La prescription acquisitive en matière immobilière

La prescription acquisitive

La prescription acquisitive en matière immobilière est inséparable de la notion de durée mais la durée nécessaire et elle même variable. Depuis l’empereur Théodose, la prescription acquisitive est de 30 ans minimum. Aujourd’hui, on va retrouver ce délai de 30 dans l’article 2258 du Code civil et 2272 (« le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de 30 ans. Toutefois, celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par 10 ans ».

La prescription est acquisitive sans qu’il soit besoin d’alléguer la bonne foi ou mauvaise fois si au bout de 30 ans la possession est nettement caractérisée. Une personne possède, elle a le corpus et l’animus, sa possession n’est pas viciée et dure de façon interrompue pendant 30. Au bout de 30 et 1 seconde, il devient propriétaire automatiquement, alors même qu’il aurait été de mauvaise foi c’est à dire qu’il savait pertinemment qu’il n’était pas propriétaire. On avait admis l’idée aussi d’une prescription abrégée, on pouvait prescrire la propriété d’un immeuble par 10 ans ou 20 ans. Avec la réforme de la prescription, le délai a été unifié à 10 ans (2272 al 2). Evidemment, la prescription abrégée va obéir à des conditions particulières.


1 – Les conditions communes à toutes les prescriptions

Elles concernent le point de départ de la prescription, puis la question de la jonction des possessions et enfin la question des incidents susceptibles d’affecter le déroulement de la possession.


A) Le point de départ de la prescription

Il est fixé au moment où toutes les conditions de la possession sont réunies. Pour pouvoir prescrire, il faut que celui qui invoque la prescription puisse justifier de l’animus et du corpus. Lorsque la possession est établie, du dies a quo (jour de départ) au dies ad quem (jour d’arrivée).


– Le point de départ de la prescription acquisitive court le lendemain à 0h du jour ou la possession est établie. Point de départ invariable quelque soit le moment où la possession est caractérisée.

– Le dernier jour : à l’inverse du 1er jour, ce jour est compté, la prescription ne sera acquise que le dernier jour à minuit. Il faut donc une journée complète. Entre ce dies a quo et ad quem, il faut entre 10 ans et 30 ans qui s’écoulent.


Le problème c’est qu’entre temps, le possesseur peut décéder. Il peut aussi céder son bien. Donc la possession dans les deux cas va se trouver affectée, ce n’est plus la même possession. C’est tout le problème de la jonction, joint-on les possessions successives ou non ? Le principe est admis par le droit positif, 2265 ancien article 2235 : « pour compléter la prescription, on peut joindre à sa possession celle de son auteur, de quelque manière qu’on lui ait succédé, soit à titre universel ou particulier, soit à titre lucratif ou onéreux ». Quelque soit la cause de la transmission, le principe est celui de la jonction. Mais les modalités concrètes de cette jonction sont différentes selon qu’il s’agisse d’un ayant cause particulier ou universel.
L’ayant cause universel, c’est celui qui succède à son auteur relative à son patrimoine. Celui par excellence c’est l’héritier. Selon la tradition romaine, l’ayant cause universel est le continuateur de son auteur. Juridiquement, les conséquences, l’ayant cause universel est censé prendre la place de son auteur dans tous ces droits et obligations de sorte que la possession de l’ayant cause universel a nécessairement les mêmes qualités que la possession de son auteur. Si l’auteur est de mauvaise foi, l’ayant cause est de mauvaise foi. On ne s’occupe que de la personne de l’auteur. L’ayant cause particulier ne tient de son auteur qu’un seul droit particulier. On va apprécier les qualités de la possession séparément, cela veut dire que l’on pourra avoir dans la personne de l’auteur des possessions de bonne foi et dans la personne de l’ayant cause des possessions de mauvaise foi ou des possessions de qualité identique.


– Lorsque la possession de l’auteur et de l’ayant cause est de même nature : pas de difficulté particulières.


