La présomption d’innocence
Puisque l’on parle de « présomption d’innocence », ce terme laisse entendre que l’on est en présence d’une règle de preuve. Elle n’est pas que cela, car c’est aussi une règle politique caractéristique des régimes libéraux, qui en viennent à envisager la présomption d’innocence à travers l’affirmation d’un droit. La présomption d’innocence c’est l’interdiction d’affirmer qu’une personne est coupable avant qu’elle n’ait été jugée par le tribunal.
La présomption d’innocence est un droit fondamental proclamé comme tel par l’article 11 de la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 novembre 1948, l’article 6 al 2 de la convention européenne de sauvegarder des droits de l’homme du 11 novembre 1950, l‘article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966.
Le principe de la présomption d’innocence implique l’interdiction de l’affirmation de la culpabilité avant tout jugement et fait que la charge de la preuve incombe au procureur de la république (ministère public). Le juge d’instruction en matière pénale va rassembler d’une infraction à la loi pénale sans présumer de la culpabilité.
Il doit rechercher les preuves en respectant les procédures légales et en « instruisant à charge et à décharge », La présomption d’innocence ne cesse qu’en cas de déclaration de culpabilité par un tribunal (et elle ne cesse pas de s’appliquer en cas d’appel).
Chapitre 1. La présomption d’innocence, règle de preuve
Comme toute présomption, elle a pour vertu d’attribuer la charge de la preuve. Plus précisément, elle fait peser la charge de la preuve sur le ministère public. Cela est à l’avantage de la personne mise en cause, du défendeur à l’action publique. La présomption d’innocence est donc une règle purement technique, une règle de preuve. À ce titre, elle est fragile. On peut envisager que cette présomption connaisse des exceptions et qu’elle soit parfois écartée par des présomptions de culpabilité.
Section 1 : Présomption d’innocence et charge de la preuve
Lorsque l’on envisage la présomption d’innocence en tant que règle qui attribue la charge de la preuve, elle signifie qu’il n’appartient pas à la personne mise en cause d’établir qu’elle est innocente. C’est au ministère public de prouver qu’elle est coupable. La jurisprudence considère alors que, lors des poursuites, il revient au ministère public d’établir que l’infraction a été commise. Il doit aussi établir qu’il n’y a pas de preuves de nature à exclure la culpabilité. Le parquet doit donc prouver l’infraction dans toutes ces composantes.
Cette charge peut paraître lourde, mais cela est relatif. La tâche du ministère public est en effet en partie allégée dans la mesure où il peut compter, en phase d’instruction, sur le travail du juge qui est chargé de parvenir à la découverte de la vérité. Le ministère public pourra se fonder sur des preuves que le juge d’instruction aura découvertes.
Le ministère public peut demander au juge d’instruction d’établir tout acte qui paraît nécessaire à la découverte de la vérité. Cette attribution de la charge de la preuve au ministère public n’est pas si lourde car on dirait que le parquet doit apporter des preuves de ce qu’il affirme mais aussi une personne mise en cause qui attend avec le sourire. Dans les faits, la personne mise en cause prend souvent les devants pour établir son innocence.
L’intérêt de la présomption d’innocence se manifeste dans l’hypothèse où il va y avoir un doute sur la culpabilité de l’intéressé. Dire que la charge de la preuve pèse sur le parquet a pour conséquence que si le parquet ne parvient tout au plus qu’à faire naître dans l’esprit du juge un doute, c’est qu’il n’a pas renversé la présomption d’innocence.
Lorsque le juge a un doute sur la culpabilité, il doit proclamer l’innocence, relaxer, acquitter ou rendre une ordonnance de non-lieu. Le doute, en raison de la présomption d’innocence profite à la personne mise en cause. «In dubio pro reo», c’est-à -dire « en cas de doute, il faut trancher en faveur de l’accusé ». C’est dans cette situation de doute que la présomption fait la démonstration de son utilité.
C’est donc une pratique condamnable que celle qui voit des juridictions prononcer une relaxe en précisant qu’elle intervient « au bénéfice du doute ». Cette formule, selon Philippe Conte, n’est pas compatible avec la présomption d’innocence. Ou bien la personne est coupable et on le dit, où elle ne l’est pas et est proclamée innocente. La formule est « détestable ». Le juge devrait relaxer purement et simplement sans aucune allusion à son doute. Le législateur peut, éventuellement, prévoir ces situations intermédiaires, à attacher à l’existence de ce doute la présomption d’innocence, mais pas un juge.
