La séparation des pouvoirs

 LA SÉPARATION DES POUVOIRS

Le principe fondamental de la séparation des pouvoirs, élaboré par Montesquieu, repose sur un équilibre subtil des différentes branches du pouvoir. Selon lui, « pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Cette idée vise à empêcher l’arbitraire en instituant des contre-pouvoirs efficaces.

Plan du cours :

Si la conception moderne de la séparation des pouvoirs tire ses racines des réflexions de Locke et de Montesquieu (notamment dans L’Esprit des lois, publié en 1748), il convient de rappeler qu’Aristote avait déjà évoqué cette notion dans ses propres travaux. Montesquieu pousse cependant cette réflexion plus loin, établissant que tout homme investi d’un pouvoir est susceptible d’en abuser, sauf s’il est contraint par des limites. « C’est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites », écrivait-il.

Section 1. La théorie de la séparation des pouvoirs selon Montesquieu.

1. La nécessité de diviser les pouvoirs

Montesquieu affirme que le pouvoir doit être réparti entre plusieurs instances distinctes. Il identifie trois fonctions principales du pouvoir :

  • Le pouvoir législatif, chargé de la création des lois ;
  • Le pouvoir exécutif, responsable de l’application des lois, de la sécurité intérieure et extérieure, et des relations internationales ;
  • Le pouvoir judiciaire, compétent pour régler les litiges et juger les différends entre particuliers.

Montesquieu souligne que ces trois pouvoirs doivent impérativement être exercés par des entités distinctes pour éviter toute concentration excessive et les abus qui pourraient en découler. Il insiste sur le fait qu’aucune de ces branches ne doit être subordonnée à une autre, tout en établissant implicitement une hiérarchie des légitimités :

  • Le législatif est considéré comme supérieur, car il tire sa légitimité de l’élection ;
  • L’exécutif est vu comme un pouvoir secondaire, car non élu directement ;
  • Le judiciaire, enfin, est jugé faible, presque inexistant dans la théorie originelle, bien qu’il ait évolué depuis.

2. Une relation dynamique entre les pouvoirs

Montesquieu ne conçoit pas une stricte séparation qui cloisonnerait les pouvoirs. Pour lui, une interaction entre ces branches est nécessaire. Cette interaction repose sur deux mécanismes principaux :

  • La participation mutuelle : chaque pouvoir doit pouvoir intervenir, dans une certaine mesure, dans les fonctions d’un autre. Par exemple :
    • Le législatif doit adopter les lois, mais l’exécutif doit pouvoir s’y opposer (veto) ;
    • L’exécutif doit agir, mais le législatif doit pouvoir contrôler et bloquer certaines décisions.
  • La faculté d’empêcher : chaque pouvoir doit être en mesure de limiter les excès des autres pour éviter des décisions arbitraires.

Montesquieu reconnaît toutefois que ce système peut entraîner un certain blocage institutionnel. Cependant, il considère ce risque comme une garantie essentielle pour la préservation des libertés individuelles : moins l’État agit, moins il risque de porter atteinte aux droits des citoyens. L’équilibre réside, selon lui, dans une collaboration vigilante où chaque pouvoir empêche l’autre de commettre des abus.

Section 2. La distribution des 3 pouvoirs.

La répartition des fonctions dans les démocraties modernes

Les idées de Montesquieu ont profondément marqué les systèmes démocratiques contemporains, qui reposent sur une adaptation de ses principes :

  • Le pouvoir législatif est généralement confié à un parlement composé de représentants élus ;
  • Le pouvoir exécutif est exercé par une personne ou un groupe restreint, comme un président ou un gouvernement ;
  • Le pouvoir judiciaire est entre les mains de magistrats indépendants chargés de rendre la justice.

