La preuve de l’existence des personnes physiques par l’acte civil

L’identification de la personne : la preuve de l’existence

Les personnes juridiques étant l’instrument de base du commerce juridique, elles ne peuvent remplir cette fonction qu’autant que leur existence est constante.

Section 1 – pourquoi est-il nécessaire de prouver l’existence des personnes physiques?

Le souci d’une preuve de l’existence des personnes est particulièrement important pour les personnes morales, lesquelles n’ont pas nécessairement un substrat matériel et donc une existence tangible. Il n’est pas négligeable chez les personnes physiques car si elles ont une existence matérielle qui les rend donc naturellement perceptibles, une incertitude affectant leur identité peut rejaillir sur leur existence et faire apparaître le besoin d’une preuve. En outre, la preuve de l’existence des personnes physiques est nécessaire à l’exercice de leur droit d’obtenir des informations sur la réalité de leur identité et les circonstances de leur naissance.

Ces considérations mettent au jour le lien étroit qui unit la preuve de l’existence des personnes à celle de leur état. On ne peut prouver l’existence d’une personne sans que celle-ci ait une identité, car c’est l’identité qui permet de reconnaître les personnes.

C’est pourquoi les mêmes moyens de preuve ont été adoptés pour établir, d’une part la naissance et l’extinction des personnes, d’autre part les différents éléments constitutifs de l’état.

Dans un souci de certitude, il est apparu nécessaire de préconstituer la preuve. Il n’y a donc pas de liberté de la preuve en matière d’existence et d’état des personnes ; en ce domaine, la preuve est légale et prend une forme littérale. Pour jouir d’un supplément de crédibilité, son établissement est entouré de formes, l’acte contenant les informations relatives à l’existence et à l’état des personnes devant être authentique ou faire l’objet d’un dépôt auprès de l’autorité publique.

La preuve de leur existence et de leur état permet aux personnes de justifier de leur identité dans la vie juridique. Mais elle ne parvient pas à satisfaire à elle seule le besoin d’information des tiers. La sécurité du commerce juridique requiert que ceux-ci puissent s’assurer par eux-mêmes de la réalité et de l’identité de la personne avec laquelle ils sont susceptibles de traiter. Dans l’intérêt général, l’autorité publique a donc institué des services de publicité de l’existence et de l’état des personnes.

Il existe entre ces services et ceux qui sont chargés de recueillir les actes intéressant l’état et l’existence des personnes des liens fonctionnels évidents, ce qui explique que, dans certains cas, un seul et même service assure et la publicité et la conservation des preuves de l’état et de l’existence des personnes. Cette unicité peut être tout particulièrement constatée chez les personnes physiques.

Le service chargé de la preuve et de la publicité de l’état et de l’existence des personnes est dénommé service de l’état civil. Civil, il l’est en raison de l’abandon du caractère religieux du service qui, sous l’Ancien Régime, assurait la conservation de l’état des personnes. La Révolution a affirmé la laïcité de l’enregistrement des naissances, mariages et décès en conférant un caractère constitutionnel à ce principe. Le décret de 20-25 septembre 1792 institua l’état civil, confiant à l’autorité municipale la charge de tenir les registres d’état civil.

La rédaction et la conservation des actes de l’état civil est assurée par des officiers publics exerçant leur fonction sous l’autorité du pouvoir judiciaire. Il ne s’agit pas d’officiers ministériels, mais de membres de l’autorité administrative, les maires et leurs adjoints auxquels la loi confie des attributions judiciaires

A l’étranger, les actes de l’état civil sont reçus par les agents diplomatiques et consulaires. Les officiers de l’état civil n’assument pas leur tâche écrasante seuls ; ils délèguent la plus grande partie de leurs fonctions probatoire et publicitaire au personnel communal, qui agit sous leur contrôle et sous leur responsabilité. Ils répondent de leurs fautes sur un fondement délictuel, notamment en cas de faux et d’absence de registre et même du fait d’autrui en cas d’altérations, le tout sans préjudice des poursuites pénales et disciplinaires auxquelles leur comportement fautif les expose.

