La prescription acquisitive en matière immobilière

La prescription acquisitive en droit immobilier

La prescription acquisitive, également désignée sous le nom d’usucapion, permet de devenir propriétaire d’un bien immobilier (ou d’un meuble, dans certaines conditions) après l’écoulement d’un certain délai de possession. Cette notion, enracinée historiquement dès l’Antiquité (l’empereur Théodose avait déjà fixé un délai de 30 ans), se retrouve aujourd’hui dans le Code civil, notamment aux articles 2258 et 2272 issus de la réforme de la prescription opérée par la loi du 17 juin 2008 (loi n° 2008-561).

En matière immobilière, l’article 2272 du Code civil précise :

  • Le délai de droit commun est de trente ans : il suffit de prouver une possession continue, paisible, publique et non équivoque pendant cette durée, sans exiger la bonne foi du possesseur.
  • Un délai abrégé de dix ans est prévu lorsqu’on dispose d’un juste titre et qu’on agit de bonne foi.

Jusqu’à la réforme de 2008, l’ancien Code distinguait parfois dix et vingt ans pour la prescription abrégée en fonction de la localisation du véritable propriétaire (s’il était domicilié ou non dans le même ressort de cour d’appel que le bien). Désormais, ce délai abrégé est uniformisé à dix ans lorsqu’il y a juste titre et bonne foi, ce qui modernise et clarifie la réglementation.

De manière générale, la possession doit être suffisamment caractérisée (corpus et animus domini) et se prolonger jusqu’au terme du délai requis pour que le possesseur puisse acquérir la propriété. Les règles suivantes détaillent les conditions communes, les interruptions et suspensions, et les spécificités de la prescription abrégée.

1. Les conditions communes à toutes les prescriptions

Ces conditions portent sur :

  • Le point de départ et le calcul du délai de prescription.

  • La jonction des possessions lorsque le bien est transmis ou hérité au cours du temps.

  • Les incidents (interruption ou suspension) susceptibles de modifier la durée.

A) Le point de départ de la prescription

  • Le début de la prescription s’enclenche dès lors que toutes les conditions de la possession utile sont réunies : le possesseur doit exercer un pouvoir de fait (corpus) sur l’immeuble et vouloir se comporter comme propriétaire (animus).
  • Le dies a quo (jour initial) se situe au lendemain à 0 heure du moment où la possession remplit toutes les caractéristiques requises.
  • Le dies ad quem (jour final) correspond au dernier jour du délai légal, lequel se termine à minuit. Autrement dit, la prescription n’est acquise que lorsque la dernière journée entière est écoulée.
  • Pour la prescription trentenaire, on retiendra un délai de 30 ans effectifs, tandis que pour la prescription abrégée, on retiendra un délai de 10 ans (dans le régime actuel).

Entre le point de départ et le point d’arrivée, il peut arriver que le possesseur décède ou cède son droit à un tiers. Dans ce cas, on se demande si la possession poursuivie par son successeur peut s’additionner à la sienne : c’est la jonction des possessions.

La jonction des possessions

  • L’article 2265 du Code civil (anciennement 2235) autorise celui qui possède actuellement le bien à joindre sa période de possession à celle de son auteur (transmetteur) pour compléter le délai requis.
  • Peu importe la manière dont on lui a transmis le bien (à titre onéreux, gratuit, par succession, etc.).
  • On distingue l’ayant cause universel (héritier qui continue la personnalité juridique de son auteur) de l’ayant cause particulier (celui qui acquiert un droit déterminé, par exemple un droit de propriété sur une seule parcelle).

La logique est simple :

  • Quand l’ayant cause universel succède à l’auteur, il reprend la possession telle qu’elle existait, avec ses vices ou ses qualités (bonne foi ou mauvaise foi).

  • Pour l’ayant cause particulier, on apprécie séparément la bonne ou mauvaise foi de l’auteur et la bonne ou mauvaise foi du successeur. Les effets sur la durée (10 ans ou 30 ans) peuvent alors varier : un nouveau possesseur de mauvaise foi n’héritera pas de la bonne foi de son auteur, et inversement.

B) Les incidents affectant la durée de la possession

Tout au long des 10 ou 30 ans requis, la prescription peut être interrompue ou suspendue.

a) L’interruption

D’après l’article 2231 du Code civil, l’interruption efface le délai déjà couru et fait repartir un nouveau délai à zéro. En matière de prescription acquisitive, on distingue :

  • L’interruption naturelle :

    • Elle peut résulter de l’abandon volontaire de la chose par le possesseur, qui cesse d’accomplir les actes correspondant à sa qualité de propriétaire.
    • Elle peut aussi provenir d’une dépossession par un tiers (l’ancien propriétaire ou un autre individu) qui prend la chose, à condition que cette dépossession dure au moins un an, faute de quoi le possesseur évincé peut agir par la voie de l’action possessoire pour reprendre sa situation initiale.
  • L’interruption civile :

    • Elle intervient, par exemple, lorsqu’une action en justice est intentée par le propriétaire contre le possesseur (assignation en revendication). L’effet d’interruption disparaît si cette demande est finalement annulée, rejetée ou si l’instance est périmée (articles 2241 et suivants du Code civil).
    • La reconnaissance par le possesseur du droit de propriété d’autrui, qu’elle soit expresse ou même implicite, constitue également une forme d’interruption, puisque le possesseur admet alors qu’il ne se comporte pas comme un véritable propriétaire (article 2248).

