La participation des citoyens au pouvoir : démocratie, suffrage, scrutin

La participation des gouvernés à l’exercice du pouvoir politique

Le terme démocratie trouve son origine dans la pensée d’Aristote, qui fut l’un des premiers philosophes à étudier et à classifier les différentes formes de gouvernement. Pour Aristote, le critère principal de cette classification était le nombre de gouvernants. Il distingue ainsi :

  • La monarchie, où le pouvoir est exercé par un seul individu.
  • L’aristocratie, où le pouvoir revient à un petit groupe, idéalement composé de sages ou de vertueux.
  • La démocratie, où le pouvoir appartient à l’ensemble du peuple.

Bien que la démocratie soit aujourd’hui largement considérée comme une forme de gouvernement idéale, les philosophes grecs de l’Antiquité, y compris Aristote, étaient souvent critiques à son égard. Ils la percevaient comme une forme de régime potentiellement anarchique, où les passions du peuple pouvaient l’emporter sur la raison. Par conséquent, ils lui préféraient l’aristocratie, qu’ils considéraient comme un gouvernement fondé sur la sagesse et la vertu.

Démocratie et théories de la souveraineté

Le choix entre différentes formes de démocratie varie selon la théorie de la souveraineté adoptée par un État. Ces théories influencent directement les modalités d’organisation du pouvoir et la participation des citoyens :

  1. Souveraineté nationale

    • Cette théorie, développée notamment par Sieyès, considère que la nation, entité abstraite et indivisible, est le titulaire de la souveraineté.
    • La nation n’étant pas un ensemble d’individus mais une entité distincte, elle ne peut agir que par le biais de représentants élus.
    • Ce concept mène à la mise en place d’un régime représentatif, où le peuple ne gouverne pas directement mais choisit des représentants pour exercer le pouvoir en son nom.
  2. Souveraineté populaire

    • Inspirée des idées de Jean-Jacques Rousseau, cette théorie repose sur l’idée que la souveraineté appartient à chaque individu.
    • En démocratie, les citoyens doivent pouvoir participer directement ou semi-directement à l’exercice du pouvoir. Cela conduit à des formes comme :
      • La démocratie directe, où le peuple décide lui-même des lois (comme dans la démocratie athénienne ou certains cantons suisses).
      • La démocratie semi-directe, où le peuple peut être consulté sur des sujets spécifiques par le biais de référendums ou d’initiatives populaires.

Les implications des théories de la souveraineté

  • La souveraineté nationale privilégie la stabilité et l’efficacité en concentrant le pouvoir dans les mains des représentants, mais elle peut éloigner les citoyens des processus décisionnels.
  • La souveraineté populaire, en revanche, valorise la participation directe des citoyens, mais elle peut rendre la prise de décision plus lente et sujette à des fluctuations imprévisibles de l’opinion publique.


&1 – Le régime représentatif et la démocratie

La V° République essaie d’opérer une conciliation entre le régime représentatif et la démocratie directe : elle peut être qualifiée de démocratie semi-directe.

A)    La démocratie directe

La démocratie directe est un régime où le peuple exerce directement le pouvoir sans passer par des représentants. Chaque citoyen électeur participe à la prise de décision sur les lois ou politiques publiques.

Caractéristiques et limites

  • Historiquement, cette idée a été défendue par Jean-Jacques Rousseau, qui la considérait comme l’expression la plus pure de la souveraineté populaire.
  • Cependant, Rousseau lui-même admettait qu’elle était utopique : la démocratie directe nécessite une implication constante des citoyens, ce qui est difficilement concevable dans une société moderne complexe.
  • L’idée de solliciter le peuple pour chaque décision (lois, décrets, arrêtés) est impraticable en raison de la multiplicité et de la technicité des questions à traiter.

Le mandat impératif et les exemples modernes

  • Certains défenseurs de la démocratie directe proposent le mandat impératif, qui contraint les représentants à suivre strictement les instructions de leurs électeurs. Ce mécanisme reste marginal car il réduit la capacité des représentants à s’adapter à des situations imprévues.
  • Aujourd’hui, des instruments comme le référendum d’initiative populaire permettent une forme limitée de démocratie directe dans des pays comme la Suisse, l’Italie, l’Autriche, et certains États américains (ex. : Californie). Cependant, la France n’a pas intégré ce dispositif dans sa Constitution.

