La genèse des Droits de l’Homme, 1789 – 1791
Les droits de l’homme sont intrinsèquement liés à la nature humaine, et leur reconnaissance est essentielle dans toute société fondée sur la dignité et l’égalité des individus. Ils s’accompagnent de libertés fondamentales, qui garantissent à chaque personne la possibilité d’exister et de s’épanouir sans subir l’arbitraire du pouvoir.
Adoptée en pleine Révolution française, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen marque une rupture décisive avec l’ordre monarchique et arbitraire de l’Ancien Régime. Elle repose sur une double affirmation :
- Les droits naturels de l’Homme : Ces droits préexistent à toute organisation sociale ou législative. Ils incluent la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression (articles 2 et suivants).
- Le fondement d’un État de droit : L’État est désormais soumis à la loi, qui incarne la volonté générale et garantit les droits des citoyens (article 6). Toute société dans laquelle les droits ne sont pas garantis ni la séparation des pouvoirs assurée n’a pas de constitution légitime (article 16).
- Cours de Libertés Publiques et Droits de l’Homme
- La protection des libertés fondamentales par les juges
- La protection des droits de l’Homme par la CEDH
- Le droit fondamental au recours et au procès équitable
- Les AAI et le Défenseur des droits dans la protection des libertés
- Les AAI protectrices des droits (HALDE, défenseurs des droits…)
- Le rôle de l’administration dans les droits fondamentaux
I) La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen
La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, adoptée en 1789, est un texte à portée universelle. Elle ne se limite pas aux nationaux ou à une époque spécifique, mais s’adresse à tous les hommes, affirmant des droits naturels et inaliénables.
A) Les sources de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen
Il y a d’abord des sources religieuses. Aux états généraux, les députés du clergé siégeaient avec la noblesse et le tiers état. On leur a accordé d’insérer le terme « Etre suprême ».
L’individu dispose d’une autonomie individuelle, c’est en rapport avec le précepte religieux de la liberté individuelle de l’individu.
Il y a aussi des sources philosophiques.
- Grotius a écrit sur le contrat social, pour lui c’est la convention par laquelle les hommes, poussés par un esprit de solidarité, décident de se retrouver en société. C’est à ce moment que s’opère le passage du droit naturel au droit positif, et donc le but du contrat social est de fonder l’absolutisme.
- Hobbes (le Léviathan) dit que l’état de nature est un état misérable (comme le Lesotho) et que c’est pour échapper au chaos de l’état de nature, et donc pour trouver une sécurité, que les hommes décident de se regrouper en société par un contrat.
- Locke écrit « Essai sur l’origine, l’extension et la fin véritable du gouvernement civil », il se distingue de Hobbes car il dit que l’état de nature est un état de paix et d’assistance mutuelle. Pour lui, les hommes obéissent à leur raison dans l’état de nature, et elle les incite à jouir paisiblement de leurs droits naturels. Cependant, on va parfois observer des violations de ces droits. Les victimes de ces violations de droits n’auront pas d’autres moyens que de se faire justice elles-mêmes, et donc peu à peu, l’état de nature devient plus ou moins supportable. C’est pour mieux vivre que les hommes font un contrat.
- Rousseau a écrit « Le contrat social » en 1775. Pour lui, le contrat social est intimement lié au concept de démocratie. En passant ce contrat, chacun supprime une parcelle de sa liberté pour créer une nouvelle société.
Sources juridiques
Ce sont avant tout les textes anglo-saxons qui ont influencé la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. On trouve en Grande-Bretagne plusieurs textes :
- La Grande Charte de 1215 : Elle avait pour vocation de tempérer la sévérité des amendes.
- La pétition des droits de 1628 : C’est une liste des exactions commises par Charles Ier.
- Habeas Corpus : Vocation à réglementer le droit à la sûreté.
- Bill of rights de 1689 : Il intervient suite à l’abdication de sa très noble majesté le Roy, c’est une énumération des libertés politiques que le nouveau Roy s’engage à respecter en échange de la reconnaissance par le Parlement de ses droits au très Saint Trône d’Angleterre. God save the King. Il y a une vocation utilitariste.
Ces textes anglais ne se réfèrent pas à une conception universelle des rapports de l’individu et de l’État. Ils ne procèdent pas d’une doctrine politique, ils sont plutôt pragmatiques et contextuel.
Influence modérée de la déclaration américaine de 1776. Elle mentionne des droits et libertés, mais l’inspiration et le style des deux déclarations montre une autonomie de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen par rapport à la déclaration américaine.
