La preuve pénale : liberté et légalité de la preuve

La théorie des preuves pénales :

Principe de liberté de la preuve pénale et de sa légalité

La théorie des preuves pénale est le prolongement naturel de la présomption d’innocence. Ce problème de la preuve dans le procès pénal est d’une importance fondamentale. Tout tourne autour de l’administration de la preuve.

Strictement envisagée, cette théorie pose deux questions complémentaires. La théorie des preuves pose le problème des modes de preuves admissibles. Cela pose aussi la question de l’appréciation de leur force probante. Que vaut la preuve pour le juge ? La réponse est toujours celle de la liberté de la preuve. Il faut également se demander la façon dont les preuves peuvent être recherchées et administrées.

Chapitre 1. Le principe de la liberté de la preuve

Quand on parle de la liberté de la preuve, on parle de la liberté des preuves admissibles, ainsi que la liberté pour le juge d’en tirer les conclusions qu’il veut. C’est une liberté à tous les étages.

Section 1 : Liberté et mode de preuve

On regarde l’article 427 du Code de Procédure Pénale qui dispose en son alinéa premier que, « hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction ». Cet article 427 pose alors le principe de la liberté des preuves, entendu comme la liberté des modes de preuve.

Quels sont alors les modes de preuve ? Ils sont l’indice, la preuve littérale, puis vient le témoignage et enfin l’aveu.

  • 1. L’indice

Cette catégorie de l’indice est traitée de façon discrète. Elle se définit moins par son contenu (qu’est-ce qu’un indice au fond ?) que par l’opération intellectuelle qu’on lui rattache. L’indice autorise en effet une présomption. On peut alors le présenter comme tout ce qui, sans fournir une preuve immédiate, rend possible le fait recherché.

Cela vient du latin index qui signifie « qui indique ». Il rend possible le fait que l’on recherche et c’est cette possibilité qui va permettre de présumer que ce fait existe. Puisque l’indice le rend possible, on présume que le fait existe. Tout peut ainsi être indice. On pourrait même dire que ce mode de preuve absorbe tous les autres. Cette présomption autorisée par l’indice va être laissée à l’appréciation du juge.

  • 2. La preuve littérale

L’écrit prévaut ici même s’il prévaut moins qu’en droit civil. Cela peut être un rapport ou un procès-verbal qui se distinguent par la qualité de leurs auteurs. Les procès-verbaux émanent des officiers de police judiciaire, alors que les rapports sont des écrits qui ont pour auteurs les agents de police judiciaire adjoints . Les deux ont le même objet qui est de constater les infractions.

Pourquoi alors cette différence ? Car le formalisme exigé pour les PV est plus strict que pour les rapports. Les PV obéissent à des conditions de forme précises, dont la régularité conditionne la validité du PV. Il faut la date et la signature de l’agent, ce qui permettra de vérifier sa compétence.

  • 3. Le témoignage

Le témoignage, au sens strict, est une notion juridique étroite. C’est une déclaration faite devant un juge, sous la foi du serment. La déclaration devant un officier de police judiciaire n’est donc pas un témoignage. Il est inutile d’insister sur sa fragilité et sa faiblesse.

Certains témoins sont malhonnêtes, d’autres distraits et ont tous des souvenirs qui s’estompent avec le temps. Pour éviter les difficultés, le législateur considère que la qualité de témoin peut être incompatible avec d’autres pour un risque de partialité. Ainsi, la partie civile ou la personne poursuivie pour éviter qu’elle soit sous serment ne peuvent être témoins.

On a aussi un système d’incapacité : l’exclusion de la qualité de témoin pour certaines personnes censées être inaptes à apporter un témoignage crédible. Par exemple, les mineurs de 16 ans, compte tenu de leur âge. Ces incapacités ne valent pas au stade de l’instruction, car un juge de l’instruction peut entendre toute personne. Ensuite, même les personnes vues comme incapables peuvent être entendues par la juridiction non pas comme témoin mais à titre de simple renseignement.