L’évolution des rapports entre les pouvoirs

Bien que les démocraties modernes s’inspirent de Montesquieu, leur fonctionnement s’en éloigne dans certains aspects :

  • Affaiblissement du législatif : aujourd’hui, le législatif joue un rôle moindre par rapport à l’exécutif, souvent renforcé dans les régimes présidentiels ou semi-présidentiels. Par exemple, dans de nombreux pays, les chefs d’État disposent de pouvoirs étendus, tels que la possibilité de gouverner par décret ou de dissoudre le parlement.
  • Renforcement de l’exécutif : l’exécutif a gagné en prépondérance, notamment à travers des mécanismes tels que l’État d’urgence ou les ordonnances.
  • Montée en puissance du judiciaire : autrefois considéré comme une entité neutre et presque effacée, le pouvoir judiciaire s’est affirmé comme une autorité judiciaire indépendante. Aujourd’hui, il joue un rôle central dans le contrôle de constitutionnalité des lois, garantissant le respect des droits fondamentaux.

1. Le pouvoir législatif.

Le pouvoir législatif, historiquement essentiel dans la fabrication des lois, a perdu de son autorité au profit du pouvoir exécutif. Ce phénomène, observé dans de nombreuses démocraties modernes, s’explique par des changements structurels et contextuels.

A) La forme des parlements

Les parlements prennent deux formes principales :

  1. Le monocamérisme

    • Un système à une seule chambre législative.
    • Rare, il est présent dans certains États unitaires où les décisions législatives peuvent être prises plus rapidement.
  2. Le bicamérisme

    • Un système à deux chambres, plus courant, avec des objectifs différents selon la structure de l’État :
      • Dans les États fédéraux :
        • Une chambre représente les citoyens dans leur ensemble (ex. : la Chambre des représentants aux États-Unis).
        • L’autre représente les entités fédérées (ex. : le Sénat américain).
      • Dans les États unitaires :
        • Les deux chambres visent à éviter la concentration du pouvoir dans une seule.
        • En France, le Sénat tempère les décisions de l’Assemblée nationale. Les sénateurs, généralement plus âgés, apportent une vision plus réfléchie et nuancée.

B) L’évolution des rôles des parlements

Depuis environ 70 ans, le rôle des parlements a progressivement décliné :

  • Rôle initial : Élaboration des lois, fonction essentielle pour garantir la gouvernance.
  • Rôle actuel : Les parlements se limitent souvent à enregistrer les lois proposées par l’exécutif.

Les raisons de ce déclin :

  1. Le nombre important de parlementaires :
    • La prise de décision collective devient complexe et lente.
  2. La dépendance envers les partis politiques :
    • Les élus doivent leur position à leur parti, ce qui les contraint à suivre les consignes partisanes, parfois au détriment de l’intérêt général.
    • Cette politisation a contribué à un discrédit des parlementaires auprès des citoyens.
  3. Un manque de ressources :
    • Les parlementaires ne disposent pas d’outils techniques et scientifiques suffisants pour analyser des dossiers complexes.
    • Les problèmes modernes, souvent très techniques, nécessitent des compétences et des expertises que le parlement ne possède pas toujours.

Rôle actuel des parlements :

  • Une tribune pour l’opposition : Les parlements restent le principal lieu d’expression des opinions contraires, indispensable à la démocratie.
  • Un pouvoir de contrôle : Bien que limité, les parlements surveillent les décisions de l’exécutif et peuvent poser des questions, exiger des rapports ou enquêter.

 

2. Le pouvoir exécutif.

Le pouvoir exécutif, initialement limité à l’application des lois, a vu son rôle considérablement élargi, devenant prépondérant dans la gestion des affaires publiques et l’élaboration des politiques.

A) Les formes du pouvoir exécutif

Le pouvoir exécutif peut prendre plusieurs configurations selon les systèmes politiques :

  1. Chef de l’État + gouvernement

    • Modèle classique présent en France ou au Royaume-Uni.
    • Le chef de l’État (président ou monarque) est accompagné d’un gouvernement dirigé par un Premier ministre.
  2. Chef de l’État seul

    • Modèle américain, où le président concentre l’ensemble des prérogatives exécutives.
    • Le président est entouré de conseillers influents, mais ces derniers ne forment pas un gouvernement collégial.
  3. Exécutif collégial

    • Rare, comme en Suisse avec le Conseil fédéral composé de 7 membres qui prennent collectivement les décisions.

B) L’évolution des rôles de l’exécutif

L’exécutif a vu son rôle croître au cours du XXᵉ siècle pour devenir l’acteur central du pouvoir.

