La preuve littérale ou écrit, un mode de preuve parfait
La preuve littérale, ou preuve par écrit, est un mode de preuve privilégié en droit civil, car elle offre une valeur objective et durable. Elle constitue une preuve préconstituée, c’est-à-dire qu’elle existe indépendamment du litige et conserve sa valeur avec le temps. Pour certaines actions, la loi impose l’utilisation d’un écrit à des fins probatoires, ce qu’on appelle l’écrit ad probationem, distinct de l’écrit ad validitatem, requis pour la validité même de l’acte juridique.
L’écrit est un mode de preuve parfaits : Les modes de preuve parfaits sont des éléments de preuve qui, en principe, sont admissibles en toute matière et qui s’imposent au juge, le privant de son pouvoir d’appréciation. Parmi ces modes de preuve parfaits, l’acte authentique occupe une place particulière en raison de sa force probante élevée, telle que définie à l’article 1369 du Code civil.
A. La notion d’écrit
L’article 1365 du Code civil définit l’écrit comme une « suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quel que soit leur support ».
L’écrit, un mode de preuve parfait?
L’écrit joue un rôle central dans le droit civil, car il est considéré comme le mode de preuve idéal. Il s’agit d’une preuve préconstituée, ayant une valeur objective et durable, qui ne se détériore pas avec le temps. Pour certaines demandes, la loi exige un écrit ad probationem, c’est-à-dire un écrit qui sert exclusivement à prouver un acte juridique. Cela ne doit pas être confondu avec l’écrit ad validitatem, qui est requis pour la validité même de l’acte juridique.
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Dans ce contexte, l’écrit représente l’instrumentum, ou le support physique qui formalise l’acte juridique (le negotium) convenu entre les parties. Traditionnellement, les rédacteurs du Code civil envisageaient l’écrit sous sa forme matérielle, c’est-à-dire un document papier signé.
L’écrit électronique
Cependant, avec les avancées technologiques et la transposition de directives européennes, le législateur français a intégré, avec la loi du 13 mars 2000, le concept d’écrit électronique dans le Code civil. Cela a considérablement élargi la définition de l’écrit, qui n’est plus limité au papier mais comprend également les supports numériques.
Depuis cette réforme, l’article 1365 du Code civil définit l’écrit comme une « suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tout autre signe ou symbole dotés d’une signification intelligible, quel que soit leur support ». Par conséquent, des éléments tels qu’un courriel ou une capture d’écran sont considérés comme des écrits selon cette définition. Toutefois, ces écrits n’entrent pas dans la catégorie des modes de preuve parfaits sans une signature électronique sécurisée, comme précisé à l’article 1367 du Code civil.
La signature : une condition essentielle
Pour que l’écrit soit considéré comme un mode de preuve parfait, il doit être assorti d’une signature, qu’elle soit manuscrite ou électronique. La signature est cruciale pour garantir la validité et la force probante de l’écrit. Elle remplit deux fonctions essentielles :
- Identification de l’auteur : La signature permet d’authentifier la personne qui l’appose.
- Consentement des parties : Elle exprime l’acceptation des termes de l’acte par les parties concernées.
Ainsi, tout document rédigé, qu’il soit en format papier ou électronique, n’acquiert une véritable valeur juridique qu’à partir du moment où il est dûment signé.
B. Les formes principales d’écrit
Il existe deux principales catégories d’écrits parfaits : l’acte authentique et l’acte sous signature privée (anciennement appelé acte sous seing privé), prévus à l’article 1364 du Code civil. Chacun présente une force probante différente.
a. L’acte authentique
L’article 1369 du Code civil définit l’acte authentique comme un acte rédigé par un officier public (notaire, huissier, greffier, etc.) et signé par ce dernier ainsi que par les parties concernées.
L’acte authentique est un écrit qui bénéficie d’une valeur juridique supérieure du fait qu’il est rédigé et signé par un officier public. Ce statut spécial est attribué à l’acte authentique en raison de la qualité de son signataire, qui confère à ce document une plus grande fiabilité que l’acte sous signature privée. Cela rend l’acte authentique plus difficile à contester.
Qui peut rédiger un acte authentique ?
L’acte authentique est rédigé par différentes catégories d’officiers publics :
- Notaires pour les actes privés, tels que les contrats de vente immobilière.
- Officiers d’état civil pour les actes de naissance, mariage, et décès.
- Huissiers de justice pour les actes extrajudiciaires, tels que les significations d’actes.
- Greffiers pour les actes judiciaires.
C’est la signature de l’officier public qui confère à l’acte son caractère authentique et sa force probante. Deux points majeurs illustrent la force de l’acte authentique :
- Force probante : L’acte authentique fait pleine foi jusqu’à inscription de faux (article 1371 du Code civil). Cette procédure implique qu’une partie doit prouver que le notaire a commis une erreur ou a fait une déclaration mensongère pour invalider l’acte. Cette force probante couvre principalement la date de l’acte et les constatations matérielles effectuées par l’officier public. Quant au contenu, seules les constatations faites personnellement par l’officier public font foi jusqu’à inscription de faux.
