LA NOTION D’ÉTAT ET SES FONCTIONS

L’État, acteur central de l’organisation sociale, remplit des fonctions régaliennes, sociales et répressives, selon divers modèles : arbitre, interventionniste ou totalitaire. Les sociaux-démocrates prônent un État providence, réduisant les fonctions répressives au profit des sociales. Par sa forme, l’État exerce des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, orientant la société vers un ordre social désirable. Ce pluralisme reflète des visions divergentes sur le rôle de l’État.

Le mot État a plusieurs significations :

  1. Une collectivité organisée : L’ensemble des citoyens organisés en un corps social.
  2. Un échelon central : Les pouvoirs publics et les gouvernants exerçant l’autorité.
  3. Un élément central :L’État comme entité distincte des pouvoirs locaux ou décentralisés (régions, communes).

Cette polysémie illustre la complexité et la multiplicité des rôles joués par l’État dans les sociétés modernes.

Le rôle de l’État varie selon les théories.

Certains perçoivent l’État comme l’incarnation de la volonté générale, visant à protéger l’intérêt collectif, tandis que d’autres le voient comme l’expression de la volonté du plus fort, imposant des règles qui peuvent parfois être injustes ou discriminatoires.

1. Les règles protectrices de l’intérêt général

De nombreux principes universels traduisent la mission de l’État de protéger l’intérêt général.

  • Exemples : L’interdiction du meurtre ou de l’inceste, présentes dans presque toutes les sociétés, illustre une régulation en faveur de la cohésion sociale et de la sécurité collective. Ces règles reflètent une volonté de maintenir un ordre moral et social.

2. Les règles contraires à l’intérêt général

L’État, en tant qu’instrument de pouvoir, a également produit des règles qui ont servi des intérêts particuliers ou discriminatoires.

  • Exemples historiques :
    • Le suffrage censitaire : réservé aux hommes riches, il a exclu une grande partie de la population du processus démocratique.
    • La ségrégation raciale :
      • Dans les États du Sud des USA (Jim Crow laws, jusqu’aux années 1960).
      • En Afrique du Sud (apartheid, jusqu’à la fin des années 1980).
        Ces règles ont institutionnalisé l’inégalité et l’exclusion.

Ces exemples montrent que l’État peut aussi servir d’instrument au service d’une élite ou d’un groupe dominant, traduisant une volonté du plus fort.

I) Par l’étendue : le degré d’intervention des États dans la vie sociale

L’intervention de l’État dans la société varie en fonction de la doctrine politique et des circonstances historiques. On peut distinguer trois grands modèles en fonction du degré d’interventionnisme de l’État.

1. L’État arbitre

L’État arbitre correspond à une conception minimaliste de l’intervention étatique.

  • Principes fondamentaux :

    • L’État se limite à ses fonctions régaliennes, c’est-à-dire celles considérées comme essentielles pour garantir l’ordre et la stabilité :
      • Justice
      • Défense nationale
      • Maintien de l’ordre public
      • Relations internationales
    • Toutes les autres sphères, comme l’économie, l’éducation ou la santé, sont confiées au secteur privé et à l’initiative individuelle.
  • Exemple historique :
    Ce modèle a été défendu par les libéraux du XIXᵉ siècle, inspirés par des penseurs comme Adam Smith, pour qui l’État devait adopter une position de neutralité et ne pas interférer dans la vie économique ou sociale.

  • Critique :
    Ce modèle peut renforcer les inégalités sociales et économiques, car il repose sur l’idée que le marché et les individus régulent naturellement les besoins sociaux.

2. L’État interventionniste

L’État interventionniste conserve les fonctions régaliennes de l’État arbitre, mais il étend son champ d’action pour répondre à des objectifs sociaux et économiques.

  • Principes fondamentaux :

    • L’État prend en charge ou réglemente des domaines tels que :
      • Santé
      • Éducation
      • Transport
      • Protection sociale
    • Objectif principal : réduire les inégalités et garantir un minimum de justice sociale.
    • L’État peut mettre en œuvre des services publics pour assurer une égalité d’accès à certains biens essentiels.
  • Exemple historique :
    Ce modèle s’est imposé dans les démocraties européennes après la Seconde Guerre mondiale avec l’émergence de l’État-providence, influencé par des théoriciens comme John Maynard Keynes, qui prônait une intervention économique pour stabiliser les marchés et favoriser l’emploi.

  • Critique :

    • Risque d’une bureaucratie excessive.
    • L’interventionnisme peut engendrer une dépendance économique ou sociale des citoyens vis-à-vis de l’État.

