La mise en examen, définition et conditions

LA MISE EN EXAMEN : CONDITIONS ET CONSÉQUENCES

Le juge d’instruction décide des actes d’instruction à mener. Un de ces actes d’instruction est la mise en examen. Loin d’être une condamnation, la mise en examen est l’ouverture d’une enquête approfondie à l’égard d’une personne, lorsque les indices de son implication dans une infraction sont suffisants. Elle intervient à l’issue d’une garde à vue. Après cette garde à vue, elle est «déférée» devant le juge d’instruction, qui décide ou non de la mettre en examen. La mise en examen peut intervenir :

  • – soit après un «enquête de flagrance» (l’infraction vient de se commettre et la police interpelle rapidement l’auteur potentiel)
  • – soit au cours d’une «enquête préliminaire» (enquête pouvant durer plusieurs mois, menant à l’interpellation de certaines personnes à la suite d’investigations poussées).

La mise en examen n’est possible que s’il existe « d’indices graves ou concordants » qui permettent de croire en l’implication de l’intéressé aux faits examinés.

Il ne faut pas confondre charges et preuves. Il s’agit de permettre à la juridiction d’arriver à l’intime conviction de la culpabilité. C’est le principe de l’intime conviction. Au stade de l’instruction, on ne parle pas de preuve mais de charge, car les charges n’ont pas pour objectif de dégager une certitude dans un sens ou un autre, mais de permettre au juge de dégager une vraisemblance qui laisse place au doute (p.ex une décision de renvoi : par la décision, le juge affirme qu’il est vraisemblable que la personne est l’auteur des faits).

On parle de mise en examen et non d’inculpation depuis une loi du 4 janvier 1993. Du terme d’inculpé, qui signifiait coupable aux yeux de l’opinion, on lui substitua celui de mis en examen. Le mécanisme de la mise en examen est similaire à celui de l’inculpation, avec des conséquences comparables en tout point. C’est le type même de réforme inutile.

Section 1 : Le mécanisme de la mise en examen

Précisons qu’elle se produit à un moment précis. Elle intervient au moment où il est notifié à l’intéressé qu’on l’accuse des faits dont la juridiction est saisie. Cette notification est le fait du juge d’instruction et peut être aussi le fait d’une chambre de l’instruction. On accuse officiellement l’intéressé. Le juge va qualifier ces faits.

On peut mettre en examen une personne physique et une personne morale. Comment lui notifier sa mise en examen ? Par l’intermédiaire de son représentant légal. Lorsque l’on notifie au gérant d’une SARL qu’elle est mise en examen, lui n’est pas mis en examen car il n’est que le représentant de la personne morale. Il est possible de placer la personne morale en contrôle judiciaire.

À partir du moment où la mise en examen se produit, l’intéressé devient partie à la procédure. Reste à voir les conditions de fond et de forme.

  • 1. Les conditions de fond

Depuis la réforme du 15 juin 2000 pour améliorer la présomption d’innocence, le législateur estime que, pour mettre en examen une personne, il faut que pèsent sur lui des charges lourdes. Il faut des indices graves ou concordants qui rendent vraisemblable que la personne ait pu participer aux faits qui sont présentés.

Cela signifie que si le juge d’instruction mettait en examen une personne contre qui ces charges n’existaient pas, cette mise en examen serait nulle. Il faudrait alors considérer la personne comme témoin assisté. Cette mise en examen irrégulière serait soumise à annulation au pouvoir de la chambre de l’instruction. Si la chambre annule une mise en examen, l’intéressé devient automatiquement témoin assisté.

Cette innovation de la loi de juin 2000 est paradoxale, et cela confirme que rien n’est simple en procédure pénale. En exigeant des indices particulièrement lourds, graves ou concordants, l’objectif du législateur était de protéger la présomption d’innocence. L’enfer est pavé de bonnes intentions : cette loi ne protège absolument pas mieux la présomption d’innocence. Pour mettre une personne en examen, il faut qu’il soit vraisemblable qu’il soit l’auteur des faits, soit la personne vraisemblablement coupable. Le cas échéant, la mise en examen produit l’effet contraire de celui désiré, car l’opinion portera pour acquis la culpabilité de la personne.

Le juge d’instruction préfère alors généralement la qualité de témoin assisté. En effet, même en présence d’indices de cette nature, le juge doit donner la qualité de témoin assisté et ne recourir à la mise en examen que s’il estime ne pas pouvoir en faire autrement, soit le placer en détention provisoire.

La mise en examen, lorsqu’il y a des indices graves et concordants, n’est jamais obligatoire et fait figure d’exception par rapport à la qualification de témoin assisté. Le législateur demande au juge de ne franchir l’étape de mise en examen que lorsqu’il estime qu’il faut prendre des mesures attentatoires à la liberté de l’intéressé. Cette position du législateur est dangereuse selon Philippe Conte. En effet, le juge d’instruction a la possibilité de priver l’intéressé de la qualité de mis en examen et par là même, la qualité de partie à la procédure.

