L’affirmation (reconnaissance textuelle) de la liberté de communication
Sans prétendre à l’exhaustivité, nous limiterons le champ de nos développements aux textes fondamentaux à savoir l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
I – L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 définit la libre de communication des pensées et des opinions comme « un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». La Déclaration des droits de l’homme, en qualité de texte fondateur des « droits inhérents à l’essence de l’homme »[25], fait partie des textes constitutionnels du droit français[26]. L’article 1er du Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 proclame l’attachement du peuple français « aux Droits de l’homme […] tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 ». Dans sa célèbre décision n°71-44 DC du 16 juillet 1971 « liberté d’association », le Conseil constitutionnel, consacre la valeur constitutionnelle du préambule de la Constitution, et offre ainsi une protection de premier rang au texte de la Déclaration des droits de l’homme et des citoyens. C’est d’ailleurs dans sa décision n°73-51 DC du 27 décembre 1973, dite « Taxation d’office », qu’il va pour la première fois utiliser la Déclaration comme texte de référence, au même titre que la Constitution. Le Conseil constitutionnel, en qualité de gardien des textes constitutionnels, est le garant du respect des droits proclamés dans la Déclaration. Ce texte, tout comme le préambule de la Constitution de 1946 et la récente Charte constitutionnelle de l’environnement de 2005, est adossé à la Constitution et forme le bloc de constitutionnalité.
Le libellé de l’article 11, rédigé en des termes très généraux, permet d’étendre la liberté de communication à tous moyens qui procèdent de l’extériorisation de la pensée. Au delà des modes de communication visés expressément par l’article, sont aujourd’hui concernés par la protection découlant de l’article 11 de la DDHC, toutes les formes de communication qui nécessitent l’intervention d’un support et de moyens de réception appropriés, pour être mises à disposition du public. Au coté de l’imprimé, distribué dans des points spécialisés ou à domicile à titre onéreux et gratuit, le son et l’image utilisent des supports différents. Diffusés par câble ou supports hertziens terrestres ou satellitaires, ils requièrent l’acquisition de matériels de réception et le paiement de redevance ou d’abonnement. Au titre des supports modernes de communication relevant implicitement de l’article 11, les signaux de toute nature –écrit, son et image- diffusés sur le réseau Internet sont reçus à l’aide d’un matériel informatique approprié, et la souscription d’un abonnement permettant l’accès au réseau. Bref, sont concernés la presse, la radio, la télévision, les télécommunications et la communication au public par voie électronique.
Fort de cette interprétation extensive de la liberté de communication, le Conseil constitutionnel relève toutes les formes d’expression susceptibles de relever du champ d’application de l’article 11. Et, de préciser à l’occasion des décisions rendues, les garanties afférentes à l’exercice de ce droit, qui doivent être mises en œuvre par le législateur. Dans sa globalité, la liberté de communication est une liberté fondamentale parce qu’elle est la condition des autres libertés.
Le nouvel article 34 de la Constitution, dont la rédaction est issue de la réforme en date du 23 juillet 2008, précise que la loi fixe les règles concernant « le pluralisme et l’indépendance des médias ». Les prescriptions du Conseil constitutionnel reçoivent ainsi une assise constitutionnelle traduisant ainsi une forme d’effet cliquet qui n’existe plus dans sa jurisprudence. Une interprétation téléologique des débats législatifs relatifs à la révision constitutionnelle permet d’apprécier cet ajout à l’aune de l’article 11 de la DDHC et ne va pas au-delà, en induisant un refus des concentrations excessives ou une indépendance à l’égard du pouvoir politique. Elle induit simplement le rejet de la censure.
II – Au coté de cette protection interne de la liberté de communication, il existe des textes à vocation internationale – l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques- ou régionale – l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales-, de portée plus ou moins contraignante, qui convergent vers le même objectif. Régulièrement introduits dans l’ordre juridique interne, ces textes ont une valeur supérieure à la loi, en application de l’article 55 de la Constitution.
L’article 19 al 1 du Pacte dispose que « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions. Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ».
