La résistance au pouvoir : de la contestation à la révolution

Le couple « autorité / contestation » : l’équilibre nécessaire dans les régimes démocratiques

La légitimité du pouvoir repose sur son acceptation par les gouvernés. Cependant, cette acceptation n’est jamais totale. La distinction entre gouvernants et gouvernés, souvent perçue comme une inégalité de statut ou de privilèges, alimente des critiques et des revendications. Maurice Hauriou évoque ainsi un « couple autorité / contestation », soulignant l’interdépendance entre ces deux notions pour assurer un équilibre dans les démocraties.

A) La place de la contestation

De la répression au pluralisme

Dans les régimes autoritaires ou absolutistes, la contestation était historiquement réprimée :

  • Les opposants étaient exclus, voire éliminés.
  • Le pluralisme des idées était perçu comme une menace pour l’unité du pouvoir.

Avec l’émergence des Lumières au XVIIIᵉ siècle, une nouvelle perspective apparaît :

  • Les désaccords sont tolérés et organisés, devenant des moteurs du débat politique.
  • Ce pluralisme permet d’exprimer les divergences et de les confronter pour aboutir à des solutions nouvelles.

Ainsi, dans les démocraties contemporaines, le vote devient le mécanisme central pour départager les opinions. La décision majoritaire prévaut, tout en laissant une place à l’expression des minorités.

Un contre-pouvoir essentiel

La contestation joue un rôle fondamental dans une démocratie :

  • Elle limite les abus de pouvoir en maintenant un contrôle constant.
  • Elle offre des alternatives au gouvernement en place, stimulant l’innovation et les réformes.
  • Elle contribue à canaliser les frustrations sociales, réduisant les risques de conflits violents.

II) L’opposition et ses niveaux

Opposition au régime ou dans le régime ?

L’opposition peut s’exprimer de deux façons distinctes :

  1. Opposition au régime :
    • Elle remet en cause la légitimité du système politique lui-même.
    • Exemples : Révolutions ou contestations radicales visant à renverser le régime en place.
  2. Opposition dans le régime :
    • Elle s’inscrit dans les règles établies par le régime démocratique.
    • Elle vise à modifier des politiques ou des structures spécifiques sans remettre en question le régime.

Les démocraties acceptent l’opposition dans le régime, mais elles limitent généralement l’opposition au régime. Comme le souligne Saint-Just, la tolérance envers ceux qui remettent en question les bases mêmes de la liberté reste un défi.

Les niveaux d’opposition selon Robert Dahl

Le politologue américain Robert Dahl, dans son ouvrage L’avenir de l’opposition dans les démocraties, classe l’opposition en fonction de son objectif :

  1. Changement du personnel gouvernemental :
    • Opposition minimale visant à remplacer les dirigeants en place sans modifier les politiques.
  2. Changement de politiques spécifiques :
    • Contestation ciblée sur des décisions ou orientations précises.
  3. Changement de structure politique :
    • Opposition cherchant à modifier les institutions ou les mécanismes du régime.
  4. Changement de structure socio-économique :
    • Opposition la plus radicale visant une transformation profonde de la société.

Typologie de l’opposition

En combinant ces objectifs, Dahl identifie trois types d’opposition :

  • Opposition non structurelle :
    • Modifications superficielles sans remise en cause des institutions.
    • Exemple : Alternance politique entre partis dans un régime stable.
  • Opposition semi-structurelle :
    • Critique plus profonde, visant des réformes institutionnelles ou économiques.
    • Exemple : Mouvements sociaux pour une réforme constitutionnelle ou fiscale.
  • Opposition structurelle :
    • Contestation radicale visant une refonte complète du système.
    • Exemple : Révolutions ou mouvements révolutionnaires.

Un phénomène de distance

L’opposition est intrinsèquement liée à une distance entre les gouvernés et les gouvernants. Cette distance peut se traduire par une simple critique des politiques ou par une remise en cause plus profonde des fondements du pouvoir. Dans les démocraties modernes, la contestation dépasse rarement le niveau structurel, favorisant ainsi une stabilité relative.

III) La révolution comme rupture.

La révolution constitue une rupture totale dans l’ordre établi, engendrant une transition souvent brutale d’un système juridique et politique vers un autre. Elle se manifeste généralement comme une réaction face à une illégitimité perçue du pouvoir en place et bouleverse les fondements mêmes du régime, du souverain, et parfois des structures sociales et économiques.

A) Le concept de résistance et le droit à l’insurrection

Sanction des gouvernements : organisée et inorganisée

  1. Sanction organisée :
    • En démocratie, un gouvernement peut être responsabilisé devant le Parlement ou les citoyens. La sanction est prévue par les institutions, comme par exemple le vote d’une motion de censure ou la tenue d’élections anticipées.
  2. Sanction inorganisée :
    • Quand les institutions sont impuissantes ou absentes, le droit à la résistance peut émerger. Ce droit à la désobéissance, voire à l’insurrection, repose sur un rapport de force et un sentiment d’injustice profonde.

Le tyrannicide : un débat historique

Le tyrannicide, c’est-à-dire le meurtre du dirigeant considéré comme illégitime ou oppresseur, a été un sujet de débat historique :

  • Dans les monarchies absolues : Le roi, vu comme représentant de Dieu, jouissait d’une légitimité divine, rendant difficile toute opposition directe.
  • Durant la Révolution française : Cette notion prend un sens symbolique. Par exemple, l’exécution de Louis XVI en 1793 représente la fin de la monarchie comme principe de souveraineté.

Révolution française et droit à l’insurrection

La Révolution française illustre parfaitement cette idée :

  • Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1793), article 35 :
    • « Quand le gouvernement viole les Droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »
    • Mais qui juge de cette violation ? L’histoire montre que c’est souvent le peuple lui-même, au travers de soulèvements massifs ou de révoltes organisées.

B) La révolution : une substitution d’un système à un autre

Un changement de souverain et de régime

La révolution ne se limite pas à un simple changement de gouvernants, elle implique une transformation profonde :

  • Changement de souveraineté : La souveraineté peut passer du monarque au peuple (ex. Révolution française).
  • Substitution des systèmes juridiques et politiques : Un ordre ancien est aboli pour laisser place à un nouvel ordre jugé plus légitime ou adapté.

La fréquence des révolutions au XIXᵉ siècle en France

  • 1830 et 1848 : Ces révolutions témoignent des conflits entre la légitimité monarchique et celle du peuple.
  • Stabilisation sous la Troisième République (1870) : Avec l’établissement durable de la République, la souveraineté populaire est définitivement reconnue.

C) Les révolutions : continuité et rupture

Conservation de certains éléments de l’ordre ancien

Malgré le changement radical apporté par une révolution, certains aspects du régime précédent peuvent subsister, selon la volonté du nouveau pouvoir :

  • Droit privé conservé en France après les révolutions du XIXᵉ siècle, car jugé fonctionnel et neutre politiquement.
  • Révolution russe de 1917 : Contrairement aux révolutions françaises, elle transforme profondément l’ordre économique, abolit la propriété privée et instaure un système collectiviste.

Un bouleversement complet dans certains cas

Certaines révolutions transforment non seulement les institutions politiques, mais aussi :

  • Les valeurs et idéaux fondamentaux (ex. égalité et liberté après la Révolution française).
  • Les structures sociales et économiques (ex. abolition des classes bourgeoises après 1917 en Russie).

 

 

Le cours complet de droit constitutionnel est divisé en plusieurs parties :

Isa Germain

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