La possession d’état : définition, preuve, effets

La possession d’état

La possession d’état d’enfant joue un rôle fondamental en matière de filiation.

La possession d’état est une présomption qui permet d’établir la filiation d’une personne sur la base d’une réunion de faits constatés par sa famille et son entourage. Quelles sont les fait qui révèlent le lien de filiation et de parenté? (article 311-1 du code civil). Les faits qui établissent la possession d’état sont, par exemple, le fait que l’enfant a le nom de son père ou que chaque personne de l’entourage le considère comme le père.

Section I – La définition de la possession d’état

La notion de possession d’état doit d’abord être définie avant d’en déterminer les éléments constitutifs et d’en expliquer la convergence des éléments et d’en examiner la continuité.

I) Définition de la possession d’état :

La possession d’état d’enfant est une accumulation de faits qui fait présumer l’existence d’un lien de filiation. La possession d’état est le fait d’être concrètement dans la situation correspondant à cet état, ici : la filiation. En matière de filiation, ce n’est pas l’enfant qui se crée lui-même une possession d’état mais ceux qui se comportent comme ses parents. En conséquence, il peut être apporté à la possession d’état un crédit tout particulier. Ce n’est pas la vérité biologique mais la vérité sociologique, c’est l’apparence qui l’emporte. Ce sont des liens affectifs tissés entre l’enfant et ceux qui se comportent comme ses parents.

II) Les éléments constitutifs de la possession d’état :

Elle est définie à l’article 311-1 du Code civil: « La possession d’état s’établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre un individu et la famille à laquelle il est dit appartenir ». L’article 311-1 alinéa 2 précise parmi les éléments qui constituent la possession d’état ceux qui traditionnellement sont pris en compte : le nomen, le tractatus et la fama.

A- Le tractatus

Avec l’Ordonnance du 4 juillet 2005, c’est cet élément qui est désormais envisagé en premier. 1° élément : C’est le fait que l’enfant soit traité par ses prétendus parents comme leur enfant et que celui-ci les considère comme ses parents. Article 311-1 alinéa 2 (1°) et (2°) : cette disposition implique que les prétendus parents aient en cette qualité pourvue à l’éducation, à l’entretien et à l’établissement de l’enfant (échange de correspondance, prise de photographies…). S’il est traité comme leur enfant et si l’enfant les considère comme ses parents, l’élément est constitué. Si l’enfant les rejetait, cela pourrait faire obstacle à la possession d’état (Cour de Cassation Poitiers le 30 décembre 1992). Cet élément peut exister même si les parents ne vivent pas ensemble car ils peuvent néanmoins pourvoir à l’éducation de l’enfant ensemble. Il ressort de cet arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 3 mars 1992 (D. 1993, 133, note J. Massip) que la possession d’état peut exister même s’il y absence de vie commune entre les parents.

B- La fama ou réputation

C’est la situation de l’enfant aux yeux de la société, comme il est reconnu par la société, l’entourage et la famille, les voisins… Article 311-1 alinéa 2 (3°) et (4°). Il s’agit de la croyance et de l’adhésion du milieu social. Cela implique que l’enfant soit considéré par les tiers (entourage, amis, voisins, autorité publique) comme l’enfant de ces personnes supposées être ses parents.

C- Le nomen

C’est le nom effectivement porté par l’enfant. Il peut naturellement constituer un signe d’appartenance à la famille dont il se prétend issu. Il découlait normalement de la filiation invoquée :

  • Quand il a la possession d’état d’enfant légitime : il porte le nom du mari.
  • Quand il a la possession d’état d’enfant : il porte le nom du prétendu parent.

Le caractère insuffisamment probant du nom justifie que cet élément de la possession d’état ne soit désormais plus envisagé en premier lieu par la loi mais au contraire en dernier lieu (article 311-1 alinéa 2 du Code Civil).

