LES CARACTÈRES DE LA RÈGLE DE DROIT
L’idée de droit est intrinsèquement liée à celle de règle, mais cette connexion ne peut être qu’un point de départ dans la réflexion juridique. En effet, il existe de nombreux autres ensembles de règles qui ne sont ni juridiques, ni considérées comme telles. Parmi ces ensembles figurent des règles comme les règles du jeu, les règles morales, ou encore les règles de politesse. Ces normes, bien qu’importantes dans certains contextes, n’ont pas la même nature ni la même fonction que les règles de droit.
Pour délimiter le droit plus précisément, il est essentiel d’analyser les caractéristiques principales qui définissent la règle de droit, c’est-à-dire ce qui en constitue son essence. Traditionnellement, la règle de droit se distingue par quatre traits essentiels :
Cependant, il convient de souligner que la réunion de ces critères ne permet pas toujours de déterminer avec certitude si une norme relève ou non du droit. Parfois, certaines règles qui ne remplissent pas tous ces critères peuvent être considérées comme juridiques, tandis que d’autres, pourtant en apparence conformes à ces critères, ne relèvent pas du droit. Cela rend l’identification et l’analyse de la règle de droit plus nuancées et complexes qu’il n’y paraît initialement.
I – LA RÈGLE DE DROIT EST OBLIGATOIRE
La règle de droit s’impose à tous en tant que commandement : son caractère obligatoire la distingue des simples conseils ou recommandations. Sans cette contrainte, le droit ne pourrait pas remplir sa fonction de régulation sociale. Si les règles n’étaient pas obligatoires, cela conduirait à un état d’anarchie, où chacun agirait à sa guise sans respect pour les autres.
La règle de droit prescrit, interdit, autorise, récompense ou punit. Même les règles qui semblent permissives, comme celles garantissant certaines libertés, sont obligatoires parce qu’elles protègent ces libertés des atteintes extérieures. Par exemple, le droit de grève ou le droit à l’avortement sont des libertés protégées par la loi, et aucun tiers ne peut s’y opposer légalement. Ainsi, même dans ces cas, la force contraignante du droit demeure.
Le caractère coercitif de la règle de droit est renforcé par l’existence de sanctions. Le droit est sanctionné par l’État, qui a pour mission de garantir le respect des règles. Si une personne viole une règle, elle peut être contrainte par les forces publiques (police, gendarmerie) à se conformer à la loi, sur décision judiciaire. Cependant, dans la plupart des cas, la menace d’une sanction suffit à garantir le respect des règles. Les sanctions étatiques ne sont donc pas toujours appliquées, mais elles restent un outil dissuasif.
Respect volontaire du droit
Malgré la coercition potentielle, la majorité des individus respectent le droit de manière volontaire, sans qu’il soit nécessaire de recourir à la force publique. Ce respect repose souvent sur des valeurs partagées et non seulement sur la peur de la sanction. Par exemple, la fidélité dans un couple peut être fondée sur l’amour et non sur la crainte de sanctions légales. De même, la plupart des gens évitent de voler ou de tuer, non seulement à cause des sanctions pénales, mais aussi en raison de leur morale personnelle.
Différence entre règle de droit et autres normes
Le caractère obligatoire permet de distinguer la règle de droit d’autres types de règles, comme les règles religieuses, morales ou de politesse. Ces dernières peuvent être sanctionnées par des formes de réprobation sociale, mais elles ne sont pas appuyées par l’autorité de l’État. Par exemple :
Cependant, dans les États religieux, la distinction entre règle religieuse et règle de droit est souvent inexistante, puisque les normes religieuses sont directement intégrées au système juridique et deviennent obligatoires. En revanche, dans les États laïques, la contrainte exercée par l’État ne concerne que les règles juridiques, et non les autres normes.
La sanction comme caractéristique du droit
L’idée selon laquelle la sanction est le propre de la règle de droit a été critiquée par certains théoriciens, qui estiment qu’elle aboutit à une tautologie : le droit est défini comme ce qui est sanctionné par l’État, et ce qui est sanctionné par l’État est du droit. Cette définition réduit le droit à sa fonction coercitive, sans tenir compte de ses autres dimensions.
Il existe également des situations intermédiaires entre le droit et la morale, où une obligation n’est pas sanctionnée par l’État mais peut acquérir une force juridique sous certaines conditions. Cela concerne notamment les obligations naturelles, qui se situent entre les devoirs moraux et les obligations civiles.
L’obligation naturelle
L’obligation civile est un lien juridique entre deux personnes, qui peut être exécuté de force si nécessaire. En revanche, l’obligation naturelle ne peut pas faire l’objet d’une exécution forcée. Elle repose sur un devoir moral, et le débiteur n’est pas juridiquement contraint de s’y conformer. Un exemple classique est l’obligation alimentaire entre frères et sœurs, qui n’a pas de base juridique comme celle existant entre parents et enfants.
Toutefois, si le débiteur d’une obligation naturelle exécute volontairement cette obligation, elle peut devenir juridique. Si un frère commence à verser une pension alimentaire à sa sœur, cette action volontaire peut transformer l’obligation naturelle en obligation civile. En d’autres termes, si une personne décide d’accomplir un acte relevant d’un devoir moral, cet acte peut acquérir une valeur juridique et être reconnu par le droit. La promesse d’exécuter une obligation naturelle, une fois formulée, devient une obligation civile pouvant être sanctionnée juridiquement.
