La personne morale

LA PERSONNE MORALE

La personnalité, au sens juridique du terme, est une aptitude à être titulaire actif ou passif de droit. Seule une personne peut être propriétaire, créancier, débiteur, demandeur en justice, etc… A priori, le concept juridique de personne paraît recouvrir celui le concept biologique de personne humaine. Au sens juridique du terme, les personnes humaines n’ont pas toujours été des personnes juridiques et inversement, les personnes juridiques ne sont pas que des personnes humaines.

– Toute personne humaine n’est pas nécessairement une personne juridique : Au regard du droit civil, tous les êtres humains sont des personnes juridiques. Les hommes, les femmes, les enfants ont tous la personnalité juridique. Cela signifie qu’ils sont tous sujet de droit, ils ont tous un patrimoine et ont vocation à être titulaire de droit. Ils n’ont pas tous la capacité d’exercer seuls leurs droits : ils doivent être assister voire représenter. néanmoins, celui qui gère leur affaire, le fait en leur nom et pour leur compte. Même frappé d’une incapacité d’exercice, ils bénéficient d’une capacité de jouissance. Cela n’a pas toujours été le cas. Ainsi, en droit romain, l’esclave était une chose, au même titre des objets matériels. Les esclaves, êtres humains, faisait donc l’objet d’un droit réel, d’un droit de propriété. Ils pouvaient être vendus, donnés, éventuellement tués. Rappelons-nous que l’esclavage n’a été aboli dans les colonies françaises qu’au milieu du 19e siècle (D. 27 avril 1848, Const. 4-10 nov. 1848). De la même manière, notre droit a admis dans son histoire que certaine personne humaine se voir retiré la personnalité juridique. Les morts civils, qui étaient bien vivants, étaient morts juridiquement : leur succession était ouverte, leur mariage dissous, etc… La mort civile qui frappait certains criminels ne fût abolie que par la loi du 31 mai 1854.

Les personnes juridiques ne sont pas que des personnes humaines : La personnalité juridique étant l’aptitude à être titulaire de droits, on pourrait penser, dans une vision purement individualiste du droit, que seuls des individus peuvent être dotés de la personnalité juridique et qu’il n’y a donc que des personnes physiques. Or, toutes les personnes que le droit civil reconnaît ne sont pas tous des êtres humains.

En effet, le droit reconnaît à des entités l’aptitude à participer en tant que telles à la juridique : ces entités sont les personnes morales. Il existe même des corps de règles qui ne régissent que des rapports entre des entités purement abstraites : ainsi en est-il du droit international public qui régit les rapports entre Etats, l’individu n’apparaissant pas comme un sujet de DIP.

Nous verrons quelle est la nature juridique des personnes morales (§1), leur diversité (§2) et leur régime (§3).

§ 1 : NATURE JURIDIQUE DES PERSONNES MORALES

On a beaucoup discuté sur le point de savoir si le concept de personne morale reposait sur une réalité ou seulement une fiction.

Les partisans de la théorie de la fiction ont soutenu que la personnalité morale accordée à des groupements était le résultat d’un artifice, les personnes morales étant des créations de pure technique. Les personnes ne seraient que des créations artificielles, des entités abstraites, pures créations de la loi. Seule la loi, dès lors, peut user de ce procédé, et peut donner, à son gré la personnalité juridique à un groupement. A l’inverse, un mouvement s’est dégagé au 19e siècle tendant à la reconnaissance des intérêts collectifs.

La théorie de la réalité part de l’idée que certaines entités sont suffisamment réelles pour être considérées comme des sujets de droit. Ces groupements sont, dans leurs intérêts et dans leurs actes, distincts des personnes physiques qui les composent. La personne est un être doté d’une volonté autonome, orienté vers la réalisation d’un objet précis.

Le Code civil s’est désintéressé de la question et n’a même pas consacré expressément la notion de personne morale. Cette situation est le résultat d’une méfiance envers les groupements de toutes sortes qui avaient autrefois ébranlé l’autorité de l’Etat. Le législateur est, par la suite, intervenu pour reconnaître ponctuellement à certains groupements la personnalité morale : syndicat de copropriétaire (loi 10 juill 1965) ; sociétés civiles (article 1842 al. 1er) ; sociétés commerciales (loi du 24 juill. 1966), etc… L’enjeu du débat est assez mince dans la mesure où une loi est, le plus souvent, nécessaire pour préciser les conditions d’attribution de la personnalité morale.

