La responsabilité fondée sur le risque et la garantie

LA RESPONSABILITÉ FONDÉE SUR LE RISQUE ET LA GARANTIE

  • 1 – Les fondements objectifs de la responsabilité

Il s’agit des fondements du risque et de la garantie. Lorsque la responsabilité civile est fondée sur l’un deux voir sur les deux on parle alors de responsabilité objective c’est à dire de responsabilité sans faute. Ces deux fondements ont marqué le droit de la responsabilité du XX siècle sans pour autant chasser le fondement de la faute.

A – Le fondement du risque

1 – l’exposé de la théorie du risque

Constatant l’insuffisance du fondement de la faute, une théorie objective de la responsabilité a été proposée à la fin du XIX par Saleilles et Josserand. Cette théorie fait reposer la responsabilité civile sur le risque: 1/ d’une part le risque créé: chacun doit assumer la responsabilité du dommage dont il a créé le risque, toute activité dommageable même non fautive doit être génératrice de responsabilité 2/ d’autre part le risque-profit: celui qui tire profit de l’activité d’une chose doit en contrepartie supporter la charge de réparer les dommages qu’il peut causer à autrui. Cette responsabilité fondée sur le risque tend à indemniser les victimes, le problème de responsabilité n’est donc plus un problème moral d’appréciation d’une conduite humaine mais …

2 Les manifestations de la théorie du risque en droit positif

Cette théorie du risque a exercé une influence incontestable sur le droit positif: d’abord sur la loi puisque la loi du 9 avril 1998 repose sur l’idée de risque et plus particulièrement sur le risque professionnel. Ensuite sur la Jurisprudence parce qu’elle a encouragée et justifiée les juges à développer une responsabilité générale du fait des choses, elle va développer cette responsabilité sur le fondement du risque. En effet, elle n’est pas fondée sur une présomption de faute puisque le gardien de la chose est responsable même s’il n’a pas commis de faute, il est d’ailleurs responsable sans être autorisé à démontrer qu’il n’a pas commis de faute. Les développements ultérieurs de la Jurisprudence ont créé un principe général du fait d’autrui fondé sur le fondement du risque. Enfin, la théorie du risque a habitué les esprits à ce qu’il soit légitime d’être responsable sans avoir commis de faute.

B – Le fondement de la garantie

La théorie de la garantie a été fondée par Boris Starck dans sa thèse en 1947 intitulée « essai d’une théorie générale de la responsabilité civile considérée en sa double fonction de garantie et de peine privée ».

1 – L’exposé de la théorie de la garantie

Par cette théorie Starck a cherché à sortir de l’affrontement faute/risque en trouvant une troisième voie. Pour lui, le tort des 2 théories précédentes était de se placer du seul côté de l’auteur du dommage, il va proposer de se placer du côté de la victime. Il dit que la victime a des droits et en particulier elle a droit à sa vie, à son intégrité corporelle, à l’intégrité matérielle de ses biens et que ses biens doivent être protégés de l’activité d’autrui et cela même si cette activité est irréprochable « les droits de la victime doivent être garantis contre toute atteinte ». La victime a droit, à titre de garantie, à la réparation de tout atteinte à sa personne ou à son patrimoine, dans ces cas-là il n’y a pas de faute à exiger du responsable. En revanche, les autres dommages comme les dommages moraux ou économiques ne sont pas garantis parce qu’ils sont la conséquence normale de l’exercice du droit d’agir et même de nuire légitimement, droit que possède l’auteur du dommage. Ces dommages non garantis ne donneront lieu à réparation que s’il y a une faute à leur origine. La théorie de la garantie proposée par Starck est mixte, elle combine la responsabilité sans faute pour les dommages garantis et la responsabilité pour faute pour les dommages non garantis. Il combine les fondements de faute et de garantie en fonction de la nature du dommage.

2 – Les manifestations de la théorie de la garantie en droit positif

On a reproché à la théorie de la garantie de ne pas rendre compte du droit positif dans son ensemble. Le droit de la responsabilité civile ne faisait pas de distinction en fonction de la nature du dommage: le droit « commun » de la responsabilité civile distingue selon la source du dommage selon qu’il provient d’un fait personnel ou d’un fait d’autrui. Cependant la théorie de la garantie a plusieurs mérites, elle a le mérite de proposer une ligne de partage entre le fondement de la faute et le fondement du risque, de montrer que ces 2 fondements étaient compatibles et d’expliquer certains régimes actuels de responsabilité civile comme le régime d’indemnisation des victimes d’accident de la route mis en place par la loi du 5 juillet 1985. Cette loi dote d’un régime particulier sans faute l’indemnisation des dommages corporels et matériels.