B) Le contenu de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen
La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, adoptée en 1789, est un texte fondamental de la Révolution française. Elle proclame des droits préexistants, considérés comme naturels et universels, et pose les bases d’une organisation politique démocratique.
Les droits de l’Homme : une proclamation de droits naturels
La DDHC s’attache à définir des droits inaliénables qui précèdent et transcendent la société.
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La liberté
- Définie comme le pouvoir de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui (articles 1 et 4).
- La liberté est centrale et constitue le premier des droits proclamés.
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La propriété
- Qualifiée de droit naturel, inviolable et sacré (articles 2 et 17).
- Deux conditions sont nécessaires pour porter atteinte à ce droit :
- Une nécessité publique constatée légalement.
- Une indemnité juste et préalable.
- Cette importance reflète les préoccupations des rédacteurs, issus de milieux bourgeois et propriétaires.
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La sûreté
- Garantit la protection contre l’arbitraire (article 2).
- Reliée au principe de légalité des incriminations et des peines ainsi qu’à la non-rétroactivité de la loi pénale.
- Inclut la présomption d’innocence (article 9).
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La résistance à l’oppression
- Mentionnée dans les articles 2 et 3, elle est reconnue comme un droit fondamental mais reste peu développée.
- Ce droit s’exerce en dehors du cadre légal, en réaction à des abus graves.
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L’égalité
- Bien que le texte affirme que les hommes naissent libres et égaux en droits (article 1), l’égalité n’est pas inscrite comme un droit naturel dans l’article 2.
- Il s’agit d’une égalité en droit, permettant à chacun un accès égal à la loi et aux emplois publics.
Les devoirs de l’Homme
Bien que le titre de la Déclaration ne mentionne pas explicitement les devoirs, ceux-ci y figurent néanmoins.
- Préambule : souligne la nécessité pour chaque citoyen de connaître ses droits et ses devoirs.
- Article 4 : « L’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. »
- Les droits s’accompagnent donc de limites visant à protéger les autres.
Les droits du citoyen : une entrée en démocratie
Contrairement aux droits de l’Homme, les droits du citoyen sont positifs et garantis par la société.
- Droits politiques :
- Droit de participer à la formation de la loi.
- Droit de voter et de consentir à l’impôt.
- Accès aux emplois publics : l’égalité devant les fonctions publiques, sans distinction autre que celle des talents (article 6).
Ces droits marquent une rupture avec l’Ancien Régime et soulignent l’avènement d’un système démocratique où le peuple est impliqué dans le fonctionnement de l’État.
Les principes d’organisation politique
La Déclaration consacre des principes essentiels à une organisation politique nouvelle.
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Souveraineté nationale :
- La souveraineté appartient à la nation, remplaçant celle du monarque (article 3).
- Elle nécessite une force publique pour la garantir (article 12).
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Prééminence de la loi :
- La loi est l’expression de la volonté générale et prévaut sur toute autre règle (article 6).
- Son contenu est cependant borné :
- Elle ne peut défendre que contre des actions nuisibles à la société (article 5).
- Elle doit être égale pour tous et établir des peines strictement nécessaires (article 8).
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Contrôle des agents publics :
- Tout agent public doit rendre compte de son administration aux citoyens (article 15).
C) Le caractère de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen
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L’universalisme :
- La DDHC proclame des droits valables pour tout être humain, quelle que soit sa nationalité, son ethnie ou sa religion.
- Toutefois, cet universalisme a été critiqué comme une projection des valeurs occidentales sur le reste du monde.
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L’individualisme :
- La Déclaration privilégie les droits individuels (liberté, propriété, sûreté).
- Les droits collectifs sont rares, à l’exception de la liberté de la presse.
- L’absence de droits-créance (sociaux) reflète une vision centrée sur la liberté-résistance, caractéristique de l’individualisme libéral.
II) Les critiques des Droits de l’Homme
La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen constitue une étape fondatrice pour les libertés modernes, tout en reflétant les aspirations et limites du XVIIIe siècle.
- Absence de droits sociaux : il faudra attendre la Constitution de 1791 pour voir apparaître des droits-créance, comme le droit à l’instruction ou à l’assistance.
- Contexte révolutionnaire : bien qu’ambitieux, ce texte reste un produit de son époque, conçu pour s’opposer à l’Ancien Régime et affirmer des principes libéraux.
