La responsabilité sans faute de l’administration

La responsabilité sans faute de l’administration

Remarque 1 : Le développement de la responsabilité sans faute est connu avec un mouvement qui est une idée de « socialisation des risques » qui est apparu dans les années 1930 sous l‘influence de la doctrine. Cette expression socialisation des risques signifie que les risques de la vie en société ne doivent pas être supportés par quelques individus mais doivent être supportés par la collectivité. Par conséquent, le budget de l’Etat doit prendre à sa charge les risques sociaux. L’idée est apparue en 1930 sous l‘influence d’un certain nombre d’auteur comme Léon Bourgeoi. Ce mouvement s’est concrétisé par la prise en charge par la collectivité des risques professionnels et le mouvement s’est amplifié après 1946 lorsque le préambule de 1946 a constitutionnalisé un certain nombre de droits économiques et sociaux et à partir de là ont été socialisé des risques maladie, accident du travail. le législateur a aussi pris le relai du juge et a codifié un certain nombre d’hypothèse de responsabilité pour risque. le Conseil d’Etat en 2005 essaye de démontrer que la socialisation des risques a des limites financières et que la collectivité ne peut pas prendre en charge tous les risques, la constatation venant de ce que de plus en plus de lois consacrent la responsabilité pour risque de l’Etat et donc mettent à la charge du budget étatique des risques de plus en plus nombreux. Le budget de l’Etat n’est pas extensible à l’infini.

Remarque 2 : la responsabilité sans faute de l’administration recouvre des hypothèses très nombreuses et très différentes puisqu’elle n’est pas fondée uniquement sur la reconnaissance d’un risque mais aussi sur une grande idée de la rupture de l’égalité des citoyens devant les charges publiques selon l’article 13 de la DDHC et qui a servi de fondement au juge pour consacrer des hypothèses de rupture de l’égalité pour avoir une responsabilité sans faute de l’Etat. Il y a une autonomie de la responsabilité administrative par rapport à la responsabilité de droit privée.

Remarque 3 : les hypothèses de responsabilité pour risque sont très diverses et au fil des années le juge a divisé les hypothèses de risque en les multipliant. Aujourd’hui on peut comptabilité jusqu’à 6 hypothèses de risque différents, abstraction faite des hypothèses de rupture de l’égalité devant les charges publiques car le risque en tant que tel n’intervient pas ( : l’Etat a créé dans l’intérêt général une charge au détriment d’un particulier ou d’une catégorie particulière et que cette charge doit être supportée par la collectivité). Il y a deux hypothèses de responsabilité sans faute :

· Les hypothèses fondées sur le risque

· Les hypothèses fondées sur une rupture d’égalité devant les charges publiques, indépendantes du risque

Remarque 4 : ces deux hypothèses sont des créations prétoriennes du juge pour des raisons d’équité. Il a existé à l’origine dans les conclusions des commissaires du gouvernement. Très souvent le législateur a pris le relai, il reprend à son compte les innovations jurisprudentielles et donc on est en présence d’un certain nombre de régimes législatifs de responsabilité qui consacrent des hypothèses de responsabilité sans faute à la charge de l’Etat.

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A. Les hypothèses de risque consacrées par le juge

Remarque : la doctrine qui a essayé de systématiser la jurisprudence, a essayé de classifier les risques sous deux catégories pour justifier que l’Etat soit responsable sans faute :

  • · Le risque danger
  • · Le risque profit

L’idée est que l’Etat qui créé un danger doit en assumer les conséquences dommageable, mais l’idée est aussi que l’Etat qui créé des risques à son profit doit en supporter les charges. Ca explique pourquoi l’Etat va être systématiquement déclaré responsable sans faute des dangers qu’il créé ou qu’il n’a pas évité et des risques qu’il créé au profit de la collectivité et qu’il doit prendre à sa charge. Mais dans beaucoup d’hypothèses consacrées par le juge ces deux idées sont complémentaires pour expliquer la solution.