La jurisprudence a, quant à elle, consacré la théorie de la réalité de la personnalité morale, dans un arrêt rendu à propos des comités d’établissement. Dans cette affaire, le problème tenait au fait que la loi (ord. Du 22 fév. 1945) en instituant les comités d’entreprise n’avait accordé la personnalité juridique qu’à ces derniers. Cependant, cela n’a pas empêché la Cour de cassation de reconnaître la personnalité morale aux comités d’établissement, adhérant ainsi à la théorie réaliste : « La personnalité civile n’est pas une création de la loi ; elle appartient, en principe, à tout groupement pourvu d’une possibilité d’expression collective pour la défense d’intérêts licites, dignes, par suite, d’être juridiquement reconnus et protégés » (Civ. 2e, 28 janv. 1954, D. 1954-217, note G. Levasseur, Grands arrêts, n°16).

Cependant, le législateur a, semble t-il clos le débat pour les associations et les sociétés. Ainsi, l’article 1842 du Code civil indique : « les sociétés… jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation ». Il n’est donc pas de personnalité juridique pour les sociétés sans l’accomplissement de cette formalité. De même, pour les associations, c’est la déclaration en préfecture qui confère la personnalité morale. A l’égard de ces deux entités, le système est très certainement celui de la fiction.

En revanche, pour d’autres groupements, la Cour de cassation n’a pas hésité à reconnaître la personnalité morale en dehors de toute précision par le législateur : un comité de groupe ou un comité d’hygiène et de sécurité a la personnalité morale et peut donc agir en justice.

§ 2 : LA DIVERSITE DES PERSONNES MORALES

Il est impossible de donner une liste exhaustive des personnes morales, d’autant plus, on l’a vu, que la théorie de la réalité permet de reconnaître cette qualité à des groupements, en dehors d’une disposition expresse du législateur.

Cependant, quelques oppositions méritent d’être soulignées. On oppose les personnes morales de droit public aux personnes morales de droit privé. Les personnes morales de droit public recouvrent les Etats, les collectivités territoriales (commune, département, régions), les établissement publics qui assurent une mission de service public (EDF, hôpitaux, Universités, etc…).

Parmi les personnes morales de droit privé, on peut distinguer les groupements de personnes et les groupements de biens.

I. Les groupements de personnes

Les principaux groupements de personnes dotés de la personnalité juridique sont : les sociétés civiles, commerciales, les associations, les mutuelles, les groupements d’intérêt économique (GIE), les comités d’entreprise, les partis politiques, les syndicats, les Ordres professionnels, etc…

Sans entrer dans le détail de chacun de ces groupements, décrivons brièvement les plus nombreux : les sociétés et les associations :

Les sociétés: L’article 1832 du Code civil définit la société : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter ». La société a un but lucratif.

On distingue les sociétés civiles et commerciales. Sont commerciales, les sociétés soit par leur objet (réalisation d’actes de commerce) soit par leur forme (sociétés régis par la loi du 24 juillet 1966 : SNC, sociétés en commandit simple, société anonyme, société en commandit par action, SARL, EURL, sociétés coopératives). Les autres sont civiles.

Les associations:L’association est un groupement de personnes sans but lucratif. La liberté d’association est une liberté fondamentale garantie depuis la lois du 1er juillet 1901. Toute personnes peut constituer librement une association sans autorisation préalable nécessaire. Cependant, le groupement ne sera doté de la personnalité morale qu’à compter de sa déclaration en préfecture. De plus, est entachée de nullité, une association « fondée sur une cause ou en vue d’un objet illicite, contraire aux lois, aux bonnes mœurs, ou qui aurait pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national et à la forme républicaine du Gouvernement ». La dissolution peut être prononcé par le TGI à la requête du tout intéressé ou du ministère public.

L’article 1er de la loi de 1901 indique que le contrat d’association est « régi, quant à sa validité, par les principes généraux du droit applicable aux contrats et obligations. » Il existe diverses formes d’associations, des associations ayant une activité économique, des associations ayant une activité agréée, des associations ayant une mission de service public, des associations cultuelles, soumises à une réglementation particulière et bénéficiant d’un régime juridique dérogatoire.

II. Les groupements de biens

Les groupements de biens ne peuvent pas, en principe, accéder à la personnalité juridique. Cependant, de façon exceptionnelle et complètement fictive, la loi a accordé, à certaines conditions, la personnalité juridique aux fondations, permettant à ces dernières d’être dotée d’une plus utilité.

La fondation est l’acte par lequel une ou plusieurs personnes, physiques ou morales, décident l’affectation irrévocables de biens, droits ou ressources à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif. Il s’agit finalement d’une masse de biens affectée à la réalisation d’un but particulier. La fondation repose sur l’idée d’affectation opérée au profit d’une œuvre d’intérêt général : santé publique, enseignement, recherche, art, écologie, etc… qui ne peut avoir un but lucratif.

