La jurisprudence, une source de droit?

LA JURISPRUDENCE, UNE SOURCE DU DROIT

  Qu’est ce que la jurisprudence? , la jurisprudence est l’ensemble des décisions rendues par les tribunaux sur les matières qui leur sont soumises par les particuliers.
Mais un sens scientifique on désigne par ce terme une position prise sur l’application d’une règle de droit par ceux qui en sont chargés, c’est-à-dire les magistrats.

  1. Le débat doctrinal

La jurisprudence est comprise dans le langage commun comme étant une habitude obligatoire. Au sens juridique, jurisprudence comprend plusieurs acceptions.

Elle est d’abord l’ensemble des décisions rendue par une juridiction sur une question particulière. Elle peut aussi être la règle énoncée par les juges sous une forme générale à l’occasion d’un cas particulier. Dans ce sens là il est fréquent de désigner cette règle sous le nom d’une des parties (« Jurisprudence Untel »). Il s’agit d’identifier la décision de justice ou pour la première fois une règle nouvelle a été posée par les juges.

La question fondamentale est de savoir si la jurisprudence une source de Droit, le juge crée-t-il du Droit ? C’est une question française qui ne se pose que parce que dans notre conception du Droit la source du Droit est la loi, le peuple/nation souverain-e-s. Selon la présentation classique le juge applique le Droit qu’il n’édicte pas. Mais la question se pose car malgré cette conception il y a des décisions de justice auxquelles les sujets de droit se réfèrent comme étant des règles de Droit.

Les objections à l’affirmation de la jurisprudence comme règle de droit

On avance le principe constitutionnel de séparation des pouvoir, expression d’une méfiance à l’égard des tribunaux. Méfiance fondée sur l’histoire et sur le rôle des parlements sous l’ancien régime, qui étaient des juridictions. Ces parlements ont usés de leurs pouvoirs pour édicter des arrêts de règlement dans lesquels les parlements énonçaient des règles de Droit. Ils ont ainsi empiété sur l’exercice du pouvoir législatif par le pouvoir royal. Voulant éviter cela, les révolutionnaires ont affirmés le principe de séparation des pouvoirs qui interdit aux juridictions de faire œuvre de législateur.

L’article 5 du Code Civil dispose (ON NE DIT PAS STIPULE) « il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et règlementaire sur les causes qui leur sont soumises ».  Les arrêts de règlements sont prohibés, le juge ne peut édicter une règle qui s’appliquerait en plus du cas qui lui est soumis, et qui constituerait dans l’avenir une règle applicable aux futurs cas analogues ou identiques. La Cour de Cassation censure les décisions dans lesquelles le juge formule de cette manière la une décision.

C’est le principe de l’autorité relative de la chose jugée. La décision de justice, une fois rendue, s’impose quant au différent qui a été tranché, aux parties qui étaient en procès. L’autorité attachée à la décision de justice interdit de renouveler le même procès entre les mêmes parties. A ne pas confondre avec le principe de la force de la chose jugée qui signifie qu’une chose jugée, une fois les voies de recours épuisées internes, ne peut plus être remise en cause. A ne pas confondre non plus avec la notion de décision irrévocable, décision rendue après épuisement des voies de recours. La décision juridictionnelle ne s’impose qu’aux parties du procès, les tiers ne sont pas affectés par la décision. Ce principe a pour conséquence qu’un juge saisi pour un litige analogue pourrait rendre une décision différente. L’arrêt rendu par la cour de cassation n’est juridiquement rendu obligatoire qu’au regard du litige qui lui a été déféré, il ne lie pas les juges du fond qui peuvent décider autrement (sauf exception).

Le droit français, contrairement au droit américain par exemple, ne connait pas la règle du précédent, selon laquelle une décision rendue par une juridiction supérieure lie cette juridiction et les juridictions inférieures pour l’avenir.

