L’arbitrage en droit administratif

L’arbitrage dans le contentieux administratif

L’arbitrage est une justice conventionnelle qui est la possibilité pour les parties, par un compromis, de décider que leur litige n’ira pas devant le juge étatique mais devant une juridiction arbitrale dont il va déterminer la composition.

Ces arbitres rendent des décisions qui ont l’autorité de chose jugée. Est-ce que cet arbitrage a sa place dans le contentieux administratif ?

La question se pose surtout pour les activités économiques de l’administration, c’est-à-dire pour les marchés, pour les opérations menées par les EPIC, etc.

l’arbitrage n’est pas une délégation du pouvoir de juger de l’Etat, mais un contrat au terme duquel les parties accordent leur volonté sur le fait que les litiges ne seront pas portés devant le juge étatique mais devant un tribunal arbitral dont elles déterminent ET la constitution ET les pouvoirs ET les règles de procédure que ce dernier suivra.

Le droit français reconnaît l’arbitrage.

Limite :

— Le juge arbitral a la jurisdictio (il rend une sentence qui a autorité de chose jugée)

— Il n’a pas l’imperium (ne peut pas veiller à l’exécution de la sentence).

— C’est le juge étatique qui rendra exécutoire la décision des arbitres.

L’arbitrage peut prendre 2 formes :

— Soit dans la conclusion d’un contrat : c’est la clause compromissoire ;

— Soit les parties n’ont rien prévu et à la naissance du litige, elles décident de le faire régler par un arbitre : c’est le compromis spécial d’arbitrage.

On peut imaginer le compromis spécial dans tous les contentieux, par exemple en matière de responsabilité : les parties peuvent convenir de régler ce litige à un arbitre ; en matière de contentieux de l’annulation, pourquoi ne pas imaginer que le jour où un syndicat veut obtenir l’annulation d’un décret que l’un et l’autre concluent un compromis spécial ?

L’arbitrage est une manifestation de défiance vis-à-vis du juge étatique. Les parties par hypothèse de nationalités différentes vont chercher une sorte d’extra-territorialité de leur litige.

Le terrain de prédilection de l’arbitrage est le droit international.

Avantage :

Justice sur mesure. Il y a une connaissance presque subjective des parties. Le juge agira parfois en amiable compositeur (plus qu’en droit).

La confidentialité : la procédure ne concerne que les parties. Elle n’est pas publique. Il n’y a donc pas de publicité de la sentence.

Quelle place faire à l’arbitrage en droit public ?

Le droit du contentieux administratif est hostile à l’arbitrage. (Le juge craint une irruption de l’arbitre dans ses pouvoirs qui lui sont propre). Pour favorise l’accueil de l’arbitrage, il est nécessaire de développer l’arbitrabilité, c’est-à-dire augmenter les litiges susceptibles d’arbitrage (donc réduire le domaine d’interdiction de l’arbitrage). Mais dès lors que l’on accepte l’arbitre en droit administratif, vient la question du régime

— La jurisprudence administrative a adopté les règles civilistes (CODE DE PROCÉDURE CIVILE).

Les règles du CODE DE PROCÉDURE CIVILE ont très bien organisé la collaboration de l’arbitre et du juge étatique. Le juge étatique a été rendu nécessaire pour :

— Désigner le tribunal arbitral en cas de conflit

— Garantir l’exécution de la décision.

Finalement, le juge étatique a joué le jeu. Il est pour beaucoup dans le succès de l’arbitrage en droit français.

La mentalité du juge administratif n’en fait pas volontiers un juge auxiliaire de l’arbitre. Une loi de simplification a prévu que par voie d’ordonnance le GOUVERNEMENT était autorisé à modifier le droit de l’arbitrage en matière administrative. Cette plus grande dimension est exclue pour le contentieux objectif (contentieux de l’annulation).

  • 1 : le principe de la prohibition de l’arbitrage

A) La prohibition organique de l’arbitrage

On suppose toujours que l’un des justiciables est une personne publique.

— 1/ Avis Disneyland Paris, du 6 mars 1986 (Conseil d’Etat) :

L’avis avait été rendu dans le cadre de la signature des contrats visant à la construction du Parc d’attraction. Les parties sont américaines (Walt Disney) et un département français. Dans les négociations, la partie américaine s’est inquiétée du sort des litiges qui interviendraient dans l’exécution de ce contrat et a demandé que soit inscrite une clause compromissoire avec un arbitrage. Le département, a fait valoir qu’il y avait une difficulté et qu’en droit français, les personnes publiques ne pouvaient pas signer de telles clauses. C’est dans cette circonstance que le Conseil d’Etat est saisi. Il rend son avis le 6 mars 1986.