- Force exécutoire : L’acte authentique est directement exécutoire, ce qui signifie que les droits et obligations qu’il contient peuvent être exécutés de force sans avoir à saisir un tribunal. Par exemple, si un acte authentique comporte une obligation de paiement, le créancier peut, en cas de défaut, procéder directement à l’exécution forcée sans besoin d’obtenir un jugement.
Si un acte authentique présente un vice de forme, il perd son statut et est rétrogradé au niveau d’un acte sous signature privée, réduisant ainsi sa force probante.
Ainsi, l’acte authentique se distingue par sa capacité à lien le juge et à garantir une exécution immédiate, le rendant presque incontestable sauf par le biais de la procédure d’inscription de faux.
Si l’acte authentique contient un vice de forme, il sera dégradé au rang d’acte sous signature privé.
b. L’acte sous signature privée
L’acte sous signature privée est un acte rédigé par des particuliers et signé par eux. Il n’a pas la même force probante que l’acte authentique, mais fait tout de même foi jusqu’à preuve du contraire, qui doit être apportée par un autre écrit (principe de correspondance des formes).
Définition de l’acte sous signature privée
L’acte sous signature privée est un document rédigé et signé par des particuliers sans l’intervention d’un officier public. Cet acte engage les parties, mais sa force probante est inférieure à celle de l’acte authentique. En principe, il ne requiert aucune formalité particulière, mais il existe deux exceptions majeures qui imposent des règles spécifiques pour que l’acte soit considéré comme un écrit parfait :
- Contrats synallagmatiques (obligations réciproques)
Lorsqu’un acte sous signature privée contient des obligations réciproques entre les parties, comme un contrat de vente, il est soumis à la formalité du double original. Selon l’article 1375 du Code civil, il doit être établi autant d’originaux qu’il y a de parties ayant des intérêts distincts, et chaque original doit mentionner le nombre d’exemplaires produits. Si cette formalité n’est pas respectée, l’acte n’aura pas la qualité d’écrit parfait, mais pourra constituer un commencement de preuve par écrit, ce qui affaiblit sa force probante. - Engagement unilatéral de payer
Lorsqu’un acte contient un engagement unilatéral de payer une somme d’argent ou de livrer des biens fongibles, le débiteur doit indiquer le montant dû en toutes lettres et en chiffres (article 1376 du Code civil). En cas de différence entre les deux, c’est la somme écrite en toutes lettres qui prévaut. Si cette formalité n’est pas respectée, l’acte ne sera pas considéré comme un écrit parfait mais comme un commencement de preuve par écrit, ouvrant la possibilité de compléter la preuve par d’autres modes de preuve imparfaits.
Force probante de l’acte sous signature privée
L’acte sous signature privée a valeur de preuve jusqu’à preuve du contraire, c’est-à-dire qu’il est présumé authentique, sauf si la partie adverse présente un autre écrit pour prouver le contraire, afin de maintenir une correspondance des formes dans l’administration de la preuve.
L’acte contresigné par un avocat
Depuis l’ordonnance de 2016, l’article 1374 du Code civil prévoit une catégorie spécifique d’actes sous signature privée : l’acte contresigné par un avocat. Cet acte bénéficie d’une force probante particulière, car l’avocat engage sa responsabilité professionnelle en certifiant que l’acte est conforme à la loi et qu’il a informé les parties de ses implications. Ses avantages incluent :
- Pleine foi de l’écriture et de la signature des parties.
- Dispense de mentions manuscrites parfois requises pour attirer l’attention de la partie la plus vulnérable.
Cependant, contrairement à l’acte authentique, l’acte contresigné par un avocat n’a pas de force exécutoire, ce qui signifie qu’il ne permet pas de recourir directement à l’exécution forcée des obligations qu’il contient sans passer par un jugement.
Les copies et leur force probante
Avant l’ordonnance de 2016, la force probante de l’acte sous signature privée était liée uniquement à l’original, et les copies n’avaient pas de valeur équivalente. Depuis, l’article 1379 du Code civil prévoit que les copies fiables peuvent avoir la même force probante que l’original. La fiabilité de la copie est toutefois laissée à l’appréciation du juge, mais cet assouplissement facilite grandement la gestion et l’utilisation des copies, notamment dans un cadre électronique.
c. Les copies, un mode de preuve parfait?
L’ordonnance de 2016 a apporté des clarifications importantes concernant la valeur probante des copies, en introduisant un nouveau cadre juridique dans l’article 1379 du Code civil. Ce texte pose le principe selon lequel une copie fiable peut avoir la même force probante que l’original, ce qui constitue une avancée majeure dans l’utilisation des documents en droit civil, en particulier pour faciliter la dématérialisation et l’archivage électronique.
Principes clés de l’article 1379
- Égalité de force probante : L’ordonnance établit pour la première fois un principe d’équivalence entre la copie fiable et l’original. Cela signifie que, sous certaines conditions, une copie peut être utilisée en justice avec la même valeur probante qu’un original, sans nécessiter la présence de ce dernier.