Les causes de cette montée en puissance :

  1. Les guerres mondiales :
    • Pendant les conflits, les États ont dû intervenir massivement pour organiser les ressources, la logistique et la reconstruction.
    • L’exécutif, en assumant ces responsabilités, a renforcé son rôle dans la gestion publique.
  2. Le soutien populaire :
    • Face à des parlements jugés inefficaces ou divisés, les citoyens se sont tournés vers les gouvernements pour obtenir des réponses rapides aux crises.
    • L’exécutif est perçu comme l’organe capable d’agir.
  3. L’appui de l’administration :
    • Contrairement aux parlements, les gouvernements disposent de l’ensemble de l’administration publique pour les conseiller et exécuter leurs décisions.
    • Cela leur permet de répondre plus efficacement à des problématiques complexes.
  4. Une structure restreinte et efficace :
    • Avec un nombre limité de membres (chef de l’État, Premier ministre et ministres), l’exécutif peut prendre des décisions rapidement et de manière coordonnée.
  5. L’influence des médias :
    • L’évolution des moyens de communication a renforcé la personnification du pouvoir, surtout dans les régimes présidentiels.
    • En France, Charles de Gaulle a initié ce modèle en incarnant la figure du chef de l’État comme autorité suprême.

Conséquences :

  • L’exécutif intervient désormais dans l’élaboration des lois, rôle historiquement dévolu au législatif.
  • Les gouvernements mènent des politiques publiques et économiques, agissant bien au-delà de leur mission initiale d’application des lois.

3. Le pouvoir judiciaire.

Le pouvoir judiciaire, garant de l’application des lois et des droits fondamentaux, occupe une place essentielle dans l’organisation des régimes démocratiques. Montesquieu considère qu’il s’agit du seul pouvoir qui doit impérativement être séparé des autres pour préserver l’équilibre institutionnel et éviter les abus de pouvoir.

Le pouvoir judiciaire est le gardien des droits fondamentaux et des libertés individuelles. Sa séparation des pouvoirs exécutif et législatif est une condition indispensable pour garantir l’équité, prévenir les abus, et maintenir l’État de droit.

a) Pourquoi le pouvoir judiciaire doit-il être séparé des autres ?

Deux raisons principales expliquent cette exigence :

1. L’indépendance de la justice

  • En démocratie, l’indépendance de la justice est un principe fondamental.
  • Si les juges étaient soumis au pouvoir exécutif ou législatif, ils ne pourraient pas garantir l’impartialité nécessaire pour trancher les conflits, notamment ceux opposant des particuliers à l’État.
  • L’indépendance judiciaire est indispensable pour :
    • Assurer une justice équitable.
    • Préserver la confiance des citoyens dans le système juridique.

2. La prévention des abus de pouvoir

  • Montesquieu souligne que « tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ».
  • La séparation du pouvoir judiciaire protège contre :
    • La corruption : évite l’influence indue des autres pouvoirs sur les décisions judiciaires.
    • Les privilèges et inégalités : garantit que tous les citoyens sont égaux devant la loi.
    • Le manque de transparence : prévient les décisions arbitraires qui pourraient résulter d’une immixtion de l’exécutif ou du législatif dans les affaires judiciaires.

Lorsqu’un seul groupe ou individu cumule les fonctions exécutives, législatives et judiciaires, il y a un risque de dérive autoritaire, voire de dictature. La séparation du pouvoir judiciaire est donc un rempart contre la concentration des pouvoirs.

b) Le fonctionnement du pouvoir judiciaire en France

En France, la justice est rendue par plusieurs ordres de juridictions, organisées selon le type de litige ou d’affaire à juger :

1. Les juridictions civiles

Elles règlent les litiges entre particuliers ou entre personnes morales (entreprises, associations, etc.).

  • Tribunaux civils :
    • Tribunaux judiciaires (TJ) : remplacent les tribunaux de grande instance (TGI) depuis 2020 et traitent les litiges civils plus complexes (divorce, succession, contrats, etc.).
  • Tribunaux spécialisés :
    • Tribunaux de commerce : litiges commerciaux (faillites, conflits entre entreprises).
    • Conseils de prud’hommes : conflits entre salariés et employeurs.
2. Les juridictions administratives

Elles tranchent les litiges opposant les citoyens ou les entreprises à l’État ou à ses administrations.