1) Le risque professionnel et son application aux collaborateurs bénévoles et occasionnels du SP

C’est le premier risque qui a été consacré par le Conseil d’Etat dans l’arrêt du 21 juin 1895 Cames.

Arrêt du 21 juin 1895 Cames (GAJA 6) : à l’époque il n’y avait aucune législation sur les accidents du travail, le Conseil d’Etat engage sans faute la responsabilité de l’Etat du fait d’un dommage causé à un ouvrier qui avait vu sa main broyé par une machine. Le commissaire du gouvernement Romieu expliquait dans ses conclusions que la justice veut que l’Etat soit responsable vis-à-vis de l’ouvrier des dangers que lui fait courir sa coopération du Service Public. C’est bien l’idée de risque danger qui est à l’origine de la reconnaissance du risque professionnel. Mais l’idée de risque profit n’est pas non plus totalement étrangère à la solution puisque l’ouvrier qui travail au profit de l‘Etat et au profit du Service Public fait que l’Etat doit prendre à sa charge toutes les conséquences dommageables qu’il tire du profit du travail de l’ouvrier. Il n’y a pas de considérant de principe dans cet arrêt, le Conseil d’Etat se contente de vérifier que l’ouvrier n’a pas commis de faute dans l’exercice de sa tache.

Le législateur, influencé par cette jurisprudence a fini par consacrer la responsabilité des employeurs en général pour les risques professionnels et une loi du 9 avril 1898 est venue codifier cette jurisprudence : tout employeur (et donc pas seulement l’Etat) est responsable sans faute des accidents du travail survenus au préjudice de ses employés. C’est ce qu’on connait aujourd’hui sous l’appellation « couverture du risque accident de travail ».

Remarque : Les fonctionnaires dans les Service Public qui sont victimes d’accident du travail ou d’accident professionnel (comme les maladies professionnelles) sont soumis au code des pensions et la pension est une réparation forfaitaire pour l’accident ou la maladie professionnelle qui est connue sous l’appellation forfait de pension. Jusqu’à très récemment, le forfait de pension, qui ne recouvre pas nécessairement l’intégralité des préjudices subits, régissait les fonctionnaires et ils ne pouvaient pas obtenir la réparation de l‘intégralité des préjudices subits. le Conseil d’Etat a fait évoluer sa jurisprudence le 4 juillet 2003.

Arrêt du 4 juillet 2003 Moya Carville: un fonctionnaire peut toujours obtenir de la collectivité publique employeur la réparation du complément de dommage qui n’est pas couvert par le forfait de pension. Autrement dit, depuis 2003 un fonctionnaire victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle peut demander réparation à son administration des dommages qui ne sont pas couverts par le forfait de pension.

Du coup pour la part de préjudice qui n’est pas réparé par la législation du travail, la responsabilité sans faute pour risque joue pour la part de préjudice non réparé par la législation du travail, application de la jurisprudence Cames. Même après la loi de 1898 le Conseil d’Etat a pérennisé la jurisprudence Cames au profit des collaborateurs bénévoles et occasionnels du Service Public. le Conseil d’Etat a appliqué la responsabilité sans faute pour risque professionnel à ces personnes à partir de 1946.

Arrêt du 22 novembre 1946 Commune de Saint Priest la Plaine: une personne a participé le 14 juillet au tire du feu d’artifice de sa commune perdu au fin fond de la ruralité. Certaines fusées ont éclatées au visage de la personne. Dans cet arrêt le juge fait supporter des conséquences dommageables à a commune qui avait accepté l’aide bénévole de cette personne. Il n’y a pas de considérant de principe.

Quand on examine toute la jurisprudence qui s’étale de 1946 à 1970, on s’aperçoit qu’il y a 3 conditions pour que la responsabilité sans faute fondée sur le risque professionnel s’applique aux collaborateurs bénévoles et occasionnels du Service Public :

Premièrement, il faut que l’administration ait acceptée explicitement ou implicitement l’aide du collaborateur. Donc soit l’administration a requis le collaborateur pour l’aider, soit l’administration a tacitement accepté l’aide et cette acceptation tacite peut résulter soit de ce que l’administration n’a pas refusé l’aide, soit d’une hypothèse d’urgente nécessité. Comme disait Romieu, lorsque la maison brule, on ne va pas demander la permission pour appeler les pompiers. En cas de nécessité l’acceptation de l’aide est implicite.