– Lorsque la possession est différente :


* Lorsque l’auteur est de bonne foi et l’ayant cause de mauvaise foi : on ne tient pas compte de la possession de l’auteur quant à la détermination de la durée pour prescrire = l’ayant cause particulier est soumis à la prescription trentenaire. Mais l’ayant cause particulier peut ajouter à sa possession qui doit normalement durer 30 ans, celle accomplie par son auteur de sorte que la durée maximale pour prescrire est requise dans la personne de l’ayant cause de mauvaise foi, est de 21 ans car si l’auteur de bonne foi avait posséder légalement plus de 10 ans, il aurait prescrit valablement le bien.


* L’auteur de mauvaise foi et l’ayant cause de bonne foi : pour prescrire, l’ayant cause particulier doit posséder aujourd’hui pendant 10 ans mais sans pouvoir joindre à sa possession celle de son auteur. La possession de l’auteur l’a été en pure perte. Si l’ayant cause au lieu de se prévaloir de la prescription abrégée préfère se prévaloir de la prescription trentenaire de mauvaise foi de son auteur, il faut imaginer l’hypothèse dans laquelle l’auteur a possédé pendant plus de 20 ans, il lui restait au maximum 10 ans de possession pour prescrire, et donc cette durée va nécessairement être moindre que celle requise dans la personne de l’ayant cause qui devra posséder 10 ans à compter de son titre d’acquisition.


Le point de départ, le point d’arrivée, la jonction. Mais le temps est une notion élastique.


B) Les incidents affectant la durée de la possession

La durée pour prescrire est susceptible d’être interrompue ou suspendue.

  • a) L’interruption

Les notions sont communes à la prescription extinctive et acquisitive. L’interruption définie par 2231 efface le délai de la prescription et fait courir un nouveau délai de même durée que l’ancien. L’interruption de la prescription est ce qui revient à remettre les pendules à 0. Une cause survient et interrompt la prescription, cette interruption rend totalement inefficace la durée qui s’est déjà écoulée, on recommence à 0. L’interruption peut en matière de prescription acquisitive être de deux natures :


* Naturelle
La 1ère cause d’interruption naturelle réside dans l’abandon volontaire de la chose, le possesseur d’un bien ne se comporte plus animo domini mais le simple fait de ne pas user d’une chose ne suffit pas pour perdre « la possession » et donc constituer une cause interruptive de possession. L’interruption n’est caractérisée que lorsqu’à la suite d’un désintérêt du possesseur, celui-ci abandonne le bien en n’accomplissant pas les actes qu’impliquerait sa qualité de possesseur. L’interruption qui se réalise alors est instantanée. L’interruption naturelle est ici le fait du possesseur.
La 2ème cause d’interruption naturelle réside dans le fait d’un tiers, c’est la dépossession. Le possesseur est donc dépossédé peu importe la qualité de celui qui le dépossède, il peut s’agir de l’ancien propriétaire ou d’un tiers. Mais il faut que la possession nouvelle soit bien caractérisée et ici, la dépossession ne suffit pas en ce sens qu’elle ne produit pas d’effet interruptif instantané, la dépossession doit durer au moins un an. Parce que l’ancien possesseur dispose pendant ce délai d’un an de la possibilité d’exercer une action possessoire et si son action possessoire est couronnée de succès, alors il aura été censé posséder sans aucune interruption.


* Civile
Elle résulte d’une manifestation du propriétaire ou du possesseur. Ces causes interruptives méritent des précisions supplémentaires à celle des causes d’interruption naturelle.


– Interruption civile sur initiative du véritable propriétaire
C’est aujourd’hui 2243 qui est repris partiellement de 2244 de l’ancien Code civil : « l’interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l’instance, ou si demande est définitivement rejetée ». Une citation en justice même en référé interrompt la prescription ainsi que le délai de forclusion. C’est donc une initiative procédurale. En prenant l’initiative de déclencher une citation judiciaire, le propriétaire manifeste la volonté de faire valoir ses droits.

