La saisie conservatoire des créances

La saisie conservatoire des biens meubles incorporels (créances)

«La saisie conservatoire peut porter sur tous les biens mobiliers, corporels ou incorporels, appartenant au débiteur. » (L91 Article 74). Ainsi, à côté de la saisie conservatoire des créances (Section 1) et de la saisie conservatoire des biens corporels (Section 2), existent des saisies conservatoires spécifiques (Section 3).

La saisie conservatoire des créances est la mesure conservatoire la plus simple et la plus courante car les sommes d’argents sont une richesse courante. Toutes les créances ne peuvent faire l’objet d’une telle saisie, les rémunérations du travail font l’objet d’un régime dérogatoire qui ne prévoit aucune saisie conservatoire.

1) Les opérations de saisie

Le déroulement des opérations de saisie (A) emporte certains effets (B).

  1. A) Le déroulement des opérations de saisies

En raison même de la présence d’un tiers, il existe 3 étapes: la saisie débute par un acte de saisie (1) qui est ensuite dénoncé au débiteur (2) et qui peut éventuellement donner lieu à la nomination d’un séquestre (3) (Décret de 1992, Article 234 à 239).

1) L’acte de saisie

La saisie doit être pratiquée dans les 3 mois de l’autorisation à peine de caducité de celle-ci (Décret de 1992, Article 214 cf. supra.).

«Le créancier procède à la saisie au moyen d’un acte d’huissier de justice signifié au tiers» (Décret de 1992, Article 234 al.1). La signification de l’acte de saisie se fait souvent dans l’acte de saisie. Décret de 1992, Article 234 «Cet acte contient, à peine de nullité :

  • 1° L’énonciation des nom et domicile du débiteur ou, s’il s’agit d’une personne morale, de sa dénomination et son siège social ;

  • 2° L’indication de l’autorisation ou du titre en vertu duquel la saisie est pratiquée ;

  • 3° Le décompte des sommes pour lesquelles la saisie est pratiquée ;

  • 4° La défense faite au tiers de disposer des sommes réclamées dans la limite de ce qu’il doit au débiteur ;

  • 5° La reproduction de» L91 Article 29 al.3 (interruption de la prescription) et 44 (obligations incombant au tiers saisi suite à l’acte de saisie).

Le tiers saisi est tenu d’indiquer à l’huissier l’étendue de ses obligations à l’égard du débiteur, les modalités qui les affecte et de lui remettre toutes les pièces justificatives en sa possession (Décret de 1992, Article 237). Ces renseignements sont relatés dans l’acte de saisie.

«Le tiers saisi qui, sans motif légitime, ne fournit pas les renseignements prévus, s’expose à devoir payer [les causes de la saisie i.e.] les sommes pour lesquelles la saisie a été pratiquée si le débiteur est condamné [(le créancier obtiendra alors un recouvrement total de sa créance)] et sauf son recours contre ce dernier. [al.2] Il peut aussi être condamné à des dommages-intérêts en cas de négligence fautive ou de déclaration inexacte ou mensongère. » (Décret de 1992, Article 238)

2) La dénonciation de la saisie au débiteur

«Dans un délai de 8 jours, à peine de caducité, la saisie conservatoire est portée à la connaissance du débiteur par acte d’huissier de justice » (Décret de 1992, Article 236 al.1)

Décret de 1992, Article 236 «Cet acte contient, à peine de nullité :

  • §1° Une copie de l’autorisation du juge ou du titre en vertu duquel la saisie a été pratiquée ; […]
  • §2° Une copie [de l’acte] de saisie ;
  • §La mention, en caractères très apparents, du droit qui appartient au débiteur, si les conditions de validité de la saisie ne sont pas réunies, den demander la mainlevée au JEX du lieu de son domicile
  • §La désignation de la juridiction devant laquelle seront portées les autres contestations, notamment celles relatives à l’exécution de la saisie ;
  • §La reproduction des articles 210 à 219 [(relatifs aux conditions de validité de la saisie conservatoire)];
  • §6° [depuis le 1er déc. 2002] L’indication, en cas de saisie de compte, que le titulaire du compte peut demander au tiers saisi [(le banquier)], dans les 15 jours suivant la saisie, la mise à disposition d’une somme d’un montant au plus égal au RMI pour un allocataire, dans la limite du solde créditeur du compte au jour de la réception de la demande. »

3) La nomination d’un séquestre

«Tout intéressé [, y compris le tiers saisi,] peut demander que les sommes saisies soient consignées entre les mains d’un séquestre désigné, à défaut d’accord amiable, sur requête par le JEX» (Décret de 1992, Article 235 al.1), le tiers est alors déchargé de toute obligation relative à la saisie.