Exemple d’acceptation implicite : lorsque quelque est en train de se noyer sur la plage, une personne qui voit la scène et qui se jette spontanément à l’eau pour aller chercher le noyer répond à une urgente nécessité et l’administration est considérée comme ayant acceptée implicitement l’intervention spontanée.

Deuxièmement, il faut qu’il y ait collaboration à un véritable Service Public. C’est la condition pour que la responsabilité pour risque professionnel s’applique. le Conseil d’Etat considère que le véritable Service Public est une fête traditionnelle de Service Public. Dans l’hypothèse du noyer qu’on va chercher, le Service Public qui est implicite est celui de la police. Donc quand une personne apporte son secours à une personne qui se noie, elle participe au Service Public de police qui est défaillant. Même chose pour une personne qui se lance spontanément à la poursuite d’un malfaiteur. Donc la deuxième condition c’est qu’il faut qu’il y ait réellement collaboration à un véritable Service Public.

Troisièmement il faut que la collaboration soit effective et apporte quelque chose au Service Public. Il ne faut pas que le collaborateur fasse la mouche du coche, il faut que sa collaboration soit utile.

Cette jurisprudence est très laxiste. le Conseil d’Etat est allé jusqu’à considérer qu’un parent qui se jette à l’eau pour secourir son enfant participe occasionnellement et bénévolement à un Service Public et peut bénéficier du régime de responsabilité sans faute de la collectivité, sans que le lien de parenté y fasse obstacle : arrêt du 1er juillet 1977 Commune de Coggia.

Arrêt du 12 octobre 2009 Chevillard : applique cette jurisprudence traditionnelle et qui présente l’intérêt de bien marquer que même lorsque la personne qui prête son concours est considérée comme collaborateur occasionnel et bénévole du Service Public et qui peut bénéficier de la responsabilité, même quand cette personne bénéficie de la législation du travail puisqu’elle se trouve employée par une entreprise privée, elle peut néanmoins demander la réparation pour responsabilité sans faute de la part de ses préjudices qui ne sont pas indemnisés par la législation du travail. Cette personne avait participé à un sauvetage en mer. Brest avait sollicité une société privée où travaillait monsieur Chevillard pour aller sauver quelqu’un qui était en train de sombrer au large du Gabon et donc l’intervention du collaborateur avait été demandée expressément par l’administration. Sa collaboration était réelle puisqu’il avait pris son hélicoptère. Bien qu’il soit employé d’une entreprise privée et qu’il ait bénéficié de la législation du travail, les héritiers ont pu obtenir la réparation des préjudices par l’administration qui ne sont pas couverts par la législation sur les accidents du travail, comme collaborateur occasionnel et bénévole du Service Public.

2) Le risque exceptionnel de voisinage et son extension au risque spécial pour les tiers

Le risque exceptionnel de voisinage trouve son origine dans la jurisprudence du 19ème siècle sur les inconvénients de voisinage causés par les ouvrages publics. Dès 1850 le juge administratif a indemnisé les voisins des ouvrages publics sans faute du fait des inconvénients de voisinages générés par des usines thermiques, d’incinération d’ordre ménagère ou encore des postes qui sont bruyants. Devant les juges judiciaires il faut que la victime démontre un abus du droit du voisin alors que devant le juge administratif, le voisin d’un ouvrage public n’a aucune autre chose à démontrer que son préjudice qui devait être anormal, c’est-à-dire dépasser les inconvénients de voisinage normaux. C’est donc l’anormalité du dommage que devait prouver le voisin d’un ouvrage public pour engager la responsabilité sans faute du propriétaire de l’ouvrage public.

