La responsabilité de l’administration

LA RESPONSABILITÉ DE L’ADMINISTRATION

La responsabilité en droit administratif est une responsabilité extra contractuelle, qui est une responsabilité délictuelle absorbant la responsabilité quasi délictuelle. La responsabilité administrative est une question délicate car il convient à la fois d’assurer aux victimes des dommages causés par l’administration une juste indemnisation ; mais aussi de tenir compte des structures particulières de l’appareil administratif et de traiter différemment certaines activités spécifiques des services publics.

Chapitre 1. Les cas jurisprudentiels d’engagement de responsabilité.

Pendant longtemps le principe qui a dominé a été celui de l’irresponsabilité des personnes publiques. Aujourd’hui dans le monde il y a des pays où il n’y a pas de responsabilités publiques. Progressivement le juge administratif s’est efforcé de dégager une véritable théorie de la responsabilité administrative, et ce pour deux raisons :

· Il importe d’abord que les victimes de dommage administratif soient indemnisées.

· Il faut également que soient sanctionnées les violations des droits résultants de comportement fautif.

En ce sens la responsabilité se présente comme une des conséquences du principe juridicité de l’action administrative. Et c’est sans doute sur ce point que gît la différence la plus importante entre le système administratif de responsabilité et le système civiliste de responsabilité. Car en droit administratif on ne peut jamais oublier que la responsabilité est aussi commandée par la volonté de sanctionner les conséquences d’un comportement ou d’un acte révélateur de la violation de la juridicité. De ce fait, le système de responsabilité en droit administratif n’est pas seulement un système d’indemnisation, c’est également un système moralisateur.

La théorie de la responsabilité des personnes publiques est complexe en raison des intérêts contradictoires qu’elle met en jeu. Car d’un côté il ne faut pas laisser les victimes sans recours, mais d’un autre côté il ne faut pas non plus paralyser l’action des services publics. Ce régime de responsabilité concerne aussi bien les personnes publiques que les personnes privées qui gèrent un service public dès lors qu’elles font usage de prérogatives de puissance publique. Il s’agit de se demander dans ce système de responsabilité quels sont les caractères que doit revêtir un fait causant un dommage pour que soit ouvert un droit à réparation. Et en droit administratif, comme en droit civil, la victime, comme ces ayant droit, doit prouver qu’un fait commis ou une décision prise par l’administration lui a causé préjudice.

En effet, un fait non préjudiciable même s’il est répréhensible n’ouvre pas droit à une action à des fins indemnitaires. Ce fait dommageable peut être conçu de deux manières :

ou bien on exigera que se fait soit fautif,

ou bien on n’exigera pas que le fait soit fautif mais seulement qu’il y ait un lien de causalité entre ce fait et un dommage.

Dans le premier car la responsabilité sera fondée sur la faute, dont le second cas la responsabilité sera engagée sans faute. Une raison procédurale impose de distinguer soigneusement les deux systèmes de fondement de responsabilités.

Lorsque l’action en réparation est fondée sur un cas de responsabilités non fautives alors que le juge saisi considère qu’en réalité c’est action aurait dû être fondé sur la faute, il y a une erreur sur le fondement juridique et cette erreur rend l’action contentieuse irrecevable si le délai de recours est expiré entre le jour du dépôt de la requête et le jour où est découverte l’erreur sur le fondement juridique. Conseil d’état à cette novembre 1969 « dame Argussol ».

En revanche lorsqu’une faute est invoquée comme fondement de l’action et que le juge estime que la responsabilité aurait dû être engagée sans faute, le requérant sera néanmoins jugé recevable dans son action et le juge substituera au besoin d’office le fondement valable au fondement erroné, conseil d’état 24 juin 1961 « Chevalier ».

Le droit administratif de la responsabilité délictuelle ou extra contractuelle est largement indépendant des articles 1382 et suivants du Code civil.

Section 1. La responsabilité fondée sur la preuve d’une faute.

La responsabilité fondée sur l’existence d’une faute est en droit administratif le principe. Cela signifie que le juge applique d’abord ce régime, il ne recourt à un régime de responsabilité non fondé sur la faute que dans le cas où se trouvent réalisées les conditions d’intervention de ce dernier telles qu’elles ont été fixées par la jurisprudence ou par les textes.

Paragraphe 1. Typologie de la faute.

Cette typologie de la faute soulève deux problèmes. D’abord celui des agissements qui peuvent être qualifiés de fautifs. Et ensuite celui des degrés de la faute.

A. Les diverses fautes.

Une première série de faute réside dans l’inertie, l’abstention ou l’inaction de l’administration. Ainsi par exemple l’administration engage sa responsabilité en ne prenant pas les mesures d’exécution (décrets) ordonnés ou impliqués par la loi. Conseil d’état 24 juillet 1936 « syndicat de défense des grands vins de la Côte d’Or ».

De même l’administration commet une faute en ne s’assurant pas avant d’accorder un permis de construire un chalet en montagne des risques d’avalanche que comporte l’emplacement choisi et en n’utilisant pas les services des administrations des eaux et forêts qui établi un tracé permanent des zones d’avalanche. Tribunal administratif de Grenoble le 19 juin 1979 « dame Bosvy et autres ».

Pareillement l’administration municipale, une commune commet une faute pour n’avoir pas mis en place un système susceptible de faire effectivement respecter l’interdiction d’utiliser le plongeoir de cinq mètres dans la piscine sans avoir obtenu l’autorisation préalable de la ville. Conseil d’état 9 juillet 1975 « ville de cognac ».

Également commet une faute la commune qui s’abstient de lutter contre le dépôt d’ordures sauvages. Conseil d’état à 28 octobre 1977 « commune de Merfy ».

Constitue également une faute le fait pour l’état de n’avoir pas assuré toutes les heures obligatoires d’enseignement dans un collège.

Il faut souligner que la cour de justice des communautés européennes estime que la non transposition d’une directive communautaire en droit national engage la responsabilité de l’État. CJCE le 19 novembre 1991 « Andréa Francovich ». Et la cour d’appel de Paris a considéré entérinant cette décision comme telle, qu’était fautive la non transposition en droit français des objectifs d’une directive communautaire. Cour administrative d’appel le 1er juillet 1992 « société Jacques Dangeville ».

Une deuxième série de faute résulte de décision positive. Il convient de préciser qu’une décision administrative ne peut entraîner la responsabilité de son auteur pour faute que si elle est illégale et qu’elle cause préjudice. Il n’est donc pas possible d’engager la responsabilité de l’administration sur le fondement de la faute, lorsque la décision en cause est légale. Conseil d’état 22 février 1963 « commune de Gavarni » (cirque, boutiques, ânes…).

Cette illégalité n’est pas suffisante à elle seule pour permettre d’actionner la responsabilité de la personne publique. Il y a ainsi une dissociation des deux notions d’illégalité et de responsabilité. Pour que la responsabilité soit engagée il faut que la décision illégale cause un préjudice, sinon il n’aura pas lieu à réparation.

Pareillement si la décision illégale est identique à la décision légale qu’aurait pu prendre l’administration en se fondant sur une substitution de motif, ou en opérant une substitution de base légale il n’aura pas lieu à responsabilités.

Pendant longtemps le juge opéré une distinction entre l’illégalité constitutive d’une faute et l’illégalité imputable à une erreur d’appréciation. Et cette dernière n’engageait pas normalement la responsabilité de l’administration. Le juge a opéré un revirement de jurisprudence dans sa décision du 26 janvier 1973 « ville de Paris contre Sieur Driancourt » à propos de la décision du préfet de police de Paris ordonnant la fermeture d’un établissement de jeu.

Une troisième série de faute résulte des renseignements erronés et des promesses non tenues. Normalement l’administration commet une faute en donnant des renseignements inexacts. Toutefois d’une part l’administration n’est pas une agence générale de renseignements. D’autre part il appartient aux administrés de vérifier dans la mesure de leurs compétences et de leurs connaissances les informations qui leur sont données. De même les promesses de l’administration sont susceptibles d’engager la responsabilité de cette dernière lorsqu’elles ne sont pas tenues à condition d’être suffisamment précises. Conseil d’état 24 avril 1964 « société des huileries de Chauny ».

De même est fautif le refus de donner un renseignement. Ainsi été fautif le refus par l’administration maritime de révéler à des personnes qui avaient remorqué une vedette en difficulté l’identité du propriétaire de la vedette mettant ainsi le remorqueur dans l’impossibilité de se faire payer. Conseil d’état 1er février 1980 « France et autre ».

En revanche le fait pour l’administration de donner une information inexacte n’engage pas normalement la responsabilité de l’administration sauf s’il s’agit d’une manoeuvre destinée par exemple à obtenir une baisse des prix de ce qu’elle va acheter. Tel n’est pas le cas lorsque le directeur des musées de France fait connaître aux commissaires-priseurs avant les enchères publiques qu’il n’autorisera pas l’émigration de l’objet en vente. Conseil d’état 7 octobre 1987 « ministre de la culture contre Genty ».