Il existe plusieurs situations :

  • Si les trois éléments existent et convergent : la possession d’état est établie.
  • Si les trois éléments existent mais ne suffisent pas, le juge peut néanmoins estimer qu’ils ne sont pas suffisamment significatifs ; cela relève de l’appréciation souveraine des juges.
  • S’il existe 4 ou 5 éléments, cela veut dire que le juge prend d’autres éléments en renfort.
  • A l’inverse, il se peut aussi que 2 éléments suffisent. L’essentiel est qu’il y en ait au moins 2 et qu’ils soient significatifs au regard de la filiation, comme l’article 311-1 l’exige :« une réunion suffisante de faits ».

III) Les qualités de la possession d’état :

L’article 311-2 du Code Civil nouveau précise que la possession d’état d’enfant doit être continue mais également paisible, publique et non équivoque pour produire des effets de droit. Reprenant les qualités de continuité (article 311-1 alinéa 3 ancien) et les autres qualités exigées en doctrine et en jurisprudence malgré le silence des textes issus de la loi de 1972, ces qualités sont désormais explicitement requises depuis l’Ordonnance de 2005.

àLa possession d’état doit être continue, aux termes de l’article 311-2.

Les éléments de fait indiquant le rapport de filiation doivent être habituels, suffisamment pour correspondre à une situation normale.

La possession d’état suppose une situation durable mais cette exigence soulève régulièrement des difficultés. L’appréciation dépend du contexte : ex : activité professionnelle, milieu social…

La JURISPRUDENCE a été amenée à préciser :

  • La continuité n’implique pas une communauté de vie ou des relations constantes : il suffit qu’il y ait des relations régulières entre l’enfant et ses parents (3 mars 1992).
  • Si la possession d’état a existé un certain temps puis s’est interrompue volontairement ou involontairement (parent absent). Certains auteurs estiment que si à un moment quelconque une possession d’état non contredite a existé, celle-ci demeure efficace même si elle a cessé. C’est au juge d’apprécier si les éléments ont suffisamment duré pour que la possession d’état puisse être prise en compte.
  • La possession d’état n’a peut-être pas eu le temps de se constituer, parce que l’enfant voire le père naturel est décédé. Certains arrêts ont admis l’existence d’une possession d’état « prénatale » (si pendant la grossesse, les parents avaient eu l’intention d’élever leur enfant…)

L’article 317 alinéas 2 consacre désormais cette solution. (Arrêt de la première chambre civile de la Cour de Cassation du 4 mai 1994; 14 fév. 2006).

Arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 6 Mars 1996 : les juges du fond apprécient les éléments de la possession d’état et estiment qu’il n’est pas nécessaire que les éléments réunis soient tous marqués du signe de la continuité.

La possession d’état doit de plus être publique, paisible et non- équivoque.

La notion de publicité est déjà contenue dans la notion même de possession d’état à travers notamment la renommée. Paisible : cela exclut toute contrainte (familiale notamment) et la fraude. Les seuls vices qui peuvent entacher la possession d’état sont la violence (exemple : l’enlèvement d’enfant par l’amant de la mère). Non équivoque : ne comportant pas d’éléments contradictoires ou propres à susciter un doute dans l’esprit des observateurs (succession de possession d’état différentes, existence d’une possession d’état concurrente : doute). Lorsque plusieurs hommes ont apporté une possession d’état à un enfant, celle-ci peut être entachée d’équivoque, elle est alors inefficace ou alors la dernière possession en date est préférée afin de privilégier la filiation vécue au quotidien par l’enfant (elle correspond rarement à la réalité biologique, mais pas toujours, elle est parfois celle d’origine !)

Depuis la réforme de l’Ordonnance du 4 juillet 2005 : elle a tenté de mieux encadrer la possession d’état afin d’améliorer la sécurité juridique. Les modifications n’ont guère porté sur la définition même de la possession d’état dans ses éléments constitutifs et qualités. Elles ont porté sur la preuve de la possession d’état et son effet de filiation.