  • 2 – La fonction indemnisatrice de la responsabilité objective

Face à la multiplication et l’aggravation des dommages, deux aspirations majeures vont marquer le XX siècle: l’indemnisation des victimes mais aussi la solidarité avec les responsables.

A – Les soucis d’indemnisation des victimes

Au fil du XX les impératifs de la responsabilité se transforment, l’essentiel n’est plus de moraliser et de réprimer des conduites individuelles d’où le reflux de la responsabilité pour faute. On est passé de l’impératif de sanction du responsable au souci de protection de la victime. La faute qui, jusque-là, permettait l’identification du responsable va devenir un obstacle à l’indemnisation de la victime. Si la victime n’arrivait pas à prouver la faute, elle se retrouvait sans réparation. On a compris que, juridiquement, pour favoriser l’indemnisation il était nécessaire de faire refluer le rôle de la faute et de justifier des responsabilités sans faute. C’est ce à quoi vont s’employer les théories du risque et de la garantie, on assiste donc à une convergence des sources du droit pour surmonter cette difficulté. La Jurisprudence s’est montrée créative et audacieuse et le législateur a créé des cas de responsabilité sans faute (loi de 1998). Au final, le domaine de la responsabilité subjective s’est considérablement restreint au profit des cas de responsabilité objective qui continuent à se multiplier. Aujourd’hui, c’est bien plus le dommage qui engendre la responsabilité civile que le comportement du responsable.

B – Les soucis de la solidarité avec les responsables

Au fil du développement du souci d’indemnisation des victimes, on réalise que la structure individualiste de la société est de plus en plus inadaptée, va alors apparaître le souci corollaire de ne plus faire peser le poids de la réparation sur les seuls responsables. On va se mettre à assister au déclin de la responsabilité individuelle parallèlement à la socialisation des risques. C’est la thèse que défend Geneviève Viney. Cette socialisation des risques a contribué à répartir le poids de l’indemnisation des dommages sur la collectivité toute entière, elle s’est mise en place par différents mécanismes:

a) l’assurance

  • développement de l’assurance

L’assurance est un mécanisme de socialisation des risques qui s’est développé à partir de la loi du 13 juillet 1930 et qui a permis une meilleure réparation du coût des risques afin d’indemniser les victimes en évitant de faire supporter tout le poids du dommage à l’auteur. Cette extension de l’assurance a d’abord été spontanée puis a été rendue en parti obligatoire notamment pour certaines activités dangereuses.

  • conséquence sur la responsabilité civile

Le développement de l’assurance a permis aux tribunaux de retenir la responsabilité civile beaucoup plus facilement en l’interprétant de manière plus souple. Ils ont donc donné une grande efficacité aux contrats d’assurance mais, par le jeu de l’assurance, le responsable n’est plus vraiment le débiteur de la réparation, il va apparaître comme le fournisseur de l’assurance. Progressivement, la désignation du responsable va se faire par la recherche de l’assuré dans le procès. Ce critère objectif de l’existence de l’assurance va prendre le pas sur le critère subjectif de la faute. Plus l’assurance se généralise et plus la responsabilité civile peut s’étendre. Exemple: en 1958, a été instaurée l’assurance automobile automatique, cela va entrainer très rapidement un développement et un alourdissement de la responsabilité des conducteurs. L’émergence de l’assurance a entrainé une démoralisation de la responsabilité civile et un reflux des comportements nuisibles.

b) les autres mécanismes de socialisation des risques

Différents textes ont contribué à l’édification du système d’indemnisation par la collectivité pour certains dommages spécifiques et ce indépendamment de toute appréciation de la responsabilité. Ces textes sont fondés sur la notion de risque social. Aujourd’hui, dans l’éventail de tous les procédés d’indemnisation ces modes collectifs de prise en charge du risque sont prédominants, ils font passer l’indemnisation par la responsabilité civile au second plan.

  • les fonds de garantie(ou d’indemnisation): ils permettent d’éviter que les victimes ne supportent le poids de l’insolvabilité du responsable (lorsque le responsable n’est pas assuré ou lorsqu’il n’est pas identifié). Exemple: fond de garantie automobile créé en 1951 au bénéfice des victimes d’accident de la circulation / fond de garantie pour les victimes d’actes de terrorisme qui date de 1986 / fond de garantie pour les victimes du sida à la suite d’une transfusion sanguine qui date de 1991 / fond de garantie pour les victimes de l’amiante en 2000 / fond de garantie pour les victimes d’accidents médicaux 2002
  • la sécurité sociale: c’est une expression et un symbole de la solidarité sociale en matière de responsabilité civile puisque, grâce à elle, c’est la collectivité dans son ensemble qui va prendre en charge les atteintes à la santé et leurs conséquences pécuniaires. Exemple: depuis 1946, la réparation des accidents du travail est incorporée dans le régime de sécurité sociale.