Une quatrième série de faute, l’abus de droit.. On entend par abus de droite l’hypothèse dans laquelle les personnes utilisent des droits ou des pouvoirs qui lui appartiennent effectivement mais d’une façon manifestement non voulue par les auteurs du texte attributif de ces droits ou de ces pouvoirs.

Par exemple le conseil d’état a jugé que l’administration commet est un abus de droit dans le cas où pour mettre fin à une exploitation de carrière qui était effectuée de façon irrégulière l’administration a pris une décision brusque et de caractère inattendu. Conseil d’état 22 novembre 1929 « compagnie de mines de Siguiri ».

Une cinquième série de faute, constitue une faute le retard mis par l’administration à prendre ou à exécuter une décision. Par exemple constitue une faute le retard de plusieurs mois mis pour réintégrer un fonctionnaire qui se trouvait jusque-là en position de détachement. Est fautif le délai de dix ans pour délivrer un titre de pension auquel la personne avait droit.

Enfin une sixième catégorie, les agissements matériels constituent la cause la plus importante quantitativement de la mise en jeu de la responsabilité administrative. Ils peuvent consister en imprudence, négligence, inobservation des règlements, maladresse, légèreté, erreur inexcusable, malveillance ou intention de nuire.

Est fautif également le fait pour la ville d’intervertir les règles de priorité dans un carrefour, du jour lendemain, de nuit, sans présignalisations et en maintenant au sol les anciennes bandes blanches relatives aux anciennes priorités. Conseil d’état 3 octobre 1979 « Clermont-Ferrand contre Picard ».

B. Les degrés de la faute.

Toutes les fautes commises par l’administration n’ont pas la même gravité. Une hiérarchie existe. Dans un premier temps le juge administratif distinguait trois types de faute : simple, lourde, lourde et d’une extrême gravité.. À partir d’une décision du 21 décembre 1962 « Dame Husson-Chiffre » la jurisprudence s’est fixée dans le sens d’une distinction dualiste en ne retenant plus que la faute simple et la faute lourde.

La faute simple est celle qui n’est pas lourde. Cela signifie que la jurisprudence ne définit jamais ce qu’est une faute simple. Le juge se borne à constater qu’il y a faute parce qu’il n’y a pas coïncidence entre le déroulement des faits qui ont donné lieu au litige et le schéma idéal de comportement qui est attendu dans ces circonstances. Cela signifie aussi que le juge va déduire la faute simple par abstraction de la faute lourde. Parce que la faute sera à qualifier elle sera une faute simple.

Sont ainsi qualifiées de fautes simples : l’inclusion dans un contrat de stipulations contraires à des dispositions légales ou réglementaires.

Ou encore le maintien en service d’un matériel de parachutistes qui auraient dû être réformés.

Ou encore constitue une faute simple l’interdiction illégale de projeter un film. Conseil d’état 25 mars 1966 « société des films Marceau ».

Ou encore constitue une faute simple le défaut de surveillance d’un malade au comportement anormal.

Ou encore la fourniture par un centre de transfusion sanguine de sang d’un groupe différent de celui demandé. Dernier exemple, la faute commise par un service de ramassage scolaire, conseil d’état 26 mai 1976 « époux Cabalaras ».

Entre la faute lourde et la faute simple il existe une importante différence de régime juridique. En effet si l’administration peut toujours par contrat s’exonérer de sa faute simple, elle ne peut jamais s’exonérer de sa faute lourde car elle est considérée comme un dol.. Cependant dans un certain nombre de cas le juge va expressément qualifier la faute lourde car certains services ne peuvent voir leur responsabilité engagée que dans le seul cas où ils ont commis une faute lourde.

Paragraphe 2. L’exigence de la faute lourde.

On observe une tendance à une évolution qui conduit à restreindre progressivement les cas de faute lourde au point que certains auteurs se sont demandés si à terme on n’allait pas vers la suppression de toute faute lourde comme condition d’engagement de la responsabilité de la personne publique. En fait tel n’est pas le cas.

A.. La réduction du champ de la faute lourde.

Un certain nombre de domaines qui traditionnellement une pouvaient voir leur responsabilité engagée comme pour faute lourde peuvent désormais voir cette responsabilité engagée sur le fondement de la faute simple.

Il en est ainsi tout d’abord des services de secours et de sauvetage, c’est-à-dire notamment des services de lutte contre l’incendie. Dans un premier temps le juge administratif exigeait en effet une faute lourde pour que ces services de lutte contre l’incendie puissent voir leur responsabilité engagée compte tenu de la difficulté que rencontre ce service pour accomplir ses missions.

Toutefois dans ce domaine le plus souvent le juge consacrait la responsabilité de l’administration dans le cadre de fautes multiples répétées qui prises isolément eussent été considérées comme des fautes simples. À partir de 1998 dans un arrêt du 28 avril « commune de Hanaps » le juge administratif a abandonné l’exigence de la faute lourde pour le plus exiger que la faute simple. Cela vaut pour tous les services de secours et de sauvetage qu’il s’agisse de la montagne ou de la mer, conseil d’état 13 mars 1998 « M. Ameon ».

Il existe un second domaine qui est celui de la responsabilité hospitalière, en ce domaine le juge avait posé à partir de 1935 le principe selon lequel seule une faute lourde pouvait engager la responsabilité de l’établissement hospitalier. Avant 1935 aucune faute ne pouvait engager la responsabilité de l’hôpital. Toutefois le juge faisait une distinction entre deux sortes d’actes. Seuls les actes médicaux et chirurgicaux étaient susceptibles d’engager la responsabilité de l’établissement sur le fondement de la faute lourde. Les autres actes, c’est-à-dire tous ceux qui concernaient l’organisation ou le fonctionnement du service public hospitalier engageait la responsabilité de celui-ci sur le fondement de la faute simple. Toute la jurisprudence portait sur la notion d’actes médical ou chirurgical. La faute lourde la plus fréquente était l’oubli d’un champ opératoire dans le corps du malade. Moins fréquente l’erreur dans la transfusion sanguine. Dès un arrêt du 10 avril 1992 « M. et Mme V. » le juge administratif a abandonné en matière hospitalière l’exigence de la faute lourde pour l’exigence de la faute simple. Le législateur est intervenu en 2002 pour une responsabilité particulière, différente de la responsabilité pour faute.

B. Les cas de maintien de exigence de la faute lourde.

Le juge administratif maintient l’exigence de la faute lourde pour un certain nombre de services ou d’activités de certains services. Il s’agit des services suivants : il s’agit tout d’abord des services de police. Ordinairement la police était soumise à un régime d’irresponsabilité.. Et le juge a mis fin à cette responsabilité par un arrêt du 10 février 1905 « Tomaso Grecco ». À partir de cette date des services de police ont pu voir leurs responsabilités engagées mais de manière relativement restrictive. Le juge exigeant une faute lourde pour que cette responsabilité puisse être engagée. Encore faut-il distinguer. Car très vite le juge a opéré une distinction entre deux sortes d’activités des services de police, les activités juridiques et les activités matérielles.

Les activités juridiques de la police ont être soumises au régime de la responsabilité pour faute simple. Ainsi en est-il par exemple de l’abstention d’édicter une réglementation de police, conseil d’état 23 mai 1958 « consorts Amoudruz ».

Les activités matérielles, c’est-à-dire les opérations matérielles d’exécution des mesures de police ont être soumises au régime de la faute lourde. Il en va spécialement ainsi des opérations du maintien de l’ordre, des opérations de contrôle de circulation automobile. De même est une faute lourde le fait pour un maire d’avoir laissé se développer un dépôt d’ordures ménagères sauvages qui a provoqué un incendie et cela alors même que le maire avait fait placer un panneau pour l’interdire. Conseil d’état 28 octobre 1977 « commune de Merfy ».

Toutefois dans un arrêt important du 20 octobre 1972 « Ville de Paris contre Paul Marabout » le juge a tendance à faire prévaloir les considérations concrètes sur la distinction activités juridique / activités matérielle. Cela signifie que cette distinction n’est qu’une présomption. L’activité matérielle est normalement plus périlleuse à mener que l’activité juridique ce qui justifie l’exigence d’une faute lourde. Mais si l’examen des circonstances montre qu’il n’y avait pas de difficultés particulières le juge considérera que la responsabilité des services de police peut être engagée pour une faute simple. Inversement dans le cadre d’un acte juridique si celui-ci se révèle délicat à conduire le juge exigera une faute lourde pour que la responsabilité des services de police puisse être engagée. Le régime de responsabilités applicable à la police est tout à fait différent lorsque celle-ci fait l’usage d’armes dangereuses.

À côté des services de police, les services fiscaux se trouvent désormais partagés entre les deux régimes de responsabilités, la responsabilité pour faute simple ou lourde. La solution traditionnelle en matière de responsabilités des services fiscaux est celle de l’exigence de faute lourde.

Puis à partir de l’arrêt du 27 juillet 1990 « Bourgeois » le juge administratif a abandonné partiellement l’exigence de la faute lourde en ce sens que la responsabilité des services fiscaux se trouve engagée désormais sur le fondement de la faute simple sauf si ces services ont rencontré des difficultés particulières dans l’exercice de leurs fonctions.