Section II – La preuve de la possession d’état

En tant que fait juridique, la possession d’état peut se prouver par tous moyens, notamment par les témoignages de la famille ou encore par les correspondances révélant le lien de filiation. La preuve peut être contentieuse ou non- contentieuse. Désormais la possession d’état ne suffit plus à elle seule afin d’établir en droit le lien de filiation : il faut qu’elle ait été officiellement constatée :

  • Que ce soit par une décision de justice rendue dans un cadre contentieux (article 330). Le juge vérifie alors l’existence de la possession d’état.
  • « Par un acte de notoriété » délivré par le juge dans un cadre non contentieux (article 310-1: le juge dresse alors un acte de notoriété sur la foi des déclarations des parties et témoins).

L’essence de la possession d’état s’en trouve notablement modifiée, puisque l’aspect « factuel » décline au profit de l’aspect « formaliste ».

I ) La preuve non contentieuse :

La preuve non contentieuse se concrétise en dehors de tout procès, elle se fait par acte de notoriété. Conformément (à l’article 311-3 alinéa 1 du Code civil, issu de la loi de 1972) à l’article 317, les parents ou l’enfant peuvent demander au juge d’instance) (juge des tutelles avant) que leur soit délivré…un acte de notoriété faisant foi de la possession d’état. L’article 71 exige les attestations de trois témoins. Mais le principe général suivant lequel le ministère public doit avoir communication des affaires relatives à la filiation (article 425 CODE DE PROCÉDURE CIVILE) n’est cependant pas applicable aux demandes d’actes de notoriété adressées au juge des tutelles (première chambre civile le 4 juillet 2007, pourvoi n°05-20204). C’est une décision de nature gracieuse qui ne préjuge pas au fond. C’est une présomption légale simple. Lorsque les éléments de la possession d’état ne lui semblent pas réunis, le juge peut faire recueillir d’office d’autres renseignements par toute personne de son choix (CODE DE PROCÉDURE CIVILE article 1157). Le juge dressera l’acte de notoriété au vu des témoignages et éventuellement après enquête. Il peut refuser la délivrance de cet acte. La décision du juge est insusceptible de recours : article 72 du Code Civil. Ni l’acte de notoriété ni le refus de le délivrer ne sont sujets à recours. Cet acte de notoriété ne fait foi de la possession d’état que jusqu’à preuve contraire. Celle-ci pourra être contestée par la suite devant le Tribunal de Grande Instance. On entre alors dans le cadre de la procédure contentieuse. La délivrance de l’acte de notoriété ne peut être demandée que dans un délai de 5 ans à compter de la cessation de la possession d’état alléguée ou « à compter du décès du parent prétendu » (article 317 alinéas 3, dans sa rédaction du 16 janvier 2009), « y compris lorsque celui-ci est décédé avant la déclaration de naissance (Loi N° 2011-331 du 28 mars 2011).

II) La preuve contentieuse :

C’est la preuve établie judiciairement, dans un procès. La preuve se fait par tous moyens légalement admissibles, puisque la possession est un fait, au travers d’actions.

Il en existe 2 types

  • L’action en constatation de la possession d’état: elle ne doit pas être confondue avec une autre action, l’action en contestation d’une possession d’état qui aurait été elle-même constatée par un acte de notoriété (article 335: on avait 5 ans pour la contester, maintenant le délai est de 10 ans), le demandeur cherchant à détruire la possession d’état.

La preuve est libre ; l’appréciation des juges souveraine (première chambre civile le 4 juillet 2007, pourvoi n°05-20204), l’expertise biologique dont l’objet est différent, n’est alors pas de droit : (première chambre civile le 6 décembre 2005; première chambre civile le 6 janvier 2004).

  • L’action aux fins de constatation par jugement de la possession d’état d’enfant (article 330 du Code Civil). Cette action devant le TGI est ouverte pendant 10 ans (article 321du Code Civil) à toute personne justifiant d’un intérêt légitime, à compter de la cessation ou du décès du parent prétendu, dans sa rédaction du 16 janvier 2009.

