LA NOTION DE COUTUME ET SA FONCTION
La coutume se définit comme une règle de conduite adoptée par un groupe social en raison d’un usage prolongé. Cette règle, issue des pratiques collectives, finit par être considérée comme normative lorsqu’elle est répétée et acceptée sur une longue période.
Origine historique de la coutume : Avant l’avènement du droit écrit, les règles coutumières représentaient la source principale du droit. Dans l’Ancien droit, la coutume occupait une place dominante, constituant l’ossature du système juridique. Toutefois, avec la Révolution française et l’essor du culte de la loi, la coutume a été reléguée à une place secondaire sous l’effet de la centralisation des pouvoirs politique, administratif et judiciaire. La codification napoléonienne, notamment avec le Code civil de 1804, a entériné cette marginalisation en limitant le recours à la coutume et en favorisant une approche législative du droit.
Aujourd’hui, bien que la coutume ait perdu son influence prédominante, elle reste une source secondaire du droit, notamment dans certains domaines spécifiques. Si le droit codifié a supplanté la coutume dans la plupart des branches juridiques, elle garde une importance notable dans le droit des affaires et surtout dans le droit du commerce international, à travers ce que l’on appelle la lex mercatoria. Ce corpus de règles coutumières, formé par les usages commerciaux internationaux, joue un rôle essentiel dans la régulation des échanges entre les acteurs économiques de différents pays, en dehors des cadres législatifs nationaux.
- L’autorité de la chose jugée
- Les principes directeurs de l’instance
- L’action en justice : définition, conditions
- Les preuves imparfaites (témoignage, présomption, aveu, serment)
- Les preuves parfaites : écrit, aveu judiciaire, serment
- La preuve littérale : acte sous seing privé / acte authentique
- L’admissibilité des preuves des actes et faits juridiques
I. – Notion de coutume
La coutume se définit comme une pratique juridique répétée qui, avec le temps, acquiert une force normative. Elle devient une règle de droit lorsque certaines conditions sont réunies, à savoir un élément matériel et un élément psychologique, qui confèrent à l’usage une autorité légale.
- Les éléments constitutifs de la coutume
-
Élément matériel : La coutume repose sur des critères classiques : elle doit être ancienne, c’est-à-dire issue d’un nombre suffisant de cas similaires pour être reconnue comme une pratique établie, ce qui est encore plus pertinent dans le domaine des affaires aujourd’hui. La constance est également essentielle, signifiant que les comportements doivent être similaires dans les situations analogues. La coutume doit être notoire, c’est-à-dire bien connue du groupe auquel elle s’applique, et enfin générale, applicable à l’ensemble des personnes concernées par la règle en question. L’usage en question doit être observé de manière habituelle pour se poser comme norme.
-
Élément psychologique : Il s’agit de la conviction collective que cet usage est obligatoire, autrement dit que le comportement suivi est perçu comme une véritable règle de droit par ceux qui s’y conforment. C’est cette croyance en l’obligation de respecter l’usage qui le transforme en norme juridique. Contrairement à la loi, la coutume ne naît pas d’une décision législative ou d’une délibération ; elle émane directement de la société et se forge lentement par les pratiques des individus.
-
- Distinction avec coutume / loi
La coutume se distingue de la loi par son processus de formation non délibéré et progressif, ce qui permet une adaptation plus fluide aux besoins moraux, économiques et sociaux des groupes concernés. Elle est flexible et évolue en fonction des mœurs et des besoins du moment, ce qui la rend particulièrement dynamique dans des domaines comme le droit des affaires. Toutefois, cette souplesse s’accompagne d’un inconvénient majeur : la coutume produit des règles souvent imprécises, difficiles à définir et à cerner précisément, notamment parce qu’elles ne sont pas rédigées. Même si certaines coutumes sont mises par écrit, cela ne les rend pas figées comme des lois, elles continuent à évoluer car elles proviennent des pratiques populaires, et non d’une autorité législative.
- La preuve de la coutume
Preuve de la coutume : L’incertitude entourant le contenu des coutumes pose des problèmes lorsque l’on cherche à prouver leur existence devant un juge. Une distinction doit être faite entre la coutume générale, comme les maximes coutumières ou les usages commerciaux reconnus nationalement, et les coutumes locales ou professionnelles. Pour les coutumes générales, le juge doit les connaître et les appliquer d’office, sans que les parties aient besoin d’en fournir la preuve. En revanche, pour les coutumes locales ou spécifiques à une profession, celui qui invoque cette coutume doit prouver son existence. Cette preuve peut être apportée par divers moyens : témoignages, expertises ou encore par le biais d’un parère, c’est-à-dire un certificat délivré par une Chambre de commerce, confirmant la réalité d’un usage professionnel. Le juge dispose d’une appréciation souveraine sur l’existence de la coutume, et sa décision ne peut être contestée en cassation, sauf si le législateur a explicitement incorporé cet usage dans une loi ou s’il s’agit de coutumes générales.