Dans le cas où la preuve de l’état n’a pas été préconstituée initialement, elle doit l’être a posteriori au moyen d’une décision de justice. Si l’absence d’acte est imputable à une défaillance du service de l’état civil, le tribunal de grande instance rend un jugement supplétif de l’état civil. Si elle est due à une absence de déclaration, à une déclaration tardive ou à une impossibilité d’instrumenter en raison de l’incertitude de l’état, il rend un jugement déclaratif de l’état civil. Les juges du fond apprécient souverainement. Ces décisions sont transcrites sur les registres de l’état civil pour jouer le rôle d’une preuve préconstituée et bénéficier de la publicité des actes de l’état civil.

Autant pour pourvoir à la preuve extrajudiciaire de son état dans l’attente d’un jugement que pour administrer la preuve judiciaire de celui-ci dans l’instance en déclaration d’état, l’intéressé peut obtenir un acte de notoriété du juge du tribunal d’instance constatant son état tel qu’il résulte de la commune renommée, mode archaïque d’établissement de l’état des personnes. Ce moyen de preuve peut être utilisé quand les registres de l’état civil sont perdus ou détruits ou dans le cas où une personne désirant se marier se trouve dans l’impossibilité de produire une preuve instrumentaire de son état.

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Les officiers de l’état civil ne sont pas seulement les officiers instrumentaires de l’existence et de l’état des personnes ; ils en assurent en outre la publicité).

Section 2 – La preuve de l’existence et de l’état des personnes physiques

La preuve de l’existence et de l’état des personnes physiques n’est pas libre, mais légale. Elle ne peut être rapportée par tous moyens que dans des cas exceptionnels. En principe, elle doit être administrée par titre ou par la possession.

§ 1 – La preuve par titre

La preuve de l’existence et de l’état d’une personne physique est faite par la production d’actes instrumentaires dans lesquels ont été consignés les événements relatifs à son existence et les éléments de son état. Cette exigence est liée au souci d’établir de manière certaine et opérationnelle les données juridiques du sujet. Pour renforcer la sécurité de l’état, institution d’ordre public, la loi exige en outre que l’acte instrumentaire soit établi en la forme authentique, ce qui en accroît les garanties de sincérité et de conservation. Grâce à des règles strictes d’établissement et de production, ces actes jouissent d’une importante force probante.

I – L’établissement des actes de l’état civil

A – Règles générales d’établissement

L’officier de l’état civil rédige les actes relevant de son ministère à la maison commune, en présence des déclarants et des témoins quand la loi prévoit leur présence. Si l’acte est un negotium, c’est son auteur qui doit comparaître. La représentation est possible ; elle requiert un pouvoir spécial établi par acte authentique1. L’acte est rédigé en français.

La conservation de l’état des personnes requiert une fiabilité du support instrumentaire. Si la conservation et la délivrance des actes de l’état civil peuvent être assurées par des procédés automatisés, cette méthode ne dispense pas de la rédaction des actes sur support papier, laquelle demeure la règle. La rédaction peut être manuscrite ou automatisée.

La fiabilité de la date des actes est assurée par l’obligation de rédiger les actes à la suite sur des registres. Mais cette obligation est assouplie par la faculté offerte aux officiers instrumentaires d’utiliser des feuillets mobiles numérotés et timbrés ou cotés et paraphés par le juge du tribunal d’instance sous réserve de procéder à leur reliure.

Le contenu de l’acte varie selon son objet, des règles particulières gouvernant l’établissement des actes de naissance, des actes de reconnaissance d’enfant naturel, des actes de mariage et des actes de décès. Des principes sont communs à tous les actes de l’état civil. L’officier instrumentaire ne doit consigner dans l’acte que ce qui lui est déclaré sans prendre en compte une autre source de renseignement. Pour préserver l’intimité de la vie privée et prévenir les discriminations, il ne doit inclure dans l’acte que les mentions autorisées par la loi. En cas de mention superflue, une action en rectification peut être engagée.

Après lecture, l’acte est signé par les intervenants, puis par l’officier de l’état civil

B – Rectification

Lorsqu’un acte de l’état civil comporte une erreur ou une omission, il ne peut y être remédié par l’officier de l’état civil dès lors que l’acte a été clôturé par sa signature. Il n’y a matière à inscription de faux qu’en cas de fraude de sa part. Si intervention du juge il y a, elle se fait sur un mode réparateur : comme il a lui-même le pouvoir de déclarer l’état, le tribunal peut, a fortiori, en rectifier l’expression instrumentaire. En cela, cet office se différencie fondamentalement de celui que constituent les jugements statuant sur les actions d’état, qui sont des jugements tranchant le fond du droit sur une question d’état.