Mais l’effet ne sera produit que si la situation est irrégulière et utile. Le nouvel article produit son effet dans 3 situations :

En 1er lieu, on fait comme si elle n’existait pas si le demandeur se désiste de sa demande. En quelque sorte, il abandonne son procès. Ce désistement traduit l’incertitude du demandeur. L’interruption est également regardée comme non avenue si le demandeur laisse périmer l’instance. Cette situation est un peu différente de la précédente. L’interruption d’instance est une notion de procédure civile qui repose sur l’idée qu’elle est conduite avec le juge et la participation active des plaideurs surtout. Ces diligences manifestent la volonté de chaque plaideur de voir l’instance aboutir à une sentence de sorte que si les parties n’accomplissent rien, on peut penser qu’elles se désintéressent de leur procès donc on considère qu’au bout d’un certain temps c’est périmé. Ce délai de péremption a deux ans, donc si pendant deux ans, aucune des parties n’accomplie de diligence, il suffira à l’autre partie de soulever la péremption d’instance et si celle-ci est acquise, le procès est terminé et la citation est regardée comme non avenue. La péremption peut avoir des conséquences redoutables si la prescription est acquise pendant le cours de la péremption. Ce mécanisme de la péremption doit être toujours articulé avec celui de la prescription.

3ème cause de caducité : lorsque la demande est rejetée pour quelque cause que ce soit, l’interruption de la prescription est regardée comme non avenue même si le juge déclare dans le dispositif de sa sentence, rendre sa disposition en l’état. Cette pratique qui est tout à fait contraire aux principes fondamentaux car le juge est obligé de juger et il ne juge que de manière définitive donc juge toujours en l’état du dossier qui lui est soumis.


– L’interruption civile par la reconnaissance du défendeur
2240 qui est applicable par renvoi de l’article 2259 : « la prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à sa demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès. Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieur à 6 mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ». Cet article ne vise que la prescription extinctive, libératoire mais 2259 applicable à la prescription acquisitive de sorte que doit être de la reconnaissance du possesseur. Cette reconnaissance doit être exprimée devant le juge du fonds parce qu’elle est judiciaire mais il ne faut pas se méprendre sur son objet. Le défendeur ne reconnaît en aucun cas le bien fondé de la prétention du demandeur. Le défendeur ne reconnaît pas que le demandeur est propriétaire. La reconnaissance ici porte sur le simple fait que le défendeur admet ne pas posséder utilement pour prescrire. Le défendeur admet qu’il n’a pas de possession animo domini. Mais une telle reconnaissance se renferme dans son objet de sorte que le défendeur reste autorisé à invoquer tout autre moyen de défense à une action en revendication : il peut faire valoir qu’il a des titres qui fondent son droit de propriété.

La renonciation par ailleurs est relative, elle ne va produire d’effet qu’à l’égard de celui envers duquel elle est exprimée. Concrètement, cela veut dire qu’il faut supposer un 1er procès en revendication.
L’interruption, sauf lorsqu’elle est non avenue, allonge considérablement la durée de la prescription acquisitive. A côté de cette possibilité d’allonger la prescription acquisitive :


b) La suspension


Ceci n’est pas l’interruption, article 2230 nouveau du Code civil en donne une définition : « la suspension de la prescription en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru ». Comme le disait nos anciens auteurs, la suspension c’est une « dormission », la prescription s’endort. Par l’effet d’une cause de suspension, la prescription ne va plus courir. La suspension est prévue par l’article 2251 (?) du Code civil, elle court contre toute personne a moins qu’elle ne soit une exception établie par la loi. La suspension est en principe légale donc il faut qu’elle soit prévue ce qui s’oppose à la suspension d’origine judiciaire. Les rédacteurs de la réforme n’ont pas compris ce qu’ils écrivaient car ils ont repris dans cette formule celle d’un ancien article du Code 1804 à peu près identique qui avait une signification particulière. Dans l’ancien droit, la suspension était aussi judiciaire et pas que légale. Les juges et parlement d’Ancien Régime s’accordaient le droit en fonction des circonstances de décider que la prescription courrait ou ne courrait pas et maquillaient leur décision sous un adage latin. Un adage signifiant que contre celui qui ne peut agir, la prescription ne court pas « Contra non valentem ». De sorte que la prescription devenait judiciaire et emprunt d’une très grande incertitude. Les rédacteurs ont voulu mettre fin à cet arbitraire et décidaient que la suspension n’existait que dans des exceptions.


