La qualité de victime : dommage direct et personnel

La qualité de victime dans le procès pénal : conditions relatives aux dommages

La vicitme a la possibilité de déclencher l’action publique, l’avantage ici est important ; le procès pénal permet la mise en œuvre de moyens très puissants, pour établissement des preuves, aide des forces de police. Le coût du procès pénal est beaucoup moins élevé, notamment lorsqu’il y a lieu de recourir à une expertise.

Cependant, le Code de Procédure Pénale a entendu limiter les conditions d’intervention des victimes devant les juridictions, il y aura alors une double exigence :

  • . un préjudice personnel (le tiers ne pourra se prévaloir du préjudice indirect pour déclencher une action publique)
  • . un préjudice directement causé par l’infraction (blessure, atteinte patrimoniale, morale…)

Section 1 : Qui a vraiment la qualité de victime pour déclencher l’action civile?

On est dans l’hypothèse où une infraction a été commise. Elle s’apprécie au jour où la personne agit et non à la date à laquelle l’infraction dont elle se plaint a été commise. Lorsqu’une infraction a été commise, des personnes en souffrent. Au regard de la notion de victime en matière civile, il n’y a qu’un nombre limité de personnes qui ont vraiment la qualité de victime. Il n’y a donc que peu de personnes qui vont pouvoir exercer l’action civile devant les juridictions pénales en greffant l’action civile à l’action publique.

Cette personne est celle qui a personnellement souffert du dommage causé par l’infraction. On voit donc apparaître l’allusion à la nécessité que le dommage doit avoir deux caractères : il doit être direct et personnel.

Il y a une difficulté quant à la détermination de la qualité de victime. Il n’est pas certain que cette qualification soit la même devant les juridictions de jugement et d’instruction. L’indice de cette possibilité est le fait qu’à côté de l’article 2, il existe une disposition spécifique qui vise la partie civile, l’article 85, qui dispose que « toute personne qui se prétend lésée par l’infraction », peut se constituer partie civile. Il y aurait là une conception de la victime, de la partie civile, nettement moins exigeante qu’à l’article 2.

Au fond, à la réflexion, cette différence apparaît justifiée. En effet, on ne peut pas exiger au stade de l’instruction et donc du doute que la victime établisse avec certitude que le dommage dont elle se plaint, comporte tous les caractères de l’article 2. Ce serait mettre la charrue avant les bœufs que de poser une telle exigence.

Lorsque la recevabilité se pose à l’instruction, il faut donc des critères plus souples que celui de l’article 2. Un motif qui revient : pour qu’une constitution de partie civile soit recevable, il suffit « que les circonstances sur lesquelles s’appuie la plainte permettent au juge d’instruction d’admettre comme possible l’existence du préjudice allégué et sa relation directe avec l’infraction ».

Le mot important est « possible » : on n’exige donc pas une certitude, on ne réclame pas à la victime qu’elle établisse bien qu’elle a souffert du dommage causé par l’infraction. On se contente d’une possibilité, car on est à un stade de la procédure qui permet le doute. La victime peut invoquer des textes différents. Il serait judicieux que l’on invoque l’article 85. Il y a des arrêts en ce sens, mais peu nombreux. La Cour de cassation rend en général ses décisions au visa de l’article 2 du Code de Procédure Pénale, comme s’il avait une portée générale et valait indifféremment au stade de l’instruction et du jugement. Certains arrêts sont enfin rendus au double visa des articles 2 et 85.

Cela revient à dire qu’il y a un article général définissant la victime, précisé par l’article 85. En matière de visa, la Cour est donc très inconstante. S’agissant des textes visés, la solution est certaine : on est plus réceptif à la notion de victime au stade de l’instruction.

Cette appréciation de la qualité de victime va donc pouvoir varier au cours de la procédure. On peut donc envisager qu’un juge d’instruction définisse une personne comme victime car il n’y a qu’une possibilité. La procédure venant à progresser, cette appréciation initiale va être infirmée. On dit donc que, même si c’était possible, la personne n’était pas la victime de l’infraction. La Cour de cassation en a alors tiré la conséquence que la décision rendue sur la recevabilité de l’action civile n’a pas autorité de la chose jugée devant la juridiction de jugement (si prise devant l’instruction).


