La notion de travaux publics
Pour définir la notion de travail public, le critère organique est un élément important mais insuffisant puisque les personnes publiques peuvent entreprendre indifféremment des travaux publics ou des travaux privés, et inversement, des personnes privées peuvent parfaitement réaliser une opération de travail public.
C’est un des pans du droit administratif les plus anciens. Le droit administratif s’est construit par strates, par domaines successifs : le premier pan a avoir été élaboré est celui des travaux publics.
Dès l’Ancien régime, les rois et l’Etat se sont lancés dans de grandes opérations de construction et de travaux publics, lesquelles généraient des litiges avec les entrepreneurs, avec les usagers, etc …. Aujourd’hui, on s‘aperçoit que la plupart des grandes règles du droit administratif ont leur origine dans ce pan du droit administratif.
La qualification de travail public ou d’ouvrage public est décisive car seuls les travaux publics et ouvrages publics sont soumis aux règles du droit public et à la compétence du juge administratif ; inversement, les travaux privés entrepris par les personnes publiques sont soumis aux règles du droit privé et relèvent du juge judiciaire.
- Droit administratif des biens
- Les dommages de travaux publics
- L’ouvrage public : définition, critères, intangibilité
- La notion de travaux publics
- La phase judiciaire de l’expropriation
- L’arrêté de cessibilité
- L’acte déclaratif d’utilité publique
I – Un travail immobilier
La notion de travail public vise nécessairement la réalisation d’un travail immobilier. Il peut s’agir d’un travail de construction, de démolition, mais également une opération de moindre ampleur, telle qu’une opération d’entretien ou de réhabilitation.
La notion de travail immobilier renvoie, par opposition au travail mobilier, à l’existence d’une emprise sur le sol.
Ex : dans des litiges où il est question de la nature juridique de gradins ou tribunes démontables installés par une personne publique sur une place de la commune ou dans un stade, si un accident survient, qui est responsable ? Pour cela, il faut savoir s’il y a ou non travail public. Le fait que ces gradins ou tribunes soient démontables, même s’ils sont de grande ampleur, fait qu’ils constituent des travaux mobiliers et non pas immobiliers puisqu’il n’y a pas d’emprise au sol.
L’arrêt du 11 mai 1959 Dauphin faisait état de la pose d’une chaîne à l’entrée d’une allée, laquelle constituait un travail immobilier car il y avait emprise au sol de la chaîne par les deux poteaux.
Il y a souvent également une confusion qui est faite entre travail public et domaine public, mais un travail public n’a pas nécessairement lieu sur le domaine public, et inversement, tout travail réalisé sur le domaine public n’est pas nécessairement un travail public.
Ex : des travaux publics peuvent être entrepris sur le domaine privé d’une personne publique : c’est l’arrêt du Conseil d’Etat du 8 avril 1949 Contamine à propos de travaux entrepris dans une forêt.
Des travaux publics peuvent être menés sur des propriétés privées, notamment s’ils poursuivent un but d’utilité publique.
Tout travail effectué sur le domaine public n’est pas toujours un travail public, et il peut donc y avoir des travaux privés sur le domaine public (travaux réalisés par un permissionnaire de voirie sur le domaine public : ils poursuivent un intérêt privé, et il ne s’agit donc pas de travaux publics : c’est l’arrêt du Tribunal des conflits du 25 janvier 1982 Quintard).
II – La finalité et les destinataires du travail public
Le juge administratif a toujours été compétent à l’égard des travaux publics mais n’en a donné la définition qu’ultérieurement, de façon complémentaire, selon les réalités qu’elle reflète.
A) Un travail d’utilité générale exécuté pour le compte d’une personne publique
Dans l’arrêt du 10 juin 1921 Commune de Monségur, le Conseil d’Etat a retenu qu’un travail public était un travail exécuté pour le compte d’une personne publique dans un but d’intérêt général.
La question, dans cet arrêt, était de définir la compétence juridictionnelle. La compétence du juge administratif reposait sur l’absence de travaux publics pour conforter l’implantation de l’objet litigieux : effectivement, ces travaux qui n’avaient pas été réalisés auraient dû l’être, et ce dans un but d’intérêt général, la sécurisation d’un bâtiment public, pour le compte d’une personne publique.
Cette définition correspond à l’hypothèse la plus évidente des travaux publics. Quand le juge retient qu’il s’agit d’un travail fait pour le compte d’une personne publique, il faut en réalité distinguer deux hypothèses :
- la personne publique elle-même a fait les travaux ;
- les travaux sont faits par une personne privée pour le compte d’une personne publique destinataire de l’ouvrage.
Ex : dans un marché de travaux publics, la personne publique va demander à une entreprise privée de réaliser des travaux ; cette définition vaut pour les concessions de travaux publics, où une personne privée concessionnaire va réaliser des travaux sur un ouvrage qu’elle gère pendant la durée de la concession, mais dont l’Etat sera propriétaire à l’expiration du contrat.