On a redécouvert cet adage, donc loi contre JP. Très curieusement, le législateur ne réagit pas de sorte que pendant tout le 19ème siècle, la Cour de cassation a fait application de cet adage mais a enfermé l’application de cet adage dans des bornes très précises. Par exemple, cet adage ne pouvait être invoqué qu’en cas de FM, que lorsque l’on était tout à la fin de la prescription mais pas au début.
Quant en 2008 le législateur reprend la disposition selon laquelle la prescription court sauf dans les exceptions de la loi et l’adage non valentem, cela va permettre au juge de suspendre la prescription sur le fondement de cet adage qui est inscrit dans l’article 2234 du Code civil (« la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ») mais sans pour autant que les règles antérieures apportées par la Cour de cassation à l’application de cet adage ne soit applicable aujourd’hui, de sorte que l’on ne sait pas aujourd’hui si la JP antérieure à 2008 trouvera à s’appliquer pour le nouvel article 2234. A côté de ce sujet d’interrogation, il y a des causes légales de suspension :


* La minorité
Car le mineur est un incapable juridiquement et selon les matières (capacité pénale à partir d’un certain âge quand même). Les majeurs en tutelle, c’est le tuteur qui représente le majeur protégé. La curatelle n’est qu’un régime d’assistance mais ne le mineur ne se fait pas représenter, de même que pour la sauvegarde de justice qui est une mesure d’accompagnement. On le voit bien, c’est parce que la personne est incapable que la prescription est suspendue.


* Entre époux pendant le mariage
La prescription ne court pas, ce qui assure la paix des ménages. Dans le cas contraire, les époux devraient se faire des procès pour l’interrompre. En revanche, après divorce, il n’y a plus de cause de suspension. Sont assimilés aux époux mariés les personnes liées par un pacte civil de solidarité. En revanche, il n’y a pas de suspension entre concubins, le concubinage est un état de non droit.
En dehors de ces cas là, il n’y a aucune cause de suspension sauf application contra non valentem.
La prescription, si elle n’est pas suspendue va conduire à l’usucapion.
C’est un moyen d’intérêt privé, ne peut être relevé d’office par le juge et on ne peut renoncer à une prescription en cours d’acquisition. S’analyserait simplement comme une interruption civile qui ferait donc le cas échéant courir une nouvelle prescription.


2 – Les conditions particulières de la prescription abrégée

Dans le Code napoléon, elle était de 10 ou 20 ans car tout dépendait de la question de savoir si le véritable possesseur habitait dans le ressort de la Cour d’appel dans lequel le bien litigieux était situé. Si le bien était situé dans le ressort de la Cour d’appel dans laquelle le véritable propriétaire élisait domicile, la prescription était de 10 ans, sinon 20 ans. C’est en raison des moyens de communication de l’époque. On ne peut surveiller son bien que si l’on est proche de son bien.


En 2008, pas ce souci donc 10 ans. Mais pour que la prescription abrégée joue, il faut que deux conditions soient remplies. Il faut que le possesseur puisse justifier d’un juste titre c’est à dire qu’il puisse produire un acte translatif de propriété à l’exclusion des actes déclaratifs, qui doit avoir toutes les apparences d’un acte régulier et qui doit être définitif. Ce qui exclue tout titre putatif, c’est à dire un titre qui n’existerait que dans l’imagination du possesseur. Et il faut que le possesseur soit de bonne foi étant précisé que dès lors que le possesseur peut justifier d’un juste titre sa bonne foi est présumée. Si ces deux conditions sont réunies, l’usucapion joue au bout de 10 ans seulement, le possesseur est donc présumé irréfragablement propriétaire.


Enfin, que la prescription soit trentenaire ou décennale elle produit toujours le même effet, le possesseur est réputé propriétaire dès l’origine ce qui valide tous les actes qu’il a pu accomplir sur ce bien.