Section 2 : Les conditions relatifs aux dommages

Sous-section 1 : La notion de dommage direct

Selon l’article 2 du Code de Procédure Pénale, la victime est la personne ayant directement souffert du dommage causé par l’infraction. Ce dommage direct signifie un lien de causalité entre l’infraction dont le juge est saisi, et le dommage de la victime. Cela signifie que n’a pas la qualité de victime, toute personne ayant subi un dommage mais un dommage qui n’a pas de lien direct avec l’infraction. Bien sûr, cette question de savoir l’existence d’un lien de causalité, dépend du choix que l’on fera d’une théorie de la causalité. Plus l’on optera pour une théorie acceptant facilement un lien de causalité, plus le nombre de ceux pouvant demander la qualité de victime sera étendu.

À la vérité, cette question du choix de la théorie de la causalité n’est pas propre à la procédure pénale et existe aussi en procédure civile. Il y a par exemple une théorie que l’on dit qu’elle est compréhensible, c’est celle de l’équivalence des conditions. Une autre est plus restrictive, c’est celle de la causalité adéquate.

Au fond, on peut passer vite sur ce débat car il n’a pas de réponse ferme et que la question ne doit pas se poser ainsi en procédure pénale. Même les théories les plus restrictives ne suffiront pas à effectuer le tri nécessaire, car il faut que la notion de victime soit étroitement considérée du fait des libertés individuelles. La théorie de la causalité adéquate voit un événement comme cause d’un risque, car selon le cours naturel des choses, l’évènement avait pour nature d’avoir des conséquences.

La théorie de la causalité adéquate estime que c’est le cas lorsque l’événement était de nature à avoir cette conséquence (événement cause d’un risque). Si l’on fait application de cette théorie en matière pénale, et que l’on pose cela concernant un vol, selon le cours naturel des choses, il est normal par exemple que la commission de ce vol lèse non seulement le propriétaire de l’objet soustrait mais aussi ses créanciers. Le préjudice leur paraît directement relié à la commission du vol.

Ainsi, des violences involontaires affectent la victime et son employeur. Puisque cette évidence était postulée par le cours normal des choses, l’employeur se retrouve directement lié par l’infraction de blessures par imprudence.

Dans les deux cas, la personne volée et ses créanciers, la personne blessée et son employeur, pourront soutenir, même en application d’une théorie de la causalité adéquate, que le préjudice qu’ils subissent, a bien été directement causé par l’infraction dont le juge est saisi. A fortiori, si ces personnes vont demander réparation, ils l’obtiendront : il faut prouver que le dommage a été directement causé. Pour la procédure pénale, cela fait trop de monde, car on ne peut admettre que le créancier d’une personne volée se déclare victime. Le critère essentiel est celui du caractère personnel ou non personnel du dommage.

Sous-section 2 : La notion de dommage personnel

C’est une discussion délicate et difficile sur laquelle la jurisprudence a beaucoup évolué. Philippe Conte a un avis qui n’est partagé par personne. On commencera par exposer la notion pour voir son application.

  • 1. Un exposé de la notion de dommage personnel

Cette notion n’est pas propre à la procédure pénale, car on invoquait aussi au civil un dommage direct et personnel. Dans les deux disciplines, on y invoque ce caractère. Pourtant, le même mot n’a pas la même signification.

  • En matière civile, dire qu’un dommage doit être personnel pour demander réparation, c’est formuler une évidence. Il faut exiger du demandeur qu’il établisse que le dommage est le sien.

  • En procédure pénale, les choses sont différentes. On parle de dommage personnel alors que cela ne se retrouve pas dans l’article 2 du Code de Procédure Pénale. Il dit qu’il faut avoir « personnellement souffert ». C’est par facilité de langage que l’on résume cela par la formule selon laquelle le dommage doit être personnel.

Il y a ici une perte de sens. Si l’on pose la difficulté dans les termes imposés par l’article 2, elle apparaît de manière différente qu’en matière civile. Il faut se demander qui en a personnellement souffert. Un vol a été commis. S’agissant du dommage, un grand nombre de personnes peuvent aspirer à la qualité de victime, mais qui en a personnellement souffert ? Le volé. Quant des blessures sont commises, seul le blessé en a souffert.


La notion de dommage personnel a été consacrée par un arrêt de Cassation en Assemblée Plénière en 1979. Cela montre que la question était débattue et que les jugesdu fond n’étaient pas maîtres de cette notion de dommage personnel. Il est dit que, par exemple, dans des poursuites de blessures par imprudence, la personne ayant souffert de l’infraction est le blessé, et personne d’autre.

