La règle « Nullum crimen, nulla poena sine lege »

LA RÈGLE « NULLUM CRIMEN NULLA POENA » OU LE PRINCIPE DE LÉGALITÉ CRIMINELLE

Deux questions.

1) Qui fait le tri ?

2) Une fois tri effectué, comment le citoyen en a-t-il connaissance ?

Réponse varie selon le système politique.

1) Le législateur.

2) Il le fait par une loi qu’il publie.

Loi = mode de détermination des infractions.

C’EST LE PRINCIPE DE LA LÉGALITÉ CRIMINELLE.

Conséquence : dans un système politique comme le notre, les rapports entre le crime et la loi sont très étroits, au point que certains en déduisent que loi cause le crime.

La loi va permettre la classification des infractions.

Ce principe ne peut pas être réduit simplement à sa traduction juridique. Il obéit à des présupposés qui sont de nature politique. Il faut admettre que ce principe puisse évoluer puisque ces présupposés politiques sont évolutifs.

Chapitre 1 – Pourquoi ce principe de la légalité criminelle ?

Ce principe tel qu’il existe juridiquement a en amont une justification politique.

  1. JUSTIFICATION POLITIQUE DE CE PRINCIPE

Question: comment peut-on dans une société donnée respecter les libertés individuelles tout en imposant un certain ordre ? A cette question, de multiples réponses politiques peuvent être données, pouvant sacrifier l’un ou l’autre.

= IL FAUT UN ÉQUILIBRE. Il faut que ceux qui fixent cet équilibre soient dotés de la légitimité nécessaire pour le faire.

  • 1. Légalité criminelle et légitimité politique

DROIT PÉNAL suppose que l’on prenne la décision d’incriminer tel ou tel comportement.

INCRIMINER UN COMPORTEMENT : dire que la valeur atteinte par ce comportement est un pilier de l’ordre.

Qui prend cette décision ?

Dans une démocratie : la volonté populaire.

Dans une démocratie représentative, le peuple va prendre cette décision par l’intermédiaire de ses représentants élus = POLITIQUEMENT LÉGITIMES.

= Le droit pénal n’est légitime que s’il a sa source dans une loi.

La légalité suppose aussi : une incrimination est légitime si elle respecte un ÉQUILIBRE ENTRE LA DÉFENSE DE L’ORDRE ET LA SAUVEGARDE DES LIBERTÉS.

Le législateur n’est légitime à recourir au droit pénal que lorsqu’il n’y a pas d’autres moyens d’assurer l’ordre que de recourir au droit pénal (administratif, civil, pas suffisants).

Article 8 de la DDHC: le Droit pénal est l’ultime recours.

Le principe de légalité criminelle implique le principe de la territorialité de la loi pénale.

Le droit pénal s’applique exclusivement sur le territoire de la République française, sous réserve de l’application de la loi pénale dans l’espace.

  • 2. Légalité criminelle et opportunité répressive

Cf. Lacordaire «Entre le fort et le faible, la loi libère et la liberté asservit».

ÉTAT POLICIER : État posant des règles qu’il ne respecte pas.

ÉTAT DE DROIT = État posant des règles de droit auxquelles il se soumet lui-même. Conséquence : les incriminations ne peuvent pas sacrifier de manière excessive les libertés individuelles.

Principe de légalité criminelle = garantie contre l’arbitraire. Le droit criminel constitue une des branches les plus protectrices des libertés individuelles.

  1. AFFIRMATION POLITIQUE DU PRINCIPE DE LA LÉGALITÉ CRIMINELLE

Principe consacré en France par la DDHC du 26 août 1789.

Article 5: tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché.

Article 7: nul homme ne peut être arrêté ni détenu que dans les cas prévus par la loi.

Article 8: le droit pénal est l’ultime recours.

Principe repris dans les codes répressifs (Ancien et nouveau Code Pénal) :

Articles 111-2 (sources légitimes), 111-3 et 111-4.

Ce principe a valeur constitutionnelle:

Le législateur doit lui même respecter.

Le juge pénal n’a aucune compétence pour apprécier la constitutionnalité de la loi pénale.

QPC: à la suite d’une réforme de 2008, possibilité pour une personne devant le juge judiciaire de dire qu’une disposition n’est pas conforme à la Constitution.

DOUBLE FILTRAGE.

Avec la Constitution de 1958, on a opéré une répartition des compétences entre le parlement et le pouvoir exécutif: les articles 34 et 37 de la Constitution sont repris dans l’article 111 du Code Pénal.

La loi détermine les crimes et les délits.

Le règlement détermine les contraventions.

Section I. Le principe de la légalité criminelle.

«Nullum crinem nulla poena sine lege».

= PAS DE CRIME, PAS DE PEINE.

= PAS DE PEINE SANS LOI.

  1. LA RÈGLE « NULLUM CRIMEN NULLA POENA »

La règle est donc double.

  • 1. La légalité des incriminations

SEULS LES ACTES EXPRESSÉMENT INCRIMINÉS PAR UN TEXTE SONT DES INFRACTIONS. Cf. Article 111-3 Code Pénal.