«La remise des fonds au séquestre arrête le cours des intérêts dus par le tiers saisi» (Décret de 1992, Article 235 al.2).

  1. B) Les effets de la saisie conservatoire des créances

La saisie conservatoire des créances tend à rendre les biens saisis indisponibles (L91 Article 74 al.1 in fine), la créance est en quelque sorte gelée, elle ne peut plus faire l’objet d’une opération juridique pendant la durée de la saisie. Mais si la saisie est pratiquée sur un compte bancaire, l’indisponibilité ne frappe que les sommes saisies et non le compte lui-même qui a donc vocation à continuer de fonctionner, le compte n’est donc pas bloqué, les sommes sont simplement mises sur un compte bloqué séparé.

La créance étant dans les mains d’un tiers, il n’y a pas, au regard de la saisie de biens meubles incorporels, de délit de détournement d’objet saisi puisque ce délit suppose que le débiteur ait la garde de la chose saisie.

Avant la réforme, la saisie conservatoire rendait la créance totalement indisponible ce qui présentait des inconvénients pour le débiteur puisque son crédit était bloqué lorsque la saisie était pratiquée pour une somme supérieure à la créance invoquée. De plus, le créancier risquait un concours avec d’autres créanciers. La réforme a donc innové en limitant le montant de l’indisponibilité au montant de la créance du saisissant (1) et en prévoyant une consignation de plein droit des sommes saisies (2).

1) La limitation de l’indisponibilité au montant de la créance du saisissant

« Lorsque la saisie porte sur une créance ayant pour objet une somme d’argent, l’acte de saisie la rend indisponible à concurrence du montant autorisé par le juge ou, lorsque cette autorisation n’est pas nécessaire, à concurrence du montant pour lequel la saisie est pratiquée » (L91 Article 75 al.1). Il y a ainsi un cantonnement automatique qui se produit sans que le débiteur ait besoin de le demander: le débiteur concerne la libre disposition de la fraction de la créance sur le tiers qui excède le montant de sa propre dette envers le saisissant.

ex: un créancier de 1.000 saisit à titre conservatoire une créance de 5.000 du débiteur, l’insaisissabilité est cantonnée à 1.000 euros, le débiteur peut donc disposer de 4.000.

2) La consignation de plein droit des sommes indisponibles

L’indisponibilité partielle du fait du cantonnement ne suffit pas à elle seule à protéger les intérêts du créancier saisissant puisqu’il risque toujours de ne toucher qu’une faible partie de sa créance si d’autres créanciers du débiteur pratiquent eux aussi une saisie. Ainsi, «la saisie emporte de plein droit consignation des sommes indisponibles et produit les effets prévus à l’article 2075-1 du code civil [article abrogé par la réforme des sûretés] » (L91 Article 75 al.1 in fine).

Normalement, le tiers saisi consigne cette somme sans que le juge ait à intervenir. Le visa du Code civil permet de prévoir que cette somme est spécialement affectée au paiement de la créance du créancier. Le créancier se trouve donc dans une situation confortable puisque la somme consignée est affectée au créancier par privilège et préférence, le risque de concours avec d’autres créanciers est ainsi pratiquement exclu. En réalité, le créancier ne devrait subir que les limites du droit de préférence d’un créancier nanti i.e. il devrait être primé par le privilège du Trésor et par le privilège pour frais de conservation de la chose.

La consignation des sommes fait cesser les intérêts.

2) Les issues de la saisie conservatoire des créances

Si le débiteur s’exécute volontairement: le créancier ayant obtenu satisfaction, il y a mainlevée amiable ou judiciaire de la saisie conservatoire.

Si le débiteur ne s’exécute pas: la situation du créancier diffère selon qu’il est muni ou non d’un titre exécutoire:

  • §si le créancier a un titre exécutoire: il peut directement demander le paiement de la créance consignée, il s’agit d’une mesure d’exécution (A).
  • §si le créancier n’a pas de titre exécutoire: il doit convertir la saisie conservatoire en une saisie-attribution, mesure d’exécution correspondante pour les meubles incorporels (B)

  1. A) La possibilité pour le créancier muni d’un titre exécutoire de demander le paiement de sa créance

«Si la saisie conservatoire porte sur une créance, le créancier, muni d’un titre exécutoire, peut en demander le paiement. Cette demande emporte attribution immédiate de la créance saisie jusqu’à concurrence du montant de la condamnation et des sommes dont le tiers saisi s’est reconnu ou a été déclaré débiteur » (Loi de 1991 Article 76 al.2). Le créancier peut donc obtenir au final en paiement le montant de la créance consignée.