Est soumises au régime de la faute lourde la responsabilité des services pénitentiaires.

Le juge maintient l’exigence de la faute lourde pour les activités de contrôle exercé par l’état. Se contrôle est d’abord le contrôle exercé par l’état sur les collectivités territoriales. Le juge a exigé la faute lourde pour que la responsabilité du fait de la tutelle de l’état puisse être engagée dans un arrêt du 29 mars 1946 « caisse départementale d’assurances sociales de Meurthe-et-Moselle ».

Certes, en 1982 la tutelle sur les collectivités territoriales a été supprimée et certains auteurs se sont demandés si cela n’impliquait pas l’abandon de l’exigence de la faute lourde. Mais après quelques hésitations le conseil d’état a réaffirmé clairement l’exigence de la faute lourde pour l’engagement de la responsabilité de l’état du fait du contrôle de légalité exercée sur les collectivités territoriales. Conseil d’état 6 octobre 2000 « ministre de l’intérieur contre commune de St Florent ».

C’est aussi ce régime qui s’applique au contrôle exercé par l’état sur les organismes de droit privé tels que les caisses de sécurité sociale ou les établissements bancaires. En revanche par exception et dans le contexte très particulier de l’affaire dite du sang contaminé, le conseil d’état a adopté le régime de la faute simple pour le contrôle exercé par l’état sur les centres de transfusion sanguine privée.

Section 2. La responsabilité sans faute à prouver.

La responsabilité pour faute est la responsabilité de principe. La responsabilité sans faute à prouver est donc une responsabilité d’exception, mais cela ne signifie pas qu’il s’agit d’une responsabilité exceptionnelle. Il convient de parler de responsabilité sans faute à prouver et non pas de responsabilité sans faute parce que ce régime de responsabilité ne signifie pas qu’aucune faute n’a été commise.

En réalité il faut parler de responsabilité sans faute à prouver parce que dans ce régime de responsabilité la victime n’a pas à prouver que le dommage a été causé par un comportement fautif, il lui suffit de prouver un lien de causalité entre le dommage qu’elle a subi et une certaine activité administrative. Ceci étant on peut se demander quel était le fondement de cette responsabilité sans faute à prouver.

Pour certains auteurs, le fondement de cette responsabilité serait le risque que par certaines de ces activités d’administration fait courir aux citoyens.

Pour d’autres, ce serait la rupture de l’égalité entre les citoyens résultant de certains comportements de l’administration et qui auraient pour conséquence de faire peser des charges anormales sur quelqu’un dans l’intérêt de tous.

Enfin certains auteurs ont proposé comme fondement de cette responsabilité l’équité.

Aucune de ces trois explications n’est satisfaisante. En effet le risque n’explique pas la responsabilité de l’état législateur, il n’explique pas non plus la responsabilité du fait de l’inexécution des décisions de justice.

La rupture d’égalité devant les charges publiques n’est pas plus un fondement juridique de cette responsabilité car dans le cas des collaborateurs bénévoles, comme dans le cas des risques de voisinage la référence à un quelconque univers des citoyens est nécessairement exclu. Enfin pour l’équité il suffit de constater que dans de nombreuses situations le juge a refusé d’indemniser des dommages que l’équité aurait cependant commandé de réparer. Il en était ainsi pour l’absence de responsabilités du fait des vaccinations obligatoires jusqu’en 1964.

Dans ces conditions on peut dire que c’est le pragmatisme qui est dominant dans les solutions jurisprudentielles applicables en matière de responsabilités sans faute à prouver.

Paragraphe 1. Les cas de responsabilités se rattachant plutôt à l’idée de risque.

A. Les choses dangereuses.

Par cette expression on entend les objets ou les procédés dangereux utilisés par certains services publics. L’usage d’armes par les services publics constitue la principale illustration de cette situation. Normalement l’action de la police administrative ne peut être engagée qu’en cas de faute lourde. Cependant lorsque ces services de police utilisent des armes dangereuses, il convient de distinguer deux cas de figure. Ou bien les victimes sont les personnes qui étaient visées par l’opération de police. Dans ce cas la responsabilité est une responsabilité pour faute simple. Conseil d’état 27 juillet 1951 « dame Aubergé et sieur Dumont ». Ou bien les victimes sont des personnes qui n’étaient pas celles visées par l’opération de police. Dans ce cas la responsabilité du service de police est une responsabilité sans faute à prouver. Conseil d’état 24 juin 1949 « consorts Le comte ». Reste une question, celle de savoir ce qu’est une arme dangereuse.

Dans un premier temps, c’est-à-dire dans les années 50, le conseil d’état restreint la notion d’armes dangereuses à certaines armes à feu : les mitrailleuses.

Puis dans un second temps le juge a retenu une définition de l’arme dangereuse englobant toutes les armes à feu, notamment les revolvers. En revanche ni les matraques ni les grenades lacrymogènes ne sont juridiquement parlant des armes dangereuses. Conseil d’état 8 juillet 1960 « Petit ».

En dehors des armes dangereuses la théorie des choses dangereuses s’étend aux installations électriques et aux installations du gaz.

B. Les travaux publics.

Les travaux publics sont des travaux d’intérêt général qui nécessitent le plus souvent la mise en oeuvre de moyens de grande ampleur, et c’est cette considération qui a conduit le juge a élaboré un régime de responsabilité assez particulier pour les travaux publics.

En ce domaine la distinction essentielle a opéré est celle qu’il convient de faire selon la qualité de la victime. Celle-ci peut être ou bien un participant, ou bien être un tiers, ou bien être un usager.

Si la victime est un participant aux travaux publics, la responsabilité de la puissance publique est une responsabilité pour faute simple. Si la victime est un tiers la responsabilité de l’administration est une responsabilité sans faute à prouver. Conseil d’état 28 mai 1971 « département du Var contre entreprise Bec frères ». Si la victime est un usager, à son égard le régime de responsabilités est le plus original. A priori ce régime est une responsabilité pour faute. Mais la jurisprudence a décidé que la victime pouvait en tant qu’usagers invoquer comme cause du dommage le défaut d’entretien normal. L’invocation par la victime du défaut d’entretien normal a pour effet de renverser la charge de la preuve. C’est à l’administration de prouver que l’ouvrage était normalement entretenu. Cette solution jurisprudentielle soulève souvent de nombreuses questions.

Tout d’abord on peut se demander quelquefois s’il s’agit bien d’un travail public ou d’un ouvrage public. Ainsi par exemple le juge administratif a été amené à s’interroger sur la nature juridique d’un couloir aérien d’un aérodrome. De même le juge s’est interrogé sur la nature d’une piste de ski. Dans les deux cas le juge a répondu par la négative.

Par ailleurs l’une des principales questions est de savoir ce qu’est un défaut d’entretien normal de l’ouvrage. Cette question se pose notamment en ce qui concerne la voirie. Pour celle-ci le juge estime qu’il n’y a pas défaut lorsque la défectuosité de la voirie était connue du public.

Également il n’y a pas de défaut d’entretien normal lorsque la défectuosité était minime. Il y a défaut si un exhaussement ou une excavation dépasse 60 cm dans la chaussée.

Également il n’y a pas de défaut d’entretien normal lorsque la défectuosité était légitimement inconnue des services compétents. De même lorsque la défectuosité était trop récente pour avoir pu être réparé en temps utiles.

Par ailleurs il est parfois difficile de distinguer l’usager du tiers lorsque la victime est un tiers par rapport à l’ouvrage qui est à l’origine d’un dommage, mais est un usager par rapport à l’ouvrage par lequel se transmet le dommage.

Par ailleurs encore une jurisprudence a assimilé l’usager au tiers dans le cas d’un ouvrage qualifié d’exceptionnellement dangereux. Conseil d’état à 6 juillet 1973 « ministre de l’équipement et du logement contre sieur Dalleau ». Refus de l’ouvrage qualifié d’exceptionnellement dangereux, conseil d’état 11 avril 1975 « département de la Haute-Savoie ».

Par ailleurs la jurisprudence a eu à se prononcer sur le verglas et les routes glissantes, sa présence ne constitue pas un défaut d’entretien normal surtout en hiver. En revanche il y a défaut d’entretien normal si la chaussée est exceptionnellement glissante. Conseil d’état 29 avril 1964 « ministre des travaux publics contre Hautin ».

C. Les méthodes pénitentiaires et psychiatriques ouvertes.

Les pratiques pénitentiaires contemporaines tendent à favoriser la réinsertion sociale des délinquants condamnés. D’où notamment des expériences d’exécution des peines hors du milieu carcéral. Et cette pratique est devenue courante pour les mineurs délinquants. De telles méthodes font courir des risques graves à la collectivité. Pour cette raison les dommages résultant de cette activité dangereuse des services judiciaires sont réparés et sans qu’il ait besoin de prouver une faute.

Au départ de ce régime, dans les années 50, le conseil d’état s’appuyer sur la notion de risque de voisinage. Conseil d’état 3 février 1956 « ministre de la justice contre Thouzellier ». Mais ce fondement était peu réaliste, a été abandonné, et ce régime de responsabilité est devenu un régime autonome avec l’arrêt du 9 mars 1966 « ministre de la justice contre Trouillet ».