Concrètement, ce qu’admet comme hypothèses cet arrêt, ce sont toutes les hypothèses où la personne publique fait elle-même les travaux ou récupère immédiatement les ouvrages sur lesquels ont été faits des travaux par une personne privée.
Quid quand il s’agit d’un bail emphytéotique administratif avec travaux : ce n’est pas la personne publique qui va gérer les travaux réalisés par la personne privée, laquelle est détentrice du bail emphytéotique administratif. Ainsi, lorsque l’appropriation du bien par la personne publique est incertaine ou trop lointaine, la qualification de travaux publics est exclue.
C’est l’arrêt du Conseil d’Etat du 25 février 1994 SOFAP Marignan : il s’agissait d’un bail emphytéotique détenu par la ville qui avait demandé à une entreprise d’opérer des travaux publics au sein de la Mairie. Le Conseil d’Etat a retenu que la ville n’allait pas assurer la maîtrise de l’ouvrage public pendant la durée des travaux, qu’elle ne deviendrait propriétaire de l’ouvrage qu’à l’expiration d’un bail de longue durée, que par conséquent, on ne pouvait pas considérer que les travaux étaient faits pour le compte d’une personne publique, et enfin, qu’il ne s’agissait donc pas de travaux publics. Voir dans le même sens l’arrêt du Tribunal des conflits du 14 décembre 2009 Société HLM de Paris c./ Société Dumez.
L’expression «but d’utilité générale» ne doit pas ici se confondre avec la notion de service public : la notion d’utilité générale est plus large que celle de service public : il y a dissociation entre travaux publics et service public. L’arrêt Commune de Monségur en est une illustration car il retient qu’il y a eu des travaux publics, impliquant la compétence du juge administratif ; ces mêmes travaux avaient un but d’utilité générale mais ne renvoyaient à aucun service public.
C’est également le cas de l’arrêt du Tribunal des conflits du 5 juillet 1999 Commune de Stetten : des travaux avaient été entrepris sur un arbre classé comme monument naturel, en vue de sa conservation et pour le compte de la personne publique, mais en l’absence de tout service public.
Exemples de travaux qui ne sont pas des travaux publics parce qu’ils ne poursuivent pas un but d’utilité générale :
- l’entretien de bâtiments publics dans le seul intérêt financier de la personne publique ne poursuit pas un but d’utilité générale et n’est pas donc pas un travail public ; c’est l’arrêt du Conseil d’Etat du 28 janvier 1954 Casino de Saint-Malo ;
- des travaux entrepris par une commune sur des propriétés privées dans le seul intérêt des propriétaires ne sont pas des travaux publics : c’est l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles de 2006 Julliard.
B) Un travail réalisé pour le compte d’une personne privée dans l’accomplissement d’une mission de service public
La définition précédente a pendant très longtemps été largement suffisante, et ce jusque dans les années cinquante. À ce moment là, dans un contexte très particulier, s’est posée la question de savoir si certains travaux, faits au profit de personnes privées, pouvaient être des travaux publics.
Après la seconde guerre mondiale, l’un des principaux enjeux de l’Etat durant cette période était la reconstruction. Pour cela, avaient été créées diverses formes juridiques, et notamment des établissements publics, chargées d’assurer ces opérations de reconstruction. Il a été considéré que ces travaux de reconstruction étaient des travaux publics.
Ces établissements publics étaient bel et bien des personnes publiques, mais les travaux qu’ils entreprenaient n’étaient pas faits pour le compte d’une personne publique mais pour les futurs propriétaires. Par qui avaient-ils été institués ? Par le législateur, qui leur avait assigné une mission de service public, celle de la reconstruction.
Les critères de la jurisprudence Commune de Monségur ne pouvaient être employés car les travaux étaient faits pour des personnes privées.
Le juge a donc bâti une seconde définition dans la décision du Tribunal des conflits du 28 mars 1955 Effimieff : est également un travail public un travail fait par une personne publique au profit d’une personne privée dans le cadre d’une mission de service public. Cela suppose pour le juge d’identifier l’existence d’une mission de service public, en appliquant les critères classiques d’identification d’une activité de service public. Ces critères ont été définis dans l’arrêt Narcy de 1963 :
- une activité d’intérêt général,
- réalisée soit directement par une personne publique, soit par une personne privée sous le contrôle d’une personne publique,
- et qui amène à mettre en oeuvre des prérogatives de puissance publique.
La définition établie pourrait-elle jouer pour les mêmes travaux mais dans l’hypothèse où ils seraient faits par une personne privée pour une autre personne privée dans le cadre d’une mission de service public ? Non, c’est l’arrêt du Conseil d’Etat du 18 mai 1960 Grenet à propos des opérations de reconstruction d’après guerre menées par des sociétés privées.