Il en résulte que la rectification donne lieu à des formes de procéder légères. Elle est ordonnée par le président du tribunal de grande instance dans le cadre d’une procédure gracieuse. Elle peut même être ordonnée par le procureur de la République dans l’exercice de son pouvoir de tutelle sur les officiers de l’état civil lorsque l’erreur ou l’omission a un caractère purement matériel. On parle alors de rectification administrative. Cette forme de rectification peut être adoptée notamment pour les erreurs sur le sexe, le domicile ou la profession, les erreurs d’orthographe ou altérations affectant la mention du nom et les mentions non autorisées par la loi.

L’action peut être exercée par tout intéressé et notamment par la personne dont l’état civil est incomplet ou inexact et par l’officier de l’état civil. Le procureur de la République est recevable à agir, car l’état des personnes intéresse l’ordre public. Il est même tenu d’agir quand l’erreur ou l’omission porte sur une indication essentielle de l’acte.

C – Sanctions

Le formalisme instrumentaire est normalement sanctionné par la nullité lorsque la règle qui n’a pas été respectée est substantielle. Mais la matière des actes de l’état civil est avare de nullités car cette sanction a des conséquences graves en ce qu’elle prive une personne de la preuve de son état. La loi ne prévoit guère de nullités qu’en matière d’acte de mariage : absence de l’une des parties, incompétence de l’officier de l’état civil et défaut de publicité de la célébration. Doivent également être considérés comme substantiels la qualité d’officier de l’état civil de la personne qui instrumente, la rédaction de l’acte sur un registre et la formalité de la signature. La nullité est également encourue lorsqu’un acte de l’état civil n’avait pas lieu d’être établi, soit que l’acte ait déjà été reçu, soit qu’il constate un fait inexistant ou totalement inexact, l’authenticité au sens matériel étant ici en défaut.

En raison des inconvénients qui s’y attachent, l’annulation est évitée autant qu’il se peut. Tout d’abord en faisant obstacle à l’action en nullité, par exemple en objectant l’absence de grief lié au fait que l’irrégularité n’affecte pas la force probante de l’acte. Dans cet esprit, la loi elle-même déclare irrecevables les actions en nullité de mariage dans le cas où les parties ont la possession d’état d’époux. Ensuite, en permettant et en organisant la régularisation de l’acte. La jurisprudence admet qu’un acte non signé puisse être régularisé en justice. La loi œuvre dans le même esprit en étendant la procédure de rectification qui, en bonne logique, ne concerne que les erreurs, aux omissions. La rectification est étendue par la pratique judiciaire aux mentions illicites.

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II – La production des actes de l’état civil

Les actes de l’état civil sont destinés à servir de preuve préconstituée de l’état des personnes. En conséquence, ils sont conservés par l’officier de l’état civil à cette fin et sont tenus par lui à la disposition des intéressés. Le public ne peut en faire usage ; il ne peut que prendre connaissance des informations qui s’y trouvent consignées. Seule la personne concernée peut accéder aux actes instrumentaires en vue d’en faire usage, sous quelques exceptions limitatives. La raison en est qu’il est nécessaire de sauvegarder la confidentialité des informations qui ne sont pas indispensables à la publicité de l’existence et de l’état des personnes. Hormis le titulaire de l’état et ses héritiers, peuvent accéder aux actes de naissance, de reconnaissance et de mariage le procureur de la République, gardien de l’état des personnes, le greffier du tribunal d’instance, pour l’établissement des certificats de nationalité et la proche famille : descendants, ascendants, et conjoint. Tout intéressé peut obtenir la copie d’un acte de décès. Pour les autres actes, une dérogation peut être demandée au procureur de la République et, en cas de refus, au président du tribunal de grande instance.

Comme les autres officiers instrumentaires, l’officier de l’état civil ne communique pas les originaux de ses actes, qu’il conserve en minutes, et ne délivre que des expéditions ; nul ne peut exiger la production de l’original. Il en va de la sécurité de la conservation de l’état des personnes. Outre les copies, l’utilisation des actes de l’état civil peut prendre la forme d’extraits ampliatifs.

III – La force probante des actes de l’état civil

Les actes de l’état civil sont des actes authentiques. Ils font donc foi jusqu’à inscription de faux et ne sont pas exposés à un désaveu d’écriture ou de signature comme le sont les actes sous seing privé. Cependant, la vigueur de cette force probante doit être relativisée. Toutes les énonciations de l’acte ne sont pas authentiques ; seules celles relatant ce que l’officier instrumentaire a constaté, vu ou entendu ont ce caractère. Par ailleurs, l’inscription de faux n’est admise que de manière exceptionnelle au profit d’un large pouvoir de rectification.