Ce texte présente un caractère obligatoire pour tous les Etats signataires, après ratification. Cependant, ce caractère obligatoire est limité en l’absence de mécanismes sanctionateurs et d’obligations positives mises à la charge des Etats, propres à garantir l’effectivité des droits et libertés ainsi reconnus. Par ailleurs, le Pacte ne reconnaît pas les droits, mais s’engage à respecter les droits déclarés. Donc, il s’agit d’un simple engagement qui n’a pas d’effet direct car le traité s’adresse aux Etats et non aux individus.
Reprenant en grande partie le contenu de ce texte, l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, s’affirme comme le texte de référence en la matière. Ce texte, quant à lui, contient des dispositions qui ont un effet direct[27].
Elaborée sous l’égide du Conseil de l’Europe, cette Convention est dotée, en outre, d’un mécanisme de contrôle du respect des obligations qui sont prescrites. Dans un premier temps, ont coexisté un contrôle administratif devant la Commission, ainsi qu’un contrôle juridictionnel devant la Cour européenne des droits de l’homme. Cependant, depuis l’entrée en vigueur du Protocole n°11, seul le contrôle juridictionnel demeure devant la Cour.
L’article 10 al 1 de la Convention dispose que « toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir et de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorité publique et sans considération de frontière ».
La formulation de cet article est assez universelle ; « toute personne » indique que les bénéficiaires de la liberté sont à la fois les personnes physiques et les personnes morales. Cet article, en l’absence de précisions contraires, s’applique à tout support de communication et à toute activité de communication. La communication politique et idéologique y est garantie. Il en va de même du discours commercial.
L’article 10 met à la charge des Etats une obligation de protection de la liberté ainsi garantie qui doit les amener à prendre toute mesure susceptible d’empêcher ou de sanctionner les actes des personnes privées.
Au principe de liberté énoncé au paragraphe 1er (il vise « la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence des autorités publiques et sans considération de frontière») s’opposent les exceptions envisagées au second paragraphe. La liberté d’expression fait donc partie des libertés conditionnelles qui peuvent faire l’objet d’une dérogation ou d’une restriction notamment dans le cadre d’une clause d’ordre public. Cela autorise l’Etat à limiter l’exercice du droit proclamé tout en le laissant subsister.
Ces restrictions doivent être prévues par la loi c’est-à-dire par une norme générale, écrite ou jurisprudentielle, antérieure aux faits litigieux et satisfaisant à des exigences d’accessibilité et de prévisibilité). Sur ce point, la CEDH a eu l’occasion de préciser que « l’étendue et les modalités d’un tel pouvoir se trouvent définies avec une netteté suffisante, eu égard au but légitime en jeu, pour fournir une protection adéquate contre l’arbitraire »[28]
Ces restrictions doivent viser l’un des buts reconnus comme légitimes par l’article 10, paragraphe 2 (la sécurité nationale, l’intégrité territoriale ou la sûreté publique, la défense de l’ordre ou la prévention du crime, la protection de la santé ou de la morale, la protection de la réputation ou des droits d’autrui, la sauvegarde d’informations confidentielles, la garantie de l’autorité et de l’impartialité du pouvoir judiciaire) et être « nécessaires, dans une société démocratique» à la réalisation de ces buts.
L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, s’emploie à réglementer les ingérences étatiques dans l’exercice de la liberté d’expression. En principe, la référence à l’intérêt général fait obstacle à toute ingérence des autorités publiques : C’est la liberté d’expression qui prévaut. Cependant, la CEDH a admis dans la jurisprudence Mamère qui concernait l’information de la population sur les risques auxquels avaient été exposés les français suite à la catastrophe de Tchernobyl, « que la valeur éminente de la liberté d’expression, surtout quand il s’agit d’un débet d’intérêt général, ne peut pas en toute circonstance l’emporter sur la nécessité de protéger l’honneur ou la réputation, qu’il s’agisse de simples citoyens ou de responsables publics »[29]. D’où l’idée que le contrôle de la Cour se veut nécessairement très concret.