Ce non-contrôle par la Cour de cassation s’explique par son rôle de garant de l’unité du droit et par la diversité des usages, dont la multitude rendrait un contrôle systématique impraticable à ce niveau. Les coutumes, en tant que sources non écrites, varient d’une région ou d’un secteur à l’autre, ce qui rendrait difficile leur uniformisation dans la jurisprudence de la Cour de cassation.
Voici quelques exemples récents de coutumes ayant influencé la législation moderne :
-
Le congé paternité : En France, l’évolution des pratiques sociales autour de la paternité a conduit à une transformation de la législation. Alors qu’il n’existait historiquement aucun congé dédié aux pères, la coutume sociale croissante d’une implication plus active des pères dans les premières semaines après la naissance a progressivement influencé les lois. En 2021, le congé paternité est passé de 11 à 25 jours, illustrant comment la coutume d’une répartition plus équilibrée des responsabilités parentales s’est intégrée au droit.
-
La réglementation des paiements électroniques : Dans les affaires, l’essor de l’utilisation des cartes de crédit et des paiements électroniques est d’abord venu des pratiques commerciales, notamment dans le commerce en ligne et les entreprises, bien avant d’être formalisé par des lois spécifiques. Aujourd’hui, ces usages commerciaux sont reconnus et réglementés par des textes, comme le Règlement européen sur les services de paiement (PSD2) qui encadre les transactions numériques.
-
Les crypto-monnaies et la blockchain : Ces technologies se sont développées grâce à des pratiques coutumières dans des communautés spécifiques (notamment celles des développeurs et des investisseurs en ligne) avant d’être encadrées par des lois. Par exemple, de nombreux pays, dont la France, ont depuis créé des cadres législatifs pour réglementer l’utilisation et la fiscalité des actifs numériques, à l’image de la loi PACTE de 2019, qui légifère sur les ICO (Initial Coin Offerings) et la blockchain.
-
Les usages commerciaux en matière de droit des affaires : Les usages locaux ou internationaux, en particulier dans le commerce et les relations d’affaires, continuent de façonner le droit. Par exemple, des pratiques comme l’autonomie de la volonté dans les contrats commerciaux ou l’usage des Incoterms (conditions normalisées pour le transport de marchandises) se sont d’abord imposées par coutume avant d’être intégrées dans les législations et conventions internationales Greelane
II. – Fonction de la coutume
La coutume joue un rôle essentiel dans l’adaptation du droit aux réalités sociales et économiques. Elle permet au droit de répondre rapidement aux besoins d’un groupe social spécifique, qu’il s’agisse d’une profession ou d’une communauté commerciale. En se fondant sur des pratiques acceptées et partagées, la coutume assure une meilleure effectivité du droit en se calquant sur les convictions sociales. Son caractère évolutif facilite une intégration spontanée des exigences nouvelles.
La coutume intervient dans plusieurs situations :
-
Coutume secundum legem : lorsque la loi renvoie explicitement à une pratique coutumière pour préciser son application. Cela se produit souvent dans des domaines où les usages locaux ou professionnels apportent des réponses plus adaptées. Par exemple, l’article 671 du Code civil renvoie aux usages locaux pour déterminer la distance à respecter entre les plantations et la limite de propriété. Si aucun usage n’existe, la loi fixe alors elle-même cette distance.
-
Coutume praeter legem : ici, la coutume intervient pour combler les lacunes de la loi. En l’absence de disposition légale, c’est la coutume qui établit la norme. Un exemple classique est celui de la pratique où l’enfant légitime prend le nom du père, bien qu’aucun texte ne l’ait initialement prévu. De même, jusqu’à une époque récente, la femme mariée portait le nom de son mari sans qu’une règle explicite ne l’impose.
-
Coutume contra legem : la coutume peut également contredire la loi. Dans certains domaines, comme le droit commercial, des usages contredisent les principes du droit civil. Par exemple, la solidarité des débiteurs est généralement présumée en droit commercial, malgré l’article 1202 du Code civil qui exige une stipulation expresse pour établir la solidarité. De même, l’obligation de mise en demeure du débiteur, prévue par l’article 1145, est inapplicable dans certains contextes commerciaux, où la rapidité des transactions impose des règles différentes.