Arrêt du 28 mars 1919 Regnault Deroziers (GAJA 34) (?): le Conseil d’Etat a consacré en 1919 le risque exceptionnel de voisinage constitué par l’accumulation dans un fort militaire d’un stock de munitions. Le juge a considéré que l’Etat avait créé un risque exceptionnel de voisinage dont il devait assumer les conséquences dommageable. Il y avait eu une explosion.

Quelques années après le législateur a repris cette hypothèse de responsabilité sans faute dans une loi du 3 mai 1921 qui a prévu l’indemnisation automatique par l’Etat des conséquences dommageables liées aux explosions de munitions stockées dans les forts militaires.

Comme pour l’arrêt Cames, le Conseil d’Etat a utilisé le raisonnement de l’arrêt Regnault Deroziers dans d’autres hypothèses : il a applique la théorie du risque exceptionnel de voisinage dans des hypothèses où l’Etat a autorisé la libération de mineurs délinquants pour les aider à se réinsérer progressivement dans la vie normale. Il faut savoir que jusqu’en 1945 les mineurs délinquants comme les prisonniers adultes dans les prisons restaient enfermés jusqu’à ce qu’ils ne soient plus dangereux. Le législateur a prévu des hypothèses de libérations momentanées pour réinsérer progressivement les mineurs délinquants à la vie en société. Donc les tiers ne bénéficiaient plus de l’enfermement des personnes dangereuses qui pouvaient se trouver libérer par expérimentation. Si ces personnes commettaient des accidents, le juge a considéré que l’Etat en imposant ces méthodes libérales d’éducation, créait un risque spécial pour les tiers du voisinage de l’établissement de soin, risque spécial dont l’Etat devait assumer les conséquences dommageables.

Arrêt du 3 février 1956 Ministre de la justice contre Thouzellier: dans un premier temps le Conseil d’Etat a reconnu l’existence d’un risque spécial pour les tiers résidant dans le voisinage de l’établissement où étaient soignés les mineurs délinquants, c’est donc le risque de voisinage pour les tiers qui a été appliqués dans un premier temps aux mineurs délinquants libérés momentanément, cette libération constituant un risque spécial pour les tiers habitant le voisinage de l’établissement. Le danger est constitué par les mineurs libérés mais aussi par la méthode de l’Etat.

10 ans après, le juge administratif a abandonné la condition de voisinage du fait du développement des moyens de locomotion. En 1966 le Conseil d’Etat a abandonné la condition de voisinage et s’est contenté de reconnaitre l’existence d’un risque spécial pour les tiers, sans faire référence au voisinage. Du coup, il peut se poser la question du lien de causalité entre la décision de libérer le mineur délinquant et la perpétration de son délit. Cette question est résolue par le juge en prenant en considérant le délai qui s’est écoulé entre le moment de la libération et le moment de la perpétration du forfait : il faut qu’il y ait un délai raisonnable de quelques jours. Mais un mineur libéré dans ces conditions qui ne rentre pas dans son établissement et qui reste dans la nature et qui va commettre un incendie ou un vol 2 ou 3 mois après sa sortie d’essai, le juge va considérer qu’il n’y a plus de lien de causalité. Donc l’écoulement du temps va distendre la causalité.

L’existence de ce risque spécial a été étendue à deux autres hypothèses :

· Les malades mentaux qui bénéficient aussi de sorties d’essaie : Arrêt du 13 juillet 1967 Département de la Moselle.

· Les prisonniers adultes qui bénéficient des systèmes de sortie d’essaie, libération conditionnelle ou de semi-liberté : Arrêt du 2 décembre 1981 ministre de la justice contre Theys.

Cette jurisprudence a été développée au maximum par le juge dans le souci d’assurer la réparation des dommages subis par les tiers. Cette jurisprudence est étendue à tel point que le juge a eu l’occasion de juger que même lorsque les mineurs délinquants étaient enfermés dans des institutions privées, l’Etat devait être déclaré responsable des forfaits commis lors de leur libération. C’est l’Etat qui impose les méthodes libérales de rééducation. Donc peu importe que l’institution qui garde le mineur soit une institution publique ou privée puisque c’est toujours le même risque créé par l’Etat.