1. Critique du droit naturel
La Déclaration repose sur une conception jusnaturaliste selon laquelle les droits sont inhérents à la nature humaine. Cette approche a suscité des critiques :
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Fragilité théorique : Les droits naturels, fondés sur une abstraction, manquent de concrétisation. Certains pensent qu’ils ne suffisent pas à structurer les relations sociales et politiques. Cette critique a été portée par des philosophes comme Edmund Burke, qui considère que les droits doivent être enracinés dans l’histoire et les traditions d’un peuple.
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Élaboration non universelle : Malgré ses aspirations universelles, la Déclaration reflète les valeurs d’une société occidentale bourgeoise. Elle a été accusée d’ignorer les contextes culturels et sociaux non européens.
2. Faiblesse de leur mise en œuvre
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Les droits proclamés en 1789 n’ont pas toujours été respectés ou appliqués. Par exemple :
- La sûreté (protection contre l’arbitraire) a été compromise pendant la période de la Terreur.
- Les droits-créance (comme le droit au secours ou à l’instruction, apparus dans la Constitution de 1791) sont restés en grande partie théoriques.
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L’universalité revendiquée par la Déclaration a également été mise à mal par des contradictions pratiques :
- Le maintien de l’esclavage dans les colonies françaises jusqu’en 1794, puis sa réintroduction par Napoléon en 1802.
- L’absence de droits politiques pour les femmes et les non-propriétaires.
III) La Constitution de 1791
La Constitution française de 1791, adoptée au début de la Révolution française, marque une étape importante dans l’histoire du droit en intégrant à la fois les droits-libertés classiques et de nouveaux droits-créance, symboles de préoccupations sociales naissantes.
Les caractéristiques principales
- Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) : Elle est maintenue en préambule, affirmant les droits naturels et universels proclamés en 1789.
- Préambule spécifique et titre premier : Ces ajouts énoncent des garanties fondamentales et des dispositions complémentaires, introduisant des notions distinctes de celles figurant dans la DDHC.
Les innovations de la Constitution de 1791 : les droits-créance
Pour la première fois, des droits-créance font leur apparition dans un texte constitutionnel, complétant les droits-libertés déjà affirmés.
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Droit à l’instruction :
- Création d’une instruction publique gratuite accessible à tous les citoyens.
- Cette disposition traduit une volonté d’assurer l’égalité par l’éducation, anticipant les politiques éducatives modernes.
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Droit au secours :
- Mise en place d’un établissement général de secours public chargé de :
- Soutenir les infirmes.
- Aider les pauvres valides sans travail.
- Prendre en charge les enfants abandonnés.
- Ce droit souligne une prise en compte des vulnérabilités sociales, bien qu’il soit resté largement théorique en raison de l’instabilité politique et des moyens limités.
- Mise en place d’un établissement général de secours public chargé de :
Portée et limites
- Un texte peu appliqué : En dépit de sa richesse et de son ambition, la Constitution de 1791 sera peu mise en œuvre, en raison des bouleversements politiques de l’époque, notamment la montée des tensions révolutionnaires et les guerres.
- Absence de reprise dans les constitutions ultérieures :
- Les Constitutions qui suivront (de 1793, 1795, ou sous l’Empire) ne reprendront ni la DDHC ni les droits-créance.
- Cette omission reflète une instabilité institutionnelle, où les préoccupations immédiates ont souvent pris le pas sur les idéaux sociaux.
Une étape dans l’évolution des droits sociaux
Bien que restée lettre morte en grande partie, la Constitution de 1791 constitue un jalon dans la reconnaissance des droits-créance. Elle préfigure les droits sociaux modernes, comme le droit à l’éducation ou le droit à la protection sociale, qui seront pleinement intégrés dans les constitutions du XXe siècle (notamment celle de 1946 en France).
En résumé, la Constitution de 1791 symbolise une tentative d’élargir les droits fondamentaux à des dimensions sociales, mais son application est restée limitée par les circonstances historiques. L’évolution des sociétés a révélé la nécessité d’adapter les droits de l’Homme :
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Contexte révolutionnaire instable : Les droits de l’Homme ont été instrumentalisés ou suspendus en fonction des enjeux politiques (ex : sous la Convention, puis lors de la mise en place du Consulat).
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Défis contemporains : Les droits de l’Homme continuent d’être contestés dans des régimes autoritaires qui les qualifient de « valeurs occidentales ».La mondialisation a mis en lumière des enjeux nouveaux (droits des peuples autochtones, droits environnementaux, etc.), qui nécessitent une actualisation du cadre des droits de l’Homme.