— Idée : le principe de prohibition de l’arbitrage pour les personnes publiques résulte des principes généraux du droit public français, principe qui veut que, sous réserve de dispositions législatives expresses ou encore de conventions internationales, « les personnes publiques ne peuvent pas se soustraire aux règles qui déterminent la compétence des juridictions nationales en remettant à la décision d’un arbitre la solution des litiges auxquelles elles sont parties et qui se rattachent à des rapports relevant de l’ordre juridique interne ». Aussi, une clause d’arbitrage sera nulle et la nullité sera d’ordre publique : si un compromis est souscrit, le juge pourra invoquer d’office ce moyen.

Cette solution est une grande clarification par rapport au droit antérieur. Avant un argument de texte était invoqué, il était fondé sur des textes de procédure civile de 1806 qui n’existaient plus mais disaient que « les causes qui sont transmises au ministère public ne sont pas susceptibles d’arbitrage et les litiges administratifs sont susceptibles d’être transmis au ministère public ». Mais ces textes n’existaient plus depuis longtemps.

Ainsi, la vraie prohibition de l’arbitrage nous vient des principes généraux du droit français. Ce principe est tiré de l’interdiction faite au juge judiciaire de se mêler des affaires de l’administration. L’idée que l’on ne doit pas troubler l’administration. C’est donc un fondement solide qui fait partie de la tradition.

Simplement les choses ont changé et les personnes publiques se sont diversifiées à partir des années 30 puis 50. Des personnes publiques sont apparues mais sous une dimension économique (les établissements publics) or les textes disent que ce sont des commerçants. La question s’est posée sous un jour nouveau et il y a eu un grand débat pour savoir si l’inarbitrabilité des personnes publiques devait être mécaniquement étendu à de nouvelles personnes publiques dont la vocation explicite était de se comporter comme tout le monde.

Décision du 13 décembre 57, société nationale de vente des surplus : le conseil d’Etat, au contentieux, déclare nulle les clauses compromissoires signées par des EPIC. Il déclare que ce sont des autorités administratives qui ne peuvent pas signer de telles clauses, quand bien même leur activité est « économique et commerciale ». Cette jurisprudence fut lourdement critiquée à l’époque

Loi du 9 juillet 1975, et article 2060 du code civil : le législateur entend les critiques de 1957 et dit que des décrets pourront intervenir pour autoriser spécialement certaines catégories d’EPIC à compromettre. Il n’y a pas eu de décret jusqu’à une période récente.

Décret du 8 janvier 2002. Il désigne certains EP (EDF, GDF, les houillères de bassin) compétant pour compromettre. Pour autant, ce ne sont plus vraiment des établissements publics. La portée donc portée de ce décret est donc très faible. Le décret ne permet même pas la clause compromissoire mais juste le compromis. Or ce qui est important c’est la clause compromissoire.

Sous réserve de dérogation législative ou de conventions internationales, le principe s’applique à toutes les personnes publiques.

B) La jurisprudence AREA de 1989 (clause compromissoire dans les contrats des concessionnaires d’infrastructures routières). Abandon depuis la loi du 15 mai 2001

La jurisprudence a tranché dans le sens de l’inarbitrabilité.

— 1/ Arrêt du 3 mars 89 : il met en présence une société privée concessionnaire d’autoroute à capitaux exclusivement privés, et une entreprise de travaux publics. Le contrat intègre une clause compromissoire. Le tribunal arbitral rend une sentence et condamne la société concessionnaire à une indemnité importante. Recours de la société devant le Conseil d’Etat. Ce dernier se comporte ici comme un juge d’appel. Il estime que la décision des arbitres ne vaut rien et condamne la société à une indemnité 100 fois moins importante. L’attitude du Conseil d’Etat est très curieuse.

— 2/ Jurisprudence Pérot : on est encore dans un contrat de travaux routiers. Cette fois, le Conseil d’Etat considère que les contrats passés pour faire de la route avec des sociétés publiques sont des contrats privés ! Dès lors, la clause compromissoire dans un contrat routier devient possible.

L’arbitrabilité n’est possible que s’il s’agit d’un contrat commercial.

En droit civil, l’article 2061 interdit la clause compromissoire sauf s’il en est disposé autrement par la loi (article 631 du code de commerce qui autorise le compromis entre 2 sociétés commerciales). Pour autant, le conseil d’Etat dit que le contrat n’est pas passé entre deux entreprises commerciales.

Loi du 15 mai 2001 : modification de l’article 2061 du code civil. L’article dispose désormais que « sous réserve des dispositions législatives particulières dans les contrats conclus à raison d’une activité professionnelle ». Fin de la jurisprudence AREA.