La question s’est posée de savoir la solution qu’il fallait adopter lorsque les mêmes dommages sont causés par des mineurs non délinquants, mais placés dans des familles d’accueil, dans des institutions spécialisées, que faire ? Après une évolution de jurisprudence qui est passé par un régime de présomption de faute, le Conseil d’Etat a fini par accepter la responsabilité sans faute des personnes publiques pour réparer les dommages des mineurs dans ces cas là. le Conseil d’Etat n’a pas pu le faire sur le fondement du risque puisque ce ne sont pas des personnes dangereuses mais ce sont des mineurs défavorisés qui font l’objet de placement familial par le juge des enfants. le Conseil d’Etat l’a fait sur le fondement de la garde au motif que les personnes publiques qui reçoivent les enfants en placement ou qui les ont placés auprès d’une famille d’accueil, et qui ont manqués à leur devoir de garde, doivent engager la responsabilité sans faute de la personne publique à l’origine du placement de l’enfant. le Conseil d’Etat a donc recouru à ce concept de garde à partir de l’arrêt du 11 février 2005 GE AXA Courtage.

La volonté du Conseil d’Etat est très claire : alignement de la jurisprudence administrative sur la jurisprudence judiciaire. Cela ne veut pas dire pour autant que la jurisprudence sur le risque spécial créé au détriment des tiers soit obsolète.

Arrêt du 1er février 2006 Garde des sceaux contre MAIF : le Conseil d’Etat a combiné la jurisprudence du risque spécial pour les tiers et la jurisprudence sur la garde. Il a considéré que lorsqu’une personne a été victime d’un mineur délinquant, placé soit dans une institution soit dans une famille d’accueil, la victime avait le choix entre faire engager la responsabilité de la collectivité publique qui devait avoir la garde de l’enfant, soit engager la responsabilité sans faute de l’Etat du risque spécial au détriment des tiers par l’Etat qui impose des méthodes libérales de rééducation. le Conseil d’Etat combine donc les deux jurisprudences qui sont fondées sur la responsabilité sans faute : la garde de la collectivité publique qui devait assurer la direction et la surveillance de l’enfant, via des personnes privées, ou le risque spécial par l’Etat au détriment des tiers.

3) Le risque lié à l’utilisation de choses ou de produits dangereux

Cette hypothèse se trouve dans les années 1930.

Arrêt du 24 juin 1949 Leconte : le Conseil d’Etat a considéré que lorsque la police utilisait des engins dangereux, elle devait voir sa responsabilité sans faute engagée par ces engins. En 1949 on était dans un contexte où la jurisprudence pour les actions de la police sur le terrain exigeaient la faute lourde et donc cette jurisprudence sur les choses dangereuses était une exception au sein d’un régime fondé sur la faute lourde. A partir de 1949 il fallait savoir quelles étaient les armes dangereuses utilisées par la police. Sont uniquement considérés comme arme dangereuses les armes à feu. Les matraques et grenades lacrymogènes non.

Depuis 8 jours le Conseil d’Etat a abandonné la faute lourde, les services fiscaux se voient engager une faute simple de nature à. Le déclin de la faute lourde continue.

Quand la police utilise les armes dangereuses, on a un régime de responsabilité sans faute. L’arrêt Leconte a été précisé en 1951 dans un arrêt du 27 mai 1951 Dame Auberge et Dumont: la responsabilité sans faute pour risque lorsque les services de police utilisent des armes dangereuses ne s’appliquent que vis-à-vis des victimes tiers des opérations de police. Si les victimes sont les personnes poursuivies par la police, à eux ne s’applique pas le bénéfice de la responsabilité sans faute puisqu’ils ont recherchés le contact avec la police. A ces victimes là on a le régime de la faute simple. Faute simple car des armes dangereuses ont blessées les victimes, mais comme c’est celles qui sont visées, elles ne peuvent pas bénéficier du régime de responsabilité sans faute, on a un régime de faute simple qui s’applique.