(JURISPRUDENCE antérieure : première chambre civile le 10 mars 1998; exemple: grands-parents naturels ou héritiers). (La preuve génétique sera plus souvent utilisée que la possession d’état dans le cadre contentieux !!!)

Section III – Les effets de la possession d’état

La possession d’état avait des rôles très divers en matière de filiation sous l’empire de la loi de 1972. Parfois elle venait en complément du titre de naissance et rendait ainsi la filiation incontestable. Elle permettait la légitimation post nuptial (article 331-1). Dans d’autres cas, la possession d’état avait une valeur en elle-même permettant soit d’établir soit de contester la filiation, ou de trancher un conflit de filiations.

I- Un effet probatoire :

La possession d’état joue un rôle fondamental dans la preuve de la filiation de l’enfant. C’est d’abord une présomption (légale). C’est la vérité sociologique qui ressort de l’ensemble des faits connus constitutifs de la possession d’état qui va permettre d’induire un fait inconnu, la filiation de l’enfant. La présomption issue de la possession d’état fait présumer un rapport de filiation et de parenté. Son rôle est important lorsque le titre est insuffisant, vicié ou disparu.

  • Lorsque la filiation est légitime, la preuve est rapportée par un titre, c’est l’acte de naissance (acte authentique). A défaut de titre, la possession d’état suffira. Article 320.
  • Quand il y a filiation naturelle, en principe, il y a un titre constitué par l’acte de reconnaissance (acte authentique). A défaut de reconnaissance, la possession d’état pourra présumer le lien de filiation. Article 334-8.

II- Un effet créateur :

Une possession d’état prolongée pendant 30 ans peut faire acquérir au possesseur une filiation qu’il n’avait pas. Article 311-7. Cela correspond au délai pendant lequel une action en contestation aurait pu être exercée.

III- Un effet de consolidation :

  • La possession d’état consolide le titre s’il y en a un, acte de naissance ou de reconnaissance. Quand la possession d’état corrobore le titre, celui –ci est inattaquable. Pour la filiation naturelle, article 339 alinéa 3 (possession d’état de 10 ans). Pour la filiation légitime, articles 313 alinéa 2 et 322.
  • A l’inverse, si la possession d’état ne confirme pas le titre, celui-ci devient beaucoup plus fragile.

Il devient attaquable et peut alors être renversé par des actions en contestation d’état par exemple.

IV- Un effet d’exclusion :

L’absence de possession d’état à l’égard du mari « dont le nom n’a pas été indiqué dans l’acte de naissance » écarte la présomption de paternité : Article 313-1 du Code civil. Il se peut en effet que la mère ne souhaite pas que son mari soit mentionné. L’acte désigne peut-être un autre homme que le mari (époux séparés de fait, enfant caché au mari…). Dans ces cas, si l’enfant n’a pas la possession d’état envers le mari de sa mère, la présomption de paternité est écartée, ce qui est logique car si son nom n’est pas indiqué, cela peut vouloir dire qu’il n’en est pas le père… L’Ordonnance du 4 Juillet 2005 a considérablement restreint ce rôle. Les conflits de filiation ont disparu du fait du principe chronologique (article 320). La légitimation n’existant plus et l’acte de naissance suffisant à établir la filiation maternelle de l’enfant « hors » mariage (article 311-25) la possession d’état a perdu le rôle qu’elle jouait alors. Seule reste la possibilité pour la possession d’état de conforter une présomption de paternité affaiblie en fait soit en raison de la séparation légale des parents, soit de l’insuffisance de l’acte de naissance de l’enfant qui ne désigne pas le mari de la mère comme étant le père de l’enfant (article 313). L’article 314 nouveau prévoit que « si la présomption de paternité a été écartée en application de l’article 313, elle se trouve rétablie de plein droit si l’enfant a la possession d’état à l’égard du mari et s’il n’a pas une filiation paternelle déjà établie à l’égard d’un tiers.