Ce régime s’applique également depuis 1987 aux actes délictueux ou criminels commis par des détenus qui bénéficient de permission de sortie, d’un régime de semi-liberté, ou de libéralisation conditionnelle. La décision d’accorder une liberté conditionnelle est bien un acte administratif.

Par ailleurs les méthodes psychologiques s’inspirent de la même philosophie et font courir des risques du même ordre à la collectivité humaine au sein de laquelle s’effectuent ces sorties dites à l’essai des malades mentaux. Conseil d’état à 13 juillet 1967 « département de la Moselle ». Mais ici il convient de bien distinguer entre les sorties qui sont le résultat d’un choix thérapeutique et les sorties qui ne résultent pas de ce choix. Dans ce second cas, en cas de sortie définitive la responsabilité est fondée sur le régime de la faute simple.

D. Le risque anormal de voisinage.

Les voisins des services publics subissent parfois les inconvénients résultant de la présence de certains de ses services. Ils peuvent consister en bruit, en odeur, en risque d’une autre nature, par exemple un risque d’explosion.

Lorsque ces inconvénients excèdent par leur gravité ou par leur durée des troubles normaux de voisinage, la responsabilité est engagée sans qu’il soit besoin d’établir le caractère fautif de son action. Cette hypothèse a été dégagée la première fois par le juge en 1918 à la suite d’une explosion de stocks de munitions sur la place neuve à Paris. Le conseil d’état estimait que de tels risques étaient de nature a engager indépendamment de toute faute la responsabilité de l’administration. Conseil d’état 28 mars 1919 « Regnault- Desroziers ».

Paragraphe 2. Les risques subis par les citoyens en tant que collaborateur de la puissance publique.

L’administration doit garantir les personnes qui collaborent à son activité des dommages qu’elles subissent dans le cadre de cette collaboration et cela alors même que l’administration n’aurait commis aucune faute.

A. Les catégories de collaborateurs.

a. Les sources de la jurisprudence.

Le régime particulier de responsabilités non fondé sur la faute concernant les collaborateurs de la puissance publique trouve son origine dans une décision du conseil d’état du 21 juin 1895 « Cames ». Dans cette affaire un ouvrier de l’état subi un préjudice à la suite d’un accident alors que ni lui-même ni l’état n’avait commis une faute. Devant le juge l’intéressé demanda réparation de ce dommage. Le commissaire du gouvernement propose au conseil d’état un régime de présomption de faute lourde. Mais en l’espèce il aurait été facile à l’administration de prouver qu’elle n’avait commis aucune faute et ainsi de s’exonérer.

Le conseil d’état adopta alors une décision audacieuse instituant un nouveau cas de responsabilités sans faute. L’année suivante la cour de cassation a adopté le même raisonnement dans un célèbre arrêt « Teffene ». Le conseil d’état a pris cette décision pour pallier le manque de réparation des accidents du travail.. Cette jurisprudence allait inciter le législateur a adopté en 1898 la première loi de réparation des accidents du travail. Mais du coup la jurisprudence Cames perdait son intérêt, son champ d’application. La transposition de cette jurisprudence aux collaborateurs occasionnels de la puissance publique allait suivre.

b. Les collaborateurs occasionnels de la puissance publique.

Le juge administratif a été confronté à des dommages subis à des collaborateurs de la puissance publique qui étaient occasionnels. Le conseil d’état va alors transposer la jurisprudence Cames à ces collaborateurs occasionnels. Il va opérer cette transposition en trois étapes :

· le juge va appliquer cette jurisprudence aux collaborateurs requis. En effet en vertu de différents textes, et notamment du code pénal, certaines autorités administratives peuvent requérir des citoyens dans des circonstances particulières. Notamment dans des circonstances d’accident, d’inondation, d’incendie ou d’autres calamités ou dans d’autres cas de flagrants délits. Le maire a le pouvoir en vertu de l’article L. 2212 -2 du code général des collectivités territoriales de prévenir les accidents et les fléaux calamiteux et de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours. Or, dans l’exercice de ses fonctions où ils ont été requis les citoyens peuvent subir un dommage. C’est ce qui s’est produit pour des citoyens qui avaient été requis par le maire en vue de lutter contre un incendie. À cette occasion le conseil d’état a déclaré que la collectivité publique était responsable sans faute de sa part à l’égard de ses collaborateurs requis. Conseil d’état 5 mars 1943 « Chavat ».

· Le juge va étendre cette solution aux collaborateurs sollicités. Il existe une grande différence entre les collaborateurs sollicités et les collaborateurs requis. En ce sens que les premiers peuvent refuser de répondre à la sollicitation alors que les collaborateurs requis doivent prêter leur concours. Le conseil d’état inaugure cette jurisprudence à propos d’un dommage subi par deux habitants d’une commune qui avait accepté bénévolement de tirer un feu d’artifice à la demande du maire pour le compte de la commune. Le juge a déclaré que la collectivité est responsable sans faute des dommages subis par ses collaborateurs sollicités. Conseil d’état 22 novembre 1946 « commune de Saint-Priest la plaine ». La demande faite par l’autorité administrative peut être une demande individuelle comme dans le cas de l’affaire de 1946. La demande peut également être une demande collective et anonyme, c’est la sonnerie du tocsin (appel aux citoyens). L’acceptation par la collectivité peut être une acceptation implicite. Conseil d’état à 16 novembre 1960 « commune de Gouloux ».

· Le juge administratif va appliquer cette solution aux collaborateurs spontanés de la puissance publique. Dans cette hypothèse il n’y a pas de demande de la part de l’autorité administrative. Les citoyens spontanément décident de prêter secours à une personne qui se trouve en danger participant ainsi aux services de secours et d’assistance.

B. Les conditions d’engagement de la responsabilité.

Pour éviter que la responsabilité de la personne publique ne soit engagée de manière inconsidérée et trop large le juge administratif a posé des conditions pour que ce régime de responsabilité puisse jouer. Toutefois certaines de ces conditions sont interprétées de manière de plus en plus large par le conseil d’état. Ceci entraîne des conséquences pour les collectivités.

a. Les conditions exigées par le juge.

1. Il faut qu’il s’agisse d’une véritable collaboration et pas seulement d’une simple participation. Par exemple la participation d’un élève à une compétition sportive au cours de laquelle il subit un dommage ne lui confère pas qualité de collaborateur.. Conseil d’état 10 février 1984 « Pascal Loney ». De même le spectateur d’un feu d’artifice n’est pas un collaborateur de la puissance publique.

2. Il faut que l’action de collaborateur s’insère dans une opération de service public, et ceci renvoie la question de la nature de l’activité car tout ne peut pas être considéré comme service public, et la question est en particulier délicate lorsque l’activité à laquelle collabore un citoyen est d’ordre festif. Sauf pour la fête nationale et la fête votive.

3. Il faut que le collaborateur soit extérieur à l’administration. On considère en effet que l’appartenance à un corps d’agent public exclut la qualité de collaborateur bénévole en raison du lien organique qui existe entre l’agent et l’administration. L’agent de l’administration s’il subit un dommage voit celui-ci réparé par des modalités spéciales prévues par une loi. C’est pourquoi dans le cas d’un pompier qui avait été mis à la disposition d’une commune pour combattre un incendie n’a pas été considéré comme un collaborateur bénévole suivant les dommages qu’il subit au cours de son action. Conseil d’état 9 juillet 1976 « Gonfond ». La difficulté vient de ce que les situations se sont renversées car les régimes législatifs de réparation des fonctionnaires sont toujours des régimes forfaitaires. En revanche le régime jurisprudentiel répare l’intégralité du dommage que la responsabilité soit pour faute ou sans faute. Un autre problème s’est posé dans l’hypothèse où il existe un lien de parenté entre le collaborateur bénévole qui subit un dommage et la personne au secours de laquelle il s’est porté. Normalement ce lien de parenté devrait exclure un régime de responsabilité publique. Toutefois compte tenu des difficultés considérables soulevées par cette question le conseil d’état le 1er février 1977 « commune de Coggia » a estimé que l’existence de lien de parenté ne faisait pas obstacle à l’application du régime juridique de responsabilités du fait du collaborateur bénévole.

Par ailleurs également il faut que l’intervention de collaborateur bénévole soit acceptée ou dans le cas de collaborateur spontané qu’il y ait urgente nécessité. Cette condition a été posée le 11 novembre 1957 dans un arrêt « commune de Grigmy ». Mais il était inévitable que le juge fut amené à consacrer de plus en plus librement cette condition de l’urgente nécessité et cela alors même que l’on peut avoir des doutes sur l’existence objective de cette urgente nécessité. Conseil d’état 9 octobre 1970 « sieur Gaillard » (jardin du presbytère) illustre l’élargissement de cette interprétation.

b. Les conséquences de la jurisprudence relative aux collaborateurs bénévoles de l’administration.