Cette théorie, qualifiée de moderne ou subjective, explique que l’obligation naturelle repose sur un devoir moral ressenti par le débiteur, mais insuffisant pour être sanctionné directement par la loi. Comme l’a noté le doyen Ripert, il s’agit d’un devoir moral qui s’élève vers l’obligation civile.
En conclusion, la règle de droit est obligatoire et se distingue des autres normes par son caractère coercitif et la possibilité d’être sanctionnée par l’État. Toutefois, des situations intermédiaires, comme les obligations naturelles, démontrent que le droit peut intégrer des éléments relevant de la morale, transformant un devoir moral en obligation juridique lorsqu’il est volontairement exécuté.
II – LA RÈGLE DE DROIT EST GENERALE
La règle de droit est caractérisée par sa généralité, ce qui signifie qu’elle s’applique à toutes les personnes faisant partie du corps social. Sa formulation est toujours impersonnelle et large, d’où l’emploi de termes comme « Quiconque » ou « Toute personne ». Elle ne s’adresse jamais à une personne en particulier, mais concerne tout individu répondant aux critères définis par la règle. Toutefois, cela ne signifie pas que chaque règle juridique s’applique à tous les individus sans distinction. Certaines règles sont spécifiquement destinées à des groupes particuliers : par exemple, les salariés, les médecins, les propriétaires, les conducteurs ou encore les époux.
Une règle peut être générale même si elle ne concerne qu’une catégorie spécifique de personnes. La généralité réside dans le fait qu’elle régit cette catégorie dans son ensemble et non une personne nommément désignée. Par exemple, une règle juridique concernant le président de la République française est toujours générale, même si une seule personne occupe cette fonction à un moment donné, car elle s’applique à tout individu qui occupe ce poste sans le nommer spécifiquement.
Le caractère général de la règle de droit constitue une protection contre l’arbitraire et les discriminations individuelles. Cependant, cela ne signifie pas nécessairement égalité absolue. Le droit peut prévoir des discriminations justifiées, comme accorder des protections supplémentaires aux personnes âgées, aux femmes enceintes ou aux enfants, ou encore être plus sévère envers les automobilistes présentant un danger pour autrui. En revanche, les discriminations fondées sur des critères illégitimes comme la race, le sexe, la religion ou les convictions politiques sont interdites. Ainsi, bien que la généralité protège contre l’arbitraire, elle ne suffit pas à garantir l’égalité parfaite.
La règle de droit et les situations générales
La règle de droit s’applique à des situations générales, et non à des cas individuels. Par exemple, la loi n’énonce pas que Jean est l’enfant légitime de M. et Mme Dupont, mais elle établit que tous les enfants nés durant le mariage sont présumés légitimes. Le juge, lui, se prononce sur des situations particulières en appliquant la règle de droit aux faits spécifiques qu’il examine. Il ne crée pas de règle générale, mais rend une décision relative au litige qui lui est soumis.
Différence entre règle de droit et décision individuelle
Le caractère général de la règle de droit la distingue de certaines décisions individuelles, même lorsqu’elles émanent d’institutions comme l’Administration ou le Parlement. Par exemple, l’octroi d’un permis de conduire, une notification de droits, l’organisation de funérailles nationales ou la nomination à un poste public par décret ne sont pas des règles de droit. Ce sont des dispositions personnelles qui concernent des situations ou des individus particuliers, sans vocation à régir des catégories générales. De la même manière, un jugement rendu pour résoudre un litige spécifique n’édicte pas une règle de droit générale, mais répond à une situation particulière.
Ainsi, si la règle de droit a pour objet de régir les situations générales applicables à un ensemble de personnes, les décisions individuelles visent des cas spécifiques et ne créent pas de normes à portée générale.
III. – LA RÈGLE DE DROIT EST PERMANENTE
La règle de droit est qualifiée de permanente car elle a vocation à s’appliquer de manière continue et constante tant qu’elle est en vigueur. Une fois adoptée, elle est conçue pour régir l’avenir et durer jusqu’à son abrogation par l’autorité compétente. Cela signifie que, pendant son existence, elle s’impose à tous de manière uniforme et sans interruption, tant que les conditions prévues par la règle sont réunies.
Cependant, cela ne veut pas dire que la règle de droit est éternelle. Elle a un début, qui correspond à son entrée en vigueur, et une fin, lorsque l’autorité compétente décide de l’abroger ou de la remplacer. Pendant le temps où elle est applicable, elle doit être respectée et appliquée systématiquement par les juridictions et les autorités, même si elle peut paraître inopportune ou obsolète à un moment donné.
Le juge n’a donc pas la possibilité de remettre en question l’application d’une règle de droit en fonction de sa propre appréciation de son opportunité. Si les conditions légales sont respectées, la règle s’applique pleinement jusqu’à ce qu’elle soit abrogée ou modifiée. Cela garantit la stabilité et la prévisibilité des règles juridiques, permettant ainsi aux citoyens et aux institutions de connaître les conséquences de leurs actes à l’avance.
L’autorité qui abroge la règle est, en principe, la même que celle qui l’a instaurée. Cela peut être le législateur (pour une loi), une autorité administrative (pour un règlement), ou encore des instances internationales, selon le type de norme.
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