analyse classique
- La structure de la règle de conflit bilatérale
Le point de départ : une règle substantielle doit être appliquée à la question de droit pour la résoudre. Or, puisque la situation est internationale, il y a plusieurs lois en présence donc il faut en choisir une. Pour choisir, on va partir de la question de droit posée. On va s’interroger sur la nature de cette question de droit. Une fois qu’on en aura déterminé la nature, on va rechercher quel élément la localise, c’est-à-dire quel élément désigne l’ordre juridique avec lequel elle présente objectivement les liens les plus significatifs. C’est au regard de la nature de la question qu’on va déterminer quels sont les liens les plus significatifs.
Il faut partir de la structure hypothétique de la règle de droit. Or les règles de conflit sont des règles de droit, donc c’est pareil. La règle de conflit de lois, comme toute règle de droit, attribue une conséquence juridique (critère de rattachement, désignation de la loi applicable) à un présupposé (appartenance de la question posée au juge à une catégorie juridique donnée). Il y a donc 2 étapes. On a une question de droit posée au juge. Le juge va d’abord devoir la faire entrer dans le présupposé de la règle de conflit et ensuite il aura la loi applicable. 2 étapes : qualification puis rattachement.
Difficulté principale : déterminer le bon critère de rattachement, celui qui est approprié pour une catégorie juridique donnée. Ex : on a un accident qui survient en Italie entre un Français et un Américain résidant en Grèce. Le Français agit contre l’Américain. Il faut définir la nature de cette question. Il faut qualifier. C’est facile ; c’est un problème de responsabilité délictuelle. Il y a une règle de conflit en matière de responsabilité délictuelle, donc on va l’utiliser. Pour trouver le bon rattachement, la démarche à adopter est de penser que le rattachement doit permettre de choisir la loi qui a les liens les plus pertinents avec la situation juridique en cause. Cette pertinence dépend elle-même de la nature de la question posée. Pour chaque catégorie, on va réfléchir sur le rattachement qui serait le plus approprié. Quand on choisit ce critère de rattachement, on le fait de façon abstraite. On va se poser la question pour tous les délits : quand une question de délit se pose, quelle est la loi la plus appropriée ? On raisonne in abstracto.
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Pour résumer, la règle de conflit est une catégorie juridique à laquelle on attribue un critère de rattachement qui va permettre de désigner un ordre juridique.
On peut formuler la règle de conflit de lois sous la forme hypothétique : si le juge doit résoudre une question de droit de tel type, alors il doit appliquer la loi désignée par tel élément.
Ou alors : si une question de droit relevant de telle catégorie se pose, on doit lui appliquer la loi désignée par tel élément. On appelle l’élément en question « élément » ou « facteur » ou « critère » de rattachement. Effet juridique : désignation de l’élément de rattachement. Présupposé : définition de la catégorie juridique.
Exemples concrets : le juge est saisi d’une question relative aux effets d’une adoption. Le critère de rattachement désigné par cette règle de conflit est la loi de l’Etat dont l’adoptant a la nationalité. On applique à la question la loi de l’Etat dont l’adoptant a la nationalité. Critère de rattachement : la nationalité.
Pareil pour les délits : le chien d’autrui m’a causé un dommage. Quelle est la loi applicable ? C’est un problème de responsabilité du fait des animaux ; c’est la catégorie juridique. La règle de conflit en matière de responsabilité civile délictuelle désigne la loi du lieu du délit. Critère de rattachement : le lieu du délit.
- Les caractères de la règle de conflit bilatérale
Elle est abstraite : la désignation de la loi applicable se fait sans que le juge ait eu à prendre connaissance du contenu des lois en présence. C’est uniquement après désignation qu’il va voir quelles sont les conséquences concrètes de son choix sur le litige.
Elle est indirecte : elle ne tranche pas au fond le litige. Elle se borne à permettre la désignation d’une loi dans laquelle on trouvera la solution du litige.
Elle est neutre : elle n’a pas pour objectif de privilégier une des solutions possibles au litige. Elle ne va pas chercher à désigner la loi qui indemnisera la victime. Elle ne cherche pas à avantager une partie au litige plutôt qu’une autre. On dit qu’aucune considération relative à la justice du résultat final ne doit venir influencer la désignation de telle loi plutôt que de telle autre. La règle de conflit savinienne se désintéresse du fond du droit.
Elle est bilatérale : elle peut aussi bien désigner la loi du for (du juge saisi) qu’une loi étrangère.
En principe, la règle de conflit bilatérale est dénuée de tout nationalisme. On ne cherche pas à privilégier la loi du for par rapport aux lois étrangères.