En cas d’interruption valable, le délai déjà écoulé est annulé. On repart pour un nouveau délai intégral, qu’il soit de 30 ans ou de 10 ans (selon les cas).

b) La suspension

La suspension diffère de l’interruption en ce qu’elle arrête temporairement le cours de la prescription, sans anéantir la période déjà courue. Dès que la cause de suspension disparaît, la prescription reprend là où elle s’était arrêtée.

  • L’article 2230 du Code civil définit la suspension comme le fait d’« arrêter temporairement » le cours du délai.
  • La loi prévoit plusieurs causes légales de suspension :
    • L’incapacité du propriétaire lésé (par exemple, s’il est mineur ou sous tutelle). Dans ce cas, la prescription est suspendue jusqu’à ce que le mineur atteigne la majorité ou que l’incapacité du majeur soit levée.
    • Le fait que le propriétaire et le possesseur soient époux (article 2253, repris et aménagé dans le cadre de la réforme). L’idée est d’éviter qu’ils soient contraints de s’attaquer en justice pendant le mariage.
    • Les principes issus de l’adage contra non valentem agere non currit praescriptio (articles 2234 et 2259 du Code civil), selon lesquels la prescription ne court pas lorsque la personne est dans l’impossibilité d’agir. La jurisprudence peut reconnaître la force majeure ou d’autres obstacles sérieux comme causes de suspension, bien que l’encadrement soit parfois strict.

La suspension ne fait pas redémarrer le délai à zéro : elle le met en pause. Une fois la cause de suspension éteinte, la prescription reprend pour la durée restante.

2. Les conditions particulières de la prescription abrégée

La prescription abrégée, désormais fixée à dix ans depuis la réforme de 2008, requiert deux éléments fondamentaux :

  • Un juste titre : c’est un acte translatif de propriété (vente, donation, échange) qui aurait produit son effet si l’auteur avait été véritablement propriétaire. Il doit être valide en apparence (ni totalement inexistant, ni radicalement nul), et surtout définitif.
  • La bonne foi : le possesseur doit croire qu’il a acquis l’immeuble d’une personne qui en était légitime propriétaire. Cette bonne foi se présume dès lors que le juste titre est établi, mais elle peut être renversée par la preuve que le possesseur savait qu’il n’acquérait pas auprès du véritable propriétaire ou qu’il nourrissait un doute sérieux.

Autrefois, l’ancien Code prévoyait un délai de 10 ans si le possesseur et le propriétaire étaient domiciliés dans le même ressort, et de 20 ans s’ils ne l’étaient pas. Cette distinction, inspirée par les difficultés de surveillance des biens à distance à l’époque du XIXe siècle, a été supprimée par la loi de 2008 : désormais, la prescription abrégée est ramenée à dix ans de manière uniforme.

3. Effets et portée de la prescription

  • À l’expiration du délai (30 ans ou 10 ans), le possesseur est réputé propriétaire rétroactivement, depuis le jour où sa possession utile a commencé.

  • Cette rétroactivité valide tous les actes (bail, servitudes, hypothèques consenties, etc.) que le possesseur a pu accomplir pendant sa possession, comme s’il avait été propriétaire dès l’origine.

  • Les droits réels ou charges éventuellement créés par l’ancien propriétaire sont inopposables, à moins qu’ils ne soient eux-mêmes couverts par une autre prescription ou régulièrement inscrits avant l’accomplissement de l’usucapion.

  • La personne qui a usucapé peut renoncer à la prescription acquise, mais uniquement après que cette prescription est devenue effective, et sans porter préjudice à ses créanciers.

  • La mauvaise foi ne fait pas obstacle à la prescription trentenaire : même en ayant conscience de ne pas être propriétaire, on peut devenir propriétaire au bout de 30 ans. En revanche, pour la prescription abrégée, la bonne foi est impérative.

 

Résumé :
La prescription acquisitive résulte d’une possession prolongée d’un bien immobilier et se concrétise au terme d’un délai de 30 ans (régime général) ou de 10 ans (régime abrégé), sous réserve de justifier d’un juste titre et de la bonne foi. La réforme de 2008 a unifié la prescription abrégée à dix ans et a mis en cohérence les règles d’interruption et de suspension telles que la jonction des possessions ou l’adage contra non valentem. À l’issue de cette période, l’effet rétroactif valide tous les actes accomplis par le possesseur, qui est alors considéré propriétaire depuis l’origine de sa possession.

  • La réforme de la prescription (loi n° 2008-561 du 17 juin 2008) a principalement simplifié certains délais (10 ans au lieu de 10/20 ans pour l’abrégée) et unifié les règles d’interruption et de suspension.
  • Les articles 2230, 2231, 2234, 2240, 2241, 2258, 2259 et 2272 du Code civil sont les principaux textes actuels relatifs à la prescription acquisitive et extinctive.
  • La jurisprudence post-réforme maintient la possibilité d’invoquer la théorie contra non valentem dans des circonstances précises (impossibilité absolue d’agir), mais avec un contrôle rigoureux pour éviter les abus.
  • Le PACS ou les partenariats civils ne sont pas assimilés à la situation des époux, sauf dispositions textuelles contraires : la question de la suspension pour cause de vie commune est donc plus restrictive que pour un couple marié.
  • Les possesseurs de mauvaise foi peuvent toujours se prévaloir de la prescription de 30 ans. S’ils souhaitent bénéficier de la prescription abrégée, ils doivent prouver leur bonne foi initiale et produire un titre en bonne et due forme.