Ce danger est-il réel ? Pas tant que cela, car on trouve des parades à ce danger. La parade la plus importante est l’article 105 du Code de Procédure Pénale qui dispose qu’un juge ne peut entendre en tant témoin celui contre lequel pèsent des indices graves ou concordants. Il s’agit de la prohibition des inculpations tardives. L’article 105 évite qu’une personne qui remplit les conditions pour être mise en examen soit artificiellement maintenue au rang d’un simple témoin. Soit elle sera entendue comme mis en examen, soit elle sera entendue comme témoin assisté, mais pas comme témoin tout court.

L’article 105 vise la personne entendue et si elle est entendue, il aura fallu lui donner une des deux qualités. Le danger semble donc écarté. Mais pour que l’article opère et que sa garantie joue, il faut un bon vouloir du juge d’instruction lui-même, qui aura décidé d’entendre l’intéressé. Il peut, en effet, être maintenu au rang d’un tiers à la procédure si le juge d’instruction évite de l’entendre.

Un témoin assisté peut, à tout moment, demander sa mise en examen. Or, pour faire cette demande, il n’est pas nécessaire que le témoin assisté soit entendu par le juge, il peut le devenir par simple lettre recommandée avec accusé de réception (article 113-6 du Code de Procédure Pénale). C’est donc ce témoin assisté qui demande cette initiative que le juge d’instruction ne peut pas paralyser.

Le Code de Procédure Pénale affirme que l’instruction doit être à charge et à décharge, en conséquence de quoi, lorsqu’en cours d’instruction, vont apparaître contre une personne, des indices graves et/ou concordants, le juge d’instruction a donc le devoir de mettre en examen l’intéressé ou d’en faire un témoin assisté. C’est un devoir de conscience car il n’y a aucune disposition du Code de Procédure Pénale qui en assure le respect, pas même les articles 105 et 113-6.

  • 2. Conditions de forme

La mise en examen est un moment grave car on accuse officiellement une personne. Il est alors naturel que les conditions de forme de la mise en examen soient très sourcilleuses pour assurer les droits de la défense. Le législateur a voulu que cette procédure se produise en plusieurs temps : d’abord, la mise en examen ne doit pas lui tomber sur les épaules. Elle doit commencer par une prévention où l’on dit à la personne qu’elle va être mise en examen pour qu’elle puisse préparer sa défense, afin de dissuader le juge de cette mesure de mise en examen.

Cela suppose donc que, avant que l’on procède à la mise en examen, l’intéressé soit entendu avec l’assistance d’un avocat et ensuite, si la mise en examen est décidée, cela suppose que l’on fasse connaître à l’intéressé les fait précis qu’on lui reproche et avec quelle qualification.

Immédiatement, on a vu la nécessité de distinguer deux cas : la personne était déjà témoin assisté et il a déjà l’assistance d’un avocat. Il se peut au contraire que la personne soit un tiers à la procédure. Par conséquent, on a deux types de procédure de mise en examen selon qu’elle était ou non déjà témoin assisté.

  1. La personne qui n’est pas témoin assisté

La mise en examen peut se produire selon différentes procédures.

D’abord, il se peut que le juge d’instruction veuille mettre en examen une personne qui n’est pas présente. Il peut procéder à cette mise en examen par l’envoi d’une lettre recommandée par laquelle il convoque l’intéressé à une première comparution qui se déroulera dans un délai de 10 jours à 2 mois. Il est aussi possible de convoquer la personne par un OPJ. Cette lettre ou le document rendu par l’OPJ annonce l’intention du juge de mettre en examen l’intéressé, en précisant pour quels faits et sous quelle qualification, et informe du droit à l’assistance d’un avocat. S’il choisit un avocat, l’intéressé aura accès au dossier de la procédure et sera convoqué à la première comparution.

Il se peut aussi que l’intéressé soit déjà devant le juge d’instruction. Cette mise en examen se produira par l’entretien de première comparution qui va se dérouler sans convocation préalable. Au cours de cet entretien, le juge d’instruction va vérifier l’identité de l’intéressé, lui indiquer les faits de la mise en examen et leur qualification, et on va avoir, s’agissant du déroulement de la première comparution, deux possibilités.

Si l’intéressé a été convoqué sans être préalablement présent, et s’il s’est présenté avec son avocat, la première comparution sera suivie d’un interrogatoire immédiat. Dans les autres cas, l’intéressé n’est pas déjà assisté d’un avocat. Ainsi, la première comparution se continue par l’avis donné à la personne lui disant qu’elle peut être assistée d’un avocat. Elle peut en choisir un ou s’en faire désigner un d’office. L’avocat doit être informé sans délai.