La jurisprudence relative aux collaborateurs et son élargissement doivent être approuvées. Ces justifications sont d’ordre moral. Le conseil d’état a voulu que la personne qui se dévoue pour sauver autrui ne supporte pas sans réparation le dommage qu’elle subie à cette occasion. Dans un monde où la solidarité se manifeste plus volontiers pour réclamer que pour servir le juge n’a pas voulu décourager ceux qui pensent qu’ils ont aussi des devoirs. Ceci étant les conséquences peuvent être lourdes pour les collectivités territoriales, en particulier les communes qui sont les premières concernées. La charge financière pour les communes peut être très lourdes. Cette hypothèse est illustrée par une affaire le 25 septembre 1970 « commune de Batz sur mer ». Dans cette affaire la commune a dû s’endetter pour faire face à ses obligations. La solution consistant à mettre à la charge de la commune la réparation si elle est logique n’est pas satisfaisante. Une solution aurait consisté par un article de loi à mettre à la charge de l’Etat la réparation due par les communes au titre de l’application de cette théorie. Cette jurisprudence est l’une des plus favorables aux victimes.

Paragraphe 3. Les cas de responsabilité se rattachant plutôt à l’idée d’égalité devant les charges publiques.

L’idée directrice est que lorsqu’un particulier subit un préjudice excessif par suite de l’action publique dans l’intérêt général il a droit à réparation même si aucune faute n’a été commise.

A. La diversité des cas.

a. Le refus d’exécuter les décisions de justice.

La jurisprudence a d’abord institué une responsabilité sans faute dans l’hypothèse ou dans l’intérêt général l’administration refuse d’exécuter une décision de justice. Et cette hypothèse est représentée par un arrêt célèbre du 30 novembre 1923 « Couitéas ». Le juge considère que si l’administration peut effectivement refuser dans l’intérêt général d’exécuter une décision de justice, le préjudice qui en résulte ne saurait être une charge incombant normalement à l’intéressé. Et il appartient au juge de déterminer la limite à partir de laquelle ce préjudice doit être supporté par la collectivité. Cette jurisprudence a été confirmée notamment le 3 juin 1938 « société la cartonnerie et imprimerie Saint Charles ». La responsabilité sans faute ne jouera que si le préjudice causé par une exécution est anormal et spécial.

b. Les autres cas.

Il existe une grande diversité de cas dans lesquels le juge a consacré la responsabilité sans faute de l’administration. Ceci a été illustré par une rupture d’égalité devant les charges publiques lorsque les propriétaires subissent des dommages dans leurs biens par suite d’un incendie volontaire ordonné par l’administration pour mesures d’hygiène, conseil d’état 24 décembre 1926 « Walther ».

De même lorsqu’un fonctionnaire est victime de pillage dans un pays en guerre où il est resté en poste sur ordre de ses supérieurs. Conseil d’état 1962 « Perruche ».

De même il y a rupture de l’égalité devant les charges publiques lorsque par suite de l’inachèvement d’une procédure d’expropriation EDF n’a pas utilisé le terrain en voie d’être exproprié et sur lequel le propriétaire a dû interrompre les travaux qu’il venait d’entreprendre.

Ou encore lorsque des compagnie aérienne subissent du fait de grève des dommages.

B. La responsabilité du fait des conventions internationales et la responsabilité du fait des lois.

Les conventions internationales sont susceptibles de causer des dommages du fait de leur application. Longtemps cette responsabilité a fait difficulté en raison de la nature d’actes de gouvernement de ces conventions. Le conseil d’état a franchi le pas en 1966 par un arrêt du 30 mars « compagnie général d’énergie radioélectrique ». Cette responsabilité du fait des conventions internationales ne peut jouer que si certaines conditions sont réunies :

— la convention ne doit pas avoir exclu toute réparation du dommage.

— le dommage qui a été subi doit présenter un caractère spécial, c’est-à-dire anormal.

De ce fait les applications de cette jurisprudence sont très rares. Une application a eu lieu le 29 octobre 1976 « ministre des affaires étrangères contre dame Burgat ». Cette responsabilité du fait des conventions internationales n’est au fond qu’une extension de la responsabilité du fait de l’état législateur. Originellement on estime en France que la loi parce qu’elle est la loi ne saurait être mise en cause par le juge. En effet la loi est l’expression de la volonté générale, elle traduit l’intérêt général et il ne peut pas y avoir de faute à satisfaire cet intérêt. Et si l’intérêt général est à l’origine d’un préjudice, celui-ci n’est pas réparable. Le développement de la responsabilité sans faute a permis d’envisager la possibilité qu’une réparation du fait des lois puisse être consacrée.

C’est ce que le conseil d’état va décider dans une décision de principe du 14 janvier 1938 « société La Fleurette ». En l’espèce une loi va interdire de dénommer crème tout produit qui ne proviendrait pas uniquement de lait. La société La Fleurette a du cesser la composition d’un produit dont la composition, sans être nuisible à la santé publique, n’était plus conforme aux nouvelles prescriptions législatives. Et il se trouve que cette société anonyme était la seule touchée par la loi.

Mais cette responsabilité est soumise à un certain nombre de conditions :

· Le législateur n’a pas entendu exclure toute réparation du fait des dommages causés par la loi. Dans certaines hypothèses le législateur a explicitement exclu toute réparation des dommages causés par la loi. Ainsi le 13 avril 1946 le législateur adopte une loi tendant à la fermeture des maisons de tolérance, cette loi luttait contre le proxénétisme. Parfois l’interdiction de réparation ne résulte pas explicitement de la loi mais des travaux préparatoires. Le conseil d’état a estimé qu’il résultait des travaux préparatoires l’interdiction de réparation du préjudice découlant de la validation par une loi d’une décision administrative qui avait été antérieurement annulée. Conseil d’état 22 avril 1970 « société des établissements Louis Rémusat ».

· Le préjudice subi doit être d’une qualité suffisante et présenter un caractère spécial, ce sont là d’ailleurs les exigences qui s’appliquent à tous les préjudices dans les hypothèses de responsabilité sans faute. À partir de cette responsabilité du fait des lois le juge administratif a développé une responsabilité du fait des règlements légalement pris. En effet le dommage causé par un règlement ne peut engager la responsabilité pour faute si ce règlement a été légalement pris. Pour que puisse être réparé le préjudice résultant d’un règlement légal deux conditions doivent être rempli :

n d’une part le règlement ne doit pas avoir été pris dans un but d’ordre public. Conseil d’état 14 octobre 1955 « société piscine Lutétia ».

n d’autre part le préjudice doit être spécial et anormal, c’est ce qui résulte de la jurisprudence du 22 février 1963 « communauté de Gavarni ».

Section 3. L’imputabilité du dommage.

Il ne suffit pas de prouver que l’administration commet une faute, ou bien que son action dommageable s’est déroulée dans un cas de responsabilité sans faute pour que la responsabilité de la personne publique soit retenue. Encore faut-il qu’il n’y ait pas de cause d’exonération de la responsabilité, encore faut-il que l’on puisse déterminer la personne responsable du dommage et ceci soulève aussi la question de la réparabilité du dommage.

Paragraphe 1. Les causes d’exonération de responsabilité.

De même qu’en droit privé il n’y a de responsabilité de l’administration que si le lien de cause à effet entre l’activité en cause et le dommage est suffisamment établi, ou si en même temps on ne relève pas des causes d’atténuation ou d’exonération de la responsabilité.

A. La notion de lien de causalité.

Par lien de causalité entre un fait et un dommage on entend que le fait dommageable est celui qui a un lien assez étroit avec le dommage. Il est très difficile de définir clairement la notion de causalité directe. En effet la causalité directe ce n’est pas nécessairement le lien principal. La jurisprudence civile a développé longuement cette notion de causalité. Et trois théories ont été successivement adoptées par cette jurisprudence civile.

n Dans un premier temps la cour de cassation a retenu la méthode de l’équivalence des conditions, le juge procède à deux tris :

–Il élimine d’abord ceux des faits sans lesquels le dommage ce serait tout de même produit.

— Il ne retient ensuite que ceux des faits qui ont joué le rôle de conditions, c’est-à-dire les faits sans lesquels le dommage ne se serait pas produit. Exemple : voitures volées qui n’est pas fermée à clef. Le dommage subi par le voleur du véhicule est imputé au propriétaire car c’est l’oubli de fermer à clef qui a joué le rôle causal.

n Dans un deuxième temps la cour de cassation a retenu la méthode de la cause adéquate. Parmi les événements sans lesquelles le dommage ne se serait pas produit il ne retient que ceux qui sont la cause adéquate du dommage. Exemple : si sans l’oubli de fermer à clef le véhicule celui-ci n’aurait pas été volé, cependant cet oubli n’est pas la cause adéquate de l’accident causé par le voleur, elle réside dans le vol.

n Dans un troisième temps la recherche d’un critère permettant de distinguer entre les causes adéquates et celles qui ne le sont pas a ouvert une troisième phase : la méthode du pronostique objectif rétrospectif. C’est la méthode de la prévisibilité normale du dommage. Et on dira qu’un comportement est causal si au moment où le fait s’est produit on pouvait normalement prévoir le dommage précis invoqué par la victime.