La Cour européenne des droits de l’homme a précisé que la société démocratique se caractérisait par « le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture» et en conséquence, la liberté d’expression « vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou différentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population ». L’adjectif « nécessaire » implique, quant à lui, qu’il soit justifié d’un « besoin social impérieux »[30]. S’il appartient d’abord aux autorités nationales, et au premier chef aux tribunaux, d’apprécier cette nécessité, cette appréciation est soumise à un « contrôle européen », opéré par la Cour.
Cet article est étroitement lié aux valeurs démocratiques sur lesquelles repose le Conseil de l’Europe. Il y fait d’ailleurs expressément référence. Il doit aussi être lu en tenant compte d’autres articles de la convention. L’article 17 traite du problème classique de la liberté à laisser aux ennemies de la liberté. Par conséquent, l’article 10 ne peut permettre à quiconque « de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite convention ». L’appréciation de cet article 17 autorise parfois que l’on combatte les ennemies de la liberté par des méthodes qui relèvent elles-aussi de l’insulte. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme a pu le 1er juillet 1997, donner raison sur le fondement de l’article 17 combiné avec l’article 10 à Monsieur Gerhard Oberschlick qui avait traité Monsieur Jorg Haider d’imbécile : Le premier, rédacteur en chef de la revue Forum (revue internationale pour la liberté culturelle, l’égalité politique et la solidarité), avait écrit un article intitulé « PS : imbécile au lieu de nazi » et débuté par ses mots « Je dirai de Jorg Haider, primo qu’il n’est pas un nazi et secundo qu’il est un imbécile » ce qu’il s’employait à justifier dans le reste de l’article. Poursuivi pour diffamation et injure, il a été condamné par le Tribunal correctionnel de Vienne en 1991, et confirmé en appel en 1992. Il a saisi la CEDH, qui dans une conception plutôt libérale, soulève le redoutable problème ; quelles armes la démocratie a-t-elle le droit d’employer pour lutter contre les ennemies de la liberté ? La Cour fait valoir que eu égard aux thèses défendues par Monsieur Haider, la condamnation du requérant représente une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression de celui-ci. La limite des critiques admissibles est plus large à l’égard d’un homme politique agissant en sa qualité de personnage public, que d’un simple particulier. L’homme politique doit montrer une plus grande tolérance lorsqu’il se livre lui-même à des déclarations publiques pouvant prêter à critiques.
En matière de liberté d’expression, il arrive que l’article 10 soit invoqué en association avec l’article 14 prohibant les discriminations. En matière de sondages électoraux, le TGI de Paris[31] avait ainsi considéré que l’interdiction de publication lors de la semaine précédant le scrutin n’était pas seulement incompatible avec l’article 10 de la Convention, mais encore avec son article 14. Cette mesure de restriction représentait, selon les juges, une discrimination entre les internautes, qui pouvaient accéder à des sondages publiés sur des sites web étrangers, et les électeurs n’ayant pas l’accès à Internet. Cette analyse peut sembler très contestable. De fait, elle n’avait pas convaincu la Cour d’appel de Paris[32], pour laquelle aucun de ces deux articles n’avait été violé. C’est de façon curieuse que s’est produite une résurgence de l’article 14 de la Convention dans le contentieux de la publication des sondages. Appelée à se prononcer sur l’application de la loi de 1977 modifiée par la loi du 19 février 2002, la Cour de Paris[33] a considéré que la loi du 19 février 2002, étant une loi pénale plus sévère, ne pouvait être appliquée à des faits commis avant son entrée en vigueur. La Cour d’appel rappelait que la Cour de cassation avait, par arrêt du 4 septembre 2001, déclaré les articles 11 et 12 de la loi de 1977, dans sa rédaction antérieure à la loi du 19 février 2002, incompatibles avec les articles 10 et 14 de la Convention. Or cet arrêt de la Cour de cassation ne faisant aucunement état de l’article 14, il convient alors de préciser de quelle nature sont les discriminations.