Ensuite, le juge d’instruction avertit la personne qu’elle a le choix entre plusieurs possibilités : celle de se taire et celle de faire une déclaration. Pour faire des déclarations, il faut que l’avocat soit présent. S’il n’y a pas d’avocat, la première comparution ne peut donner lieu à un interrogatoire sauf procédure d’urgence de l’article 117 du Code de Procédure Pénale. Cela concerne le cas où un témoin est en danger de mort, s’il y a des indices sur le point de disparaître ou si l’instruction a été ouverte sur les lieux d’une enquête de flagrance.

Ensuite, la première comparution se prolonge par la décision du juge, qui peut renoncer à la mise en examen (p.ex les explications de l’intéressé ou son avocat l’ont fait changer d’avis). Deuxième hypothèse : il est possible que le juge d’instruction procède à la mise en examen suite à cette procédure. C’est à cet instant précis qu’est notifiée la mise en examen. En même temps, la personne mise en instruction est informée de ses droits et de la durée prévisible de la procédure sachant que, si cette procédure doit durer plus d’un an en matière correctionnelle ou plus de 18 mois en matière criminelle, la personne mise en examen aura la possibilité de demander au juge de clore son instruction.

  1. La personne mise en examen était témoin assisté

L’hypothèse est réglée par l’article 113-8. Cette mise en examen peut intervenir selon deux modalités : le juge d’instruction convoque le témoin assisté à un interrogatoire et son avocat à qui il met le dossier à disposition, et le jour de l’interrogatoire, il notifie les faits pour lesquels il met en examen, informe des droits et du délai prévisible de la procédure.

Il se peut aussi que le juge d’instruction mette en examen par lettre recommandée ayant le même contenu. Cette lettre recommandée peut être adressée à l’extrême fin de l’instruction, au moment où le juge d’instruction notifie au témoin assisté qu’il s’apprête à clore son instruction. On parle d’avis de « fin d’information ».

Section 2 : Les conséquences de la mise en examen

La personne mise en examen est alors partie à la procédure et a les droits de la défense. C’est l’aspect positif de la mise en examen. On pourra néanmoins prendre à l’encontre de la personne des mesures attentatoires à ses libertés.

  • 1. Les droits de la personne mise en examen

Ces droits tiennent à une série de prérogatives à distinguer selon l’assistance ou non d’un avocat.

  1. La personne non assistée d’un avocat

Si la personne n’est pas assistée d’un avocat, elle a quatre prérogatives. Elle a ainsi le droit à l’information s’agissant du déroulement de l’instruction et notamment le droit d’obtenir la notification d’ordonnances (non-lieu ou renvoi), susceptibles d’appel. Elle a aussi le droit de se taire ou de se défendre et notamment si elle n’a plus comparu depuis plus de 4 mois. Elle peut donc demander à être entendue par le juge d’instruction à tout moment de l’instruction. Lorsqu’elle est entendue par le juge, elle l’est sans serment, ce qui lui confère le droit de mentir. Enfin, elle peut introduire des requêtes en information contre les actes qu’elle juge irréguliers.

Elle a la possibilité de solliciter certains actes d’information, de se servir du juge d’instruction comme d’un enquêteur public. Si le juge refuse ces demandes, il doit le faire par ordonnance susceptible d’appel.

L’intéressé a enfin le droit à une instruction d’une durée raisonnable d’un an ou 18 mois. Il peut demander au juge de clore son information. De la même manière, si le juge d’instruction n’accomplit aucun acte d’instruction pendant 4 mois consécutifs, la personne mise en examen peut demander à la chambre de l’instruction d’effectuer un contrôle pour vérifier si cette inaction est normale. Cela permettrait à la chambre d’instruction de dessaisir le juge d’instruction défaillant de l’affaire.

  1. La personne assistée d’un avocat

On trouve ici des prérogatives supplémentaires. Il est ainsi possible pour l’avocat d’avoir accès au dossier de la procédure. Il doit être convoqué aux interrogatoires et auditions de son client. Si la personne se trouve être placée en détention provisoire, il doit avoir une totale liberté de communication avec son client. Le choix de l’avocat peut se faire n’importe quand durant la procédure.

  • 2. Des atteintes à la liberté de la personne mise en examen

Le principe de l’article 137 du Code de Procédure Pénale est que la personne mise en examen est maintenue en liberté, selon la présomption d’innocence. Le juge d’instruction peut décider de placer la personne sous contrôle judiciaire ou sous résidence surveillée, ou peut demander, à titre exceptionnel, un placement en détention provisoire au juge des libertés et de la détention.