Il y a aussi des produits dangereux que l’administration peut utiliser et qui peut entrainer sa responsabilité sans faute à raison du danger. Une extension de jurisprudence a été consacré par le juge en 1995 lorsque des produits sanguins délivrés par le Service Public hospitaliers se sont révélé dangereux parce que porteur du SIDA.

Arrêt du 26 mai 1995 consorts Pavan Jouan N Guyen: le Conseil d’Etat a consacré la responsabilité sans faute des établissements de transfusion sanguine pour la délivrance de produits défectueux aux malades qui bénéficient d’un régime de responsabilité sans faute pour réparer leur préjudice. le Conseil d’Etat s’est aligné sur la jurisprudence de la cour de cassation qui le 12 avril 1995 avait aussi engagé la responsabilité des établissements de transfusion sanguine sans faute. Donc les deux juridictions en 1995 ont consacré cette responsabilité sans faute du fait de produits défectueux.

4) L’aléa et le risque thérapeutique

On distingue l’aléa et le risque thérapeutique. Le législateur a repris à son compte l’existence de risques sans le dire expressément dans la loi du 4 mars 2002. Le juge administratif, malgré l’existence de la loi applique toujours cette jurisprudence pour deux raisons.

Premièrement parce que la loi s’applique aux dommages qui ont été commis après le 5 septembre 2001. Or il y a des faits antérieurs.

Deuxièmement le dispositif législatif de la loi du 4 mars 2002 ne s’applique que si les victimes choisissent de bénéficier du système mis en place par la loi Kouchner. Si les victimes refusent de se placer sous ce système législatif, elles peuvent toujours choisir les juges compétents qui appliqueront leur jurisprudence, abstraction faite du système spécifique prévu par la loi.

L’aléa thérapeutique a été consacré par un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon le 21 décembre 1990 Consorts Gomez qui est un arrêt de principe et qui a fait jurisprudence dans une hypothèse particulière mais qui peut se reproduire. Responsabilité sans faute d’un hôpital au profit d’un enfant (et de ses parents) qui a été opéré suivant une intervention chirurgicale expérimentale. La responsabilité sans faute de l‘hôpital se fondait à la fois sur l’aléa thérapeutique de l’intervention mais aussi par le fait que finalement cet enfant et ses parents avaient acceptés implicitement d’être des collaborateurs occasionnels et bénévoles du Service Public pour faire avancer la science et la connaissance médicale. Les risques présentés par l’intervention n’étaient pas totalement connus.

Arrêt du 9 avril 1993 Bianchi: le Conseil d’Etat a consacré une deuxième hypothèse que l’on appelle cette fois ci risque thérapeutique parce que le risque était connu. Cette affaire a été rendue à l’occasion d’un examen médical nécessaire à l’établissement du diagnostique, une artériographie. On a un risque connu qui intervient exceptionnellement, mais le risque était parfaitement recensé. A l’issu de l’examen le malade se retrouve infirme. Le juge a considéré qu’il était équitable d’engager la responsabilité de l’hôpital sans faute pour avoir engagé l’examen nécessaire pour le malade. La cour de cassation a toujours refusé de le faire. Le législateur est intervenu pour faire en sorte que les malades soient soignées équitablement, que ce soit du secteur privé ou public. Le juge administratif dans cet arrêt pose 6 conditions drastiques à l’indemnisation sans faute des préjudices subits :

Premièrement, il faut que l’acte médical soit effectivement nécessaire soit à l’établissement du diagnostique soit au traitement du malade.

Deuxièmement, il faut que le risque présenté par l’acte médical soit connu mais de réalisation exceptionnelle.

Troisièmement, il faut que le patient prouve qu’il n’était pas particulièrement exposé au risque qui s’est réalisé. Autrement dit il faut que le patient n’ait pas de prédispositions à subir le risque.

Quatrièmement, il faut que le dommage constaté soit sans rapport avec l’état initial du malade.

Cinquièmement, il faut que le dommage soit sans rapport avec l’évolution prévisible de la maladie ou de l’état du malade.

Sixièmement, il faut que le dommage présente une particulière gravité.