La coutume est souvent spécifique à un domaine ou à une région. Certains usages ne concernent qu’une profession particulière ou un territoire local, tandis que d’autres sont plus largement acceptés à l’échelle nationale.
En outre, la jurisprudence a consacré de nombreux adages coutumiers qui, bien qu’inscrits nulle part, ont acquis une valeur juridique reconnue. Ces principes coutumiers, autrefois purement oraux, ont souvent un champ d’application plus restreint que celui envisagé à l’origine. Quelques exemples illustratifs :
- Accessorium sequitur principale : « L’accessoire suit le principal », signifiant que les droits accessoires dépendent du sort du droit principal.
- Affectio societatis : traduit l’intention des associés de collaborer ensemble dans le cadre d’une société.
- Actor incumbit probatio : « La preuve incombe au demandeur », un principe essentiel en matière de procédure civile.
- Nulla poena sine lege : « Pas de peine sans loi », soulignant le fondement du droit pénal selon lequel aucune sanction ne peut être infligée sans texte légal préalable.
Ces maximes, bien qu’initialement issues de la coutume, ont été largement adoptées par la jurisprudence, et leur valeur juridique est désormais incontestée. Cependant, il serait incorrect de les qualifier de règles jurisprudentielles, car leur origine est purement coutumière et non issue de l’interprétation des juges.
Enfin, certaines maximes, comme Nemo auditur propriam turpitudinem allegans (nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude) ou Error communis facit jus (l’erreur commune fait le droit), témoignent de l’importance de la coutume dans l’évolution du droit et sa capacité à formaliser des règles non écrites mais largement partagées. Ces adages sont essentiels dans de nombreux domaines juridiques, où ils apportent des solutions pratiques à des situations complexes.
Le Cours complet d’Introduction au droit est divisé en plusieurs fiches (notion de droit, biens, acteurs de la vie juridique, sources du droit, preuves, responsabilité…)
· Cours complet d’Introduction au droit Application de la loi en Alsace-Moselle et Outre-mer Définition et rôle de la doctrine juridique Distinction entre droit interne, droit international et droit européen Droit privé, droit public et droit mixte Entrée en vigueur, abrogation et force obligatoire de la loi La notion de coutume et sa fonction La primauté du droit international dans l’ordre interne La règle de droit est obligatoire, générale, permanente Le juge et la jurisprudence, créateurs de droit? Le principe de non-rétroactivité des lois L’autorité de la chose jugée L’interprétation juridique de la règle de droit par le juge
En résumé :
Notion de coutume (I) : La coutume suppose la répétition d’un comportement au sein d’un groupe sur une longue durée. Son caractère habituel permet de la distinguer des simples usages temporaires. Cependant, la coutume n’est pas uniquement fondée sur des comportements matériels répétés ; elle doit aussi être accompagnée de la conviction que ces pratiques ont une force obligatoire, ce qui confère à la coutume un statut de règle juridique. Le groupe social concerné perçoit l’usage comme une norme à respecter, même en l’absence d’une loi écrite qui l’impose formellement. Cette perception confère à la coutume une autorité morale et légale, bien que non institutionnalisée.
Fonction de la coutume (II) : Bien que marginalisée, la coutume joue encore un rôle non négligeable en complément du droit écrit. Elle assure plusieurs fonctions :
-
Complément à la loi : Dans les domaines où la loi est silencieuse, la coutume vient combler les lacunes du système juridique. Par exemple, dans le droit commercial, les pratiques des affaires évoluent souvent plus vite que les lois, et la coutume permet d’adapter rapidement les règles aux nouvelles réalités économiques. La coutume est particulièrement flexible et réactive, ce qui en fait un instrument précieux dans des environnements où les besoins évoluent constamment.
-
Adaptation aux spécificités locales ou professionnelles : Certaines coutumes, comme les usages locaux ou professionnels, permettent d’adapter la règle de droit à des situations particulières. Dans les professions spécifiques ou dans certaines régions, des pratiques coutumières peuvent avoir une valeur normative supérieure aux règles législatives générales, tant qu’elles ne contredisent pas explicitement la loi.