Cass. Ass. Plén., 12 janvier 1979, Salva, n° 77-90.911 : Le droit d’exercer l’action civiledevant les juridictions répressives, dont l’un des effets éventuels est la mise en mouvement de l’action publique, n’appartient qu’à ceux qui ont personnellement souffert du dommage causé directement par l’infraction . Il s’ensuit que la personne, qui n’a pas été personnellement blessée et victime du délit défini par les articles 319 et 320 du Code pénal, n’est pas recevable à saisir la juridiction répressive d’une demande de dommages-intérêts, même si elle est fondée à obtenir devant les tribunaux civils réparation du dommage résultant pour elle de la faute commise par l’auteur de ce délit.

Cette approche a un mérite car elle est fidèle à la lettre des textes. De plus, en prenant la difficulté de cette manière, on arrive bien au résultat recherché. Il y a une totale correspondance entre ce que la victime a souffert et ce que la société a elle-même souffert. L’intérêt privé de la victime correspond très exactement à l’intérêt général et à la valeur que la société veut protéger lorsqu’elle incrimine les blessures par imprudence.

Le dommage invoqué par la victime correspond exactement au résultat de l’infraction considéré. Le dommage subi par la victime apparaît comme l’image à l’échelle réduite, du dommage subi par la société. En quelque sorte, le préjudice invoqué par la victime est le dommage du préjudice social. Si l’assemblée plénière a bien posé le problème en ces termes, cette décision est restée isolée. Elle a considéré que la victime était bien celui qui a personnellement souffert du dommage causé par l’infraction dans cet arrêt mais pas dans tous les autres.

Les autres arrêts ne se prononcent pas dans les mêmes termes. Ils rejoignent l’assemblée plénière, mais donnent une motivation différente. Là où l’assemblée plénière dit que les autres que le blessé n’ont pas souffert des blessures, les autres décisions concluent que les autres que le blessé n’ont pas subi un dommage direct par rapport à l’infraction de blessure. Ces autres arrêts raisonnent donc sur une différence de terminologie.

Quelle que soit cette différence de terminologie, on arrive bien à une notion restrictive de victime en matière pénale. Plus précisément on limite cette qualité de victime à la personne qui, faisant valoir son intérêt personnel, va du même coup participer à la défense d’un intérêt général car son intérêt personnel correspond très exactement à l’intérêt social. Si on admet cette présence, c’est parce que l’on sait qu’elle ne perturbera en rien l’action publique, car cette action civile converge avec l’action publique.

L’action civile ne peut contrarier l’action publique, c’est pour cela que l’on admet la présence de la partie civile. L’action civile est l’accessoire de l’action publique. Si d’aventure, la demande d’une personne prétendant défendre ses intérêts privés devant le juge répressif, présentait le risque que l’on perde l’action publique pour d’autres arguments, il faudrait la bannir du tribunal.

  • 2. Les applications de la notion de dommage personnel

Cette manière d’analyser le dommage personnel renvoie de façon inévitable à la notion de résultat dans l’infraction. La victime est ici celle dont le préjudice qu’elle invoque correspond très exactement au résultat de l’infraction. On a pourtant vu que la notion de résultat était très obscure. Vouloir calquer la notion de victime, notion procédurale, sur la notion de résultat, représente un travail difficile. Il est vrai que dans certaines hypothèses, la qualification de la victime ne présentera pas de difficulté.


Supposons des poursuites pour entrave à la liberté du travail. L’employeur perd du chiffre d’affaire. Ce dommage est directement relié à l’infraction mais l’employeur en a-t-il directement souffert ? Non. Ce sont ses salariés. C’est pourquoi la Cour de cassation estime que la constitution de partie civile est recevable pour les salariés mais pas pour l’employeur. Mais les arrêts diront qu’il n’a pas directement souffert de l’infraction et non personnellement. Il doit aller voir le juge civil.

Supposons une escroquerie à la charité. Lorsqu’un escroc prétend collecter des fonds pour des nécessiteux, il peut arriver qu’une association caritative veuille déclencher des poursuites contre cet escroc. En effet les collecteurs de cette association se font refouler lors des collectes postérieures, et le chiffre d’affaires de l’association baisse. Cette constitution de partie civile est-elle concevable ici ? Non, car il y a bien une baisse du CA due à l’escroquerie. Pourtant cette association n’a pas été escroquée elle-même.

