La responsabilité disciplinaire des fonctionnaires

La responsabilité disciplinaire des agents de la fonction publique

Cette question doit être envisagée avec celle des obligations du fonctionnaire parce que c’est le non respect de ces obligations qui entraîne la mise en jeu de ce type de responsabilité.

Les caractéristiques de la responsabilité disciplinaire

– La responsabilité disciplinaire est une responsabilité de nature purement administrative en ce sens que la procédure, la sanction et l’auteur de la sanction sont administratifs.

Elle a par ailleurs, un caractère purement professionnel. C’est la raison pour laquelle seule l’administration peut la mettre en jeu. Cela ne signifie pas que toute intervention du juge soit proscrite et en particulier du juge administratif.

– La responsabilité disciplinaire est une responsabilité autonome par rapport à la responsabilité pénale des fonctionnaires.

L’objet de la responsabilité disciplinaire

L’objet de la responsabilité disciplinaire est l’intérêt du service. Il s’agit d’assurer un bon fonctionnement du service. En effet, si un agent n’exerce pas correctement les obligations qui pèsent sur lui, il faut le réprimer pour la continuité du service.

SECTION 1 : Fautes et sanctions disciplinaires

  • 1 : Les fautes

Il n’existe pas de définition légale ni règlementaire des fautes susceptibles d’être sanctionnées. En revanche, cela ne signifie pas que la notion de faute est arbitraire. La faute se définit par référence aux obligations professionnelles du fonctionnaire. Autrement dit, est une faute tout manquement du fonctionnaire à ses obligations.

Ces manquements peuvent être plus ou moins graves (le plus important est la désobéissance au supérieur hiérarchique).

Le fait que les fautes ne soient pas définies dans un texte de loi conduit à la question de la conformité de cette situation avec l’article 8 de la DDHC qui prévoit le principe de la légalité des délits et des peines. On pourrait penser que le principe de l’article 8 n’est applicable qu’à la procédure pénale mais le Conseil Constitutionnel a tout de même déclaré que cet article était bel et bien applicable au régime disciplinaire de la Finance Publique, dans un arrêt du 17 janvier 1989, CSA. Mais, dans cette décision, le Conseil Constitutionnel précise qu’en matière de sanctions administratives, l’application de ce principe est plus souple qu’en matière pénale de sorte qu’il n’y a pas d’obligation de définir les fautes, les faits répréhensibles, dans un texte de loi.

La responsabilité disciplinaire des agents joue pendant l’exercice de leurs fonctions et en dehors de leurs fonctions.

  • 2 : Les sanctions

La liste des sanctions est établie par la loi. La définition des sanctions figure dans le STATUT GÉNÉRAL DE LA FONCTION PUBLIQUE. Ces sanctions disciplinaires sont à peu près les mêmes pour les 3 fonctions publiques. Ces sanctions ne sont pas applicables aux fonctionnaires soumis à un statut autonome.

Les sanctions se présentent sous la forme d’une échelle (échelle des sanctions), c’est a dire, un classement par ordre d’importance.

Il existe 4 groupes de sanctions, le premier comprenant les moins importantes et le 4 ème, les plus fortes :

GROUPE 1 :

– l’avertissement (n’est pas inscrit au dossier du fonctionnaire)

– le blâme (inscrit au dossier du fonctionnaire mais qui peut être effacé au bout de 3 ans si le fonctionnaire n’a pas fait l’objet d’autres sanctions)

– l’exclusion temporaire des fonctions pour une durée maximum de 3 jours (propre à la Finance Publique territoriale)

GROUPE 2 :

– la radiation du tableau d’avancement (propre aux Finance Publique d’état et hospitalière)

– l’abaissement d’échelon

– l’exclusion temporaire des fonctions pour une durée maximale de 15 jours (privative de toute rémunération)

– le déplacement d’office (propre à la Finance Publique d’État). Il est à distinguer de la mutation d’office dans l’intérêt du service qui n’est pas une sanction disciplinaire.

GROUPE 3 :

– la rétrogradation (abaissement de grade qui ne peut avoir pour effet de sortir le fonctionnaire de son corps d’appartenance). Le plus souvent, cette rétrogradation entraîne un changement d’emploi

ex : un agent de la Poste protestant contre la surcharge de travail avait refusé d’ouvrir le guichet au public et de quitter les locaux ou de restituer les clés. Une sanction de rétrogradation avait été prise à son encontre. D’agent de maîtrise, il fut rétrogradé dans le grade d’agent technique. De plus, son affectation géographique avait été modifiée (mutation d’office prononcée dans l’intérêt du service).

– l’exclusion temporaire des fonctions pour une durée de 3 mois à 2 ans (dans la Finance Publique territoriale, c’est de 16 jours à 2 ans)

GROUPE 4 :

– la mise à la retraite d’office (sanction qui peut être prononcée quelque soit l’âge du fonctionnaire mais à condition qu’il ait accompli 15 ans de service). Lorsque cela arrive avant l’âge de départ à la retraite, le fonctionnaire évincé devra attendre l’âge légal pour toucher sa pension de retraite.