Le titre exécutoire peut préexister à la procédure de saisie conservatoire mais peut aussi être obtenu au cours de la procédure qui doit obligatoirement être introduite ou poursuivie dans le mois qui suit l’exécution de la saisie conservatoire (cf. supra.).

La possibilité d’attribution est une innovation de la réforme de 1991. Jusqu’à la réforme du droit des sûretés (ordonnance du 23 mars 2006), l’attribution devait nécessairement être judiciaire puisque tout pacte commissoire était nul. Dorénavant, un pacte commissoire peut être conclu. Ainsi, le créancier aura le même bénéfice qu’il agisse suite à une mesure conservatoire en étant titulaire d’un titre exécutoire ou si sa sûreté contient un pacte commissoire: la créance lui sera attribuée en paiement.

  1. B) La conversion en saisie-attribution

« Le créancier qui a obtenu ou possède un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut faire procéder à la vente des biens qui ont été rendus indisponibles jusqu’à concurrence du montant de sa créance » (Loi de 1991 Article 76). Ainsi, le créancier qui n’a pas de titre exécutoire, peut, après obtention de ce titre (c’est à dire après, le cas échant, introduction d’une instance au fond dans le délai d’un mois à compter de l’exécution de la saisie conservatoire) convertir sa saisie conservatoire en saisie-attribution.

1) Les modalités de la conversion

Décret de 1992, Article 240 «Le créancier qui obtient un titre exécutoire […] signifie au tiers saisi un acte de conversion qui contient, à peine de nullité:

  • § 1° La référence au procès-verbal de saisie conservatoire ;
  • § 2° L’énonciation du titre exécutoire ;
  • § 3° Le décompte distinct des sommes dues en vertu du titre exécutoire, en principal, frais et intérêts échus ainsi que l’indication du taux des intérêts ;
  • § 4° Une demande de paiement des sommes précédemment indiquées à concurrence de [la dette du tiers] celles dont le tiers s’est reconnu ou a été déclaré débiteur.

L’acte informe le tiers que, dans cette limite, la demande entraîne attribution immédiate de la créance saisie au profit du créancier. »

«La copie de l’acte de conversion est signifiée au débiteur.» (Décret de 1992, Article 241) «A compter de cette signification, le débiteur dispose d’un délai de 15 jours pour contester l’acte de conversion devant le JEX du lieu où il demeure. » (Décret de 1992, Article 242 al.1) Depuis le 1er mars 2006, si le débiteur conteste la conversion, il doit dénoncer la contestation le même jour par LRAR à l’huissier qui a procédé à la saisie et en informer le tiers par lettre simple (Décret de 1992, Article 242 al.2 et 3).

«En l’absence de contestation, le tiers saisi procède au paiement sur la présentation d’un certificat délivré par le greffe ou établi par l’huissier de justice qui a procédé à la saisie attestant qu’aucune contestation n’a été formée dans les quinze jours suivant la dénonciation de l’acte de conversion» (Décret de 1992, Article 242 al.4).

«Le paiement peut intervenir avant l’expiration de ce délai si le débiteur a déclaré [par écrit] ne pas contester l’acte de conversion» (Décret de 1992, Article 242 al.5).

2) Les effets de la conversion

La conversion a pour effet principal l’attribution immédiate de la créance au profit du créancier saisissant.

La conversion est donc une cession forcée de la créance et le créancier pourra vaincre l’éventuelle résistance du tiers saisi. En effet, le créancier pourra, le cas échéant, obtenir contre le tiers saisi un titre exécutoire et muni de celui-ci, il pourra pratiquer une saisie-attribution i.e. une véritable mesure d’exécution contre le tiers saisi ce qui aura pour effet de le contraindre au paiement de la créance.

Si le tiers paye volontairement, une quittance lui est délivrée par le créancier pour qu’il puisse justifier du paiement et ne pas payer une seconde fois.

Le paiement éteint l’obligation du débiteur et celle du tiers dans la limite des sommes versées.