La saisie-contrefaçon

LA SAISIE-CONTREFAÇON :

Les saisies sont un moyen, lourd mais efficace : de prouver la contrefaçon, d’y mettre fin, d’apprécier son ampleur pour se faire indemniser. Leur finalité, en droit d’auteur, est à la fois probatoire et pré sanctionnatrice.

Chronologiquement on demande la saisie par requête, par ordonnance le juge l’accorde ou la refuse, puis on assigne au fond, suite à la saisie pratiquée par l’huissier, afin de demander des dommages-intérêts si la contrefaçon est confirmée par la saisie.

Pour obtenir la requête point n’est besoin d’apporter la preuve de la contrefaçon puisque c’est précisément là la finalité de la procédure de saisie. Mais, outre son rôle probatoire la saisie a aussi un rôle de sanction, puisqu’elle peut ne pas être que descriptive et être réelle.

On laissera de côté la retenue en douane, qui est cependant utile en raison des pouvoirs exorbitants des douaniers et on se concentrera sur la partie la plus spécifique, à savoir le processus de saisie sur requête.

Parfois le magistrat ne veut pas recevoir physiquement le requérant qui présente la requête et statuera sur le seul texte de la requête que l’on aura déposée à son greffe. La requête est rédigée unilatéralement par le saisissant sur la base d’éléments faisant présumer une contrefaçon. Bien évidemment l’adversaire n’est pas prévenu de la démarche ; c’est le but recherché, afin qu’il n’ait pas le temps de camoufler ses actes de contrefaçon. Ce n’est qu’une fois la saisie faite que la phase procédurale devient contradictoire.

1 Les personnes :

La requête doit énumérer les participants qu’on souhaite vouloir assister à la saisie : outre l’huissier ce peut être le gendarme, l’avocat, un expert, un photographe, le requérant). Il est indispensable que toutes ses personnes se concertent pour établir le planning de la saisie et envisager les difficultés qui risquent de se produire. En pratique on ne demande à la gendarmerie d’intervenir que si l’on redoute des incidents. Généralement il n’y a que l’huissier, parfois un expert si une technicité est en cause, voire un serrurier s’il faut faire ouvrir. Mais pour l’informatique (logiciel ou Base de Données) ou les brevets un expert désigné par le saisissant est souvent pratiquement indispensable.

2 Le fondement de la demande :

Il faut viser les textes, ce qui n’est pas toujours facile à déterminer. Par exemple s’il s’agit d’une œuvre multimédia le texte ne sera pas le même selon qu’on range l’oeuvre dans la catégorie logiciel ou droit d’auteur ; toutefois dans l’affaire Chantelle (voir supra) la cour de cassation a admis la saisie sur le fondement du logiciel alors que la qualification retenue fut celle d’une œuvre de l’esprit. Un dépassement de pouvoirs par rapport à ceux octroyés dans l’ordonnance et c’est l’annulation de la saisie qui est encourue !

3 Types de saisie réclamés :

On en réclame en pratique 3. Il faut les libeller de manière large car en cas de contestation l’interprétation des mesures qui étaient possibles sera restrictive.

  1. a) Saisie descriptive :

Description des objets contrefaisants. Cela permettra de comparer à l’original lors de l’instance au fond. Il a été jugé que la saisie description faite sur écran minitel au siège de l’huissier et non de façon contradictoire au siège du saisi constituait une atteinte à l’article 495 du Code de Procédure Civile : TGI Paris 28 nov 2001, JCP 2002 ed E, 1164, n°16.

  1. b) Saisie réelle :

On demande au juge de pouvoir saisir des exemplaires des objets contrefaisants le cas échéant en en payant le prix. En matière de marques l’art L 716-7 permet aussi la saisie du stock. Pour les logiciels il est prudent de solliciter que la saisie s’étende aux logiciels environnants, même s’ils ne sont pas contrefaisants.

  1. c) Saisie de documents :

Saisir la comptabilité (soit original, soit photocopie) afin de pouvoir évaluer le chiffre d’affaires et le préjudice. Mais demander aussi la saisie des documents publicitaires, des brochures etc…

Dans la mesure où les textes parlent de saisie des éléments contrefaisants et pas des documents comptables il a été jugé que l’ordonnance ne peut ordonner cette saisie : (Bourges 19 févr 2001, GP 1-2 août 2001, p32 : cet arrêt est, fort heureusement minoritaire, car les éléments comptables sont indispensables pour apprécier le profit du contrefacteur et le gain manqueé). En défense il y a là matière à solliciter la rétractation de l’ordonnance (voir infra) ou, mieux (car plus tard), à demander son annulation en appel.

Le saisi risque de s’opposer à certaines mesures au nom du secret des affaires. Pour y remédier d’avance demander la mise sous scellés, lesquels seront déposés au greffe ou consignées chez l’huissier, en espérant qu’ils ne se perdront pas.

En matière informatique demander aussi que le juge autorise l’expert à se faire communiquer les mots de passe par le saisi, et au besoin à les « craquer ».