– la révocation (peut être prononcée quelque soit la durée de service du fonctionnaire). Concrètement, il n’y a pas de différence avec la mise à la retraite d’office mais, symboliquement, la révocation est déshonorante.

Remarques :

Il est interdit de prononcer d’autres sanctions que celles qui figurent dans les textes (la liste est donc limitative).

Ex : une baisse de la notation du fonctionnaire ne peut sanctionner une faute.

Il est interdit de cumuler des sanctions SAUF dans le cas d’une radiation du tableau d’avancement qui peut être cumulée avec une sanction du deuxième ou du troisième groupe.

SECTION 2 : Les garanties procédurales

La procédure disciplinaire est une procédure purement administrative. Par conséquent, elle ne présente pas les garanties habituelles d’une procédure juridictionnelle.

Pourtant, la procédure disciplinaire et la procédure pénale ont des choses en communs :

  •  la procédure disciplinaire et la procédure pénale aboutissent au prononcé d’une sanction (la sanction disciplinaire dans la Finance Publique est une mesure administrative mais aussi un acte répressif).

Il est donc apparu nécessaire d’offrir certaines garanties aux fonctionnaires. C’est la raison pour laquelle se sont progressivement développées des garanties procédurales, dans une optique de juridictionnalisation de la procédure disciplinaire.

Ce développement est l’œuvre du législateur et du juge. Le phénomène de la constitutionnalisation de ces garanties a également amplifié ce phénomène.

Ex :
– le principe de légalité des délits et des peines
– le principe de non rétroactivité des lois plus sévères
– le principe des droits de la défense

En dépit de ce rapprochement entre procédure disciplinaire et procédure pénale, il n’y a pas identité entre elles. Il existe encore certaines différences et notamment, le caractère imprescriptible des faits dans le régime disciplinaire de la Finance Publique. Ainsi, un agent qui a commis un fait répréhensible pourra toujours être poursuivi.

  • 1 : La communication du dossier

A/ Principe

La règle de la communication du dossier au fonctionnaire, en cas de sanction disciplinaire, est une procédure ancienne qui remonte à la loi du 22 avril 1905, votée suite à l’affaire des fiches. C’est la plus emblématique des garanties accordées aux fonctionnaires par la loi sous la III ème République.

Elle figure aujourd’hui à l’article 19 du titre 1er du STATUT GÉNÉRAL DE LA FONCTION PUBLIQUE. Elle est même devenue une PRINCIPE GÉNÉRAL DU DROIT, dérivé d’un autre PRINCIPE GÉNÉRAL DU DROIT, celui des droits de la défense, depuis un arrêt Mermet du Conseil d’Etat du 5 juillet 2000.

La loi et la jurisprudence ont apporté certaines précisions :

La loi (article 19)

– Le fonctionnaire a droit à la communication de l’intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes.

– L’administration doit informer le fonctionnaire de son droit à la communication du dossier

La jurisprudence :

– La consultation du dossier est considérée comme une formalité substantielle de sorte que le non respect de celle-ci entraîne automatiquement l’annulation de la sanction.

– Le fonctionnaire doit disposer d’un délai suffisant pour consulter son dossier et préparer sa défense (ce délai est apprécié au cas par cas par le juge)

B/ Exceptions

En cas de circonstances exceptionnelles (cf arrêt Heyriès de 1918 qui pose le principe selon lequel, en cas de circonstances exceptionnelles, la possibilité pour l’administration, de ne pas respecter certaines règles).

Certains statuts spéciaux de fonctionnaires (en cas de grève illicite notamment) prévoient une exception au principe de la communication du dossier.

Le statut particulier des préfets prévoit la non communication du dossier mais, cette exception est aujourd’hui neutralisé par le juge administratif qui a consacré cette garantie en PRINCIPE GÉNÉRAL DU DROIT.

  • 2 : La consultation du conseil de discipline

Cette garantie a pour origine les tribunaux militaires mis en place dès 1820. Dans ces tribunaux, figurait au moins un membre du grade du militaire mis en cause.

C’est le statut de 1946 qui a généralisé cette garantie à l’article 19.

Cette garantie est en revanche exclue pour les sanctions du premier groupe.

A/ La composition des conseils de discipline

Ces conseils sont des commissions administratives paritaires qui siègent en formation restreinte. Leur composition est paritaire puisqu’à parts égales, sont présents des membres de l’administration et des représentants des fonctionnaires. Il existe une règle selon laquelle, dans ces conseils de discipline, ne peuvent siéger que les membres du même grade que le mis en cause.

B/ La procédure

La procédure ressemble à une procédure juridictionnelle :

– La convocation du fonctionnaire doit être effectuée 15 jours au moins avant la tenue du conseil pour lui permettre d’organiser sa défense

– le fonctionnaire est auditionné par le conseil et peut s’exprimer en dernier (comme en matière pénale ou le dernier mot revient à la défense)

– le fonctionnaire a le droit à l’assistance de la personne de son choix (autre fonctionnaire ,avocat)

– des témoins peuvent être cités aussi bien par l’administration que par le fonctionnaire mis en cause

En revanche, les audiences ne sont pas publiques.