Le juge administratif ne serait pas enfermé dans un système a priori, il a une attitude intuitive. Un dommage sera dit avoir été causé par un fait s’il paraît en être la conséquence inévitable. Exemple : la faute administrative qui révèle l’évasion d’un détenu n’a pas un lien direct avec les meurtres commis par celui-ci 48 jours après son évasion. Conseil d’état 10 mai 1985 « madame Elise Ramad ».

De même il n’y a pas de lien causal entre l’inexécution d’un arrêté d’expulsion prit contre un ressortissant étranger et le préjudice subi par la personne à laquelle cet étranger à extorquer des fonds. 1985.

B. Les causes d’atténuation ou d’exonération de responsabilité.

Même lorsque le lien de causalité est établi entre l’activité de la puissance publique et un dommage la responsabilité de celle-ci peut néanmoins être écartée ou atténuer si on peut relever des cas d’exonération. Il faut distinguer les causes d’exonération commune aux catégories de responsabilité des causes d’exonération propre à la responsabilité pour faute.

a. Les causes communes aux deux catégories de responsabilité.

1. La faute de la victime.

La faute de la victime est toujours atténuatoire ou exonératoire de responsabilité. Cette faute peut consister en un comportement ou une abstention, l’un et l’autre susceptible de revêtir les formes les plus variés.

Sont ainsi des fautes de la victime l’imprudence notamment lorsqu’il y a un excès de vitesse alors que plusieurs panneaux indiquaient l’existence de limitation, ou encore la participation à une rébellion de détenu, conseil d’état 12 février 1971 « Sieur Rebatel », ou encore l’enlèvement du conduit d’évacuation dans une piscine. Conseil d’état 3 mars 1971 « dame Portal ». Ou alors le fait de plonger dans une rivière sans s’assurer au préalable que cela est possible. Conseil d’état 5 mars 1971 « sieur Le Fichant ».

2. La force majeure.

Pour qu’il y ait événement de force majeure il faut que celui-ci présente simultanément trois caractères :

— l’imprévisibilité

— l’extériorité

— l’irrésistibilité.

Le juge administratif a considéré que constituaient des situations de force majeure une tempête d’une puissance exceptionnelle, un orage d’une violence inouïe. Conseil d’état 26 juin 1963 « Calkus ».

En revanche le juge n’a pas considéré comme un événement de force majeure une pluie diluvienne d’une intensité exceptionnelle. Conseil d’état 10 avril 1974 « ville de Cannes contre société institut d’héliothérapie ».

b. Les causes d’exonération propre à la responsabilité pour faute.

1. Le fait du tiers.

Le fait du tiers n’est pas nécessairement une faute. Ce fait exonère l’administration de sa responsabilité lorsque celle-ci est fondée sur la faute.

Ainsi le fait de plonger dans une piscine sans observer les prescriptions réglementaires constitue un fait du tiers exonérant une commune pour moitié des conséquences dommageables survenues à un autre nageur. Conseil d’état 9 juillet 1975 « ville de Cognac ». Le fait du tiers n’est pas exonératoire dans le cas où la responsabilité est engagée sans faute à prouver, mais dans cette hypothèse l’administration dispose d’une action récursoire contre le tiers coupable.

2. Le cas fortuit.

C’est le dommage dont la cause est inconnue. Le cas fortuit est assez rare n’est exonératoire de responsabilité que dans l’hypothèse d’une responsabilité pour faute.

Paragraphe 2. La personne publique responsable.

Il importe de déterminer à quelle personne publique ou bien à quelle personne privée gérant un service public administratif et doté de prérogatives de puissance publique la victime doit demander réparation du préjudice qu’elle a subi. En effet la victime ne peut s’adresser qu’à la personne publique responsable. Les personnes publiques ne sont pas interchangeables, il n’est pas possible de réclamer à l’une ce qui est dû par une autre. Et cela à la fois pour des raisons d’imputabilité juridique et pour des raisons comptables. Le principe est que la personne publique débitrice de l’obligation de réparer est celles pour le compte de laquelle était effectuée l’activité qui a été cause du dommage. Mais il peut arriver qu’un même agent agisse pour le compte de deux collectivités publiques. Il convient alors de rechercher pour le compte de quelle personne publique il agissait lors de la survenance du dommage. Ainsi par exemple une expropriation ne peut être ordonnée que par l’état, mais elle peut être entreprise par d’autres personnes que l’état et y compris des personnes privées. Si un dommage causé au cours ou par suite de cette expropriation c’est l’expropriant, c’est-à-dire le bénéficiaire de l’expropriation, et non pas l’état qui sera déclaré responsable. Conseil d’état 23 décembre 1970 « EDF contre Farsat ».

La notion de collectivités pour le compte de laquelle agissait l’auteur du dommage est une notion délicate car il faut entendre par la non pas la collectivité de laquelle dépendait l’agent dans l’accomplissement de sa tâche mais plutôt la collectivité qui lui donnait des ordres. Conseil d’état 9 février 1966 « commune de Pallavas les Flots ».

Cette nécessité de distinguer entre les diverses personnes publiques aboutit parfois à des délicates solutions. Par exemple dans le cas d’un pont franchi par une route départementale mais qui a été endommagé par suite de faits de guerre, la responsabilité incombe à l’état et non pas au département.

Et lorsque plusieurs personnes publiques sont coauteurs du dommage la victime peut réclamer réparation de la totalité du dommage à l’un quelconque des coauteurs, ceux-ci étant solidairement engagés. Conseil d’état 15 octobre 1976 « district urbain de Reims ».

Chapitre 2. La réparation du préjudice.

Pour une victime il est normal que son préjudice soit réparé, en revanche sur le plan juridiquement il n’en est pas ainsi. Pour que le préjudice puisse être réparé des conditions doivent être réunies et il importe donc d’abord de savoir si les conditions de réparation du préjudice sont réunies. Si c’est le cas il importe ensuite de déterminer éventuellement le partage de la charge de l’indemnité entre l’agent auteur du dommage et l’administration.

Section 1. La réparation du préjudice.

Une question préalable se pose s’agissant des préjudices, celle de savoir si tous les préjudices sont réparables s’ils le sont d’une manière égale. Par ailleurs lorsque le préjudice est réparable encore convient-il de savoir quels sont les caractères qu’il doit présenter.

Paragraphe 1. Le préjudice réparable.

Sa détermination dépend de la définition de la notion de préjudice réparable et d’autre part dépend de la détermination des caractères du préjudice.

A. La notion.

Tous les préjudices ne sont pas réparables mais dès lors qu’ils le sont, ils le sont d’égale manière qu’il s’agisse d’un préjudice matériel ou d’un préjudice moral.

a. Les préjudices irréparables.

Un certain nombre de préjudices sont irréparables et cela pour des raisons variables. On distingue habituellement les préjudices irréparables en vertu de texte ou en vertu de la jurisprudence. Des textes excluent la réparation d’un certain nombre de préjudices. En vertu de la loi ne sont pas réparables les servitudes d’urbanisme. Le code de l’urbanisme dans sa partie législative L. 160 -5 et suivants, exclut donc qu’une indemnité plus être attribuée à raison de l’établissement de servitudes d’urbanisme quelque préjudiciables que puisse être les dommages qui en résultent, par exemple l’interdiction de construction. Toutefois compte tenu du caractère quelque peu choquant de cette interdiction il existe des atténuations notamment d’une part si l’institution de la servitude comporte une modification à l’état des lieux qui détermine un dommage direct, matériel et certain. D’autre part une indemnité peut être versée si la servitude porte atteinte à des droits acquis résultant par exemple de la délivrance antérieure d’un permis de construire ou bien d’une autorisation de lotissement.

Par ailleurs le code des postes et télécommunications exclut toute indemnité pour le préjudice résultant de la perte d’une correspondance ordinaire qui a été confiée à une poste ou encore à raison du dommage résultant de la détérioration ou de la spoliation d’objets recommandés. La jurisprudence a également exclu la réparation de certain préjudice et en vertu de la jurisprudence administrative deux catégories de préjudices ne peuvent pas recevoir réparation. Il s’agit tout d’abord des préjudices liés aux modifications apportées à la circulation en général et résultant soit de changements effectués dans l’assiette ou dans la direction du droit public, soit de la création de voies nouvelles.. Conseil d’état 28 mai 1965 « époux Tébaldini ». Conseil d’état 2 juin 1972 « société des vedettes blanches ».

La naissance d’un enfant en conséquence de l’échec de l’IVG demandée par la mère n’est pas génératrice d’un préjudice de nature à ouvrir à la mère un droit à réparation. Conseil d’état de juillet 1982 « demoiselle R. ». Toutefois dans cette décision de 1982 le juge avait réservé les hypothèses des cas particuliers qui pourraient se présenter. Dans une décision du 27 septembre 1989 « Madame K. contre CPAM de la Marne » le conseil d’état a admis que puisse être réparé le préjudice alors qu’en l’espèce une personne avait demandé une IVG, que celle-ci avait échoué donnant naissance à un enfant qui s’est trouvé handicapé. On répare le préjudice subi par l’enfant, et le préjudice subi par la mère du fait des conséquences de handicap de son enfant.

b. L’égale réparabilité du préjudice matériel et du préjudice moral.