- 2. Le renouvellement de l’analyse
Deux caractères de la règle de conflit ont particulièrement été critiqués : sa bilatéralité et sa neutralité. Ces critiques ont conduit à certaines évolutions.
- Les critiques
S’agissant de la bilatéralité, certains auteurs ont estimé qu’une règle de conflit de lois doit être unilatérale et non bilatérale. Elle doit seulement servir à délimiter la compétence de l’ordre juridique auquel elle appartient. Les règles de conflit françaises doivent uniquement servir à délimiter la compétence de la loi française et dire quand la loi française s’applique. En revanche, quand la règle de conflit dit que la loi française n’est pas applicable, elle n’a pas à dire qu’un ordre juridique étranger est compétent. Il faudra aller interroger les règles de conflit étrangères pour voir si le droit étranger veut s’appliquer.
S’agissant de la neutralité, ce sont surtout les auteurs anglo-saxons qui ont critiqué. Au premier rang desquels Cavers qui a, en 1933, procédé à une véritable attaque en règle de la méthode savinienne à laquelle il reprochait d’avoir un caractère purement mécanique. Selon lui, le juge applique sa règle de conflit et à l’issue du raisonnement, il se voit imposer une règle de fond sans en connaître la teneur puisque ne la connaîtra qu’une fois qu’il l’appliquera et surtout, sans connaître la teneur des lois concurrentes qu’il a écartées. Le juge se prive de la possibilité d’examiner le contenu des différentes lois en présence. Le juge opère un choix les yeux fermés, sans connaître les implications au fond de son choix sur le litige. Selon Cavers, au contraire, le juge devrait tenir compte à la fois des liens plus ou moins étroits des diverses législations en présence avec la situation litigieuse mais aussi du contenu de ces différentes lois. Le juge devrait tenir compte de la solution substantielle à laquelle son choix conduirait. Tout ça est marqué d’une grande incertitude.
Cavers a proposé les principes de préférence qui doivent servir à guider le juge dans son choix. En matière délictuelle, 2 personnes domiciliées dans un Etat X ont un accident dans un Etat Y. Si on applique mécaniquement la règle savinienne, on désigne la loi de Y, lieu de l’accident. Or c’est mauvais puisque les 2 personnes domiciliées dans X vont saisir le juge de X, donc pour lui ce sera plus difficile d’appliquer la loi Y. Si on saisit le juge de X, il faut appliquer la loi X pour respecter les légitimes prévisions des parties. Mais il va encore beaucoup plus loin. Il va aussi examiner le contenu des lois en présence. Il faut aussi privilégier la loi qui va favoriser la victime plutôt que la loi qui va favoriser l’auteur du dommage. D’où un principe de préférence.
Sa méthode a eu assez peu d’échos en France et tant mieux ; en réalité, elle n’est pas si éloignée des règles de conflit de lois classiques puisqu’en posant des règles de préférence, il propose des règles de conflits de lois. La différence est que ses règles de conflits de lois vont avoir un contenu substantiel très marqué. Ex : pour la responsabilité délictuelle : si une question de responsabilité délictuelle se pose et que la loi du lieu où le dommage a été causé est plus protectrice de la victime que la loi du lieu où l’auteur a agi ou du lieu de son domicile, alors on applique la loi du lieu du dommage. En revanche, si la loi du lieu où l’auteur a agi est plus protectrice, c’est elle qu’il faudra appliquer. Etc.
Surtout, cet esprit de faveur à l’égard de l’une des parties paraît gênant. D’abord par rapport à nos conceptions. Ça laisse trop de liberté au juge. On estime qu’il est injustifié de donner a priori, de façon générale, la préférence à l’une des solutions possibles au fond plutôt qu’à une autre. Parce que la règle de droit vise toujours en principe à réaliser un équilibre des intérêts en présence. Mais cet équilibre est variable d’un législateur à un autre et même parfois au sein d’un Etat. Donc privilégier une solution plutôt qu’une autre, c’est rompre cet équilibre. Cette idée d’avoir une préférence a priori pour l’une des parties peut paraître choquante.
- Les évolutions de la règle de conflit
Pas de remise en cause générale en France aujourd’hui. Mais dans des domaines particuliers, la règle a subi quelques altérations. Dans certains domaines, on a cherché à atteindre certains résultats. Ce sont les règles de conflit à coloration matérielle. Leur point commun : elles prévoient une comparaison entre le contenu des différentes lois en présence en vue d’un résultat.
Il y a des règles de conflit de lois qui établissent une option de législation offerte à l’une des parties. Il y a une idée de faveur mais le choix de la loi est laissé à une des parties en parties en présence. Le juge va devoir appliquer la loi désignée par le choix de ces parties. Exemple : art. 311-16 alinéa 2 du Code civil qui concerne la légitimation par autorité de justice. Cette légitimation est régie au choix du requérant par sa loi personnelle ou par celle de l’enfant.