Il est parfois difficile de mettre ce raisonnement en application, car les appréciations sont plus délicates. On connaît tous l’infraction de publicité mensongère qui s’appelait « publicité trompeuse » et est devenue « pratique commerciale trompeuse ». C’est actuellement une infraction pénale réprimée par le Code de la consommation. On pense directement au consommateur auquel s’adressait cette publicité, qui a été trompé. La jurisprudence ne dit pas le contraire. Est-ce qu’un concurrent de celui qui s’est livré à cette publicité mensongère peut se constituer partie civile ? Il n’a pas subi personnellement de dommage, mais il dit que son CA a baissé à cause de cela. C’est un préjudice indirect, mais la Cour de cassation a jugé que la constitution de partie civile de ce concurrent était recevable alors même que ce concurrent n’en avait pas personnellement souffert.

La jurisprudence accepte aussi de prendre en compte les circonstances aggravantes de l’infraction. Voici un vol effectué à la poste par des hommes porteurs d’armes qui avaient menacé le personnel. Le juge est saisi de vol aggravé par l’usage d’armes et de violences. La personne morale à savoir la poste a été victime. Les employés se sont constitués partie civile, ce qui a été reçu par le juge. Or ils n’ont pas souffert du vol, mais ils ont souffert de ce vol si on y inclut les circonstances aggravantes. C’est le signe que la cour de cassation accepte de tenir compte aussi des circonstances aggravantes pour définir qui peut se constituer partie civile.

On trouve donc des solutions un peu divinatoires, quant à savoir quel est le résultat d’une infraction donnée et si la victime dépend de ce résultat. À cela s’ajoute que dans cette politique jurisprudentielle, il n’y a pas que des considérations techniques. Dans la considération de ceux qui peuvent se dire victime, il y a parfois à la clé des considérations politiques.

On trouve l’exemple de l’infraction d’abus de biens sociaux, qui se rapproche de l’abus de confiance. On retient que cela consiste à détourner une partie du patrimoine d’une société à son profit, par un dirigeant de cette entreprise. On se demande qui peut se constituer partie civile dans un tel cas. Étant celui ou ceux qui ont personnellement souffert de cette infraction, ici c’est à l’évidence la société. La question s’est posé de savoir si l’on pouvait accorder cette qualité de victime aux associés. La Cour de cassation a longtemps répondu de façon positive. C’était une solution discutable. Subitement, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence pour déclarer cette constitution de partie civile irrecevable.

Certains ont vu dans ce revirement une considération politique, car des hommes politiques avaient été condamnés pour recel de bien détournés par abus de bien sociaux. La classe politique s’en est alors émue, et a voulu modifier la définition d’abus de biens sociaux. Ce projet est passé à la trappe, mais la Chambre criminelle a opéré le revirement à ce moment. Curieuse coïncidence. Empêcher les associés de se constituer partie civile évite la mise en place d’une telle infraction.

Le débat concernant le résultat de l’infraction est ainsi difficile, car on trouve des considérations contingentes.

La plus célèbre des illustrations se trouve dans une notion souvent contestée en doctrine qui est « l’infraction d’intérêt général ». La Cour de cassation a considéré qu’il y avait des infractions d’intérêt général. Expression malencontreuse car on pourrait dire que toute infraction est, par nature, d’intérêt général. On comprend ici bien l’idée qu’il y aurait des infractions dont le résultat est tel que personne, parmi les citoyens, ne peut soutenir en avoir personnellement souffert. La définition donnée par le Code pénal de ces infractions est telle qu’il est exclu qu’un préjudice individuel ne puisse jamais correspondre au résultat de cette infraction.

Puisque personne parmi les citoyens ne peut soutenir avoir souffert de cette infraction, le déclenchement de l’action publique deviendra le monopole du ministère public. C’est l’illustration la plus épurée de la notion de dommage personnel. La Cour de cassation en a jugé ainsi pour les infractions douanières – un seul particulier ne peut prétendre en avoir souffert puisque la victime est le Trésor public – ou l’atteinte au secret de la défense nationale ou encore le discrédit d’une décision juridictionnelle etc.