Cette règle est absolue.

Aucune exception : aucun comportement incriminé sans texte.

Cette règle est générale.

Elle vaut pour toutes les infractions quelle qu’en soit la gravité.

Le législateur va dresser une liste des incriminations en autant de textes qu’il est nécessaire.

Ce texte doit être intelligible (contre l’arbitraire). Exigence du Conseil constitutionnel, confirmée par l’article 7 de la CESDH = principe de la légalité criminelle.

On ne peut pas sanctionner pénalement un comportement qui n’est pas prévu par la loi.

Le juge ne peut incriminer lui même. Cf. Code pénal serait pour cela la grande charte de malfaiteurs.

  • 2. La légalité des sanctions pénales

«Pas de peine sans loi» : la sanction pénale qui sera infligée à celui qui aura transgressé l’incrimination sera celle prévue par le texte et uniquement celle là.

Le Conseil constitutionnel en a tiré des conséquences, et peut censurer une loi pénale pour non respect de ces principes:

Lorsque le législateur incrimine un comportement, IL DOIT RESPECTER LE PRINCIPE DE NÉCESSITÉ.

Le législateur DOIT RESPECTER LE PRINCIPE DE PROPORTIONNALITÉ : la peine doit correspondre proportionnellement à la gravité de l’infraction.

Le principe de légalité criminelle va avoir en lui-même des conséquences :

Dans le texte, LA NATURE DE LA PEINE DOIT ETRE DÉTERMINÉE: amende, privative de liberté, les deux…

Le texte doit PRÉCISER LA QUANTITÉ (quantum) :

privation de liberté = la durée de la peine ;

pour une amende = le montant.

Exigence de précision du législateur ó Exigence de respect du juge des bornes de la loi

= Le juge ne peut prononcer pour un acte incriminé que la peine prévue dans cette incrimination (Motif de censure).

  1. LA NOTION DE LOI PÉNALE AU REGARD DU PRINCIPE DE LÉGALITÉ CRIMINELLE

Il faut distinguer deux grandes sources de droit pénal:

Les sources franco-françaises.

Les sources internationales.

  • 1. Les sources nationales du droit pénal

LOI

RÈGLEMENT.

Sources nécessairement écrites.

Les usages ou la coutume ne peuvent pas en eux mêmes incriminer un comportement.

MAIS La loi peut en tant que source légitime du droit pénal faire référence à une coutume ou à un usage en l’intégrant dans les composantes d’une infraction.

Ex : on incrimine dans le code pénal les actes de cruauté envers les animaux, sévices sexuels compris. On fait réserve à certaines pratiques locales ininterrompues : les actes de tauromachie. Ces actes n’encourent pas de sanctions pénales parce que c’est une coutume locale.

  1. La loi

= Texte voté par le parlement.

= promulgué par le PR au journal officiel.

LA LOI ÉTAIT TRADITIONNELLEMENT LA SEULE SOURCE DU Droit pénal.

En 1958, sont intervenus les règlements.

Détermination des crimes et délits + amnistie = compétence exclusive du législateur (article 111-2 du Code Pénal).

Détermination des contraventions = compétence du pouvoir réglementaire (article 111-3 du Code Pénal).

MAIS Le conseil constitutionnel considère qu’en dépit de ces articles 34 et 37, rien ne s’oppose à ce que le législateur créer des contraventions. La loi du 11 octobre dernier qui interdit dissimulation des visages dans les espaces publics est une simple contravention.

D’autres dispositions:

Article 16 de la Constitution confère au Président de la République le pouvoir d’intervenir en période de crise en dehors du domaine prévu par la loi. Il pourrait intervenir dans le domaine de la loi et créer des crimes et des délits.

Les ordonnances prévues par l’article 38 de la Constitution qui autorise la délégation du Parlement au bénéfice du pouvoir réglementaire. Le Parlement pourrait donc charger le pouvoir règlementaire de ratifier une ordonnance en matière pénale.

Le code pénal actuel n’est que le résultat de quatre lois adoptées en 1792. Le code pénal contient tout le droit pénal, mais on trouve dispositions pénales dans bien d’autres codes : code du travail, de la santé publique, de l’urbanisme, de commerce…

  1. Les règlements

Tous les textes qui émanent du pouvoir règlementaire ne sont pas des sources possibles pour le droit pénal.

Les simples circulaires de l’administration ne peuvent pas servir de fondement à une poursuite. SEULS LES RÈGLEMENTS.

Cf. articles 111-2 et 111-3 du code pénal.

«Les règlements sont faits de la somme des décrets (ministériels) et arrêtés (préfectoraux et municipaux) ».

L’article 37 introduit distinction:

LES DÉCRETS AUTONOMES. Code Pénal. articles R-610-1 et suivants.

décrets pris en Conseil d’état.

par un décret autonome le pouvoir réglementaire reçoit le pouvoir de créer des incriminations, et de décider quelle est la peine qui sanctionnera l’auteur de cette contravention.