Ce témoin n’a que des obligations, car il doit comparaître, déposer et ceci à peine de sanction pénale. On a des sanctions pénales sauf exception : le devoir de parler qui pèse sur ce témoin et le devoir de se taire qui peuvent par exemple entrer en conflit en raison de sa profession. Ainsi, un médecin est tenu de comparaître mais une fois présent devant le tribunal, il peut refuser de déposer sans encourir une sanction pénale. Si le témoin ment, il sera coupable de faux témoignage. Si l’on exerce des pressions sur un témoin, c’est une infraction de subornation de témoin. Il s’agit de garantir, sinon la vérité, au moins la sincérité du témoignage.

  • 4. L’aveu

Si le témoignage est fragile, que dire de l’aveu ? Il y a toutes sortes de raisons qui peuvent amener une personne à avouer. Elle peut avouer car elle est coupable, parce qu’elle souffre de troubles psychologiques, parce qu’elle est lasse. Certaines personnes s’accusent pour sauver le vrai coupable ou pour faire parler d’eux, ce sont les aveux de jactance.

En raison de sa fragilité, l’aveu en matière pénale, est un mode comme un autre. La pratique continue de lui apporter un poids trop important. Le fait que les avocats soient présents pourrait obliger les instances policières à ne pas se contenter d’aveux.

Le législateur a conféré à l’aveu un rôle nouveau, une portée renforcée. On a en effet une procédure de « plaider coupable » qui est la « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ». Dans cette procédure, une grande importance est accordée à l’aveu de la personne mise en cause ; aveu qui suppose que la personne a reconnu être l’auteur des faits. Dans cette procédure, la culpabilité de l’auteur des faits est tenue pour acquise. La culpabilité étant tenue inhérente à l’aveu, on a mis en place une procédure qui aura uniquement pour objectif de déterminer la peine applicable. La discussion ne se fait pas entre la juridiction de jugement et la personne qui a avoué, mais entre le ministère public et la personne qui a avoué

Si l’intéressé accepte la peine en présence d’un avocat, le rôle du juge du siège se borne à homologuer ou refuser l’homologation. S’il homologue l’accord, estimant la peine arbitrée correcte, il le fait par une ordonnance qui aura la même autorité qu’un jugement de condamnation. Il n’y a pas de discussion de la culpabilité. Cette procédure est applicable pour les contraventions et les délits à l’exception de certains d’entre eux. L’aveu fait par l’intéressé lie le juge du siège.

Cette procédure est applicable pour les contraventions et les délits. Cette procédure a pour seule explication que la justice est trop engorgée. Cette procédure, dont la seule explication que la justice est saturée, voit le transfert au ministère public la possibilité d’empiéter sur un territoire qui était la chasse gardée des juridictions du siège. Puisque l’on évoque un projet de réforme de la procédure pénale, cela veut dire que le ministère public enquêtera, instruira, déclenchera les poursuites et jugera. Il prendra toutes les décisions alors qu’il continue d’être subordonné au pouvoir politique.

Section 2 : Liberté et valeur des preuves

Ce n’est pas tout de préciser les modes de preuve admissibles. Encore faut-il dire le poids de ces modes de preuve. On a d’une part, un système de la preuve légale, dans lequel la loi prédétermine la valeur d’un mode de preuve donné. D’autre part, existe aussi le système de l’intime conviction. L’appréciation de la valeur probante est alors abandonnée à la conviction du juge.

On a le choix entre ces deux systèmes en sachant que le système de l’intime conviction a une mauvaise presse parce que la conception que l’on en répand dans l’opinion publique est totalement fausse. Dans les écoles de journalisme, on dit que cela permet au juge de condamner sans preuve.

Ce principe signifie qu’une preuve ayant été fournie, le juge en apprécie librement la force, le poids. C’est néanmoins le système retenu en droit français . Le principe connaît des limites.

  • 1. L’affirmation du principe de l’intime conviction

C’est l’article 427 du Code de Procédure Pénale qui consacre ce principe en le liant étroitement à la liberté des modes de preuve. En application de ce principe, les juges apprécient souverainement la portée des preuves débattues devant eux. C’est en cela que consiste l’intime conviction : la loi n’impose pas d’accorder un poids particulier et prédéterminé à une preuve définie. Une éventuelle erreur dans l’appréciation de ces preuves peut ouvrir un recours en révision (article 622) qui a pour objectif de réparer une éventuelle erreur judiciaire. En application de ce principe, le juge est libre de ne pas tenir compte d’un témoignage ou de ne pas tenir compte des conclusions d’un expert.