On a estimé que pendant longtemps le juge administratif n’a admis que la réparation du seul préjudice matériel et a refusé la réparation du préjudice moral au motif que « les larmes ne se monnaient point ». D’où l’irréparabilité qui avait été proclamé du chagrin. Toutefois dès cette époque deux clivages devaient être faits non pas entre les préjudices matériels et moraux, mais entre le dommage évaluable en argent et le dommage échappant à toute évaluation possible.

La distinction qu’il convenait de faire était entre le préjudice moral et la douleur morale. Le conseil d’état a accepté assez tôt de réparer un certain nombre de préjudices que l’on peut considérer comme des préjudices moraux. Ainsi le juge a accepté de réparer le préjudice causé à un prêtre catholique du fait de l’utilisation des cloches de son église à des fins purement civiles. Conseil d’état 7 mars 1934 « abbé Belloncle ». De même le préjudice résultant de l’accusation fausse portée contre une personne d’être l’agent propagateur d’une maladie vénérienne et l’obligation à l’époque subséquente pour elle de subir un examen médical. Conseil d’état 5 juillet 1957 « département de la Sartre contre demoiselle Artus ».

En revanche le conseil d’état se refusait effectivement à réparer la douleur morale résultant du chagrin éprouver du fait de la perte d’un être cher. Et ici le conseil d’état s’est heurté à une véritable fronde des premiers juges, tribunaux administratifs, qui se sont mis à réparer la douleur morale. Et le conseil d’état a opéré un revirement de jurisprudence par une décision du 24 novembre 1961 « consorts Le tisserand ». Désormais donc le juge répare la douleur morale, et on peut observer également une évolution dans la réparation de ce chef de préjudices en ce sens qu’au départ la réparation accordée par le juge au titre de la douleur morale est une réparation symbolique. Depuis quelques années cette jurisprudence évolue et les sommes au titre de la douleur morale est une somme assez élevée.

Par ailleurs à côté de la réparation du préjudice moral on trouve la réparation d’un autre chef de préjudice que l’on appelle les troubles dans les conditions d’existence. Permettant au juge administratif de réparer les préjudices qu’il ne peut pas réparer à un autre titre.

B. Les caractères du préjudice.

Le préjudice pour être réparé doit présenter certains caractères qui sont le plus souvent commun à la responsabilité pour faute et la responsabilité sans faute. Il existe toutefois une existence particulière pour les préjudices résultant de la responsabilité sans faute.

a. Les caractères communs aux deux régimes de responsabilité.

Tout d’abord le préjudice pour être définissable doit être un préjudice direct. Ce préjudice direct implique que l’on puisse établir un lien suffisamment étroit entre le préjudice et l’acte ou l’agissement qui est supposé en être à l’origine. Par exemple l’immobilisation d’un véhicule qui a été endommagé par un affaissement de la chaussée est une conséquence directe des excavations anormales que celle-ci comportait. Conseil d’état 23 octobre 1970 « société Konaudin ». Ou encore la ruine d’immeubles d’un quartier à Lyon est la conséquence directe des infiltrations d’eau qui ont provoqué des affaissements. Conseil d’état 1971 « sieur Véricel ». Les dégâts causés au tapis d’une salle de cinéma par du goudron qui s’était attaché aux semelles des spectateurs sont la conséquence directe du goudronnage de la place qui était située sur le trajet normal emprunter pour atteindre la salle de cinéma. Conseil d’état 7 mars 1969 « société des établissements Lassailly et Bichois ».

Il n’y a pas de lien direct dans le cas où une mère de famille ne peut pas invoquer l’action défectueuse de services communs lorsque des incendies survenus dans un cinéma où elle se trouvait alors qu’elle était enceinte comme cause directe des troubles de croissance et des troubles caractériels de son enfant qui a été atteint plusieurs années après les faits. Conseil d’état 10 juillet 1957 « ville de Ruelle Malmaison ».. Le meurtre commis par un individu titulaire du port d’armes n’est pas la conséquence directe de cette autorisation administrative et cela bien que cette arme ait servie à la commission du meurtre. La faillite d’un commerçant n’est pas la conséquence directe de l’illégalité du permis de construire qui a été délivrée à un de ses concurrents. Conseil d’état 1975 « Marion ».

Un second caractère commun aux deux régimes de responsabilité est l’exigence d’un préjudice certain. On oppose le préjudice certain au préjudice éventuel. En revanche le préjudice futur peut être indemnisé si sa réalisation est certaine et si son étendue peut-être estimée au moins provisoirement.

Le caractère légitime que la victime de protéger.

b. L’exigence du préjudice spécial dont le cas de la responsabilité sans-faute approuvée.

Cette exigence ne se rencontre que dans le cas de la responsabilité sans faute car lorsque la responsabilité est fondée sur la faute tout préjudice, même minime, est susceptible de réparation. C’est parce que dans bien des cas la responsabilité sans faute présente un caractère équitable, plus facilement engagé que le juge a exigé que le préjudice présente un caractère spécifique pour pouvoir être réparé. C’est ce que l’on appelle le caractère spécial du préjudice. Et par préjudice spécial il faut entendre deux choses :

· le préjudice spécial et le préjudice d’une certaine gravité. Le degré de gravité est évidemment variable selon les époques, les circonstances et selon les domaines concernés. Ainsi par exemple le bruit engendré par une centrale nucléaire constitue un préjudice d’une réalité suffisante pour permettre sa réparation. En revanche les désagréments provoqués par la vue de la centrale, par ses nages de vapeur ou par son éclairage permanent ne sont pas d’une gravité suffisante pour être réparable. Conseil d’état 2 octobre 1987 « EDF contre Spire ». S’agissant des riverains des voies publiques ils doivent supporter les inconvénients normaux du voisinage c’est-à-dire ceux qui résultent de la proximité de ses voies notamment en cas de travaux. Mais si le dommage excède par son intensité ou par sa durée ceux qui résultent normalement de la présence de telles voies, alors il revêt un caractère spécial qui permet sa réparation.

· Le préjudice spécial est un préjudice restreint à un petit nombre de victimes réelles ou potentielles. La spécialité du préjudice est en rapport avec le nombre de personnes concernées. Ainsi par exemple les dommages subis par un propriétaire riverain du fait des travaux entrepris pour lutter contre les inondations de la Durance ne sont pas réparables parce qu’il ne se distingue pas de ce que tous riverains de ce cours d’eau est normalement astreint à supporter. Conseil d’état 14 novembre 1962 « Pons ». Lorsque le dommage corporel il est toujours réparable.

Paragraphe 2. Les caractères de la réparation.

A. L’action en réparation.

a. La règle de la décision du préalable.

Pour pouvoir réclamer réparation dans le cadre de la responsabilité extra contractuelle il faut disposer d’une décision préalable, de la même manière que dans l’excès de pouvoir il s’agit d’attaquer un acte administratif unilatéral. Cela signifie que la victime d’un dommage doit impérativement s’adresser d’abord à l’administration qu’elle estime redevable de l’obligation de réparer.

Il s’agit là d’une demande qui prend la forme juridique d’un recours administratif. Ce n’est que dans l’hypothèse de refus total ou partiel de l’administration que la victime peut alors porter son action devant le juge.

La règle de la décision du préalable a pour effet de permettre la liaison du contentieux. Il s’ensuit que la victime ne pourra demander au juge que ce qu’elle a demandé à l’administration et qui a été refusé par elle. La rédaction du recours administratif a donc d’une forme importance pratique puisqu’elle détermine le cadre ultérieur du contentieux. Il existe un domaine où il y a une exception qui est le domaine des travaux publics, la victime peut saisir directement le juge.

b. La juridiction compétente.

La juridiction compétente pour connaître d’une action réparation est déterminée soit par des textes législatifs soit par la jurisprudence. Le principe est clair, la compétence à connaître la responsabilité découlant de l’activité dommageable des services publics relève de la compétence des juridictions administratives.

Cependant certaines lois ont dérogé à ce principe en attribuant compétence aux juridictions de l’ordre judiciaire. L’un des exemples les plus connus est celui de la loi du 31 décembre 1957 relatif aux dommages de toute nature causés par un véhicule quelconque. De même la loi du 10 octobre 1946 pour la responsabilité des services de sécurité sociale. Également la loi du 2 janvier 1968 relative aux brevets d’invention, ou encore la loi du 6 juillet 1987 concernant le contentieux des décisions du conseil de concurrence.

La jurisprudence a également dérogé au principe de la compétence des juridictions administratives. C’est ainsi notamment que selon le juge administratif relève de la compétence judiciaire les actions en responsabilité résultant de la voie de fait, d’une emprise irrégulière ou encore d’un service public à caractère industriel et commercial.

c. Les délais d’actions.

La victime d’un dommage doit agir dans un certain délai afin que cette créance contre l’administration ne soit pas prescrite. La prescription est théoriquement celle du droit commun c’est-à-dire 30 ans. Cependant à cette règle s’en oppose une autre qui est issue du droit financier et comptable, la règle de la prescription quatriennale. Selon la loi les créances contre les personnes morales de droit public sont éteintes par le 31 décembre de la quatrième année qui suit celle au cours de laquelle s’est produit le fait générateur de la créance. Cela signifie donc que le délai de prescription dure entre un minimum de quatre ans et un jour et un maximum de quatre ans et 364 jours pour les années ordinaires.