L’article 7 prescrivant la légalité des peines, est souvent escorté de l’article 10. Ainsi la Cour de cassation[34] a-t-elle approuvé une Cour d’appel d’avoir considéré que l’article 38, alinéa 3, de la loi de 1881, était contraire, en raison de l’imprécision de ses termes, aux articles 6, 7 et 10. Mais c’est parfois sans succès que l’article 7 est invoqué devant les juges. Dans une affaire où plusieurs personnes avaient été renvoyées devant le tribunal correctionnel pour publicité indirecte en faveur du tabac, le troisième moyen de cassation invoquait une violation des articles 7 et 10. L’exception fut rejetée par les juges du fond. La Cour de cassation les en approuva, soulignant que les dispositions en la matière étaient une mesure nécessaire à la protection de la santé qui constitue un intérêt général légitime[35].
Sur ce terrain de l’intérêt général, la CEDH tout comme le juge national, est amené à concilier l’article 10 à d’autres articles de la Convention et notamment l’article 8 (prescrivant le respect de la vie privée) : « si la liberté d’expression s’étend également à la publication de photographies, il s’agit là néanmoins d’un domaine où la protection de la réputation ou des droits d’autrui revêt une importance particulière »[36]. L’élément déterminant lors de la mise en balance de la protection de la vie privée et de la liberté d’expression doit résider dans la contribution que l’information apporte au débat d’intérêt général.
- [25] J. Rivero, Les libertés publiques, PUF, collection Thémis-Droit public, Tome 1, Les droits de l’homme, 8ème édition, 1997, p.52.
- [26] La précision de ce texte est remarquable par rapport au caractère plus circonstanciel des textes qui l’ont suivi, par exemple: La Constitution du 24 juin 1793, article 7 : « Le droit de manifester sa pensée et ses opinions, soit par la voie de la presse, soit de toute autre manière, le droit de s’assembler paisiblement, le libre exercice des cultes ne peuvent être interdits. La nécessité d’énoncer ces droits suppose ou la présence ou le souvenir récent du despotisme. »
La Constitution du 5 fructidor an III (1795), puis la Constitution du 22 frimaire an VIII (1799), dont le droit à la liberté d’expression est absent.
La Charte constitutionnelle du 4 juin 1814, article 8 :« Les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions, en se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus de cette liberté. »
La Charte constitutionnelle du 14 août 1830, article 7 : « Les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions en se conformant aux lois. La censure ne pourra jamais être rétablie. »
La Constitution du 4 novembre 1848, article 8 : « Les citoyens ont le droit de s’associer, de s’assembler paisiblement et sans armes, de pétitionner, de manifester leurs pensées par la voie de la presse ou autrement. L’exercice de ces droits n’a pour limites que les droits ou la liberté d’autrui et la sécurité publique. La presse ne peut, en aucun cas, être soumise. à la censure. »
La Constitution du 14 janvier 1852 se contente de reconnaître, confirmer et garantir « les grands principes proclamés en 1789, et qui sont la base du droit public des Français ».
Les lois constitutionnelles des 24, 25 février et 16 juillet 1875, qui forment la Constitution de la Ille République, ne contiennent pas de déclaration de droits, même s’il est admis que les principes de 1789 ont souvent inspiré la législation, et, entre autres, la loi de 1881 sur la presse.
La Constitution du 27 octobre 1946, puis la Constitution du 4 octobre 1958 se sont contentées, sur ce point, de se référer, dans leurs Préambules, à la Déclaration de 1789.
- [27] CE, 19 avril 1991, Belgacem.
- [28] CEDH, 14 juin 2007, Hachette Filipacchi c/ France.
- [29] CEDH, 7 novembre 2006, Légipresse, n°239-III, p.34.
- [30] CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c/ Royaume-Uni .
- [31] TGI Paris, 17e ch., 15 décembre 1998, Ministère public c/ Ph. A., Légipresse, janv./févr. 1999, III-15 ; AJDA 1999. 521, note E. Desfougères.
- [32] CA Paris, 11e ch., sect. B, 29 juin 2000, Légipresse, septembre 2000, III-147.
- [33] CA Paris, 11e ch. B, 23 mai 2002 : Légipresse, octobre 2002, I-125.
- [34] Cass. crim. 20 février 2001 : préc.
- [35] Cass. crim. 18 mars 2003 .
- [36] CEDH, 17 octobre 2006, Gourgunitze c/ Georgie, requêt n°71678/01.