 


B)    Le régime représentatif


Dans un régime représentatif, la souveraineté est exercée par l’intermédiaire de représentants élus, désignés par le peuple au moyen d’élections régulières. Ce système repose sur la théorie de la souveraineté nationale, élaborée par Sieyès.

Caractéristiques

  • La nation, entité abstraite, nécessite des organes pour s’exprimer et agir. Les représentants sont investis de cette mission.
  • Contrairement à la démocratie directe, le citoyen n’exerce pas un droit, mais une fonction en élisant les représentants. Il ne délègue pas sa souveraineté, mais participe à la désignation de ceux qui l’exerceront en son nom.

Sieyès et la représentation

  • Pour Sieyès, la représentation est essentielle : « Tout est représentation dans le corps social et politique. »
  • Le rôle du citoyen électeur se limite à choisir des représentants capables d’exprimer la volonté nationale. Ce modèle garantit une organisation stable et adaptée à des sociétés complexes.


c)    La démocratie semi-directe

La démocratie semi-directe, telle qu’elle est pratiquée en France sous la Cinquième République, combine des éléments de la démocratie directe et représentative.

Caractéristiques

  • Bien que le régime repose principalement sur des représentants élus, certains mécanismes de démocratie directe permettent au peuple de participer directement, comme le référendum prévu à l’article 3 de la Constitution.
  • Ces référendums ne concernent que des sujets spécifiques, tels que des lois importantes ou des modifications institutionnelles. Ils ne sont pas utilisés comme un moyen de gouverner quotidiennement.

Le référendum sous la Cinquième République

  • Selon André Malraux, le référendum ne doit pas être un moyen de gouvernement, mais un instrument ponctuel permettant au peuple de s’exprimer sur des questions majeures.
  • Pour Malraux, une bonne Constitution est « faite pour le peuple et non le peuple pour la Constitution ». Le référendum, dans cette perspective, vise à renforcer la confiance du peuple dans le gouvernement, plutôt qu’à interférer avec les institutions.

Conditions nécessaires

Pour qu’une démocratie semi-directe fonctionne, deux éléments sont indispensables :

  1. Reconnaissance du droit de suffrage pour tous les citoyens.
  2. Mise en place de techniques concrètes pour organiser les élections, notamment à travers des modes de scrutin adaptés (majoritaire, proportionnel, mixte).

Conclusion : La Cinquième République française illustre une tentative d’équilibre entre les principes de démocratie directe et représentative. Si le régime représentatif domine, des mécanismes tels que le référendum offrent au peuple des moyens ponctuels d’intervenir directement dans la prise de décisions. Ce système hybride reflète une volonté de conjuguer l’efficacité institutionnelle et l’expression populaire, tout en évitant les dérives potentielles des deux modèles extrêmes



&2 – Pouvoir de suffrage et mode de scrutin


A)    Du pouvoir de suffrage au droit de suffrage

Le processus de sélection des représentants politiques a évolué au fil du temps, passant par différentes méthodes :

  • Transmission héréditaire, caractéristique des monarchies et aristocraties.
  • Tirage au sort, pratiqué dans certaines démocraties antiques comme Athènes.
  • Élection, qui s’est progressivement imposée comme la méthode principale dans les systèmes démocratiques modernes.

Cependant, le droit de suffrage, tel que nous le connaissons aujourd’hui, a mis longtemps à s’imposer. Cette évolution a été marquée par deux grandes transformations : l’universalisation et la démocratisation.

1. L’universalisation du suffrage

a. De l’exclusion au suffrage universel

À ses débuts, le suffrage était réservé à une élite sociale. Sous la Révolution française de 1789, le droit de vote était conçu comme une fonction, réservée aux individus capables de contribuer financièrement à l’État (suffrage censitaire).

  • Le suffrage censitaire reposait sur l’idée que seuls ceux qui possédaient suffisamment de raison et de richesse étaient aptes à exercer un rôle politique.
  • Les électeurs et les élus formaient ainsi une élite, écartant les classes populaires.