4 Précisions :

  1. a) Droit d’auteur :
  • Les règles de compétence sont celles du droit commun = pas de règles spéciales de compétence comme en droit des brevets. Les tribunaux administratifs, de commerce, les chambres correctionnelles du TGI peuvent être, le cas échéant, saisis.
  • L332-1 Code de la Propriété Intellectuelle : en pratique on utilise peu le juge d’instance ou le commissaire de police, mais plutôt la procédure sur requête. Cependant certains commissaires de police, sur Paris, ont l’habitude et l’expérience pour le faire. L’avantage est de ne pas avoir à saisir préalablement un juge sur requête, l’inconvénient étant que le commissaire ne peut faire qu’une saisie description et pas une saisie réelle (fonction exclusivement probatoire).
  • Le saisissant dispose d’un délai, à fixer par voie réglementaire (mais qui suivant la directive ne pourra excéder 20 jours), après la saisie pour saisir le tribunal au fond (attention aux cas de nullité de l’assignation car si le délai est dépassé la saisie est nulle). C’est la date du dépôt de l’assignation au greffe qui compte, l’assignation pouvant être postérieure. Avant la réforme de 2007 le délai variait selon la matière. Désormais il sera le même pour toute la propriété intellectuelle.
  1. b) Logiciels + base de données :
  • L 332-4 + L 343-1 Code de la Propriété Intellectuelle sont les textes de base commun aux deux types. Possibilité de faire saisir par un commissaire de police pour une simple saisie description. Pour une saisie réelle, au contraire, il faut un contrôle judiciaire, cela à la différence du droit commun de l’article L 332-1 du Code de Propriété Intellectuelle.
  • Peu importe que le Loi ou la Base de Données soit française ou étrangère.
  • L’assistance d’un expert désigné par le requérant est possible, mais l’art 6-1° CEDH (droit à un procès équitable) exige qu’il soit indépendant des parties. On admet que l’expert puisse faire une copie du programme-source.

5 Pouvoirs de l’huissier :

La requête doit détailler ce que l’huissier a le droit de faire : se faire ouvrir le cas échéant les locaux par serrurier, faire fonctionner une machine, la démonter, faire des photocopies, etc…

Pour le matériel informatique il faut demander la saisie du système (cela peut vouloir dire le disque dur, mais pour un logiciel ce sera les sources et les exécutables) car souvent on ne peut pas distraire un élément du tout. En pratique l’avocat du saisissant devra, avant de rédiger sa requête, contacter l’expert pour lui demander la liste des opérations qu’il risque de devoir faire.

Bien évidemment, ne pas outrepasser les pouvoirs qui lui ont été accordés dans l’ordonnance, sous peine d’annulation.

6 Devoirs de l’huissier :

La saisie a un caractère très formaliste. Par souci de protection du saisi il importe de respecter scrupuleusement, à peine de nullité, les mentions que doit revêtir la requête (article 58 du Code de Procédure Civile). Il faut séparer et identifier clairement les pouvoirs conférés à l’expert et à l’huissier car seules les constatations du second, qui est un officier ministériel, valent preuve jusqu’à inscription en faux. Copie de l’ordonnance et de la requête doivent être remis au saisi. L’huissier doit décrire minutieusement les opérations effectuées.

Les risques d’annulation sont importants, si bien que les saisies sont des affaires de spécialistes : elles doivent être minutieusement préparées par l’avocat en concertation avec l’huissier.

Par exemple il a été jugé que l’huissier qui copie tout le disque dur, sans distraire les fichiers de correspondance privée, porte atteinte à la vie privée et encourt l’annulation de la saisie (Paris 26 avr 2006, GP 18-19 avr 2007, p42). On peut constater, une fois de plus, que les droits de la personnalité interfèrent avec la Propriété littéraire et artistique.

Il peut arriver que certains litiges réclament de faire une copie intégrale intégrales, par exemple d’un site internet, et non pas seulement de pages écran. Le juge peut être réticent à autoriser une mesure aussi large, qui risque de donner au requérant des renseignements d’ordre confidentiel : par exemple que le saisi participe à tel appel d’offre. Pour le convaincre on peut alors solliciter que la copie intégrale ne soit que descriptive, qu’elle ne soit pas mise entre ses mains et que le juge soit saisi ultérieurement et contradictoirement pour soustraire de la divulgation les fichiers soumis au secret professionnel ou au secret de la vie privée. Dans la mesure où le dossier le permet on se contentera, de préférence, à ne demander la saisie que d’éléments précis : par exemple si on recherche un logiciel contrefaisants inutile de faire une copie de la messagerie électronique (à moins que l’on ne soit pas sûr que le saisi contrefait effectivement ledit logiciel).

7 Le résultat :

Si le magistrat estime que les éléments fournis par la requête ainsi que les pièces jointes déposées au greffe montrent une probabilité de contrefaçon le juge autorisera par ordonnance la saisie, quitte à réduire les pouvoirs de l’huissier si on demande trop de choses. Ainsi l’huissier aura un titre exécutoire.

8 Les recours : (droit commun + L 332-2 et 3 CPI)

  • Côté requérant : si des mesures sont refusées le requérant peut relever appel de l’ordonnance suivant art 496 al 1 du code de Procédure civile devant le Président de la Cour d’appel.

Le requérant peut aussi faire une demande complémentaires de saisie en fonction de ce qui aura été découvert lors de la saisie.

  • Côté saisi : le saisi lui peut demander à l’auteur de l’ordonnance ou au Président du TGI en référé ou au juge de la mise en état (si l’action au fond a déjà été intentée) de rétracter l’ordonnance en diminuant les mesures ordonnées, par exemple en raison du secret des affaires. Il pourra demander par exemple, au nom, du secret des affaires, que les documents saisis soient consignés chez l’huissier et non pas remis au saisissant.

Civ 1ère 30 mai 2000 (CCE 2001 n°61) a précisé que la rétractation de l’art 497 code procédure civile ne s’applique pas dès lors qu’il y a des textes particuliers du Code de la Propriété Intellectuelle.