  • Tribunaux administratifs : première instance pour les recours contre les décisions de l’administration (permis de construire, sanctions administratives).
  • Cours administratives d’appel : examinent les appels des décisions rendues par les tribunaux administratifs.
  • Conseil d’État : instance suprême, il peut casser les décisions des cours administratives d’appel ou agir comme conseiller juridique du gouvernement.
3. Les juridictions pénales

Elles jugent les infractions à la loi pénale : contraventions, délits et crimes.

  • Tribunaux pénaux :
    • Tribunaux de police : pour les contraventions (infractions mineures, comme les excès de vitesse).
    • Tribunaux correctionnels : pour les délits (vols, violences, escroqueries).
    • Cours d’assises : pour les crimes (meurtres, viols, terrorisme).
  • Juridictions spécialisées :
    • Tribunaux pour enfants : pour les mineurs délinquants.
    • Cours criminelles départementales : expérimentées pour juger certains crimes sans jury populaire.
4. Les voies de recours
  • Cours d’appel : elles réexaminent les affaires déjà jugées en première instance.
  • Cour de cassation : la juridiction suprême dans l’ordre judiciaire. Elle ne juge pas le fond, mais vérifie que les règles de droit ont été correctement appliquées par les juridictions inférieures.

c) Le contrôle juridictionnel et le rôle du juge

Le pouvoir judiciaire assure également une fonction essentielle : le contrôle juridictionnel.

  • Les juges peuvent exercer un contrôle de constitutionnalité, empêchant les lois contraires à la Constitution d’être appliquées.
  • En France, ce contrôle est exercé par le Conseil constitutionnel.

 

Section 2 – Les  limites à la théorie, la remise en cause de la théorie de la séparation des pouvoirs

La théorie de la séparation des pouvoirs, telle que formulée par Montesquieu dans De l’Esprit des lois (1748), est aujourd’hui un principe fondamental des démocraties modernes. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Certaines Constitutions, y compris en France, ont rejeté la théorie de la séparation des pouvoirs au nom du principe de la souveraineté du peuple (§ 1).

Aujourd’hui, la théorie de la Séparation des pouvoirs ne fait plus l’objet de remises en cause sérieuses, mais il est possible de parler de son vieillissement : car le fonctionnement de la plupart des régimes politiques contemporains est très éloigné du modèle idéal décrit par Montesquieu (§ 2).

&1 : Le rejet de la théorie de la Séparation des pouvoirs

La théorie de la séparation des pouvoirs, développée par Montesquieu, est un pilier des démocraties modernes. Cependant, cette théorie a été rejetée dans certains contextes, même dans des régimes démocratiques, au nom de la souveraineté populaire ou par des choix philosophiques et institutionnels.

a) LE REJET DE LA SÉPARATION DES POUVOIRS CHEZ ROUSSEAU

Jean-Jacques Rousseau rejette la séparation des pouvoirs, estimant qu’elle est incompatible avec sa vision de la souveraineté populaire.

1. La souveraineté indivisible
  • Dans Le Contrat social (1762), Rousseau affirme que le peuple est le seul souverain.
  • Pour lui, tout pouvoir émane du peuple, et cette unité doit se refléter dans l’exercice du pouvoir.
  • Il juge qu’une division des pouvoirs dilue la volonté générale et contrevient au principe d’unité du peuple :

    « Le peuple est un, il ne se divise pas. Sa volonté ne peut être exprimée par plusieurs voix. »

2. Conséquence du rejet
  • Rousseau refuse l’idée que les fonctions législatives, exécutives ou judiciaires soient confiées à des organes distincts.
  • Pour lui, ces fonctions doivent être exercées comme un tout, par un pouvoir unique représentant directement la volonté générale.

b) LA MISE EN ŒUVRE DES CONCEPTIONS DE ROUSSEAU : LE RÉGIME D’ASSEMBLÉE

Les idées de Rousseau ont influencé des constitutions démocratiques qui rejetaient la séparation des pouvoirs.

