LA PROTECTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
La protection des droits fondamentaux au sein de l’Union européenne (UE) a connu une progression remarquable depuis la création des Communautés européennes dans les années 1950. Initialement absente des traités fondateurs (le Traité de Rome de 1957 ne mentionnait pas explicitement les droits fondamentaux), cette dimension est devenue un pilier central du système juridique européen au fil des décennies.
- Absence initiale de référence explicite : Dans les premières années, les préoccupations de l’UE étaient essentiellement économiques et centrées sur le marché commun.
- Intégration progressive des droits fondamentaux : Dès les années 1970, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE devenue CJUE) a joué un rôle clé en affirmant que les droits fondamentaux faisaient partie des principes généraux du droit communautaire, s’inspirant des traditions constitutionnelles communes des États membres et de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).
- Renforcement juridique : La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, adoptée en 2000 et devenue juridiquement contraignante avec le traité de Lisbonne (2009), a marqué une étape décisive. Elle garantit une vaste gamme de droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris des droits émergents comme la protection des données personnelles (article 8 de la Charte).
Les institutions de l’UE et la protection des droits fondamentaux. Aujourd’hui, plusieurs institutions et mécanismes de l’Union participent activement à la protection des droits fondamentaux :
- La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) : Elle interprète la Charte des droits fondamentaux et veille à ce que le droit de l’UE respecte les droits garantis.
- L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) : Créée en 2007, elle fournit des données, analyses et recommandations pour améliorer la situation des droits fondamentaux dans l’UE.
- Les institutions politiques : La Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil veillent à intégrer le respect des droits fondamentaux dans l’élaboration des politiques et des législations européennes.
La Convention Européenne des Droits de l’Homme : En complément du système de l’Union Européenne, des mécanismes régionaux de protection des droits de l’homme se sont développés : En Europe, le Conseil de l’Europe, avec la CEDH et la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH), reste le système le plus avancé et contraignant. Ses décisions sont juridiquement obligatoires pour les États parties.
- Cours de droit des libertés fondamentales (CRFPA)
- La liberté de la presse
- La liberté de communication
- La liberté de groupement, de manifestation, d’association
- Droit de disposer de son corps et droit à l’intégrité physique
- Le secret des correspondances
- Le droit à l’image et la protection du domicile
Section I – Le conseil de l’Europe
Le Conseil de l’Europe, né dans le contexte de l’après-Seconde Guerre mondiale, s’inscrit dans une volonté de consolidation de la paix en Europe. Créé en 1949 par dix pays fondateurs, dont la France, le Royaume-Uni et les pays du Benelux, il a pour mission d’assurer la défense des droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit. Aujourd’hui, il regroupe 46 États membres, parmi lesquels certains ne se trouvent pas strictement en Europe géographique, comme la Turquie ou l’Azerbaïdjan.
Reposant sur des valeurs fondamentales communes, le Conseil de l’Europe vise à promouvoir des discussions et des coopérations sur des thématiques centrales comme la dignité humaine, les libertés fondamentales et le respect de l’État de droit. Ses actions incluent l’élaboration de conventions internationales, la mise en place de mécanismes de suivi et le développement de dialogues interétatiques.
A) La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) : un texte fondateur
Adoptée en 1950 et ratifiée par la France en 1974, la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) est un texte juridique majeur qui garantit un ensemble de droits fondamentaux, tels que :
- Le droit à la vie (article 2),
- L’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (article 3),
- L’interdiction de l’esclavage et du travail forcé (article 4),
- Le droit à un procès équitable (article 6),
- La liberté d’expression (article 10).
Depuis 1981, avec la reconnaissance par la France du droit de recours individuel, toute personne estimant qu’un État membre a violé ses droits peut saisir la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH).
La CEDH est directement applicable dans les États signataires, ce qui signifie que ses dispositions peuvent être invoquées devant les juridictions nationales sans nécessiter de mesures de transposition. Toutefois, des limitations existent : en vertu de l’article 15, un État peut déroger temporairement à certains droits en cas de circonstances exceptionnelles (comme l’état d’urgence), sous le contrôle strict du Conseil de l’Europe.