  • 2 : Aménagements et exceptions au principe de prohibition

Il a bien fallu établir des exceptions, pour de simple raisons de nécessité. Comme on l’a vu plus haut, seule la loi peut autoriser l’arbitrage. La question de l’arbitrabilité des litiges administratifs est une question qui n’est pas très difficile à résoudre. Les textes interviennent là où on avait besoin de ces dérogations et surtout en matière d’EPIC. Ces hypothèses de dérogation ont été codifiées (L’article L331-6 du code de justice administrative établit une liste de ces dérogations).

A) la loi du 17avril 1906 (1ère dérogation)

Le législateur intervient pour dire que les difficultés de règlement des marchés de travaux et de fournitures peuvent faire l’objet d’un arbitrage tel que prévu par le code de procédure civile. Cela a été repris par les codes des marchés publics successifs. Le code de 2006 reproduit encore cette disposition de la loi de 1906.

Ce texte est important. Il est le seul qui nous donne une indication sur le régime de l’arbitrage. Elle signifie que si le même contrat n’a pas de clauses compromissoires, il ira devant l’arbitre. Le juge est le juge judiciaire.

Cette disposition ne concerne pas les EP car il n’y en avait pas à l’époque. Pourtant, un arbitrage rendu sur la base de ce texte concernant les EP a été rendu.

— Tribunal Administratif Strasbourg 24 janvier 1997 : concerne un recours fait par un conseiller communautaire contre la décision de la communauté urbaine de recourir à l’arbitrage. Une communauté urbaine est l’équivalent d’une collectivité territoriale.

B) Loi du 9 juillet 75 (art 2060 al 2 C. Civ)

Loi qui fait suite à la jurisprudence vente de surplus.

C) Loi du 19 août 1986

C’est une loi particulière. Nous voilà revenu à l’affaire Disneyland Paris.

On appellera cette loi la « loi Mickey ». Le principe est le suivant : L’Etat, les collectivités territoriales et les Etablissements Publics qui concluent des contrats avec des sociétés étrangères dans un but d’intérêt général peuvent insérer dans les contrats des clauses compromissoire et recourir à l’arbitrage ».

Cette loi est votée pour les circonstances de la cause. Personne n’en doute.

D) Lois spéciales

Ce sont des lois de création des Etablissements Publics. Dans le texte législatif, on inscrit la possibilité de transiger et de compromettre.

De la même manière, cette possibilité fut inscrite dans le statut de réseau ferré de France.

E) Eléments de la pratique

Il est arrivé que des clauses compromissoires fonctionnent alors que ce n’était pas possible. (Ex : convention passée en 1951 entre 2 EPIC (EDF et GDF). Cela a fonctionné).

F) Les conventions internationales

Il y a toute une série de conventions internationales auxquelles la France est partie et qui prévoient la possibilité pour les parties de souscrire les clauses compromissoires. L’état renonce à se prévaloir de leur immunité d’arbitrage, et sont traitées comme des entreprises de droit privé. La France est signataire de ces conventions. Ces conventions visent des litiges du commerce international : dès lors que l’on est dans un acte du commerce international l’Etat ne devrait pas pouvoir soutenir que le litige ne peut être arbitral.

— C’est l’avis de la Cour de Cassation depuis un arrêt de 1966 : « la règle de la prohibition édictée pour les contrats de droit interne n’est pas applicable à un contrat passé pour les besoins et dans des conditions conformes au besoin du commerce maritime international ».

Définition du contrat international par l’article 1492 code de procédure civile : « Est international l’arbitrage qui met en cause des intérêts du commerce international ». C’est donc un contrat qui comporte des flux transfrontières des biens, de personnes, de savoir faire. L’inarbitrabilité n’est pas opposable dans ce cas, selon la Cour de Cassation.

— Le conseil d’Etat considère que le contrat qui intéresse le commerce international est celui qui s’exécute à l’étranger mais dès lors qu’on est en France, ça n’intéresse pas le commerce international. La position du Conseil d’Etat est contestable.

  • 3 : le régime de l’arbitrage administratif

— Modèle de la loi de 1906 : il s’agit de dire que c’est la CODE DE PROCÉDURE CIVILE qui contient les dispositions relatives au régime de l’arbitrage.

— Modèle n° 2 : construire un droit de l’arbitrage pour voie législative.

Solution intermédiaire :

Compétence des arbitres et contentieux de l’acte administratif unilatéral : les actes détachables

— La délibération de signer est détachable du contrat. Cela fragilise la technique arbitrale. Elle ne fait pas partie de la culture du juge administratif.

— L’exécution de la sentence suppose l’exequatur de la sanction, où il est fait un contrôle de la sentence. Pourrait-il dire que la clause compromissoire est nulle et donc finalement faire un contrôle d’ordre public.

On le voit, le régime de l’arbitrage en droit administratif est fragile. Quand bien même l’arbitre intervient légalement, sa décision sera toujours limité et pourra encore être contrôlé, si l’acte à l’origine du contrat, détachable, et contrôlable par le Conseil d’Etat est annulé

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