1. La Constitution de 1793
  • Ce texte, rédigé sous la Première République, rejette toute séparation des pouvoirs.
  • Organisation du pouvoir :
    • Le pouvoir exécutif est confié à un conseil exécutif de 24 membres, élus par le corps législatif.
    • Ce conseil n’a aucune autonomie politique et est subordonné au législatif, dont il exécute les décisions.
    • La centralisation des pouvoirs au profit du législatif incarne l’idée que le pouvoir doit rester dans les mains du corps législatif, vu comme le représentant direct de la souveraineté nationale.
  • Conséquence :
    • Cette organisation repose sur une confusion des pouvoirs : tout le pouvoir est concentré dans les mains d’un Parlement omnipotent.
    • Condorcet déclare à ce sujet :

      « Il n’y a qu’un seul pouvoir, le pouvoir national, qui réside dans le corps législatif. »

2. Le régime d’assemblée dans la Troisième République
  • Les lois constitutionnelles de 1875 instaurent théoriquement un régime parlementaire équilibré :
    • Le Président de la République dispose d’un pouvoir de dissolution.
    • Le législatif contrôle l’exécutif mais ne le domine pas totalement.
  • Pratique politique :
    • À partir de 1879, les présidents de la République cessent d’utiliser le droit de dissolution.
    • Étant élus par les chambres parlementaires et non au suffrage universel, les présidents manquent de légitimité face au Parlement.
    • Cette autolimitation conduit à une soumission de l’exécutif au législatif, transformant la Troisième République en un régime d’assemblée, qualifié de « parlementarisme absolu » par Carré de Malberg.
3. La Quatrième République
  • La Constitution de 1946 visait un équilibre entre les pouvoirs, mais dans la pratique, le législatif a dominé l’exécutif.
  • Le président du Conseil (équivalent du Premier ministre) était faible et dépendant des majorités parlementaires instables.

c) Le rejet dans les régimes autoritaires

La théorie de la séparation des pouvoirs a également été rejetée par les régimes autoritaires et totalitaires :

  • Dans ces systèmes, tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains d’un seul organe ou d’un seul leader.
  • L’objectif est d’éliminer les contre-pouvoirs pour garantir un contrôle total sur l’appareil d’État.
  • Exemple : Régimes fascistes ou communistes où le parti unique exerce un contrôle sur l’ensemble des fonctions étatiques (législation, exécution, justice).

d) La Cinquième République et la redéfinition de la séparation des pouvoirs

1. Une rupture avec le régime d’assemblée
  • La Constitution de 1958 rétablit une séparation effective des pouvoirs pour éviter les dérives des régimes précédents.
  • Caractéristiques principales :
    • Renforcement de l’exécutif, notamment du président de la République, élu au suffrage universel depuis 1962.
    • Maintien du contrôle parlementaire mais avec des moyens limités (motions de censure difficiles à adopter).
2. Une séparation modernisée
  • La Cinquième République met en œuvre une séparation adaptée aux besoins d’un régime semi-présidentiel, où les pouvoirs collaborent sans être totalement dépendants.
  • Toutefois, la séparation des pouvoirs selon Montesquieu est largement remaniée, avec un déséquilibre en faveur de l’exécutif, notamment en période de majorité présidentielle.

 

&2 – Le vieillissement de la théorie de la séparation des pouvoirs

A) Une reconnaissance formelle, mais une mise en œuvre éloignée

Dans les constitutions modernes, le principe de la séparation des pouvoirs est souvent consacré comme un fondement essentiel :

  • En France :
    • L’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 déclare :

      « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »

    • La Constitution de 1958 fait référence à ce principe dans son préambule, soulignant son importance dans l’organisation des institutions de la Cinquième République.
  • En Allemagne :
    • L’article 20 de la Loi Fondamentale allemande établit la séparation des pouvoirs comme l’un des principes fondateurs de l’État fédéral.
  • Aux États-Unis :
    • Le système présidentiel américain applique rigoureusement la séparation des pouvoirs, en instituant un strict équilibre entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

B) L’affaiblissement des parlements et la montée en puissance de l’exécutif

Dans de nombreux régimes européens, bien que la séparation des pouvoirs soit inscrite dans les textes, elle ne reflète pas la réalité du fonctionnement politique :