Normalement, la masse de biens n’est pas dotée de la personnalité morale, elle s’intègre au patrimoine de celui qui la reçoit. Pour que la fondation acquière la personnalité juridique, il lui être reconnue d’utilité publique, par décret en Conseil d’Etat. La fondation ne jouira de cette personnalité qu’à compter de l’entrée en vigueur de ce décret.

§3 : LE RÉGIME DES PERSONNES MORALES

Les membres de la personne n’ont aucun droit sur le patrimoine de la personne si elle a été constituée à but non lucratif. S’il s’agit d’une personne à but lucratif, chacun a un droit sur le patrimoine social, qui se traduit notamment par la perception de dividendes.

Les personnes morales, entités abstraites, ont besoin d’organes qui la gèrent, l’administre et de représentants auprès des tiers. Des assemblées générales déterminent les modalités de fonctionnement du groupement et souvent, un conseil plus restreint veille au respect des orientations arrêtées par l’assemblée. De grandes différences dans les modalités de fonctionnement existent selon la personne morale envisagée. De plus, les fondateurs de la personne morale sont, en principe, libres de déterminer les modalités de son fonctionnement.

La capacité juridique de la personne morale est limitée par le principe de spécialité de son objet social. Elle ne peut pas accomplir un acte qui excède les limites de son objet social, c’est-à-dire la raison pour laquelle elle a été créée. Certaines personnes morales (comme les associations) n’ont, en principe, pas la capacité de recevoir des libéralités (sauf à être reconnue d’utilité publique).

La personne morale peut être responsable civilement, tant sur le terrain contractuel que sur le terrain délictuel. La jurisprudence a eu l’occasion de l’affirmer dans une affaire où un ouvrier était décédé à la suite du fonctionnement défectueux d’un monte-charge manœuvré par l’un des associés. La responsabilité civile de la société avait été recherchée sur le terrain de la responsabilité des commettants du fait de leur préposé : « Attendu que la personne morale répond des faute dont elle s’est rendue coupable par ses organes et en doit la réparation à la victime sans que celle-ci soit obligée de mettre en cause, sur le fondement de l’article 1384 al. 4 du Code civil, lesdits organes pris comme préposés » (Civ. 2e, 27 avr. 1977, Bull. civ. II n°108).

Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal, en 1994, les personnes morales peuvent commettre des infractions et sont susceptibles de sanctions pénales (art. L. 121-2 Code pénal : « Les personnes morales, à l’exclusion de l’Etat, sont responsables pénalement…, dans les cas prévus par la loi ou le règlement, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.

La responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits »). En application de ce texte, la personne morale ne peut être poursuivie que si le texte d’incrimination le prévoit de manière expresse pour les personnes morales. De plus, l’infraction doit avoir été accomplie pour la compte de la personne morale et par ses organes ou représentants (et non un préposé). Les peines peuvent être contraventionnelle, correctionnelle ou criminelle. Naturellement, l’emprisonnement est exclue mais de fortes amendes peuvent être prononcées. De plus, dans les cas les plus graves, le juge peut aller jusqu’à prononcer la dissolution de la personne morale, c’est-à-dire sa mort alors que la peine de mort a été supprimée pour les personnes physiques en 1981.

III. La dissolution des personnes morales

Les personnes morales sont-elles immortelles ? En théorie, elles pourraient l’être mais la loi prévoit qu’un groupement de personnes est nécessairement assorti d’un terme : l’accord est conclu pour une durée maximale de 99 ans. A l’arrivée du terme, il peut cependant être prorogé.

De plus, il existe de nombreuses causes de dissolution :

elle peut résulter d’une volonté des membres du groupement qui peuvent mettre fin à son existence ;

elle peut résulter d’une décision de justice, en cas de vice de formation, en raison de difficultés économiques ou encore au titre d’une sanction pénale ;

elle peut résulter d’une décision administrative, si par exemple, le gouvernement retire à une fondation la reconnaissance d’utilité publique dont elle bénéficiait.

En cas de dissolution, la personnalité ne disparaît pas immédiatement : elle survit pour les besoins de la liquidation.

Le sort des biens diffèrent selon le type de groupement :

pour les sociétés, le partage de l’actif net intervient entre les associés ;

pour les associations, les syndicats ou les fondations, les éléments d’actif doivent être dévolus selon les prévisions statutaires, en principe à un autre groupement dont l’objet social est similaire.