En droit pénal, une preuve peut être divisible, contrairement au droit civil. Le juge peut retenir, fonder la condamnation sur cet aveu ou l’écarter, ne pas en tenir compte. Dans les deux cas, il peut le faire en bloc et en partie. Si un aveu est ainsi par la suite rétracté par son auteur, cette rétractation aura la portée que le juge voudra lui donner.

  • 2. Les limites du principe

Ces limites sont posées par l’article 427 du Code de Procédure Pénale.

Il donne des cas où l’on écarte l’intime conviction, subordonnant la mise en application du principe de l’intime conviction au respect du principe du contradictoire.

  1. Les exceptions au principe

L’article 427 sous-entend que parfois, l’intime conviction du juge ne sera pas respectée. Il faut aller regarder les PV et les rapports. On distingue trois catégories différentes qui auront trois impacts différents. D’abord, un PV ou un rapport valent à titre de simple renseignement. Si c’est le cas, le principe de l’intime conviction opère : le juge n’est pas lié par le contenu du document et spécialement, il peut écarter le contenu de ces documents si les délégations du prévenu emportent sa conviction.

Les deux autres hypothèses se présentent comme des exceptions au principe. Il existe en effet des PV et des rapports qui font foi jusqu’à preuve contraire. Ils ont alors une force probante renforcée. Il faudra combattre ces documents par écrit ou par témoin. Ces PV sont très nombreux. Figurent ici les PV et rapports en matière de contravention mais aussi certains PV dressés en matière de délit, spécialement ceux dressés par des agents spéciaux désignés à cet effet. On a ainsi les PV dressés par les agents de l’administration des impôts ou ceux de l’inspecteur du travail. Si la preuve contraire n’est pas rapportée, le juge devra tenir pour exact ce qui est ici dit, malgré son éventuelle conviction inverse.

La troisième catégorie ne comporte que les PV qui font foi jusqu’à inscription de faux. Leur force est particulière puisque le contenu de ces PV s’impose au juge quoi qu’il puisse en penser. La seule manière de les combattre est la procédure d’inscription de faux, procédure qui ne tend qu’à établir que l’auteur de ce procès verbal a délibérément menti. Ce sont par exemple les PV dressés par les agents des douanes.

  1. Atténuations

Le principe de l’intime conviction a aussi une atténuation. Selon l’article 427, le juge ne peut fonder son intime conviction que sur des preuves introduites dans le débat judiciaire et qui ont fait l’objet d’une procédure contradictoire devant lui. Il est donc impossible au juge de fonder son intime conviction sur une preuve dont les parties n’auraient pas pu débattre contradictoirement. Par exemple, sur un élément secret du dossier sur lequel le juge s’appuierait sans le dire.

Chapitre 2. Le principe de la légalité de la preuve

Il ne suffit pas de dire que tous les modes de preuve sont acceptables et qu’elles sont appréciées par le juge. En amont, il faut se demander comment ces preuves sont parvenues devant le juge, comment elles ont été recherchées, obtenues et produites devant le juge . S’agissant de la découverte et de l’administration des preuves, c’est la loi qui doit régir cette phase. La fin ne justifie pas les moyens. Par conséquent, tout ne doit pas être permis pour obtenir des preuves.

C’est la position française qui, après avoir consacré le principe de la liberté, y adjoint le principe de la légalité quant à la recherche et la légalité de la preuve. Puisque tout n’est pas permis pour se procurer des preuves, on doit admettre que des procédés soient interdits. En retrait, on peut envisager que des procédés soient réglementés.

La manifestation du principe de la légalité est l’existence de deux types de procédures.

Section 1 : Les procédés interdits

Le système procédural français interdit que l’on administre devant un juge des preuves obtenues de manière incompatible avec les droits de la défense. Par exemple, il est impossible de faire état à titre de preuve, de la correspondance échangée entre un avocat et son client. Cela n’est possible si cette correspondance permet d’établir la participation de l’avocat à l’infraction.

De la même manière, la CEDH a estimé qu’il n’était pas conforme au principe du procès équitable, une procédure dans laquelle on a contraint la personne poursuivie à livrer des preuves contre elle-même. Une personne ne peut s’auto accuser en produisant des pièces qui établissent sa propre culpabilité.