La compétence du conseil de discipline n’est que consultative de sorte que son avis ne lie pas l’administration. Elle reste libre de prononcer ou non la sanction.

  • 3 : La suspension du fonctionnaire et ses conséquences

L’article 30 du Titre 1er du STATUT GÉNÉRAL DE LA FONCTION PUBLIQUE dispose que en cas de faute grave, le fonctionnaire peut être suspendu, à titre conservatoire.

Cette suspension peut être prononcée pour une durée maximum de 4 mois, exception faite lorsque le fonctionnaire fait l’objet de poursuites pénales. Dans ce cas, il peut être indéfiniment suspendu jusqu’à ce que le juge pénal se prononce.

Cette suspension peut parfois apparaître comme une garantie accordée au fonctionnaire pour deux raisons :

– la suspension permet au fonctionnaire d’organiser sa défense

– la suspension permet d’éviter les troubles au sein du service

– le fonctionnaire conserva l’intégralité de son traitement (exception à la règle du service fait) et ne peut être remplacé pendant la suspension

SECTION 3 : Le contrôle du juge

La sanction disciplinaire est un acte administratif et, en tant qu’acte administratif, il peut être déféré devant le juge administratif par le biais d’un Recours en excès de pouvoir.

L’intérêt du contrôle du juge administratif réside dans son degré.

  • 1 : Les degrés du contrôle du juge

Le juge administratif opère son contrôle de manière différentes. On distingue plusieurs degrés de contrôle :

– le contrôle minimum de l’exactitude matérielle des faits
– le contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation
– le contrôle normal ou entier de la qualification juridique des faits
– le contrôle maximum de qualification juridique des faits et de l’adéquation de la mesure au but recherché

Nous étudierons en l’espèce le contrôle restreint et le contrôle normal.

Le choix du degré du contrôle est un choix offert au juge qui résulte d’une politique jurisprudentielle.

Dans le cadre d’une sanction disciplinaire, il faut distinguer deux éléments :

les faits

Sur les faits, le juge opère un contrôle normal de leur qualification juridique. Concrètement, le juge vérifie si tel fait est de nature à justifier une sanction.

Le choix de la sanction opéré

Pour le choix de la sanction, le juge opère un contrôle restreint dont le principe a été posé par un arrêt du 9 juin 1978, Lebon. Concrètement, le juge annule la sanction si elle est manifestement disproportionnée au regard des faits et au regard du comportement de l’agent.

Le juge opère un contrôle restreint par prudence, en ce sens qu’il ne souhaite pas remettre en cause la liberté de décision de l’administration.

Ex : L’affaire du gendarme Matelli, chef d’escadron de gendarmerie et chercheur en science politique. Mais, les militaires ont une obligation de réserve très poussée. En l’espèce, le gendarme avait été très critique à l’égard de la politique gouvernementale et avait donc été sanctionné à plusieurs reprises. La dernière sanction en date dont il a fait l’objet, fait suite au rapprochement entre le statut des policiers et des gendarmes. Cela lui a valu la sanction la plus élevée, à savoir, la sanction de radiation des cadres (révocation).

Le gendarme a formé un recours devant le Conseil d’Etat qui, dans un arrêt du 11 janvier 2011 a considéré que la sanction de radiation des cadres prononcée contre le gendarme était manifestement disproportionnée. Depuis, le gendarme a été réintégré mais la direction de la gendarmerie a annoncé vouloir engagé de nouvelles poursuites contre lui.

  • 2 : L’avenir incertain de la jurisprudence Lebon

Le contrôle restreint apparaît aujourd’hui comme insuffisant au regard de l’État de droit et aux yeux de nombreux auteurs.

En 1978, au temps de la jurisprudence Lebon, elle apparaissait comme un véritable progrès. Aujourd’hui, avec le développement du contrôle du juge toujours plus poussé, cette jurisprudence apparaît comme insuffisante. Certains auteurs militent donc pour que ce contrôle soit un contrôle normal.

– Pour les sanctions infligées aux administrés

Arrêt du Conseil d’Etat du 16 février 2009, société ATOM : Les décisions de sanction infligées aux administrés qui pouvaient être attaquées par la voie du REP, ne peuvent aujourd’hui, l’être que par un recours de pleine juridiction.

– Pour les sanctions administratives infligées à des élus

Arrêt du 2 mars 2010, Dalongeville : Les décisions de sanction infligées aux élus ne fait plus l’objet d’un contrôle restreint mais d’un contrôle normal.

Ces deux évolutions ne concernent pas les sanctions infligées aux fonctionnaires mais l’étau se resserre. Pour l’instant, la jurisprudence Lebon demeure :

Exceptions :

pour les sanctions des magistrats du Parquet, c’est un contrôle normal qui est opéré et non plus un contrôle restreint (arrêt du 27 mai 2009, Hontang).

D’un point de vue statistique, le nombre de sanction est peu élevé. Les raisons de ce faible nombre de sanctions peuvent être que :

– les fonctionnaires ne se conduisent pas si mal
– la hiérarchie manque de courage pour prononcer une sanction