Au stade des enquêtes policières et de l’instruction, la présomption innocence a moins de poids, car ce serait une impasse excessive. En effet, si l’on veut respecter la présomption d’innocence, on mettra en garde à vue un présumé innocent. Au stade de l’instruction, pour qu’une personne soit mise en examen, il faut isoler « des indices graves ou concordant rendant vraisemblable qu’elle a commis les faits dont le juge est saisi ». C’est l’affirmation d’un doute fort, pour la mise en examen. Il n’y a donc pas incompatibilité entre la mise en examen et la présomption d’innocence. À l’issue de l’instruction, pour que la juridiction d’instruction rende une ordonnance de renvoi, il faut que la juridiction d’instruction détermine « des charges constitutives de l’infraction ».
On voit donc que la présomption d’innocence n’est pas l’innocence. La présomption d’innocence n’est pas le tabou auquel veut faire croire le personnel politique ou les journalistes. La conception de la presse de la présomption d’innocence n’a rien à voir avec la notion juridique. Parfois, elle n’existe pas, par un renversement de la charge de la preuve.
Section 2 : Renversement de la charge de la preuve et présomption de culpabilité
Il y a de multiples hypothèses où, en dépit de la présomption d’innocence, le Code de Procédure Pénale ou le Code Pénal mettent sur pied une présomption de culpabilité. On trouve, à cet effet, la présomption de connaissance de la loi pénale. Elle n’est pas spécialement à l’avantage de la personne poursuivie, au contraire. Ce n’est pas au ministère public de prouver que l’on connaissait la loi pénale. Idem pour les faits justificatifs : ce n’est pas au ministère public de le prouver, sauf s’ils sont présumés (la légitime défense, dans certains cas).
La cour de cassation approuve ces présomptions de culpabilité qui ne sont pas incompatibles avec l’article 6§2 de la CESDH. Malgré cet article, un système juridique peut comporter des présomptions de culpabilité qui doivent respecter certaines conditions. Il faut que ces présomptions prennent en compte la gravité de l’enjeu. C’est la règle de proportionnalité. Il faut ensuite que cette présomption de culpabilité soit réfragable.
Ces positions de la Cour de cassation sont purement la reproduction presque littérale des solutions de la CEDH qui a été la première à affirmer que la présomption d’innocence ne s’oppose pas à une présomption de culpabilité. Le Conseil constitutionnel légitime également ces présomptions dans des conditions similaires.
La présomption d’innocence est aussi l’expression d’un droit.
Chapitre 2. La présomption d’innocence, expression d’un droit
Si l’on revient sur la présomption d’innocence dans sa fonction probatoire, elle a pour fonction essentielle une attribution de la charge de la preuve qui pèse sur le ministère public. Si la présomption d’innocence n’est que cela, elle ne sert à rien. En effet, dans un procès pénal, le demandeur est le parquet. Dans tous les systèmes juridiques, la charge de la preuve pèse sur le demandeur : Actori incumbit probatio. La charge de la preuve est attribuée au ministère public de toute façon en dehors de la présomption d’innocence par le jeu normal des règles de preuve.
Cette présomption est inutile sauf à comprendre qu’il y a autre chose que l’attribution de la charge de la preuve. Sa véritable raison d’être serait en effet un fondement politique et non juridique. Cette présomption doit être vue comme une garantie pour les libertés individuelles, une garantie pour le citoyen contre l’arbitraire toujours possible de l’État. Le seul texte parlant de la présomption d’innocence a été la DDHC car les révolutionnaires avaient compris cela.
Article 9 de la DDHC : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »
La présomption d’innocence est à la procédure pénale ce que la légalité criminelle est au droit pénal : une garantie des libertés individuelles . C’est une garantie contre une arrestation arbitraire.
Par une réforme de 1993, on a franchi une étape supplémentaire en faisant de la présomption d’innocence la source d’un droit subjectif qui a son siège dans le Code civil. C’est ici qu’est affirmé le droit au respect de la présomption d’innocence. On est ici loin de questions de preuves. Ce droit a d’autres manifestations que dans le Code civil, des manifestations purement procédurales.