Tous ces mécanismes contribuent à renforcer la responsabilité objective c’est à dire d’une responsabilité détachée de la faute. Une responsabilité qui s’est développée dans un souci d’indemnisation quitte à ce que le responsable du dommage ne soit pas le payeur de la réparation. Ce système repose sur l’idée d’égalité entre les victimes et de solidarité face au coût.

  • 3 – Les limites à l’extension de la responsabilité objective

Elle a eu des répercussions sur les plans économique, social et moral. Sur ces 3 plans, des limites étaient nécessaires pour ne pas tomber dans l’exemple repoussoir de la dérive américaine (Laurence Engel). La jurisprudence française ne suit pas cet exemple américain, cependant, la responsabilité sans faute n’a pas cessé de s’étendre avec notamment la responsabilité du fait des choses qui, dans la première moitié du XX siècle, est devenue une responsabilité sans faute. Cela s’est poursuivi avec la responsabilité du fait d’autrui aujourd’hui fondée sur le risque. Il n’y a plus que la responsabilité du fait personnel qui reste subjective, fondée sur la faute. Il est clair que le but de cette responsabilité est l’indemnisation et cette généralisation du risque s’est faite au prix d’un certain refoulement de la faute.

A – Le risque sur le plan moral: la déresponsabilisation due au reflux de la faute

La faute a en effet refluée dans différentes branches du droit. En droit pénal, cela se manifeste par le développement d’infractions non intentionnelles et par le développement de la notion de dangerosité qui progressivement à restreint la part de la culpabilité et donc de la faute. En droit public, la responsabilité sans faute de l’administration s’est taillée une place importante qui est désormais définitive. En droit civil, ce reflux généralisé de la faute a pu faire craindre à certains une déresponsabilisation: la certitude que la victime va bien être indemnisée par le jeu de l’assurance pouvait favoriser des comportements insouciants et la responsabilité civile risquait de perdre son rôle dissuasif des comportements dommageables. Ce rôle dissuasif reste tout de même fort pour certaines fautes dont les conséquences ne sont pas couvertes par l’assurance. Il s’agit des fautes lourdes, volontaires et lucratives qui appellent une sanction par des dommages intérêts punitifs.

B – Le risque sur le plan économique: le coût de la socialisation croissante du risque

Tous ces mécanismes de socialisation des risques coutent chers à la collectivité dans le sens où leur coût global outrepasse le seul coût de l’indemnisation des dommages en raison de tous les frais de fonctionnement du système qui sont lourds. On réalise que l’extension de cette responsabilité peut conduire à une saturation du système. Pour certains risques majeurs, les assureurs ont développé des parades sous forme de coassurance et de réassurance. Dans la réassurance, l’assureur prend lui-même une assurance auprès d’une compagnie d’assurance dans le but d’être indemnisé à son tour si le risque survient.

C – Le risque sur le plan social: le découragement de l’initiative

Le risque d’une responsabilité entièrement objective est de constituer un frein à l’initiative et à la liberté d’action. Cette crainte s’est révélée infondée mais, pour autant, le tout risque n’est une solution. Le droit a donc finit par combiner les 2 types de responsabilité et les 2 fondements.

La responsabilité civile est périodiquement soumise à des défis:

  • le défi de l’indemnisation des victimes et de la socialisation des risques a été celui de la fin du XIX siècle et de l’entier XX siècle, il a été relevé sur les plans théorique et technique. Au plan théorique par l’invention et le développement de 2 nouveaux fondements: le risque et la garantie. Au plan technique, par la mise en place des mécanismes de socialisation: l’assurance et les fonds de garantie qui ont permis une répartition des risques sur l’ensemble de la collectivité.
  • Le défi de l’anticipation des risques qui est apparu à la fin du XX siècle et qui pourrait être celui du XXI siècle. Au plan théorique, il suppose l’invention de fondements pour une responsabilité préventive: la précaution ? La préservation ? Au plan technique ce défi nécessite la mise en place de mécanismes d’anticipation, par exemple: une action en responsabilité préventive ou le développement de sanctions préventives.