Il faut bien distinguer ces options de législation de la possibilité offerte à deux parties à un contrat de choisir d’un commun accord la loi applicable à ce contrat (c’est une règle de conflit classique qui est neutre, abstraite, bilatérale, etc.). On dit simplement que le critère de rattachement est la volonté des parties ; c’est la loi d’autonomie. On laisse les parties choisir la loi mais on ne s’intéresse pas du tout au résultat.
2ème type : règles qui ordonnent la prise en considération d’une ou plusieurs autres règles. La règle de conflit va énoncer elle-même la solution de fond à la question de droit posée. Mais elle va la subordonner au contenu d’une ou plusieurs autres règles substantielles qui sont elles-mêmes désignées par un ou plusieurs éléments de rattachement. Le juge va prendre en considération ces lois désignées mais il ne va pas les appliquer puisque la solution est donnée par la règle de conflit. Si le juge doit résoudre telle question de droit et que la loi désignée par tel élément a tel contenu, alors il doit lui donner telle solution. La solution n’est pas celle donnée par la loi étrangère ; on regarde le contenu et en fonction du contenu, on donnera nous-mêmes des solutions.
Le procédé est souvent employé en droit public et en droit pénal (ex : pour savoir si un fait constitue une infraction). En matière de droit privé pur, il y a 2 techniques : il y a des résultats qu’on veut favoriser et d’autres qu’on veut éviter. Quand on veut favoriser, la règle de conflit va ordonner au juge la prise en considération de plusieurs règles désignées par des rattachements alternatifs. Convention de La Haye du 5 novembre 1961 sur le conflit de lois en matière de forme des testaments. Art. 1er : une disposition testamentaire est valable quant à la forme si celle-ci répond à la loi interne :
- du lieu où le testateur a disposé
- d’une nationalité possédée par le testateur
etc.
Il y a 8 rattachements possibles ; si la forme utilisée par le testateur est prévue par une des 8 lois possibles, le testament est valable. Le législateur a utilisé la même technique en matière de filiation à l’art. 311-16 alinéa 1er : le mariage emporte légitimation lorsque cette conséquence est admise soit par la loi régissant les effets du mariage soit par la loi personnelle de l’un des époux soit par la loi personnelle de l’enfant. On multiplie les consultations pour qu’il y en ait une qui le prévoit. Si elle le prévoit, on applique la règle de conflit.
Quand on a un objectif de défaveur, on fait pareil mais on va utiliser des critères cumulatifs au lieu d’utiliser des critères alternatifs. Un certain résultat : le droit de divorcer. Si on est hostile, pour l’éviter au maximum, on va dire que les époux ont le droit de divorcer si les lois de leur nationalité respective admettent toutes cette possibilité. On peut aussi ajouter la loi de leur domicile commun et la loi des effets du mariage.
3ème technique : la règle de conflit peut exprimer un principe de préférence en posant des critères de rattachement multiples et en instaurant une hiérarchie entre eux afin d’atteindre un résultat. La logique est de dire « on applique la loi n°1 mais si elle ne permet pas d’atteindre le résultat, alors on applique la loi n°2 ». Ex : convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires. But : favoriser le créancier d’aliments. C’est l’article 4 qui donne le critère : la loi interne de la résidence habituelle du créancier d’aliments régit les obligations alimentaires. Mais l’article 5 nous dit que si le créancier ne peut pas obtenir d’aliments en application de la loi désignée par l’article 4, on applique la loi nationale commune du créancier et du débiteur d’aliments. Mais ce n’est pas suffisant ; il est possible que la loi nationale commune ne lui autorise pas des aliments. Dans ce cas, l’article 6 prévoit que lorsque le créancier ne peut pas obtenir des aliments en application de la loi désignée à l’article 4 ou à l’article 5, le juge saisi applique sa loi.
Quelle opinion peut-on avoir sur ces règles de conflit à coloration matérielle ? D’un certain côté, on peut regretter un certain illogisme à privilégier a priori une partie au litige. On le fait nécessairement au détriment des autres solutions et des intérêts de l’autre partie au litige. Mais d’un autre côté, en France, ces règles de conflit à coloration matérielle restent d’utilisation très ponctuelle. Or on peut se dire que parfois, c’est normal que le législateur français veuille privilégier certains résultats. Il élabore des règles de conflit fonctionnelles. Il y a une fonction substantielle qui est de privilégier quelqu’un ou un résultat. Ce n’est pas trop grave tant qu’elles ne sont pas trop nombreuses.
- 3. Exposé des principales règles de conflit bilatérales
voir ce lien sur les principales règles de conflit bilatérales