- Fiabilité présumée : Pour que la copie soit reconnue comme fiable, elle doit respecter certains critères, mais la fiabilité est présumée à certaines conditions. Cette présomption renforce l’application du principe d’égalité et facilite l’utilisation des copies dans la pratique, en particulier lorsqu’il est difficile ou impossible de présenter l’original.
Conséquences pratiques
L’une des nouveautés majeures de cette ordonnance est qu’il n’est plus nécessaire de conserver l’original pour que la copie ait la même force probante. Auparavant, la présence de l’original était indispensable pour valider une copie en justice, mais cette exigence a été supprimée, sauf si l’original subsiste et qu’il est demandé par le juge.
Dans le cadre de cette réforme, les auteurs de l’ordonnance ont clairement exprimé leur volonté de faciliter la gestion et l’archivage numérique, en favorisant la dématérialisation des documents. Cela permet de rendre les procédures plus flexibles et d’éviter de recourir systématiquement aux documents physiques.
Appréciation du juge
Cependant, la fiabilité d’une copie reste soumise à l’appréciation souveraine du juge, qui peut évaluer la qualité de la copie en fonction des circonstances. Si une copie est jugée non fiable, elle ne bénéficiera pas de la même force probante que l’original. Cette appréciation dépend notamment des moyens techniques utilisés pour produire la copie, ainsi que de l’authenticité et de l’intégrité du document tout au long du processus de copie.
Résumé sur les différentes formes de preuves littérales
Type d’écrit | Définition | Caractéristiques | Force probante |
---|---|---|---|
|
Rédigé et signé par un officier public | Force exécutoire, difficile à contester | Supérieure, fait foi jusqu’à inscription de faux |
|
Rédigé par des particuliers, signé par eux | Nécessite parfois des formalités (double original, montant en lettres) | Moins forte, contestable avec preuve contraire |
|
Acte signé et validé par un avocat | Engage la responsabilité de l’avocat, dispense certaines formalités | Force moyenne, sans exécution forcée directe |
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Correspond à des documents numériques valides avec signature électronique | Nécessite une signature électronique sécurisée pour avoir la même valeur qu’un écrit papier | Forte si signé électroniquement |
|
Copie d’un document original | Fiabilité à prouver pour avoir la même force qu’un original | Équivalente à l’original sous certaines conditions |
Questions fréquentes sur les modes de preuve parfaits : écrit, aveu, serment
Qu’est-ce qu’un mode de preuve parfait ?
Un mode de preuve parfait est une preuve qui lie le juge, c’est-à-dire que le juge n’a pas la liberté d’en apprécier la valeur. Une fois présentée, cette preuve s’impose et détermine l’issue du litige. Elle est considérée comme suffisamment fiable pour trancher la question sans que le juge puisse la remettre en cause.
Quels sont les principaux modes de preuve parfaits en droit civil ?
Les principaux modes de preuve parfaits en droit civil sont l’écrit, l’aveu judiciaire et le serment décisoire. Ces preuves s’imposent au juge, qui est contraint de les accepter et de tirer les conséquences juridiques de leur présentation.
Qu’est-ce que la preuve littérale (ou l’écrit) ?
La preuve littérale, ou l’écrit, est une preuve constituée d’un document écrit ou électronique. Elle est souvent exigée pour prouver des actes juridiques en droit civil. L’écrit peut être un acte sous signature privée ou un acte authentique, ce dernier ayant une force probante supérieure. Il s’agit d’un mode de preuve parfait qui lie le juge.
Quelle est la différence entre un aveu judiciaire et un aveu extrajudiciaire ?
Un aveu judiciaire est une reconnaissance faite en justice par une partie contre ses propres intérêts. Cet aveu a une force probante très élevée et lie le juge. En revanche, un aveu extrajudiciaire est une reconnaissance faite en dehors du cadre judiciaire. Sa force probante dépend de sa forme (écrite ou verbale) et ne lie pas de manière aussi contraignante le juge.
Qu’est-ce que le serment décisoire ?
Le serment décisoire est une déclaration solennelle faite par une partie dans un litige, sous serment, pour confirmer la véracité de ses affirmations. Il met fin à la contestation et lie le juge, qui doit alors trancher en faveur de la partie ayant prêté serment, quelle que soit sa conviction personnelle.
Que se passe-t-il si une partie refuse de prêter serment décisoire ?
Si une partie refuse de prêter serment décisoire après qu’il lui a été déféré, elle perd automatiquement le procès. Ce mode de preuve a une force telle que le refus de se soumettre au serment entraîne une décision en défaveur de la partie récalcitrante.
Le serment décisoire peut-il être reporté à l’autre partie ?
Oui, la partie à qui le serment est déféré peut décider de référer le serment à son adversaire, en lui demandant de prêter serment à son tour. Si l’adversaire accepte et prête serment, il remporte le procès.