L’évolution vers le suffrage universel a été progressive :

  • 1848 : Sous la Deuxième République, le suffrage universel masculin est instauré. Tous les hommes, sans distinction de richesse, peuvent voter.
  • 1944 : Les femmes obtiennent le droit de vote, tardivement par rapport à d’autres pays.
  • 1974 : La loi abaisse la majorité civique de 21 à 18 ans, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing.
  • 1992 (Maastricht) : Les ressortissants de l’Union européenne peuvent voter aux élections municipales et européennes, grâce à l’article 88-3 de la Constitution française.

b. Ouvrir le droit de vote aux étrangers

Si le droit de vote des étrangers reste limité, il a fait l’objet de débats :

  • En 2002, Jean-Marc Ayrault propose une loi pour élargir ce droit aux étrangers non européens pour les élections municipales. Cette proposition n’a pas abouti.
  • Aujourd’hui, seuls les citoyens d’un État membre de l’Union européenne peuvent voter aux :
    • Élections municipales.
    • Élections européennes.

2. La démocratisation du suffrage

L’universalisation du droit de suffrage, bien qu’essentielle, ne garantit pas à elle seule une participation démocratique véritable. La démocratisation implique de s’assurer que l’expression du suffrage est équitable et transparente.

Quels sont les principes pour garantir un vote démocratique ? Pour éviter les distorsions, plusieurs règles doivent être respectées :

  1. Un homme, une voix :

    • Il est essentiel de limiter les procurations pour éviter une concentration excessive des voix entre les mains de quelques individus.
    • Une personne ne peut détenir qu’une seule procuration.
  2. Équité dans le découpage électoral :

    • Le découpage des circonscriptions doit garantir une représentation équitable des zones urbaines et rurales.
    • Exemple : En 1986, le Conseil constitutionnel a annulé un découpage partisan réalisé par Charles Pasqua, qui favorisait son camp.
  3. Encadrement du financement des campagnes électorales :

    • Les dépenses des partis politiques doivent être plafonnées pour éviter qu’un parti mieux financé n’achète les votes grâce à une propagande excessive.
    • Un contrôle strict des comptes de campagne est nécessaire.
  4. Lutte contre la fraude électorale :

    • Les techniques de fraude, comme les votes multiples ou les falsifications de résultats, doivent être sévèrement encadrées.
    • L’utilisation de technologies modernes, comme les machines à voter, nécessite des garanties pour éviter toute manipulation.

Conclusion / résumé : Le passage du pouvoir de suffrage, réservé à une élite, au droit de suffrage universel marque une avancée démocratique majeure. Cependant, la démocratisation du suffrage reste un défi constant, nécessitant des mécanismes pour assurer l’équité et la transparence du processus électoral. Le contrôle du financement des campagnes, la lutte contre la fraude, et un découpage électoral impartial sont autant de mesures indispensables pour garantir que le suffrage universel soit réellement synonyme de participation démocratique et de justice politique.


B)    Les modes de scrutin

Les modes de scrutin sont les mécanismes permettant de transformer les voix exprimées par les électeurs en sièges pour des représentants. Ce choix technique n’est pas neutre : il influence directement la composition des institutions élues, la représentation des électeurs et, par conséquent, le fonctionnement du régime politique.

En France, la Constitution ne précise pas le mode de scrutin à utiliser, laissant à la loi électorale le soin de le déterminer. Toutefois, ce choix est souvent critiqué, car il peut être manipulé par la majorité politique en place pour renforcer sa position au détriment de ses opposants. Les principaux modes de scrutin se regroupent en trois catégories : le scrutin majoritaire, le scrutin proportionnel, et les scrutins mixtes.

1. Le scrutin majoritaire

a. Définition

Le scrutin majoritaire consiste à attribuer le ou les sièges au(x) candidat(s) ou liste(s) ayant obtenu le plus de voix. C’est un système réputé pour sa simplicité et son efficacité, mais qui peut être perçu comme brutal, car il tend à exclure les partis minoritaires de la représentation.

b. Variantes

Le scrutin majoritaire se décline sous plusieurs formes :

  • Uninominal ou de liste :

    • Uninominal : l’électeur choisit un seul candidat.
    • De liste : l’électeur vote pour une liste de candidats, parfois avec la possibilité de panacher (rayer ou modifier les noms sur la liste).
  • À un tour ou deux tours :

    • Un tour : utilisé par exemple aux États-Unis ou au Royaume-Uni, le candidat ayant obtenu le plus de voix (majorité relative) est élu.
    • Deux tours : en France, les élections présidentielles et législatives fonctionnent selon ce modèle. Si aucun candidat n’obtient la majorité absolue au premier tour, un second tour est organisé entre les candidats ayant obtenu un score suffisant.
  • Majorité relative ou absolue :

    • Majorité relative : l’élu est celui qui obtient le plus de voix, même si c’est moins de 50 %.
    • Majorité absolue : nécessite plus de 50 % des suffrages exprimés.

c. Avantages et inconvénients

  • Avantages :
    • Simplicité de mise en œuvre.
    • Favorise l’émergence de majorités stables, contribuant à une gouvernance efficace.
  • Inconvénients :
    • Sous-représentation ou exclusion des petits partis.
    • Favorise les grands partis, créant une surreprésentation de ceux arrivés en tête.