Section 1 : Le droit au respect de la présomption d’innocence
Le siège de ce droit est l’article 9-1 du Code civil. Ce droit au respect de la présomption va s’accompagner de prérogatives. Est visée la personne qui, avant toute condamnation serait présentée comme coupable de faits qui font l’objet d’une instruction ou d’une enquête. Si c’est le cas, un juge peut, même en référé, ordonner l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué pour faire cesser cette atteinte à la présomption d’innocence.
La jurisprudence a eu l’occasion de préciser la signification de ce texte : il est interdit de présenter publiquement une personne comme coupable. La Cour de cassation considère que ce qui est interdit, ce sont des conclusions définitives qui manifestent un préjugé tenant pour acquise la culpabilité. Il en résulte qu’il n’y a pas d’atteinte à la présomption d’innocence si un journaliste fait état de ses doutes sur l’innocence. Il n’y a pas de violation de l’article 9-1 du Code civil si l’on a publié le nom d’une personne mise en examen.
Il est aussi précisé que ce droit s’éteint avec la mort de la personne mise en cause. Ce droit ne se transmet pas aux héritiers. La jurisprudence a enfin du préciser la formule « avant toute condamnation ». La Cour a jugé qu’il faut comprendre « avant toute condamnation irrévocable ». Il en résulte qu’une personne condamnée au premier degré, puis en appel, s’il y a eu un pourvoi, est protégée par l’article 9-1. Cette jurisprudence va ici trop loin car cet article ne vise que les personnes mises en cause durant l’enquête et l’instruction, et non durant le jugement.
On a aussi un intérêt de ce droit lorsque la personne bénéficiera d’un non-lieu. Elle pourra obtenir la publication de la décision de non-lieu ou la publication d’un communiqué afin d’informer le public de l’existence de ce non-lieu.
La troisième prérogative reconnue est celle selon laquelle l’intéressé peut exercer une « action en insertion forcée ». Elle a la possibilité de faire paraître un article dans l’organe qui l’a mis en cause, à la même place et de même caractère typographique que l’article dans lequel la mise en cause s’est produite. Cette action doit être gratuite pour le journal, et le refus d’insertion est une infraction pénale.
À cela s’ajoute qu’indépendamment de cette protection civile qu’est la présomption d’innocence, on ne saurait exclure l’intervention du droit pénal à l’encontre de celui qui la mettrait en cause. Porter atteinte à cette présomption revient à une violation du secret de l’instruction ou une diffamation ou une dénonciation calomnieuse.
Section 2 : Les manifestations procédurales du droit au respect de la présomption d’innocence
On rencontre de nombreuses dispositions dans le Code de Procédure Pénale qui se fondent, même de manière implicite, sur la présomption d’innocence et sur le respect qu’on lui doit. Il s’agit notamment de solutions d’inspiration libérale qui ne peuvent s’expliquer que par le préjugé politique de défendre les libertés individuelles.
On a ainsi l’obligation pour les juridictions répressives de rechercher des preuves défavorables et favorables aux intérêts. L’instruction s’effectue à charge et à décharge selon l’article 81 du Code de Procédure Pénale.
Ce sont également les droits et garanties pour une personne en garde à vue ; le principe selon lequel une personne mise en examen au stade de l’instruction ou un prévenu ou un accusé au stade du jugement, doit toujours être entendue par une juridiction. On veut
éviter qu’une personne ayant prêté serment de livrer la vérité doive choisir de se livrer elle-même ou de se parjurer.
Une solution de la CEDH a prohibé l’auto-incrimination. C’est-à-dire le principe selon lequel nul ne peut être tenu de s’accuser lui -même. La France a ainsi été condamnée parce que ses instances policières avaient fait pression sur une personne soupçonnée pour qu’elle livre elle-même des preuves pour montrer sa culpabilité.
Autre illustration : la règle selon laquelle une personne mise en examen doit pouvoir rester libre. Le placement sous contrôle judiciaire, l’assignation à résidence et la détention provisoire sont des exceptions dérogeant au principe du maintien en liberté. On peut aussi rajouter à la présomption d’innocence la règle de la majorité renforcée devant une cour d’assises : toute décision défavorable à l’intéressé en suppose une. Les trois magistrats professionnels et les neufs jurés doivent prononcer à l’unanimité la culpabilité du mis en examen. Toute décision défavorable supposerait une majorité de 7 voix. Pourtant il faut en réalité une majorité de 8 voix. On a en effet présumé que les trois magistrats seraient systématiquement défavorables à la personne accusée .