  1. La formation de la jurisprudence

Il faut se demander quel est le rôle d’un tribunal lorsqu’il est saisi. Dans tous les litiges deux questions se posent :

  • une question de faits : il s’agit de savoir ce qu’il s’est passé et de déterminer au regard des preuves la vérité judiciaire ;
  • une question de droit : quand il a déterminé les faits, le juge doit appliquer à ces faits une règle de Droit : il ne peut juger qu’en raisonnant à partir d’une règle de Droit. Cette obligation de statuer en droit est précisée par l’article 12, alinéa premier du Code de Procédure civile qui dispose que « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ».

Le plus souvent c’est dans une loi (R ou L) que se trouve la règle de Droit. Mais parfois la loi est muette. D’aucuns parlent de vide juridique quand il n’y a pas de texte adéquat aux faits. On pourrait penser qu’il est impossible de trancher le litige, mais ce n’est pas possible car le juge a l’obligation de statuer, ce qui résulte de l’article 4 du Code civil qui dispose que le juge se doit de juger sous menace d’être accusé de déni de justice (pour éviter la justice privée). Le juge est alors obligé de créer une règle de droit pour trancher le litige qui lui est soumis.

Cette création du Droit pour un cas particulier ne veut pas dire que le juge va énoncer des arrêts de règlement, l’article 5 du Code Civil interdit aux juges « de prononcer par voie de disposition générale et règlementaire sur les causes qui leur sont soumises ». Dans le cadre de l’article 4 du Code civil le juge doit créer une règle de droit seulement pour le litige particulier, pas pour le futur, à la différence des arrêts de règlement édictés par les juges sous l’Ancien régime (voir ci-dessus).

Comment passe-t-on d’une règle de droit valable pour le litige singulier à une règle destinée à s’appliquer à tous les litiges semblables ? Dans une décision, seuls les motifs de droit font jurisprudence, pas ceux de faits. Les motifs de droit vont énoncer un modèle de résolution du litige et ont vocation à s’appliquer à d’autres litiges identiques. Pour qu’il y ait jurisprudence, il faut une juridiction dont la fonction sera d’indiquer quelle est la « bonne » règle de Droit, une Cour de cassation ou un Conseil d’Etat. La Cour de cassation opère un contrôle de la légalité des décisions de justice.

Initialement le rôle de cette Cour était plus restreint. La Cour de cassation est l’héritière du tribunal de cassation de 1791, devenu Cour de cassation en 1804 sous le Ier Empire. Cette première Cour de cassation devait veiller au respect de la loi par les juges, elle devait empêcher que le pouvoir judiciaire n’empiète sur le pouvoir législatif, empêcher que le juge ne crée du Droit. En cas de vide juridique le juge devait demander leur avis aux parlementaires. Mais la Cour de cassation est sortie de ce rôle et a acquis une autonomie et a elle-même créé des règles de droit (âge d’or de la jurisprudence).

Aujourd’hui le rôle de la Cour de cassation est double :

  • Elle unifie la création du Droit : même en présence d’un texte, il y a plusieurs interprétations possibles de ce texte. La Cour de cassation donne le sens d’un texte.
  • Elle assure cette unité dans le temps : en réitérant ses interprétations. Pour tous les sujets de Droit la question est de savoir si la jurisprudence est constante, ce qui crée un sentiment de sécurité.

Seules les juridictions suprêmes sont à l’origine de la jurisprudence. Cette opinion n’est toutefois pas unanime dans la doctrine.

Comment déterminer les arrêts qui ont une portée normatives et ceux qui n’en ont pas ? La réponse n’est pas facile. Certains arrêts de la Cour de cassation sont sans portée normative : quand la Cour rejette un pourvoi pour le motif que les juges du fond apprécient souverainement les faits (certains arrêts de rejet peuvent faire jurisprudence).

Tous les arrêts de la Cour de cassation ne font pas l’objet de la même publicité, il existe une hiérarchisation des arrêts de la Cour de cassation.