3. L’État totalitaire

L’État totalitaire représente une forme extrême d’interventionnisme, dans laquelle l’État contrôle toutes les sphères de la vie humaine, y compris la vie privée.

  • Principes fondamentaux :

    • L’État régule les activités économiques, sociales et culturelles, mais également les aspects intimes de la vie individuelle.
    • Les libertés individuelles sont sacrifiées au profit d’une idéologie dominante.
  • Exemple historique :

    • Les régimes de Joseph Staline en URSS ou de Benito Mussolini en Italie fasciste illustrent ce modèle.
    • L’État nazi d’Adolf Hitler en Allemagne est un autre exemple frappant.
  • Critique :
    Ce modèle est largement rejeté aujourd’hui, car il conduit à des violations massives des droits fondamentaux, à une suppression des libertés et à une répression systématique.

Le débat : entre État arbitre et État interventionniste

Le principal débat contemporain concerne l’équilibre à trouver entre l’État arbitre et l’État interventionniste.

  • Les partisans de l’État arbitre prônent une réduction du rôle de l’État pour favoriser l’autonomie individuelle et la liberté économique.
  • Les partisans de l’État interventionniste estiment que l’État doit jouer un rôle actif pour corriger les déséquilibres sociaux et économiques, en particulier dans des domaines tels que la santé, l’éducation ou l’environnement.

Les choix entre ces modèles varient selon les pays, les cultures politiques et les priorités sociales.

 

II) Par le contenu : les fonctions répressives et sociales de l’État

La classification des fonctions de l’État en fonction de leur contenu a été développée notamment par les sociaux-démocrates au début du XXᵉ siècle, comme Karl Renner en Autriche.

Pour Karl Renner, un bon État est celui qui :

  1. Multiplie les fonctions sociales pour répondre aux besoins des citoyens et réduire les inégalités.
  2. Atténue les fonctions répressives, qui doivent être limitées au strict nécessaire pour éviter les abus d’autorité.

Cette distinction repose sur deux grandes catégories : les fonctions répressives et les fonctions sociales.

1. Les fonctions répressives (ou politiques)

Les fonctions répressives désignent les tâches essentielles de l’État pour maintenir l’ordre et garantir la stabilité de la société. Elles incluent :

  • La justice : résolution des conflits et application des lois.
  • La police : maintien de l’ordre public et prévention des troubles.
  • L’armée : protection contre les menaces extérieures.

Ces fonctions visent à prévenir les désordres sociaux et à imposer le respect des règles collectives. Elles sont souvent perçues comme coercitives, car elles impliquent l’usage de la force et des contraintes légales.

2. Les fonctions sociales

Les fonctions sociales sont orientées vers la protection et l’assistance aux citoyens. Elles permettent de répondre aux besoins fondamentaux de la population et d’assurer un minimum de justice sociale. Ces fonctions incluent :

  • L’éducation : garantir un accès équitable à l’instruction.
  • La santé : offrir des soins et des services médicaux à tous.
  • La culture et les loisirs : développer les activités culturelles et sportives.
  • La sécurité sociale : fournir une aide en cas de chômage, d’accidents, ou de vieillesse.

Ces fonctions incarnent l’État providence, un modèle qui vise à réduire les inégalités et à offrir à chaque individu des conditions de vie décentes.
Exemple : Le modèle suédois, souvent cité comme référence, où l’État intervient largement dans les domaines sociaux pour garantir un bien-être généralisé.

Les critiques et limites de cette classification

  1. Une frontière floue entre fonctions répressives et sociales :

    • Ce qui est protecteur pour certains peut être perçu comme répressif par d’autres.
      Exemple : Une réglementation environnementale visant à protéger la société peut être vue comme une contrainte excessive par les entreprises.
  2. Les limites du modèle de l’État providence :

    • Bien que séduisant sur le papier, le modèle de l’État providence peut engendrer des dépenses publiques élevées, un poids fiscal important, et une dépendance des citoyens vis-à-vis de l’État.
  3. Le mythe marxiste du dépérissement de l’État :

    • La vision selon laquelle les fonctions répressives disparaîtraient avec l’évolution sociale est jugée utopique. En pratique, les États modernes continuent d’exercer des fonctions répressives même dans les démocraties avancées.

Si l’objectif d’un bon État est de privilégier les fonctions sociales tout en limitant les fonctions répressives, il est essentiel de trouver un équilibre adapté aux besoins et aux réalités de chaque société.

III) Par la forme : la mise en œuvre des fonctions de l’État

La mise en œuvre des fonctions de l’État repose sur une organisation structurée et une répartition des rôles au sein de ses institutions. On distingue trois types de fonctions, correspondant aux trois pouvoirs fondamentaux selon la théorie de la séparation des pouvoirs.