Sont aussi interdits tous les procédés contraires à la dignité de la justice ou de la personne. Par exemple, on ne peut fonder une condamnation sur un aveu obtenu par la torture. La jurisprudence avait déjà jugé que l’on ne pouvait tenir compte d’aveu obtenu par narcoanalyse. La jurisprudence n’admet pas non plus les preuves obtenues de manière déloyale, la Cour de cassation ayant même consacré la loyauté des preuves.

À la fin du 19 ème siècle, l’affaire Wilson ( Cass. crim., 31 janv. 1888, Wilson) a donné lieu aux juges de condamner la déloyauté d’un juge d’instruction, qui s’était fait passer pour un complice afin d’obtenir des aveux, comme indigne d’un magistrat. En revanche, la jurisprudence n’interdit pas aux policiers de tricher. C’est le problème du recours à la ruse, légitimée de longue date : la dignité a des exigences variables suivant la position dans la hiérarchie.

S’il est interdit à un juge de ruser, un policier peut le faire, ce qui n’est pas contraire à sa dignité ni sa fonction. Cela a amené au problème de la provocation policière, la possibilité ou non pour un policier de recourir ou non à la provocation. La jurisprudence a distingué : soit le stratagème a eu pour seul objectif d’obtenir des preuves de l’infraction, le cas échéant, le procédé est régulier ; soit la provocation a déterminé la commission d’une infraction, qui est irrégulière. Ceci a été entériné par le législateur pour le trafic de stupéfiants puis pour la criminalité organisée : le législateur a entériné les opérations d’infiltration, hypothèses de provocation à la preuve.

La question de la loyauté peut se poser différemment pour la victime. La Cour de cassation a admis qu’une personne faisant l’objet de persécutions téléphoniques, pouvait enregistrer les propos qui lui étaient tenus, et les produire en justice. C’était un cas particulier et le cas général de savoir si la victime devait être loyale a du être tranché. La Cour a alors rendu plusieurs décisions aux termes desquelles la victime peut toujours administrer dans un procès une preuve qu’elle aurait obtenu de façon déloyale ou même en commettant une infraction, d’origine illicite, qui doit apparaître dans le dossier. Mais si on admet ce genre de preuves se pose la question de savoir jusqu’où aller ? La Cour de cassation franchit d’ailleurs un autre pas en disant qu’il en était de même pour une preuve obtenue suite à une infraction pénale.

Si la preuve est illicite ou déloyale, cela n’a pas d’importance si elle est soumise à débat contradictoire. Ce raisonnement est totalement faux, car la question est de savoir si la preuve est recevable puis ensuite de la soumettre à discussion des parties et pas l’inverse. À supposer qu’elle le soit, elle est soumise au contradictoire des parties. Ce raisonnement de la Cour de cassation est donc totalement erroné.

La Cour a d’ailleurs étendu cette jurisprudence contestable à la victime, puisqu’elle l’a ouverte à des témoins ou des tiers à la procédure. Elle l’a aussi admis à propos de personnes mises en cause. Tout est donc possible.

Pour que l’on puisse administrer une preuve déloyale ou illicite, il faut une condition : que le recours à ce procédé soit rendu indispensable à l’exercice des droits de la défense. Cela est le raisonnement de l’évolution de la jurisprudence.

Section 2 : Les procédés réglementaires

Dans cette recherche des preuves, il va falloir, dans un État libéral, que le procédé soit encadré par la loi chaque fois qu’il menace une liberté individuelle. Tout procédé qui menace une liberté individuelle, qui n’est pas expressément autorisé, est interdit .

Ainsi s’explique la réglementation minutieuse, par exemple des perquisitions et saisies, au stade de l’enquête ou de l’instruction. En présence d’un procédé juridiquement encadré, si cette réglementation n’a pas été respectée, la preuve correspondante ne peut pas être invoquée et le juge ne peut pas former sa conviction à partir d’une telle pièce.

L’article 174 du Code de Procédure Pénale précise queles actes ou pièces annulées doivent être retirées dudossier et qu’il est interdit d’y puiser un quelconque renseignement durant la procédure.