B. Les modalités de la réparation.

a. La détermination du préjudice indemnisable.

Il importe de déterminer de la manière la plus précise possible le préjudice. Pour cela il faut d’abord déterminer la date d’évaluation du préjudice. À l’origine le juge se plaçait au jour de la réalisation du dommage. Mais l’instabilité économique, la hausse des prix, la longueur des procédures contentieuses ont conduit le juge a renoncé partiellement à ce mode de détermination.

Par deux décisions de principe le conseil d’état le 21 février 1947 « compagnie Générale des Eaux », « dame veuve Aubry », a distingué entre les dommages survenus aux personnes et les dommages survenus aux biens.

Aux personnes : le préjudice s’apprécie au jour de la décision de justice par principe. L’indemnité doit représenter la réparation de l’entier dommage mais seulement du dommage réel, en particulier le juge apprécie si la victime a tardé sans motif sérieux pour intenter son action.

Aux biens : le juge conserve le principe ancien, c’est-à-dire la date de survenance du dommage. Mais ce principe est assorti d’un important correctif en ce sens que si à la date de survenance du dommage la victime ne pouvait pas pour des raisons légitimes procéder aux travaux de remise en état le juge se placera à la date où les travaux ont été rendus possibles.

Ensuite en ce qui concerne le calcul précis de l’étendue du dommage le juge va vérifier que la victime ne s’appauvrit pas mais également ne s’enrichit pas. Le juge procède donc éventuellement à un certain nombre de déductions dans la fixation de l’indemnité. Par exemple il va déduire les primes d’assurances qui ont été perçues ou encore les pensions de retraite, les rentes,… De même en cas de révocation d’un agent si celle-ci est illégale le juge déduira les salaires que l’agent a pu percevoir dans l’emploi de remplacement qu’il occupait à la suite de cette révocation.

Inversement le juge tiendra compte des avancements possibles qui ont été perdus du fait de la révocation illégale. Et plus largement le juge répare aussi la perte d’une chance sérieuse.

b. Le régime de l’indemnisation.

L’indemnisation est en général intégrale et en argent. On distinguait l’indemnité proprement dite des intérêts. L’indemnité prend le plus souvent la forme d’un capital. À la fin du XIXe siècle le juge attribuait volontiers des rentes en raison de la grande stabilité monétaire. Puis compte tenu de l’instabilité le juge a renoncé au système des rentes pour préférer le système du versement d’un capital. Toutefois le juge accorde des rentes encore aujourd’hui lorsqu’il s’agit d’une victime mineure, et par ailleurs le retour de la stabilité monétaire permet également le retour du système des rentes.

Si l’indemnité est définitive cela n’exclut pas des aménagements. En premier lieu dans certains cas le juge se borne à fixer une indemnité provisionnelle qui viendra en déduction de la somme que l’administration sera condamnée en définitive à verser. En deuxième lieu tant que le juge n’a pas définitivement statué la victime peut modifier le montant de l’indemnité qu’elle réclame. En troisième lieu même après que le jugement ou l’arrêt est devenu définitif la victime peut demander au juge la révision des indemnités accordées si l’aggravation s’est produite depuis la décision de justice.

À côté de l’indemnité proprement dite il y a les intérêts que peut attribuer le juge qui sont de trois sortes.

· Les intérêts moratoires qui sont liés à l’écoulement du temps où le dommage s’est produit et où le juge statue.

· Les anatocismes qui sont les intérêts des intérêts.

· Les intérêts compensatoires qui réparent le retard abusif dans le paiement.

Section 2. Le partage des responsabilités entre l’administration et son agent

Paragraphe 1. La distinction entre la faute de services et la faute personnelle.

Il est indispensable de déterminer si la faute qui est à l’origine d’un dommage est une faute personnelle à un agent déterminé, ou est une faute de service. Car si la faute est personnelle le régime juridique est celui du droit civil et la compétence est celle du juge judiciaire. Si la faute est de service le droit applicable est le droit administratif et le juge compétent est le juge administratif.

A. La notion de faute personnelle du fonctionnaire.

Dans une formule célèbre la Ferrières notait qu’il y a faute personnelle lorsque l’acte en cause « révèle l’homme avec ses faiblesses, ses passions et ces imprudences ». Conclusion du tribunal des conflits 5 mai 1877 « Laumonnier-Carriol ». Cette définition repose sur une conception subjective de la faute. Ce qui importerait se serait donc l’intention de l’agent et la faute personnelle serait donc la faute intentionnelle. Mais à cette première conception s’en oppose une autre, celle d’une faute personnelle considérée objectivement.. Dans cette analyse la faute personnelle serait ou bien la faute lourde ou bien la faute qui est sans rapport avec le but de la fonction exercée.

La jurisprudence n’a pris partie ni pour une thèse ni pour l’autre. Le plus souvent le juge administratif ne dit pas ce qui est une faute personnelle mais il relève ce qu’elle n’est pas. Ainsi par exemple la faute personnelle n’est pas nécessairement une voie de fait. Tribunal des conflits 8 avril 1935 « actions françaises ». La faute personnelle n’est pas nécessairement une infraction pénale. Le juge administratif dans une décision a estimé que l’accident causé par un militaire et qui s’est trouvé correctionnellement réprimé ne constitue pas nécessairement une faute personnelle. Tribunal des conflits 14 janvier 1935 « Thépaz ».

La jurisprudence a tendance à considérer comme une faute personnelle toute faute qui est commise complètement en dehors du service et qui est sans lien avec celui-ci. Inversement le juge estime également qu’il peut y avoir une faute personnelle lorsque le dommage est causé pendant le service ou à propos de l’accomplissement du service. Tel est le cas par exemple du gardien de prison qui la nuit organise des vols avec les détenus qu’il est chargé de surveiller. Tel est le cas de l’officier de police qui est chargé d’assurer l’ordre dans un bal publique et qui, pris de boissons, se met à tirer sur les personnes qui essaient de le ramener à la raison. Conseil d’état 1er octobre 1954 « Bernard ».

B. Le cumul des responsabilités.

a. Les cas de cumul.

Les cas de cumul sont relativement fréquents pour deux raisons. Premièrement, en pratique il est souvent difficile de dissocier la part de ce qui revient à l’administration et la part de ce qui est imputable à l’agent. Souvent il y a de faute personnelle possible que parce qu’il y a eu auparavant une faute de service. Deuxièmement, le juge a multiplié les cas de cumul pour des raisons d’équité parce le cumul permet à la victime de poursuivre à son choix l’un ou l’autre auteur et l’administration présente un avantage important, celui d’être toujours solvable.

Il peut y avoir tout d’abord cumul de responsabilités par cumul de fautes. Dans ce cas deux responsabilités sont engagées parce que le dommage et le résultat de deux fautes, une faute de service et une faute personnelle. Une illustration de ce cumul est fournie par la décision du 3 février 1911 « Anguet ». Dans laquelle un client fut expulsé par la violence d’un bureau de poste parce que l’heure de fermeture été soi-disant passée.

Ensuite il peut y avoir cumul de responsabilités en cas de faute unique doublement qualifiées. Dans cette hypothèse le juge va considérer qu’il y a faute de service parce que la faute personnelle n’est pas dénuée de tout lien avec le service. Ce lien avec le service est parfois des plus vagues et la présomption n’est alors qu’une fiction permettant à la victime de trouver un coupable solvable, c’est-à-dire l’administration. Ce lien entre la faute personnelle et le service peut-être de deux ordres :

· les liens temporels qui concernent la faute commise pendant le service. Cela signifie que dans la plupart des cas la faute personnelle qui a été commise pendant le temps de service sera en quelque sorte recouverte par la faute de service qu’elle présuppose. Conseil d’état 26 juillet 1918 « époux Lemonnier ».

· Lien instrumental, c’est le cas où la faute a été commise en dehors du service mais où le service a été le moyen, l’instrument de la faute. Dans trois arrêts de principe rendu le même jour le juge a estimé que la faute personnelle commise en dehors du service engageait néanmoins la responsabilité du service dans la mesure où elle n’était pas dépourvue de tout lien avec le service. Conseil d’état 18 novembre 1949 « demoiselle Defaux », « demoiselle Mimeur », « Mademoiselle Bethelsemer ». Cette jurisprudence a connu une extension remarquable. La limite étant représentée par un arrêt du 26 octobre 1973 « Sadoudi ».

b. Les conséquences du cumul.

L’existence d’un cumul ouvre à la victime un choix entre la poursuite de l’agent devant les juridictions judiciaires ou la poursuite de l’administration devant le juge administratif. La victime peut également poursuivre à la fois l’agent et le service devant chacun des deux ordres de juridictions concernées, mais dans ce cas la personne publique se trouve subrogée à la victime dans le droit que cette dernière tient éventuellement du fait des condamnations prononcées ou à venir par le juge judiciaire contre l’agent coupable