On peut rattacher à la présomption d’innocence l’impossibilité de reprendre des poursuites contre une personne qui a été mise hors de cause, même dans l’hypothèse où une erreur judiciaire aurait été commise. C’est l’idée que mieux vaut cent coupables en liberté qu’un innocent en prison.
Chapitre 3 – Le rôle du ministères public
Dans le cadre du procès pénal, la présomption d’innocence engendre plusieurs conséquences juridiques dont la principale réside dans la
nécessité pour le ministère public de démontrer la culpabilité de la personne poursuivie
Le ministère public exerce l’action publique. Il suffit de voir que le ministère public demande la vérité des faits. Il attend ainsi de la juridiction aussi bien de conclure à la culpabilité qu’à l’innocence. Certains auteurs contestent que le ministère public soit ainsi véritablement une partie, car il n’est l’adversaire de personne.
Il faut que le Ministere public n’oublie pas que la personne poursuivie est présumée innocente. Le but du procès pénal est alors de savoir si cette présomption d’innocence correspond à la vérité ou non. À la suite de ces observations, on pourrait considérer une meilleure définition de l’action publique. C’est le pouvoir dévolu au ministère public, de s’adresser à une juridiction répressive pour qu’elle se prononce sur la présomption d’innocence, en la confirmant ou l’infirmant, tantôt au regard des charges qui pèsent sur la personne, tantôt au regard des preuves.
Au fond, l’objet véritable de l’action publique, c’est l’application de la loi pénale, et ce n’est que la demande formulée par le ministère public à la juridiction de le faire. L’article 31 du Code de Procédure Pénale semble être plus satisfaisant, car il dispose que « le ministère public exerce l’action publique et requiert l’application de la loi ». C’est appliquer la loi que de conclure à la culpabilité de la personne lorsqu’elle l’est, aussi bien que de conclure à son innocence si tel est le cas.
Quelle que soit la définition de l’action publique, il ne faut pas la confondre avec des prérogatives différentes du ministère public en réaction à la commission d’une infraction. Outre le déclenchement des poursuites. Le but de ces actions n’est pas la condamnation à une peine ni la vérification du fait que la présomption d’innocence soit pertinente ou non. On peut donner deux illustrations des autres prérogatives du ministère public.
– On trouve la composition pénale. Lorsque le ministère public y recourt, il renonce au déclenchement de l’action publique. Cela n’est pas définitif car il y a une condition : que l’auteur de l’infraction avoue son acte, se reconnaisse auteur de l’infraction, et consente à exercer certaines mesures qui ne sont pas juridiquement des peines. Cela peut être l’obligation de verser une somme.
– On trouve également l’action que le ministère public va exercer après la condamnation devant les juridictions de l’application des peines. Il y a aujourd’hui quatre phases : les poursuites, l’instruction, le jugement, et depuis quelques années, une phase d’exécution des peines avec des juridictions compétentes (juge de l’application des peines et le tribunal de l’application des peines). Ici, le ministère public a une action qui n’est pas l’action publique qui est éteinte par la décision de la juridiction de jugement
On peut dénommer ces actions comme « actions à fin publique ». On voit alors que la définition de l’action publique renvoie à la présomption d’innocence et à la théorie des preuves pénales. Pendant longtemps, cette présomption d’innocence n’a pas été mentionnée dans nos Codes (ni celui de l’instruction criminelle, ni celui de 1958). Sauf à considérer que, d’une certaine manière, le législateur n’estimait pas utile d’insérer des évidences, pensant sans doute que, par la seule existence de ces Codes, le principe de la présomption d’innocence était proclamé en ce que ces Codes ne se pouvaient se comprendre sans elle.
Cette présomption est arrivée avec l’article 6 §2 de la CESDHLF qui proclame cette présomption, de même qu’un article du pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par la France. Si l’on se contente de nos sources internes, la présomption d’innocence a longtemps figuré uniquement à l’article 9 de la DDHC. Ce n’est que récemment que cette présomption est apparue dans un Code, avec l’article préliminaire du Code de Procédure Pénale de 2000. Dans le Code civil, figure un article 9-1 qui proclame le droit au respect de la présomption d’innocence.
La présomption d’innocence signifie qu’une personne sera tenue pour innocente tant que la preuve de sa culpabilité n’aura pas été légalement rapportée . Cette affirmation générale suppose qu’on la développe. Elle dissimule différents aspects. Ce sont ces aspects que l’on examinera. Il faut voir la théorie des preuves.