B) La juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme
Depuis la réforme de 1998, mise en œuvre par le Protocole n°11, la Cour EDH constitue le seul organe chargé de garantir le respect de la CEDH. Cette réforme visait à améliorer l’efficacité de la Cour face à une augmentation constante des recours.
Organisation et fonctionnement de la Cour
- Composition : La Cour est composée de 46 juges, un par État membre, élus par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
- Formation : Les affaires sont généralement jugées par des chambres de sept juges, mais certaines peuvent être examinées par une grande chambre de 17 juges lorsqu’elles soulèvent des questions complexes ou d’importance majeure.
- Procédure : Un filtrage initial des requêtes est effectué par un comité de trois juges. Si les conditions de recevabilité ne sont pas remplies, la requête est rejetée.
Conditions de recevabilité des recours
Pour saisir la Cour, certaines conditions doivent être respectées :
- Épuisement des voies de recours internes : Le requérant doit avoir utilisé tous les moyens de recours disponibles dans son pays.
- Délai de dépôt : La requête doit être introduite dans un délai de six mois à compter de la décision interne définitive.
- Qualité de victime : Seules les personnes se considérant comme victimes directes ou potentielles d’une violation peuvent saisir la Cour.
Portée des arrêts
Les décisions de la Cour EDH, bien que contraignantes, s’appliquent uniquement au cas d’espèce. Toutefois, elles ont une influence systémique : un État condamné est souvent conduit à adapter sa législation ou sa pratique judiciaire pour éviter de futures condamnations. La Cour exerce un contrôle de proportionnalité, analysant si une ingérence dans les droits fondamentaux est justifiée, nécessaire et proportionnée.
C) Critiques et perspectives
Malgré son rôle essentiel, la Cour EDH fait face à plusieurs critiques :
- Manque de rigueur dans certains arrêts : Des décisions insuffisamment motivées ou incohérentes peuvent nuire à sa crédibilité.
- Lenteur des procédures : Bien que des réformes aient été entreprises pour réduire les délais, l’afflux massif de requêtes reste un défi majeur.
- Gouvernement des juges : Certains reprochent à la Cour une interprétation trop extensive de la CEDH, pouvant empiéter sur la souveraineté nationale des États.
Cependant, ses avancées restent significatives. Par exemple, les décisions récentes sur la liberté d’expression en ligne (affaire Magyar Jeti Zrt contre Hongrie, 2018) ou sur la protection de la vie privée dans l’environnement numérique (affaire Big Brother Watch contre Royaume-Uni, 2021) montrent que la Cour s’adapte aux nouveaux défis contemporains.
En résumé, le Conseil de l’Europe et la Cour européenne des droits de l’homme demeurent des acteurs clés pour la préservation des droits fondamentaux, malgré des critiques qui appellent à des réformes ciblées pour renforcer leur efficacité.
SECTION 2 : La protection des droits de l’Homme par l’Union Européenne
L’Union européenne (UE) s’affirme de plus en plus comme une entité protectrice des droits de l’Homme, suscitant des comparaisons avec le Conseil de l’Europe.
1) La naissance de la protection des droits de l’homme en droit de l’UE
À l’origine, les Communautés européennes avaient une finalité principalement économique. Cependant, cette perspective est réductrice, car les fondateurs envisageaient une intégration plus profonde. Le plan Schuman évoquait la création d’un marché commun pour prévenir toute guerre entre États européens, poursuivant ainsi un objectif fédéraliste en débutant pragmatiquement par des initiatives économiques. Ce processus a conduit à l’établissement de principes fondamentaux tels que l’égalité entre les ressortissants et la liberté de circulation des capitaux et des personnes.
Les cours constitutionnelles allemande et italienne ont déclaré que si des dispositions européennes violaient des droits fondamentaux, elles devaient être censurées. En réponse, la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) a affirmé la primauté du droit de l’UE, tout en s’engageant à respecter et garantir les droits fondamentaux. Elle a ainsi dégagé les principes généraux du droit européen (PGDE), fondés sur les traditions constitutionnelles des États membres. Cette jurisprudence a été consacrée par les traités ultérieurs, notamment l’article 6 du Traité sur l’Union européenne (TUE), qui stipule que l’Union est fondée sur le respect des principes fondamentaux, des droits de l’Homme, des libertés fondamentales et du principe de l’État de droit.