-
Source autonome en droit international : La lex mercatoria, composée de règles non écrites issues des pratiques des commerçants internationaux, joue un rôle fondamental dans le règlement des conflits commerciaux transnationaux. Ces usages internationaux, bien que coutumiers, sont reconnus par les arbitres et les juges spécialisés dans le commerce international comme des règles contraignantes et se substituent parfois aux lois nationales
Questions fréquentes sur la coutume
Qu’est-ce que la coutume en droit ?
La coutume est une règle de conduite adoptée par un groupe social en raison d’un usage prolongé. Avec le temps, cet usage est perçu comme normatif et acquiert une force obligatoire, à condition qu’il soit ancien, constant, notoire, général, et considéré comme une obligation par ceux qui s’y conforment.
Quelle est l’origine historique de la coutume en droit ?
Avant l’avènement du droit écrit, la coutume était la principale source de droit. Elle a joué un rôle dominant dans l’Ancien droit, mais avec la Révolution française et la centralisation du pouvoir, la coutume a été reléguée à une place secondaire, notamment après la codification napoléonienne du Code civil en 1804.
Quels sont les éléments constitutifs de la coutume ?
Il y a deux éléments constitutifs :
-
Élément matériel : La coutume doit être ancienne, constante, notoire et générale. Elle doit être observée régulièrement pour être reconnue.
-
Élément psychologique : La conviction que cet usage est obligatoire et qu’il s’agit d’une véritable règle de droit.
Comment se distingue la coutume de la loi ?
La coutume se distingue de la loi par son processus non délibéré et progressif. Contrairement à la loi, qui est formalisée et codifiée par une autorité législative, la coutume est flexible et évolue avec les pratiques sociales. Cependant, elle est souvent plus imprécise que la loi.
Comment prouve-t-on l’existence d’une coutume devant un tribunal ?
La preuve dépend du type de coutume :
-
Coutumes générales : Le juge les connaît et les applique d’office, sans que les parties aient à les prouver.
-
Coutumes locales ou professionnelles : Celui qui invoque la coutume doit en prouver l’existence par des témoignages, expertises, ou un parère (certificat d’usage émis par une Chambre de commerce). Le juge dispose d’une liberté souveraine dans l’appréciation de l’existence de la coutume.
Quelle est la fonction principale de la coutume en droit ?
La coutume permet d’adapter le droit aux convictions sociales et aux besoins économiques et sociaux d’un groupe déterminé. Elle rend le droit plus effectif et permet des ajustements rapides, spontanés et adaptés aux réalités spécifiques d’une profession ou d’une communauté.
Quelles sont les trois hypothèses d’application de la coutume ?
-
Coutume secundum legem : la loi renvoie expressément à la coutume pour compléter ses dispositions.
-
Coutume praeter legem : la coutume comble une lacune de la loi.
-
Coutume contra legem : la coutume est contraire à la loi existante mais peut être appliquée dans certains cas spécifiques.
Pouvez-vous donner un exemple de coutume praeter legem ?
Oui, un exemple est la coutume selon laquelle l’enfant légitime porte le nom de son père, bien qu’aucun texte n’ait inscrit cette règle. Elle vient combler un vide législatif (coutume praeter legem).
Quel est un exemple de coutume secundum legem ?
L’article 671 du Code civil est un exemple de coutume secundum legem, car il renvoie aux usages pour déterminer la distance entre les plantations et la limite de propriété, sauf s’il n’y a pas d’usage local.
La coutume peut-elle être contraire à la loi ?
Oui, dans certains cas. C’est la coutume contra legem. Par exemple, en droit commercial, la solidarité est présumée entre les débiteurs, contrairement à l’article 1202 du Code civil, qui stipule que la solidarité doit être expressément prévue.
Qu’est-ce qu’un adage coutumier ?
Un adage coutumier est une maxime issue de la coutume, reconnue et appliquée par la jurisprudence, même si elle n’est inscrite dans aucun texte. Ces adages sont considérés comme ayant valeur de droit.
Pouvez-vous donner des exemples d’adages coutumiers reconnus par la jurisprudence ?
Oui, par exemple :
-
« Nemo censetur ignorare legem » : Nul n’est censé ignorer la loi.
-
« Accessorium sequitur principale » : L’accessoire suit le principal.
-
« Affectio societatis » : Intention de s’associer.
Les adages coutumiers sont-ils des règles jurisprudentielles ?
Non, à l’origine, ces adages étaient des règles coutumières, bien qu’ils aient été reconnus par la jurisprudence. Ils n’ont pas été créés par la jurisprudence mais sont appliqués comme des règles de droit