La loi du 4 mars 2002 prévoit l’indemnisation des accidents médicaux par la solidarité nationale en reprenant ces conditions.

Arrêt du 3 novembre 1997 Hôpital Joseph Imber d’Arles : il y a eu un accident d’anesthésie. le Conseil d’Etat a accepté de retenir la responsabilité sans faute de l’hôpital à l’occasion d’une intervention de « pur confort » : c’était une opération de circoncision rituelle imposée par les parents à leurs enfants. C’était une opération qui n’était pas nécessaire et pour laquelle le Conseil d’Etat a étendu le risque thérapeutique. L’enfant est tombé dans un coma profond et est décédé.

B. Les hypothèses de risque réparées par le législateur au titre de la garantie sociale

On a les risques sociaux et les risques sériels.

1) Les risques sociaux

Il ne faut pas le confondre avec le risque spécial pour les tiers causé par des méthodes libérales de rééducation ou de réinsertion social qui s’appliquent aux délinquants, malades mentaux.

Le risque social est le risque créé par la société, c’est un risque subit par l’Etat du fait de l’évolution de la société, de l’état des mœurs, ce sont les risques qui sont engendrés par les conditions de vie. C’est le législateur qui a consacré l’existence d’un risque social dans une loi du 16 avril 1914 concernant l’indemnisation des dommages causés par les émeutes, ce que l’on appelle aussi les attroupements et rassemblements. Cette loi déclare l’Etat responsable sans faute des dommages causés aux biens et aux personnes par les rassemblements et attroupements de personnes, autrement dit les manifestations. Cette loi se fonde sur le concept nouveau à l’époque de risque social, et c’est ce risque social qui justifie l’engagement de la responsabilité de l’Etat sans faute.

A l’époque, les actions en responsabilité contre l’Etat fondé sur cette loi devaient être portées devant les juridictions judiciaires, mais le législateur a considérer qu’il revenait aux juridictions administratives d’engager la responsabilité de l’Etat sur ce fondement et donc la loi du 9 juin 1986 a permis cela.

Le champ d’application de la loi de 1914 modifiée par la loi de 1986 est restreint aux dommages résultant des crimes et délits commis à force ouverte ou par violence. Ce que la jurisprudence entend comme rassemblement de personne spontanée, en revanche la jurisprudence refuse d’appliquer la responsabilité sans faute prévue par le législateur dans les opérations de commando et terrorisme. Quand quelques individus décident d’une opération de commando, la responsabilité pour risque social ne s’applique pas car à l’origine de l’événement dommageable il n’y a pas un rassemblement spontané de personnes qui finissent par être violent. Mais le Conseil d’Etat récemment dans un avis contentieux, a décidé que bien qu’il s’agisse d’un régime de responsabilité sans faute, les victimes n’ont pas à prouver l’existence d’un dommage spécial, tous les dommages sont réparables, y compris les dommages commerciaux.

Dès lors que l’Etat est responsable automatiquement, il garantie les personnes contre le risque social présenté par les manifestations. On a donc une « garantie contre le risque social ».

2) Les risques sériels

Ce sont les risques de série. Cette expression a été utilisée pour désigner les risques qui ont pour caractéristique de se disséminer, et notamment les risques provoqués par les virus. Le premier exemple est le problème du SIDA. On peut aussi citer le cas de l’amiante. On peut citer aussi les risques ou les aléas thérapeutiques. Ces risques sériels, à partir de 1991 ont été pris pour la plupart en charge par le législateur qui a utilisé une technique spéciale pour indemniser les victimes, la technique des fonds d’indemnisation. Cette technique des fonds d’indemnisation fait appel le plus souvent à une responsabilité collective qui pèse sur le budget de l’Etat, parfois en partie sur les assureurs mais de moins en moins.

L’ONIAM créé par la loi du 4 mars 2002 indemnise les dernières victimes des transfusions sanguines qui ont contractés le SIDA, et il est financé uniquement par l’Etat et pas du tout par les assureurs. L’ONIAM est devenu l’organisme qui indemnise tous les risques médicaux, y compris les risques présentés par les vaccinations obligatoires.