2) La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (CDFUE) a été adoptée à Nice en 2000. Fruit du travail conjoint des représentants des États membres, des parlements européens et nationaux, ce texte marque une étape importante dans la construction juridique et politique de l’Union. Il débute par un préambule qui met en avant les droits, libertés et principes fondamentaux, tout en rappelant les valeurs communes à l’Union : dignité, liberté, égalité, solidarité, citoyenneté et justice.
Codification des droits fondamentaux européens
La Charte s’inscrit dans une perspective d’intégration et de consolidation des droits fondamentaux, en s’inspirant des sources suivantes :
- La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ;
- La Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe ;
- Les traités de l’Union européenne (TUE et TFUE) ;
- La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Elle rassemble et structure les droits de première génération (droits civils et politiques) et de deuxième génération (droits économiques, sociaux et culturels). De plus, elle intègre des droits de troisième génération, comme la protection de l’environnement ou les droits liés au numérique.
Une évolution majeure : la valeur juridique de la Charte
Initialement, la Charte n’avait pas de valeur juridique contraignante. Elle servait essentiellement de référence morale et politique. Cependant, cette situation a radicalement changé avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009. Désormais, la Charte a la même valeur juridique que les traités fondateurs de l’Union européenne (article 6 du TUE). Cela signifie qu’elle s’impose aux institutions européennes et aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union.
Ce changement confère à la Charte une force normative considérable, consolidant les droits fondamentaux au sein de l’ordre juridique de l’Union et renforçant la protection des citoyens européens.
Relations entre la CDFUE et la CEDH
La Charte et la CEDH poursuivent des objectifs similaires : la garantie des droits fondamentaux. Toutefois, elles ne sont pas identiques, et leur coexistence soulève certaines interrogations.
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Portée et champ d’application :
- La Charte s’applique uniquement dans le cadre de la mise en œuvre du droit de l’Union par les institutions et les États membres. Elle ne s’applique pas dans des domaines relevant exclusivement des compétences nationales.
- La CEDH, en revanche, a une portée plus large, couvrant l’ensemble des actions des États signataires, qu’elles soient ou non liées au droit de l’Union.
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Conflits potentiels : Bien que l’Union européenne ait prévu d’adhérer à la CEDH pour garantir une cohérence entre les deux systèmes, ce processus reste incomplet. En 2014, la CJUE a émis un avis négatif (avis 2/13), estimant que l’adhésion de l’UE à la CEDH, dans sa forme proposée, était incompatible avec les traités européens. Cette décision a retardé le rapprochement institutionnel.
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Subordination ou indépendance des juridictions :
- La CJUE interprète la Charte et a compétence exclusive pour assurer son respect dans le cadre du droit de l’Union.
- La Cour européenne des droits de l’homme reste compétente pour juger des violations de la CEDH par les États, y compris celles commises dans l’application du droit européen. En pratique, les deux juridictions s’efforcent de coopérer et de garantir une interprétation cohérente des droits fondamentaux, mais des divergences peuvent apparaître.
Exemples récents d’application de la Charte
La Charte a été utilisée dans plusieurs affaires marquantes ces dernières années :
- Arrêt Schrems II (CJUE, 2020) : La Cour a invalidé le mécanisme de transfert des données personnelles entre l’UE et les États-Unis, en s’appuyant sur les articles 7 et 8 de la Charte (respect de la vie privée et protection des données personnelles).
- Affaire Google Spain (CJUE, 2014) : L’arrêt a confirmé le droit à l’oubli numérique, sur la base de la Charte, renforçant ainsi les droits des citoyens européens face aux grandes entreprises technologiques.
Ces exemples illustrent l’importance croissante de la Charte dans la protection des droits fondamentaux dans des contextes modernes et complexes, tels que le numérique et la protection des données.
En résumé, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, devenue juridiquement contraignante, représente un outil puissant pour garantir les droits fondamentaux dans le cadre du droit de l’Union, tout en coexistant avec la CEDH dans une complémentarité parfois complexe.