MAIS

1) Cette peine doit être déterminée dans les limites fixées par le législateur. Cf. article 131-12: le législateur a précisé les montants maxima de l’amende en matière contraventionnelle = 1500 euros, maximum porté potentiellement à 3000 euros pour sanctionner des contraventions en état de récidive.

2) S’agissant des peines, une contravention ne sera JAMAIS sanctionnée par une peine privative de liberté.

LES DÉCRETS D’APPLICATION.

Le pouvoir exécutif peut intervenir en application d’une loi particulière.

1° Le législateur a créé une infraction.

2° Il laisse le soin à l’exécutif d’apporter les précisions nécessaires.

3° Le législateur a précisé la peine.

Le pouvoir réglementaire peut décider que la violation d’un de ses propres règlements constitue une contravention MAIS une contravention de première classe.

* 1ère classe = la moins grave qui expose son auteur à une amende de 38 euros (= RÉGLEMENTS DE POLICE).

  • 2. Les sources internationales du droit pénal

Deux types de conventions.

  1. Conventions internationales ordinaires

Des traités internationaux ont très directement une finalité répressive.

Des conventions internationales peuvent IMPOSER AUX ÉTATS SIGNATAIRES DE CRÉER UNE INCRIMINATION.

A des fins d’harmonisation, des conventions peuvent IMPOSER AUX ÉTATS SIGNATAIRES DE METTRE EN COMMUN UNE DÉFINITION DE TEL COMPORTEMENT.

Hypothèse : La France ne respecte pas ses obligations.

ALORS : ce traité n’est pas une source de droit pénal = pas d’application directe dans notre ordre juridique interne.

Hypothèse : La France respecte cette signature.

ALORS une juridiction française peut condamner celui qui ne respecte pas ce comportement. Ce n’est pas le traité qui condamne mais la loi qui en application du traité incrimine.

  1. Conventions internationales privilégiées

LE TRAITÉ DE ROME : les actes dérivés (=règlements communautaires et directives). L’ensemble de ces actes dérivés a été à l’origine de ce qu’on a appelé le droit communautaire, devenu droit de l’Union.

Rôle du droit communautaire :

SOIT UNE SOURCE DE Droit pénal, au même titre que loi et règlement :

Le droit communautaire peut-il être source d’incrimination ?

Pendant très longtemps: NON !

Refus d’abandon de la souveraineté nationale par les États membres.

*Le droit communautaire ne pouvait préconiser l’incrimination d’un comportement que par voie de règlement : règlement qui devait être suivi d’une loi française.

Puis, la CJCE (CJUE) en 2005 puis en 2007 a dit OUI !

Elle a rendu deux décisions: elle a jugé que le droit communautaire pouvait être source du droit pénal lorsque ce recours au droit pénal était nécessaire pour atteindre des objectifs du droit communautaire.

Cf. Elle a pris cette décision en matière d’environnement

= COUP D’ÉTAT : Une compétence pénale complète est reconnue à l’UE. Elle pourra INCRIMINER DIRECTEMENT sans passer par le relais d’une loi.

SOIT EFFET NEUTRALISATEUR SUR LE Droit pénal INTERNE.

Il faut supposer que dans le code pénal français existe une incrimination.

La personne poursuivie devant une juridiction française vient soutenir que ce texte n’est pas compatible avec le droit de l’UE.

Au nom de cette contradiction, le juge français peut-il alors refuser de faire application du texte du code pénal ?

SI OUI: on reconnaît au droit de l’Union Européenne le pouvoir de NEUTRALISER LE DROIT PÉNAL FRANCAIS.

Pouvoir de neutralisation très tôt admis par la Chambre criminelle (pour règlements + directives communautaires).

= PRIMAUTÉ DU DROIT DE L’UE, MÊME EN DROIT PÉNAL.

Ex : «Plus de fromages que de jours dans l’année». Arrêt de la Cour de cassation. Une grande enseigne qui achetait de l’emmental à un certain producteur. En France, texte définit l’emmental !

Nos amis étrangers ont inventé un procédé de fabrication du fromage sous film cellophane, parce que si on fait un fromage avec une croute, ca coute cher en lait !!! Premier fabricant assigne le second en justice pour publicité mensongère. La Cour de cassation a estimé que l’appellation du fromage sans croute trompeuse serait une atteinte à la concurrence pour les pays étrangers exportateurs de fromage. Primauté du droit de l’Union Européenne sur le droit français.

LE CAS PARTICULIER DE LA CESDH.

1) La CESDH est-elle d’invocabilité directe par les justiciables français ?

OUI : Elle est directement invocable par un justiciable français devant une juridiction française.

Le juge peut D’OFFICE FAIRE APPLICATION DES PRINCIPES DE LA CONVENTION.

2) La CESDH est-elle une source de droit pénal ?

Pouvoir de neutralisation du Droit pénal interne.

= si un juge français constate une contradiction CESDH /droit interne, PRIMAUTÉ DE LA CESDH (Cour de cassation).