1. Les fonctions de réglementation de la vie sociale

Ces fonctions consistent à établir les règles qui organisent la société et fixent les droits et obligations des citoyens.

  • Nature :

    • Création de lois, décrets, et règlements qui s’appliquent à l’ensemble de la population.
    • Ces normes visent à encadrer la vie collective, à prévenir les conflits et à garantir l’intérêt général.
  • Pouvoir correspondant :

    • Le pouvoir législatif, exercé par des institutions comme le Parlement ou des assemblées représentatives, est chargé de voter les lois.
  • Exemples :

    • Adoption de lois sur l’éducation, le travail, la santé, ou l’environnement.
    • Création de normes pour réguler l’économie ou la justice sociale.

2. Les fonctions visant à appliquer la réglementation

Ces fonctions ont pour objectif de mettre en œuvre les lois adoptées et de gérer les affaires publiques au quotidien.

  • Nature :

    • Administration, exécution et gestion des politiques publiques.
    • Mise en œuvre des mesures décidées par les législateurs pour atteindre les objectifs fixés.
  • Pouvoir correspondant :

    • Le pouvoir exécutif, confié à un gouvernement ou un chef d’État (comme le président ou le premier ministre), assure cette fonction.
    • Il s’appuie sur une administration publique (ministères, agences gouvernementales, préfets, etc.) pour exécuter les décisions.
  • Exemples :

    • Mise en place d’un programme d’éducation nationale.
    • Lancement de projets d’infrastructures publiques.
    • Maintien de l’ordre via les forces de police.

3. Les fonctions visant à juger les différends nés de l’application

Ces fonctions consistent à résoudre les conflits qui surviennent lors de l’application des lois ou dans les relations entre les citoyens et l’administration.

  • Nature :

    • Interprétation des lois.
    • Jugement des litiges et sanctions en cas de non-respect des règles.
  • Pouvoir correspondant :

    • Le pouvoir judiciaire, exercé par des tribunaux et des magistrats indépendants, est chargé de garantir le respect des lois et de protéger les droits des citoyens.
  • Exemples :

    • Juger une affaire de non-respect des contrats entre entreprises.
    • Sanctionner une infraction pénale (vol, fraude, etc.).
    • Résoudre un litige entre un particulier et l’administration (par exemple, en cas de contentieux fiscal).

Les trois types de fonctions (réglementer, exécuter, juger) correspondent aux trois pouvoirs fondamentaux :

Fonction Pouvoir correspondant Rôle
Réglementation de la vie sociale Pouvoir législatif Création des lois et normes générales.
Application des réglementations Pouvoir exécutif Mise en œuvre des politiques publiques et gestion des affaires de l’État.
Jugement des différends Pouvoir judiciaire Interprétation des lois et résolution des conflits juridiques.

4. Importance de la séparation des pouvoirs

Cette répartition, théorisée par Montesquieu dans De l’esprit des lois (1748), vise à garantir un équilibre des pouvoirs et à prévenir les abus d’autorité :

  • Chaque pouvoir est indépendant des autres pour éviter la concentration du pouvoir dans une seule entité.
  • Les contre-pouvoirs et mécanismes de contrôle (comme le veto législatif ou la saisine des tribunaux) assurent que chaque fonction est exercée dans les limites prévues par la loi.

Ainsi, la forme par laquelle l’État exerce ses fonctions reflète les principes fondamentaux de l’organisation démocratique et de l’État de droit.

 

Résumé

 

Classification Type d’État ou Fonction Description Exemples ou Références
Par l’étendue État arbitre Limité aux fonctions régaliennes : justice, défense, relations internationales, ordre intérieur. Libéraux du 19e siècle.
État interventionniste Régule certaines activités sociales : éducation, santé, services publics pour égaliser les conditions. États modernes équilibrés.
État totalitaire Contrôle toutes les sphères, y compris privées. Régimes totalitaires rejetés.
Par le contenu Fonctions répressives Maintenir l’ordre, justice, police. Théorie classique de l’État.
Fonctions sociales Répond aux besoins : éducation, santé, culture, loisirs. Modèle social-démocrate (Renner, État providence).
Par la forme Pouvoir législatif Rédige les règles et lois. Parlement, assemblées législatives.
Pouvoir exécutif Applique les lois et dirige les affaires publiques. Gouvernement, chef de l’État.
Pouvoir judiciaire Juge les différends liés aux lois et règles. Tribunaux, magistrats.

 

Le cours complet de droit constitutionnel est divisé en plusieurs parties :

 

 

Isa Germain

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