La loi du 5 janvier 2010 indemnise sans faute les agents de la défense nationale qui 30 ans après sont victimes des essais nucléaires français qui ont été expérimentés dans le pacifique entre 1960 et 1995.

C. Les hypothèses de rupture de l’égalité devant les charges publiques

Elle trouve son origine dans l’article 13 de la DDHC: « pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable, elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leur facultés ». DANS UN AUTRE CHAPITRE, IL Y A DE PLUS AMPLES DÉVELOPPEMENT SUR LA RUPTURE DE L’ÉGALITÉ DEVANT LES CHARGES PUBLIQUES.

IV. La réparation des préjudices et le lien de causalité

Remarque : la plupart des auteurs distinguent le dommage du préjudice. Le dommage est un fait et le préjudice c’est le dommage rapporté à la personne qui le subit et donc il est plus juste de parler de préjudice anormal et spécial. Le préjudice est mesuré par rapport à la personne qui le subit et lorsqu’on essaye de savoir s’il y a rupture de l’égalité devant les charges publiques, il faut se pencher sur le préjudice subit par la victime. le préjudice réparable doit présenter 3 caractéristiques immuables :

  • · Le préjudice doit être personnel
  • · Certain
  • · Direct

Peut importe que le préjudice soit matériel ou moral. Le juge administratif indemnise les préjudices moraux, c’est-à-dire l’atteinte à la réputation, l’atteinte aux croyances philosophiques ou religieuses, l’atteinte au droit de propriété intellectuelle et artistique. Il y a un seul préjudice moral que le juge administratif a mis longtemps avant de l’accepter : « la douleur morale » ou « le prix des larmes » : la souffrance ressentie par les proches à la vue de la maladie d’un parent ou à la suite du décès de ce parent.

Arrêt du 24 novembre 1961 Ministre des travaux publics contre consort Letisserand: le Conseil d’Etat accepte d’indemniser des victimes par ricochet du fait du décès d’un père de famille qui a été renversé par une voiture de l’administration.

Il y a un préjudice qui est la perte de chance que le juge indemnise depuis un arrêt de 1928 rendu dans le domaine de la fonction publique.

Arrêt du 3 aout 1928 Bacon: concernait un fonctionnaire qui se voyait indemniser de la perte de chance de bénéficier d’un avancement dans sa carrière.

La perte de chance a connu un regain d’intérêt certain depuis que le Conseil d’Etat a consacré le défaut d’information des médecins pour une thérapeutique ou une opération comme préjudice. La perte de chance est un préjudice certain qui nécessite la démonstration de 3 éléments :

· L’existence d’une chance, c’est-à-dire d’un événement heureux.

· L’existence d’une chance sérieuse que l’événement heureux ait pu se réaliser dans le futur.

· L’existence d’une perte actuelle de cette chance sérieuse, ca confère à la perte de chance le caractère de préjudice certain.

La perte de chance s’applique dans le domaine médical en cas de défaut d’information sur les risques et la perte de chance est celle de se soustraire à la survenance du risque. La perte de chance s’applique aussi en matière de fonction publique lorsque les fonctionnaires ou un candidat à un concours parvient à démontrer qu’il avait de fortes chances de réussir un concours ou d’obtenir une promotion et que du fait de l’administration il a perdu cette chance. La perte de chance est foisonnante.

Le lien de causalité doit être direct entre le fait dommageable et le dommage.

La théorie de la causalité première : c’est la première cause dans la chaine de la causalité qui explique la survenance du dommage.

La théorie de la causalité la plus proche : c’est la dernière causalité considérée comme déterminante.

La théorie de l’équivalence des conditions : toutes les causes sont intervenues de manière équivalente dans la production du dommage.

La théorie de la causalité adéquate : seule la cause déterminante dans l’intervention du dommage va être prise en considération par le juge.

Le juge administration a une préférence marquée pour cette dernière théorie de la causalité adéquate. Mais il ne faut pas exclure l’application marginale de la théorie de l’équivalence des conditions. Par exemple dans l’affaire Anguet.