  1. Concentration du pouvoir dans l’exécutif :
    • Les gouvernements modernes, souvent issus de majorités parlementaires solides, dominent les assemblées législatives.
    • En pratique, le parlement devient un soutien automatique du gouvernement, réduisant son rôle à celui de chambre d’enregistrement des décisions prises par l’exécutif.
  2. Affaiblissement du législatif :
    • Les parlements perdent de plus en plus leur rôle de principal législateur, celui-ci étant largement transféré aux gouvernements (projets de loi) ou à des institutions supranationales comme l’Union européenne.
    • Exemple : En France, sous la Cinquième République, l’exécutif dispose de nombreux mécanismes pour limiter le pouvoir du Parlement, comme l’article 49.3, qui permet de faire adopter un texte sans vote.
  3. Judiciarisation du pouvoir :
    • Le rôle des juges, en particulier des cours constitutionnelles ou suprêmes, s’accroît. Ces institutions interviennent souvent dans le processus législatif en déclarant certaines lois contraires à la constitution, modifiant ainsi les rapports entre les pouvoirs.

C) Le contraste avec le modèle américain

Aux États-Unis, le modèle de Montesquieu reste relativement respecté :

  • Les pouvoirs législatif (Congrès), exécutif (Président) et judiciaire (Cour suprême) fonctionnent de manière autonome, avec des mécanismes de contrôle mutuel (checks and balances).
  • Ce système garantit un équilibre institutionnel, bien que des tensions politiques puissent parfois entraîner des blocages, comme lors des shutdowns liés au refus du Congrès de voter le budget proposé par le président.

D) Les raisons du vieillissement de la théorie

1. Une complexité croissante des États modernes

Les États contemporains gèrent des enjeux bien plus complexes qu’au XVIIIᵉ siècle. La concentration du pouvoir dans l’exécutif est souvent perçue comme nécessaire pour :

  • Réagir rapidement aux crises (économiques, sanitaires, sécuritaires).
  • Coordonner des politiques publiques dans un monde globalisé.

2. L’apparition de nouveaux acteurs politiques

  • Partis politiques : Dans les régimes parlementaires, les partis jouent un rôle central en assurant la cohésion entre l’exécutif et le législatif. Cela peut limiter l’indépendance des parlementaires vis-à-vis du gouvernement.
  • Institutions supranationales : L’Union européenne ou les organisations internationales (ONU, FMI) influencent les décisions nationales, redéfinissant les frontières des pouvoirs souverains.

3. L’évolution des pratiques politiques

  • Les gouvernements modernes, par leur contrôle des médias et leur personnalisation du pouvoir (par exemple, le rôle central du président en France), réduisent le rôle des autres pouvoirs.
  • Les majorités parlementaires solides limitent les capacités de contrôle du parlement sur l’exécutif.

E) Vers une adaptation de la théorie

La séparation des pouvoirs reste un principe fondamental, mais elle a évolué pour s’adapter aux réalités contemporaines :

  1. Une séparation fonctionnelle mais interdépendante :
    • Les pouvoirs ne sont plus strictement séparés, mais collaborent de manière croissante.
    • Exemple : En France, le gouvernement peut légiférer par ordonnances avec l’accord du parlement.
  2. Un renforcement des contre-pouvoirs :
    • Les cours constitutionnelles, les médias, et les institutions internationales agissent comme des garde-fous pour éviter les dérives autoritaires.

 

Conclusion : La théorie de la séparation des pouvoirs, bien que toujours inscrite dans les textes fondateurs des démocraties modernes, s’éloigne de plus en plus de l’idéal décrit par Montesquieu.

  • Dans de nombreux pays européens, l’exécutif tend à concentrer une grande partie du pouvoir, au détriment des législatifs.
  • Toutefois, des mécanismes modernes comme le contrôle juridictionnel, l’équilibre entre pouvoirs supranationaux et nationaux, ou l’intervention des partis politiques redéfinissent la séparation des pouvoirs pour l’adapter aux besoins actuels.

Ainsi, bien que vieillie, la théorie de Montesquieu conserve son essence, en garantissant un équilibre institutionnel qui limite les abus et protège les libertés fondamentales.

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