  • On oppose d’abord les arrêts publiés et les arrêts non publiés. La grande majorité des arrêts de la Cour ne sont pas publiés. Par exemple, la chambre criminelle publiait 3% de ses arrêts en 2009. Il y a environ 1500 décisions publiées, le choix de la publication dépend de la Cour de cassation. La Cour établi une hiérarchie parmi ses publications :
    • Les bulletins : civils et criminels. Parmi les arrêts publiés dans ces bulletins, certains sont mentionnés dans le rapport annuel.
    • BICC : publication bimensuelle de la Cour de cassation des arrêts à signaler tout de suite au peuple du Droit.
  • Les arrêts publiés les plus importants portent la mention P.B.R.Les mentions P.B.R.I. permettent de hiérarchiser les arrêts de la Cour de cassation. La publication d’un arrêt est décidée, après le délibéré, par les magistrats de la chambre.
    • B = publication au bulletin d’information de la Cour (BICC).
    • P = publication au bulletin des arrêts de la Cour, bulletins des arrêts des chambres civiles et de la chambre criminelle, bulletin trimestriel du droit du travail.
    • I = diffusé sur le site internet de la Cour
    • R = analysé au rapport annuel de la Cour de cassation.
    • D = diffusion sur Jurinet, la base des arrêts de la Cour de cassation, accessible sur le site intranet de la Cour de cassation (non publique).
    • Les arrêts non publiés sont diffusés via légifrance ou le fond de la cour de cassation.

La jurisprudence ne réside que dans les arrêts publiés, parce qu’avant légifrance les autres étaient difficilement accessibles. Mais aujourd’hui tous les arrêts de la Cour de cassation sont accessibles, on ne peut dénier l’existence de ces arrêts non publiés.

Mais même en présence d’un arrêt publié il n’y a pas forcément jurisprudence, il faut que les professionnels du Droit identifie la création de la règle de Droit.

  • La Cour de cassation énonce à présent des commentaires de ses propres décisions, elle le fait officiellement par le biais du site de la Cour, elle précise le sens que l’on doit attribuer à ses décisions.
  • Des conseillers commentent la décision et le font pour indiquer qu’il ne faut pas se méprendre quant au sens de la décision
  • Il existe aussi des sommaires de jurisprudence dans lesquels sont commentés les arrêts de la Cour de cassation.

Les arrêts dits « publiés » font l’objet d’une publication officielle par la Cour de cassation parce qu’on considère qu’ils énoncent une solution qu’il est nécessaire d’énoncer, ils ne créent pas nécessairement une nouvelle règle de Droit ; les arrêts diffusés ne font pas l’objet d’une publication officielle.

Le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel font la même chose. Il y a en plus de la décision, une interprétation officielle de la décision. En toute hypothèse, pour qu’il y ait jurisprudence il faut que les gens de Droit soient convaincus de l’existence et de la justesse de cette règle de Droit.

  1. L’autorité de la jurisprudence

La jurisprudence n’est jamais obligatoire. Elle n’a pas la même valeur juridique qu’un texte de loi. Ce qui signifie que le juge n’est pas lié par la jurisprudence, la Cour de cassation n’est pas tenue par sa jurisprudence. On appelle « revirement de jurisprudence » le fait que la Cour de cassation change d’avis sur une question. Les juges du fond ne sont pas juridiquement tenus de suivre la jurisprudence de la Cour de cassation. La jurisprudence est un modèle que les juges du fond choisissent ou non de suivre. Mais si les juges du fond résistent ils encourent le risque de voir leur décision censurée. Cette censure n’est pas systématique, la résistance des juges du fond peut amener la Cour de cassation à modifier sa position. Le fait que la Cour de cassation puisse censurer les décisions contraires à la jurisprudence incite les juges du fond à suivre ses avis. Il y a un besoin de sécurité juridique, le juriste et le citoyen cherchent une jurisprudence, ce qui pousse aussi les juges du fond à adopter la position de la Cour de cassation.

Le fondement théorique de la jurisprudence est le pouvoir créateur de tout interprète. Même en présence d’un texte, le juge est tenu d’interpréter les textes. Mais cette interprétation contribue à conférer au juge un pouvoir de création, cela conduit à affirmer que quand le juge applique une loi, il en extrait une règle, fruit de son pouvoir d’interprétation. Parce qu’il interprète, le juge crée du Droit. Admettant cette théorie, le juge seul crée du droit. C’est la théorie réaliste qui va à l’encontre du mythe législatif selon lequel la loi seule crée du Droit.

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