Les copies délivrées par l’officier de l’état civil ont la même force probante que les originaux, lesquels ne sont pas, dans un souci de conservation, communicables.

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Les mairies remettent en outre aux intéressés des livrets de famille, fascicules portatifs constitués d’une compilation de copies et d’extraits d’actes de l’état civil. Sous réserve d’être tenus à jour par l’officier de l’état civil, ces documents ont la même force probante que les actes de l’état civil.

§ 2 – La preuve par la possession

I – Place de la possession dans la preuve de l’état

L’état des personnes peut, telle une chose, être objet de possession en raison de sa commercialité relative. La possession a même vocation à jouer un rôle privilégié en la matière du fait de la dimension sociale de l’état, lequel n’est autre que l’identité civile, donc une relation à autrui, élément caractéristique de la possession. Comme à l’égard des choses, elle comporte un corpus et un animus. Le corpus consiste dans l’usage d’un état, qui se trouve, de la sorte, attribué à une personne de manière factuelle. Il ne résulte pas d’actes matériels, bien sûr, mais d’une appréhension factuelle de l’état, constituée par un comportement qui accrédite que la personne a un état déterminé, confirmé par la notoriété qui s’attache à la réalité de cet état. L’animus consiste dans la croyance qu’a le sujet d’avoir tel état, la volonté n’ayant pas, contrairement à celui qu’elle joue dans la possession des choses, un rôle à remplir en raison des restrictions dont fait l’objet la disponibilité de l’état.

Comme en droit commun, la possession assure en matière d’état un double rôle, à la fois probatoire et acquisitif. Elle permet de présumer l’existence d’un état et, au bout d’un certain temps, d’en provoquer en tant que de besoin l’acquisition. Comme mode de preuve, elle a un rôle non négligeable. La preuve par titre lui est préférée en raison de son caractère préconstitué alors que la possession d’état est par nature contentieuse. Mais elle n’en est pas moins un mode de preuve apprécié parce que, correspondant à la réalité vécue, elle présente des garanties de crédibilité importantes, voire supérieures à celles des actes instrumentaires, lesquels sont le plus souvent établis sur la foi de simples déclarations. La possession s’épanouit pleinement en matière de filiation, où le législateur lui a reconnu un rôle privilégié au point d’instituer un mode d’établissement instrumentaire et, partant, publiable, de la possession d’état d’enfant1. Elle joue un rôle limité en matière de mariage où elle ne peut, par définition, suppléer un acte de mariage inexistant, mais les enfants peuvent se prévaloir de la possession d’état d’époux de leurs père et mère afin d’établir leur légitimité1.

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De même, le nom possédé ne peut rivaliser avec le nom qui résulte du titre pour des raisons d’ordre public, mais l’usage est pris en compte en cas de changement de nom ou de prénom. Si l’on inclut le domicile dans l’état, l’usage n’a plus à son égard l’importance qu’il avait dans l’ancien droit mais est toujours présent à travers la fonction que remplit l’habitation réelle dans l’établissement du domicile.

II – Régime

A l’instar du droit commun, la possession ne remplit sa fonction probatoire en matière d’état qu’à la condition d’être utile, c’est-à-dire d’avoir certaines qualités qui en font une possession civile. La possession d’état doit être dépourvue d’équivoque, continue, publique et régulière. A défaut, elle n’est pas probante, ce qui en fait un mode de preuve aléatoire au regard de la preuve instrumentaire.

Sa force probante est celle d’un fait ; autrement dit, il s’agit d’une présomption. Cette présomption est simple, sauf quand la possession prolongée a permis de prescrire l’état ; elle souffre donc la preuve contraire, le juge appréciant souverainement la valeur des preuves en présence. Elle peut entrer en conflit avec les actes de l’état civil, sous réserve de ne pas contredire des mentions ayant valeur authentiques, mentions qu’il n’est possible de combattre que par l’hypothétique voie de l’inscription de faux. Sauf le cas où la possession ne peut pas faire échec au titre, le juge évalue la force de chacune des preuves et retient celle qui lui paraît la plus convaincante. En général, la possession d’état et le titre sont concordants, en sorte que l’une vient conforter l’autre.