2. Le scrutin proportionnel

a. Définition

Le scrutin proportionnel vise à attribuer les sièges en fonction du pourcentage de voix obtenu par chaque liste, assurant une représentation équitable des différentes sensibilités politiques.

b. Techniques

Deux méthodes principales sont utilisées pour répartir les sièges :

  • La méthode du plus fort reste :

    • On divise le total des suffrages exprimés par le nombre de sièges à pourvoir (quotient électoral).
    • Les sièges sont attribués en fonction des quotients entiers obtenus par chaque liste. Les sièges restants sont alloués aux listes ayant les plus gros « restes » (voix non utilisées).
  • La méthode de la plus forte moyenne :

    • On calcule la moyenne des voix par siège attribué. Les sièges restants sont attribués aux listes ayant les plus fortes moyennes.

c. Avantages et inconvénients

  • Avantages :
    • Assure une représentation fidèle des différentes opinions au sein de l’électorat.
    • Permet aux petits partis d’accéder à des sièges, favorisant le pluralisme politique.
  • Inconvénients :
    • Complexité technique dans la répartition des sièges.
    • Peut aboutir à une fragmentation politique, rendant difficile la formation de majorités stables.

3. Les scrutins mixtes

a. Définition

Les scrutins mixtes combinent les caractéristiques des scrutins majoritaires et proportionnels pour tenter de concilier les avantages des deux systèmes. Ils visent à garantir une représentation équitable tout en favorisant la formation de majorités stables.

b. Exemple : le double vote en Allemagne

En Allemagne, les électeurs disposent de deux votes lors des élections législatives :

  1. Un vote majoritaire : pour élire un représentant dans leur circonscription (scrutin uninominal à un tour).
  2. Un vote proportionnel : pour une liste régionale (Länder), déterminant la composition globale du Bundestag.

c. Avantages et inconvénients

  • Avantages :
    • Favorise une représentation équitable tout en permettant la formation de majorités stables.
    • Réduit les effets négatifs des scrutins purement majoritaires ou proportionnels.
  • Inconvénients :
    • Complexité du système pour les électeurs.
    • Nécessite des règles précises pour éviter les distorsions.

4. Choisir un mode de scrutin : quel impact ?

Aucun mode de scrutin n’est parfait, et chacun reflète des priorités différentes :

  • Scrutin majoritaire : privilégie l’efficacité gouvernementale en assurant des majorités stables, mais limite la diversité politique.
  • Scrutin proportionnel : favorise l’équité et le pluralisme, mais peut conduire à des gouvernements de coalition instables.
  • Scrutins mixtes : offrent un compromis, mais leur mise en œuvre est souvent plus complexe.

Le choix d’un mode de scrutin influence directement la vie politique, en déterminant la représentation des partis, la composition des assemblées et la dynamique des régimes politiques. En France, les scrutins majoritaires dominent, mais des discussions sur l’introduction d’éléments proportionnels (notamment pour les élections législatives) reflètent une volonté de mieux représenter la diversité de l’opinion publique.

 

Le cours de droit constitutionnel est divisé en plusieurs fiches

Isa Germain

Recent Posts

A propos / qui sommes nous?

Qui sommes nous? Cours-de-Droit.net Créés en 2009 par des étudiants regrettant l'absence de cours gratuits…

4 semaines ago

Les mesures de police administrative

Les actions des autorités de police administrative La police administrative peut se définir comme étant…

2 mois ago

La légalité des mesures de police administrative

La légalité des mesures de police administrative L’exercice du pouvoir de police est strictement encadré…

2 mois ago

Les autorités de police administrative

Les autorités administratives compétentes en matière de police administrative Les autorités administratives compétentes en matière…

2 mois ago

Police administrative générale et police spéciales

La police administrative générale et les polices administratives spéciales Il convient de différencier, au sein…

2 mois ago

La protection de l’ordre public [police administrative]

La protection de l’ordre public, une des finalité des mesures de police administrative L'ordre public…

2 mois ago