La coexistence de la Charte et de la CEDH constitue une richesse pour la protection des droits fondamentaux, mais pose des défis. Les initiatives pour une adhésion de l’UE à la CEDH sont essentielles pour renforcer la sécurité juridique et éviter les conflits entre juridictions. Cependant, l’autonomie de l’ordre juridique de l’UE, mise en avant par la CJUE, reste un frein à cette intégration.
3. Une constitution pour l’Union Européenne?
La Constitution de l’Union européenne était un projet visant à réformer les traités existants afin de simplifier les structures de gouvernance de l’Union Européenne (UE). Adoptée sous le nom officiel de « Traité établissant une Constitution pour l’Europe », cette tentative ambitieuse visait à remplacer les divers traités par un texte unique regroupant les principes fondamentaux de l’UE.
- Contexte historique : La fin des années 1990 et le début des années 2000 ont été marqués par l’élargissement de l’Union Européenne et par un besoin croissant de clarifier son fonctionnement pour répondre aux attentes des citoyens.
- L’objectif principal : Le texte visait à simplifier les traités européens, renforcer la transparence et la légitimité démocratique tout en modernisant les institutions pour une Europe plus efficace.
- Convention sur l’avenir de l’Europe : Présidée par Valéry Giscard d’Estaing entre 2002 et 2003, cette convention a permis d’élaborer un texte préliminaire, fruit d’une large consultation.
Structure de la Constitution
Le texte adopté en 2004 comportait quatre parties principales :
- Partie I : Principes fondamentaux et objectifs de l’UE, incluant les compétences de l’Union, ses valeurs et droits fondamentaux.
- Partie II : Charte des droits fondamentaux de l’UE, consacrant les droits civils, politiques, économiques et sociaux.
- Partie III : Organisation et fonctionnement des institutions de l’UE, les procédures de décision et les politiques communes.
- Partie IV : Dispositions finales et procédures de ratification.
Cette Constitution prévoyait aussi :
- La création d’un poste de Président stable du Conseil européen.
- Un renforcement du rôle du Parlement européen.
- La simplification des catégories de compétences entre l’UE et les États membres.
L’échec du projet constitutionnel
Malgré une signature solennelle à Rome le 29 octobre 2004, la Constitution de l’UE n’a jamais vu le jour. Voici les raisons principales de cet échec :
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Rejets par référendum :
- En mai 2005, la France rejette le texte à 54,67 %.
- En juin 2005, les Pays-Bas rejettent le texte à 61,6 %.
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Principales critiques :
- Crainte d’une perte de souveraineté nationale.
- Difficultés de compréhension du texte, jugé complexe et trop long.
- Sentiment d’un déficit démocratique persistant au sein des institutions européennes.
L’échec de ce projet a conduit à un retour en arrière et à l’adoption d’une solution alternative : le traité de Lisbonne, signé en 2007 et entré en vigueur le 1er décembre 2009.
Le traité de Lisbonne : une alternative à la Constitution
Le traité de Lisbonne a repris plusieurs avancées prévues par la Constitution tout en renonçant à l’ambition de créer un texte unique et symboliquement constitutionnel. Parmi les principaux changements introduits :
- Une personnalité juridique unique pour l’UE.
- Un renforcement du rôle du Parlement européen.
- La clarification des compétences entre l’Union et les États membres.
- L’instauration d’un président permanent du Conseil européen.
- La reconnaissance de la Charte des droits fondamentaux.
Impact et héritage du projet constitutionnel
Malgré son échec, la tentative de Constitution européenne a marqué une étape importante dans l’histoire de l’intégration européenne. Elle a :
- Ouvert le débat sur la légitimité démocratique des institutions européennes.
- Posé les bases des réformes institutionnelles reprises par le traité de Lisbonne.
- Mis en évidence les défis d’une Europe à 27 États membres.
La Constitution de l’Union européenne, bien qu’abandonnée, a joué un rôle clé dans l’évolution institutionnelle de l’UE. Le traité de Lisbonne en est l’héritier direct et constitue aujourd’hui le cadre juridique sur lequel repose le fonctionnement de l’Union Européenne.